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05/04/2018 | FRANCE | N°17/00253

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 05 avril 2018, 17/00253


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 05 AVRIL 2018



N° RG 17/00253



AFFAIRE :



[T] [I]





C/

SAS NORTIER EMBALLAGES









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Juillet 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE

Section : Industrie

N° RG : 12/00057





C

opies exécutoires délivrées à :



la SELEURL Pascale CAMPANA AVOCAT

Me Christophe DELSART





Copies certifiées conformes délivrées à :



[T] [I]



SAS NORTIER EMBALLAGES



POLE EMPLOI



le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE CINQ AVRI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 AVRIL 2018

N° RG 17/00253

AFFAIRE :

[T] [I]

C/

SAS NORTIER EMBALLAGES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Juillet 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE

Section : Industrie

N° RG : 12/00057

Copies exécutoires délivrées à :

la SELEURL Pascale CAMPANA AVOCAT

Me Christophe DELSART

Copies certifiées conformes délivrées à :

[T] [I]

SAS NORTIER EMBALLAGES

POLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ AVRIL DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [T] [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Pascale CAMPANA de la SELEURL Pascale CAMPANA AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0262

APPELANT

****************

SAS NORTIER EMBALLAGES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Christophe DELSART, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 180

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Février 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Hélène PRUDHOMME, Président chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Marie-Christine PLANTIN, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

M. [T] [I] a été engagé par la SAS Nortier à compter du 8 septembre 1981. Son contrat de travail s'est poursuivi avec la société IMCA devenue, à compter du 1er octobre 1991, la SAS Nortier Emballages. À compter du 30 août 2004, M. [I] a travaillé exclusivement de nuit. M. [I] a été membre élu au comité d'entreprise pendant de nombreuses années et trésorier de celui-ci de 2007 jusqu'en mars 2011, date à partir de laquelle il n'a pas été réélu.

Le nouveau secrétaire du comité d'entreprise l'a convoqué pour une réunion du comité d'entreprise fixée au 18 juillet 2011, afin qu'il remette les documents et compte-rendus de gestion de ce comité. Il l'a informé le 1er septembre 2011 de l'engagement d'une procédure d'audit. Le commissaire aux comptes a rendu son rapport le 20 novembre 2011, celui-ci concluant à de nombreuses anomalies.

Le 25 novembre 2011, la SAS Nortier Emballages a convoqué M. [I] à un entretien préalable pour le 7 décembre 2011 et lui a notifié le 12 décembre 2011 son licenciement pour faute grave.

Le 23 janvier 2012, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise pour contester son licenciement, réclamer paiement des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages et intérêts pour préjudice moral

Par jugement contradictoire en date du 2 juillet 2013, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise a :

- débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [I] à verser à la SAS Nortier Emballages la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 500 du code de procédure civile,

- mis les dépens de l'instance à la charge de M. [I].

M. [I] a interjeté appel de cette décision. L'affaire était radiée le 16 janvier 2015 pour défaut de diligences de l'appelant qui l'a réinscrite au rôle le 05 janvier 2017.

Dans ses dernières conclusions du 23 janvier 2018, soutenues à l'audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. [I] demande à la cour de :

- infirmer l'ensemble de la décision entreprise,

en conséquence,

- constater, dire et juger que son licenciement ne repose ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- condamner la SAS Nortier Emballages au paiement des sommes suivantes :

. 8 855,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 885,56 euros au titre des congés payés afférents,

. 15 298,47 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 106 267 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

. 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que les condamnations prononcées seront assorties de l'intérêt légal,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- ordonner la remise des documents de fin de travail rectifiés, avec une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision de première instance,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions du 31 janvier 2018, soutenues à l'audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la SAS Nortier Emballages demande à la cour de :

- dire que le licenciement de M. [I] repose sur une faute grave,

- dire que les griefs avancés à l'appui d'une indemnisation de son préjudice moral ne sont pas avérés,

en conséquence,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- condamner M. [I] à verser à la SAS Nortier Emballages la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [I] aux dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement pour faute grave

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est libellée de la façon suivante : « Par lettre en date du 25 novembre 2011, nous vous avons convoqué à un entretien préalable. Au cours de cet entretien du 7 décembre 2011 nous vous avons exposé les griefs motivant la présente procédure. Vous avez été trésorier du comité d'entreprise jusqu'en mars 2011, date à laquelle les membre du CE ont été renouvelés. Lors de la reddition des comptes, le nouveau comité d'entreprise ayant constaté des incohérences et des irrégularités a diligenté un commissaire aux comptes. Après études des pièces et des demandes de précisions le commissaire aux comptes a déposé son rapport le 20 novembre 2011.

Ce rapport met en évidence de nombreuses irrégularités impliquant directement la société Nortier au travers de la gestion des comptes du CE dont vous aviez la tenue dans votre rôle de trésorier :

Vous avez détenu et utilisé, visiblement de façon régulière un tampon et des entêtes de la société Nortier (et non du CE)

Vous avez utilisé l'entité de l'entreprise Nortier lors d'achat concernant le CE, entre autres pour un cadeau d'une valeur de 834 euros au directeur (à titre personnel) de la société Megaboeuf en raison d'un accord de délai de paiement du repas de fin d'année 2010 (contrepartie en outre considérée comme excessive par le commissaire aux comptes au regard du délai de paiement consenti).

Vous avez utilisé les fonds du CE à des restaurations sans indication des bénéficiaires.

Vous vous êtes octroyé un prêt de deux mille euros le 28 juillet 2010 sans aucune consultation des autres membres du CE de l'époque, quant à l'autorisation de ce prêt. Il est à remarquer le décalage significatif entre la date d'octroi du prêt et son remboursement.

Au cours de l'entretien, vous n'avez pas voulu vous exprimer sur les différents griefs qui vous étaient reprochés, écourtant de ce fait, l'énoncé exhaustif des fautes graves commises.

En effet, le rapport du commissaire aux comptes met aussi en évidence que vous étiez seul à opérer les choix de gestion, les commandes, les paiements et le suivi comptable de l'ensemble des flux : il en ressort que vous avez commis de graves fautes telles que :

de nombreuses anomalies laissant des différences débit/crédit inexpliquées, par exemple :

un déficit important de chèques vacances, de colis de chocolat, de bouteilles de champagne

des achats de cartes-cadeaux, cartes de rentrée scolaires et chèques vacances, colis, supérieurs à l'effectif bénéficiaire dans l'entreprise,

des chèques vacances disparus.

Des dépenses incohérentes et injustifiées, par exemple :

des factures de restauration sans indication des bénéficiaires,

des achats de billets de spectacles à bénéficiaires inconnus,

la différence de traitement inexpliquée entre deux salariées partant en congé parental, l'une recevant à ce titre un cadeau d'une valeur de 580 euros, l'autre ne recevant pas de cadeau.

Des malversations manifestes, par exemple :

sur deux factures Darty de catégorie «expresso » du 12 juin 2010, vous avez masqué par une étiquette votre nom et celui de votre soeur et apposé le tampon de la société Nortier afin de les affecter aux comptes du CE.

Vous avez établi un chèque à votre ordre de deux mille euros le 28 juillet 2010 et indiqué sur le talon « acompte Méga » ; en juillet 2011, à la suite des demandes d'informations des nouveaux élus, vous avez expliqué qu'il s'agissait d'un prêt à vous-même, vous avez produit un accord de prêt (signé par vous à la fois en qualité de prêteur et de bénéficiaire sur papier entête de la société LGR Nortier Emballages d'avant 2008) daté du 27 juillet 2010 et remis au CE un chèque de remboursement daté du 31 mars 2011.

Selon le rapport d'audit le montant estimé à ce jour de ces irrégularités s'élève à 15 600 euros compte non tenu d'incohérences non chiffrables (prêts octroyés, encaissement d'espèces non comptabilisés). Lors de l'entretien préalable vous nous avez expliqué que l'ensemble de ces griefs ne concernaient que le comité d'entreprise et non la société Nortier. Cette observation n'est pas de nature à modifier notre appréciation de ces faits.

Les nombreuses irrégularités relevées par ce rapport à leur niveau de gravité ont une répercussion sur l'entreprise en raison notamment de l'opinion des salariés à l'égard de la hiérarchie et de la direction.

En conséquence ces griefs ne rendent plus possible votre maintien dans l'entreprise et nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Cette rupture immédiate sera effective dès l'envoi de la présente notification par la Poste ; votre solde de tout compte et les documents légaux vous seront adressés dans les meilleurs délais ».

M. [I] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et commence par rappeler que la plainte avec constitution de partie civile dont il a fait l'objet de la part du comité d'entreprise, pour abus de confiance, escroquerie et délit d'entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, a fait l'objet d'une ordonnance de non lieu du juge d'instruction en date du 22 novembre 2017, conformément aux réquisitions définitives du procureur de la République. Il ajoute qu'il a toujours apporté les explications demandées par le comité d'entreprise et qu'il a été licencié pour des faits qu'il a commis en tant que trésorier du comité, donc extérieurs à ses fonctions de manutentionnaire et de conducteur d'engin, de telle sorte que ces faits ne pouvaient fonder un licenciement. En outre, il fait valoir que ces griefs ne sont pas avérés, que les erreurs qu'il a pu commettre ne sont pas fautives, qu'elles sont dues à son ignorance des règles comptables, n'ayant bénéficié d'aucune formation en la matière.

La société Nortier emballages fait au contraire valoir que les juridictions tant administratives que judiciaires déclarent fondés les licenciements motivés par des fautes commises dans l'exercice du mandat et qu'en l'espèce les faits visés dans la lettre de licenciement sont établis.

L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L 1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur.

En outre, un fait fautif ne peut s'entendre que d'un fait du salarié contraire à ses obligations à l'égard de l'employeur, de telle sorte que lorsqu'il agit dans le cadre de ses fonctions de trésorier du comité d'entreprise, il n'est pas sous la subordination de l'employeur et ne peut donc être licencié pour faute, même au motif que les faits qui lui sont reprochés n'atteignent pas seulement le comité d'entreprise mais intéressent aussi le fonctionnement de la société dans son ensemble. En effet, si un salarié peut être licencié en raison d'un trouble objectif et caractérisé au fonctionnement de l'entreprise, ce licenciement n'est alors pas un licenciement pour faute.

En l'espèce, la cour relève que tous les griefs que la société reproche à M. [I] sont relatifs à des faits que celui-ci a commis dans son mandat de trésorier du comité d'entreprise et que pour justifier son licenciement, la société affirme que ces nombreuses irrégularités ont, du fait de leur niveau de gravité, une répercussion sur l'entreprise en raison notamment de l'opinion des salariés à l'égard de la hiérarchie et de la direction.

La cour en déduit que M. [I] n'a pas commis de faute à l'égard de l'entreprise et que l'employeur l'ayant licencié pour faute grave, il ne peut plus se prévaloir d'un licenciement fondé sur un trouble objectif et caractérisé au fonctionnement de l'entreprise. La cour en conclut que le licenciement de M. [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

S'agissant de l'indemnité de préavis

L'article 326 de la convention collective nationale de travail du personnel des imprimeries de labeur et des industries graphiques, applicable à la relation de travail dispose que « Conformément à la législation en vigueur, l'ouvrier ou l'ouvrière a droit, sauf faute grave, en cas de licenciement, à un délai-congé de :

- pour une ancienneté (1) de moins de 6 mois : selon les usages locaux ou professionnels (2) ou les règlements d'entreprise ;

- pour une ancienneté (1) de 6 mois à 2 ans : 1 mois ;

- pour une ancienneté (1) d'au moins 2 ans : 2 mois ».

Aux termes de l'article L.1234-5 du code du travail l'indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, qu'aurait perçus le salarié s'il avait travaillé pendant cette période et elle ne peut être réduite du montant des indemnités journalières perçues par le salarié durant la période où il aurait dû exécuter son préavis.

Il en résulte que M. [I] ayant plus de deux ans d'ancienneté et son dernier salaire s'élevant, indépendamment de ses absences pour maladie, à 4 301,96 euros au vu des bulletins de salaire versés, il a droit à une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 8 603,92 euros, ainsi que 860,39 d'indemnité de congés payés afférents.

S'agissant de l'indemnité de licenciement

Aux termes de l'article 327 de la convention collective applicable à la relation de travail « Conformément à la législation en vigueur, l'ouvrier ou l'ouvrière ayant 2 années d'ancienneté (1) ininterrompue au moins dans l'entreprise a droit, sauf faute grave, à son départ à une indemnité de licenciement correspondant au salaire effectif de 20 heures par année de service dans l'entreprise (2), le salaire servant de base au calcul de l'indemnité étant le salaire moyen des 3 derniers mois.

L'indemnité de licenciement ne sera pas due aux ouvriers de 65 ans révolus bénéficiant d'une retraite professionnelle complémentaire (3).

(1) L'ancienneté est définie selon l'article 210 de la convention collective.

(2) Pour le calcul de l'indemnité, le nombre d'années de service doit être apprécié à la fin du délai-congé, même si l'employeur a dispensé l'ouvrier ou l'ouvrière de travailler ; les années incomplètes sont appréciées au prorata du nombre de mois effectués ».

La cour accorde à M. [I] la somme qu'il réclame de 15 298,47 au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, la société ne contestant pas les calculs du salarié sur ce point, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire.

S'agissant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Au moment de la rupture de son contrat de travail, M. [I] avait au moins deux années d'ancienneté et la société Nortier Emballages employait habituellement au moins onze salariés, de telle sorte qu'en application de l'article L.1235-3 du code du travail, il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement.

En l'espèce, compte-tenu du montant du salaire de référence, de son ancienneté dans l'entreprise lors de la rupture du contrat (plus de 30 années), des difficultés à se réinsérer sur le marché de l'emploi consécutives à la rupture, mais aussi de la perte de revenus qu'il a subie dans le cadre des contrats à durée déterminée qu'il a conclus à partir de fin décembre 2013, il convient de lui allouer la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le remboursement par l'employeur à l'organisme des indemnités de chômage

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral

M. [I] soutient qu'il a subi un préjudice spécifique qu'il évalue à 30 000 euros du fait des circonstances vexatoires dans lesquelles il a été licencié, ainsi que du harcèlement moral dont il a été victime non seulement de la part de la société du fait de son association à la décision d'afficher des procès-verbaux de réunions du comité d'entreprise qui remettaient en cause sa probité, mais aussi de la part de salariés qui ont tenu à son endroit des propos malveillants, la société ayant en tout état de cause violé son obligation de sécurité de résultat en ne faisant pas cesser de tels agissements qui ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail et particulièrement altéré sa santé.

La société fait au contraire valoir que la procédure de licenciement n'a pas été brutale ni soudaine, que les procès-verbaux du comité d'entreprise ont toujours été affichés et que leur contenu est très factuel, que les témoignages produits par M. [I] relativement aux propos qu'il a subis sont sujets à caution et, enfin, qu'il n'a jamais alerté la direction, les services de santé ou le CHSCT des problèmes qu'il rencontrait.

Il appartient au salarié de faire la preuve de l'abus et des conditions vexatoires dans lesquelles il a été licencié. La cour relève qu'il n'apporte pas cette preuve et qu'il n'a pas subi de préjudice moral distinct de celui qui lui a été déjà été réparé au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, au titre des faits qu'il invoque pour permettre de présumer un harcèlement moral, M. [I] verse aux débats :

- trois procès-verbaux de réunion du comité d'entreprise, dont le président de la société a été cosignataire,

- deux attestations de personnes montrant qu'il a subi des propos malveillants et homophobes de la part d'un de ses collègues lors d'une fête de fin d'année d'entreprise en 2010,

- le courrier de son médecin traitant en date du 12 octobre 2012 et un courrier de l'assurance-maladie.

La cour relève d'abord que les procès-verbaux de réunions du comité d'entreprise qui ont été affichés dans l'entreprise visent à certains endroits M. [I], mais dans des termes neutres, qui rappellent la loi et qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la dignité du salarié.

La cour constate ensuite que les deux attestations, du restaurateur et de la serveuse, rapportent les mêmes propos insultants dont M. [I] a fait l'objet de la part de l'un de ses collègues, mais qu'il s'agit d'un agissement isolé, qui a eu lieu au demeurant lors d'une soirée d'entreprise, en dehors du lien de subordination de l'employeur.

La cour observe enfin que dans son certificat daté du 12 octobre 2011, le docteur [U] a indiqué que « depuis quelques mois M. [I] va très mal à tel point que j'ai dû lui faire un arrêt de travail que je prolonge tant il est dans l'incapacité d'y retourner actuellement. D'après ce qu'il m'explique, cela semble lié à un gros problème survenu au travail bien qu'il soit dans l'entreprise depuis 30 ans ». Ainsi, le médecin traitant s'est contenté de se faire l'écho des explications données par son patient.

Au terme d'une appréciation de l'ensemble de ces éléments, la cour conclut que les faits invoqués par M. [I] ne sont pas tous matériellement établis, que celui qui l'est correspond à un agissement unique et que, pris dans leur ensemble, ces éléments ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

M. [I] ayant soutenu que la société Nortier emballages avait manqué à son obligation de sécurité de résultat en raison des agissements de harcèlement moral qu'elle a commis ou laissé prospérer, la cour ne peut qu'en déduire que le manquement de la société à son obligation de sécurité de résultat n'est pas établi. M. [I] sera débouté de sa demande et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la remise des documents sociaux

La cour ordonne à la société Nortier Emballages de remettre à M. [I] son solde de tous comptes et un bulletin de paie rectifié, sans assortir cet ordre du prononcé d'une astreinte, en l'absence d'allégation le justifiant.

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation. S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la présente décision.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de l'issue du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement sur ces deux chefs, de mettre les entiers dépens à la charge de la société Nortier Emballage et de condamner celle-ci à verser 2 500 euros à M. [I] au titre des frais irrépétibles qu'il a engagés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement, sauf en sa disposition qui a débouté M. [T] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [T] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Nortier Emballages à verser à M. [T] [I] :

8 603,92 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

860,39 au titre des congés payés afférents.

15 298,47 au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

80 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dit que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et ceux portant sur les créances de nature indemnitaire à compter de la présente décision.

Ordonne à la société Nortier Emballages de remettre à M. [I] son solde de tous comptes et un bulletin de paie rectifiés des sommes allouées,

Ordonne d'office le remboursement par la société Nortier Emballages à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies à M. [T] [I] du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Nortier Emballages aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société Nortier Emballages à payer à M. [T] [I] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Claudine AUBERT, greffier greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIERLe PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 17/00253
Date de la décision : 05/04/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°17/00253 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-04-05;17.00253 ?
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