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29/03/2018 | FRANCE | N°15/040398

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21, 29 mars 2018, 15/040398


COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

21e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 29 MARS 2018

X... No 15/5250 joint au
No X... 15/04039

AFFAIRE :

Armelle Y...
...

C/
SA LA POSTE DOTC, inscrite au RCS de PARIS sous le numéro B 356 000 000, prise en sa direction services courrier colis (DSCC),

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 août 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES
Section : Commerce
No X... : 14/00622

Copies exécutoires délivrées à :

Me Jean christophe

LEDUC
Me Véronique A...

Copies certifiées conformes délivrées à :

Armelle Y..., Syndicat CGT PTT D'EURE ET LOIR

SA LA POSTE DOTC, inscrite au...

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

21e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 29 MARS 2018

X... No 15/5250 joint au
No X... 15/04039

AFFAIRE :

Armelle Y...
...

C/
SA LA POSTE DOTC, inscrite au RCS de PARIS sous le numéro B 356 000 000, prise en sa direction services courrier colis (DSCC),

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 août 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES
Section : Commerce
No X... : 14/00622

Copies exécutoires délivrées à :

Me Jean christophe LEDUC
Me Véronique A...

Copies certifiées conformes délivrées à :

Armelle Y..., Syndicat CGT PTT D'EURE ET LOIR

SA LA POSTE DOTC, inscrite au RCS de PARIS sous le numéro B 356 000 000, prise en sa direction services courrier colis (DSCC),

le : 30 mars 2018RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame Armelle Y...
[...]                                     
Représentée par Me Jean christophe LEDUC, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000045 - No du dossier 131559

Syndicat CGT PTT D'EURE ET LOIR
[...]                            
Représentée par Me Jean christophe LEDUC, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000045 - No du dossier 131559

APPELANTS SUR LE PRINCIPAL
INTIMES SUR L'APPEL INCIDENT

****************
SA LA POSTE DOTC, inscrite au RCS de PARIS sous le numéro
B 356 000 000, prise en sa direction services courrier colis (DSCC),
[...]                             
représentée par Me Véronique A..., avocat au barreau d'ORLÉANS

INTIMEE SUR LE PRINCIPAL
APPELANTE SUR L'APPEL INCIDENT

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 février 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe FLORES, Président chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,
Madame Florence MICHON, Conseiller,
Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC,

Mme Armelle Y... a été engagée à compter du 18 janvier 2000 et jusqu'en avril 2005, selon divers contrats de travail à durée déterminée successifs, en qualité de trieur par la société La Poste. Elle a été ensuite été engagée à compter du 9 mai 2005 en qualité de manutentionnaire, trieur, indexeur, selon contrat de travail à durée indéterminée.

La salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Chartres d'une demande relative à sa classification et un jugement a été rendu sur ce point le 17 novembre 2008.

Puis, par requête du 11 juin 2013, Mme Y... a saisi le conseil de prud'hommes de Chartres afin de solliciter une reprise de son ancienneté à compter du 18 janvier 2000. Le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.

Le 4 juin 2014, le syndicat a écrit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à Mme Y..., pour l'informer, conformément aux dispositions des articles L. 1247-1 et D. 1247-1 du code du travail qu'il entendait exercer et reprendre l'action en requalification de contrats à durée déterminée qu'elle avait initiée devant le conseil de prud'hommes de Chartres le 11 juin 2013, si cette dernière devait s'avérer irrecevable consécutivement au jugement rendu par cette même juridiction le 17 novembre 2008. Le syndicat précise que, dans ce cas, l'instance serait conduite par le syndicat qui pourra exercer lui-même les voies de recours contre le jugement. Cette lettre rappelait à la salariée qu'elle pouvait à tout moment mettre un terme à cette action, et qu'elle pouvait faire opposition à l'initiative du syndicat dans les quinze jours suivant la réception de la lettre.

Mme Y... et le syndicat ont demandé au conseil :
- d'ordonner la requalification de la relation de travail courant du 18 janvier 2000 au 8 mai 2005 en une relation de travail à durée indéterminée,
- de dire et juger ainsi que l'ancienneté de la salariée sera reprise à compter du 18 janvier 2000,
- de condamner la société La Poste à lui payer les sommes de 3 754,79 euros, sauf à parfaire, à titre de rappel de salaire, 375,48 euros, sauf à parfaire, au titre des congés payés afférents, le tout assorti des intérêts de droit au taux légal à compter de l'introduction de la demande en application des articles 1146 et 1153 du code civil, 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier, 10 000 euros à titre d'indemnité de requalification, 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- infiniment subsidiairement, de condamner la société La Poste à payer au syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité de requalification par application des articles L. 1247-l et L. 1245-2 du code du travail,
- de condamner en sus la société La Poste à lui remettre un bulletin de salaire conforme et ce, sous astreinte journalière de 100 euros qui courra passer un délai de huitaine suivant la notification du jugement à intervenir,
- de condamner la société La Poste à payer au syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir la somme de
5 000 euros à titre de dommages et intérêts, 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de constater le caractère exécutoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans caution, par application des dispositions des articles R.1245-1 et R.1454-28 du code du travail,
- de l'ordonner pour le surplus des demandes, conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,
- de mentionner dans la décision à intervenir la moyenne des trois derniers mois de salaire, soit la somme de 1.774,35 euros,
- de débouter la société La Poste de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de la condamner enfin aux entiers dépens en ce compris le coût de la présente instance, de l'exécution forcée et de la contribution relative à l'aide juridictionnelle de 35 euros.

La société La Poste a demandé au conseil :
- de déclarer Mme Y... irrecevable en l'ensemble de ses prétentions,
- de la débouter de toutes ses demandes dirigées à son encontre et débouter subséquemment le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir de l'ensemble de ses prétentions dirigées à son encontre,
- reconventionnellement et au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile, de condamner Mme Y... in solidum avec le Syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir, à lui payer la somme de
5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- de condamner les mêmes et sous la même solidarité à lui régler la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner encore les mêmes et sous la même solidarité aux entiers dépens de la présente instance,
subsidiairement,
- de déclarer le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir en sa qualité d'organisation syndicale exerçant une action en justice en faveur de Mme Y..., forclos en l'ensemble de ses prétentions dirigées à son encontre,
en conséquence, l'en débouter,
- de le condamner à lui payer 5 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
en tout état de cause,
- de débouter le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir de ses demandes dirigées à l'encontre de La Poste du chef des dommages et intérêts et des frais irrépétibles,
- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- de rejeter toutes demandes plus amples ou contraires.

Par jugement rendu le 31 août 2015, le conseil (section commerce) a :
- reçu Mme Y... en ses demandes,
- reçu le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir en ses demandes,
- reçu la société La Poste en ses demandes reconventionnelles.
- déclaré les demandes formulées par Mme Y... irrecevables en raison de l'unicité de l'instance,
- renvoyé l'affaire à une audience tenue sous la présidence du juge départiteur pour les demandes concernant le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir et la société La Poste sur lesquelles aucune majorité n'a pu se former,
- réservé les dépens.

Le 10 septembre 2015, Mme Y... a relevé appel de cette décision (dossier enregistré sous le numéro de répertoire général 15/04039).

Par jugement rendu le 24 novembre 2015, le conseil (section commerce formation départage) a :
- constaté la forclusion de l'action intentée par le syndicat,
- l'a débouté de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la société La Poste de ses demandes de dommages et intérêts et d'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum Mme Y... et le syndicat aux entiers dépens.

Le 25 novembre 2015, le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir a relevé appel de cette décision (dossier enregistré sous le numéro de répertoire général X... 15/05250).

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, Mme Y... et le syndicat PTT d'Eure-et-Loir demandent à la cour :
- d'ordonner la jonction des instances enrôlées sous les numéros 15/04039 et 15/05250,
- d'infirmer les jugements rendus par le conseil de prud'hommes de Chartres les 31 août 2015 et 24 novembre 2015 en toutes leurs dispositions,
statuant à nouveau,
- d'ordonner la requalification de la relation de travail courant du 18 janvier 2000 au 8 mai 2005 en une relation de travail à durée indéterminée,
- de dire et juger ainsi que l'ancienneté de la salariée sera reprise à compter du 18 janvier 2000 ;
- de condamner la société La Poste à payer à Mme Y... les sommes de 5 561,23 euros à titre de rappel de salaire, sauf à parfaire et de 556,12 euros au titre des congés payés y afférents, sauf à parfaire,
- de dire que ces sommes seront assorties des intérêts de droit au taux légal à compter de l'introduction de la demande en application des articles 1146 et 1153 du code civil,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner en sus la société La Poste à payer à Mme Y... les sommes de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice financier, 10 000 euros à titre d'indemnité de requalification, 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- infiniment subsidiairement, de condamner la société La Poste à payer au syndicat la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité de requalification par application des articles L. 1247-1 et L. 1245-2 du code du travail,
- de dire que le montant de l'indemnité de requalification susvisée s'entend net de tout prélèvement et notamment de tout retranchement au titre des contributions sociales,
- de condamner la société La Poste à remettre à Mme Y... un bulletin de salaire conforme et ce, sous astreinte journalière de 100 euros qui courra passer un délai de huitaine suivant la notification de l'arrêt à intervenir,
- de condamner la société La Poste à payer au syndicat CGT PTT Eure-et-Loir les sommes de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de débouter les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
- de condamner enfin la société La Poste aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de la présente instance, de l'exécution forcée et de la contribution relative à l'aide juridictionnelle de 35 euros.

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, la société La Poste demande à la cour :
- d'ordonner la jonction des instances enrôlées sous les numéros 15/04039 et 15/05250,
- de recevoir Mme Y... et le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir en leur recours mais les en déclarer mal fondés,
- de recevoir La Poste en son appel incident et la déclarer fondée,
- de confirmer les deux décisions déférées à la censure de la cour, à l'exception des chefs de demandes liés aux dommages et intérêts et aux frais irrépétibles,
par infirmation et statuant à nouveau de ces chefs :
- de condamner Mme Y... in solidum avec le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir à payer et porter à la SA La Poste la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile, ainsi que 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,
subsidiairement :
- de fixer l'indemnité de requalification à la somme de 1.354,74 euros,
- de retenir au titre du rappel de salaire sur la période de juillet 2008 à avril 2015 la somme de 3.385,93 euros brute et pour les congés payés y afférents, celle de 338,59 euros brute,
en tout état de cause :
- de débouter Mme Y... de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice financier chiffré à 1 000 euros,
- de ramener à de plus justes proportions sa demande présentée au visa de l'article 700 du code de procédure civile, sans excéder 1 000 euros,
- de débouter le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir de l'ensemble de ses prétentions,
- de condamner in solidum Mme Y... et le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir à régler à la SA La Poste la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
- de laisser les dépens d'appel à la charge de Mme Y... et du syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir et les y condamner in solidum,
- de rejeter toutes demandes plus amples ou contraires.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur la jonction des procédures :

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient de prononcer la jonction des affaires inscrites au répertoire général de la cour respectivement sous les numéros 15/04039 et 15/05250 et de dire qu'elles seront suivies désormais sous le seul numéro 15/04039.

Sur l'unicité de l'instance :

Mme Y... fait valoir que son action est parfaitement recevable, nonobstant le principe de l'unicité de l'instance. Elle indique avoir bénéficié, consécutivement à un nombre pléthorique de contrats précaires et après une période d'interruption de 13 jours, d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 mai 2005, au titre duquel elle a initialement saisi la juridiction prud'homale. Un jugement a été rendu par le conseil de prud'hommes de Chartres à la date du 17 novembre 2008, lequel circonscrit clairement le litige. Les dispositions de l'article R.1452-6 du code du travail ne lui interdisent cependant pas de ressaisir la juridiction prud'homale d'une requalification d'une relation contractuelle distincte, fut-elle antérieure, dès lors qu'elle ne constitue pas un tout puisque séparée par une période d'interruption. Mme Y... sollicite la réformation du jugement déféré au motif que les contrats de travail à durée déterminée régularisés entre les parties avant le 9 mai 2005 constituent une relation contractuelle distincte, à laquelle le principe de l'unicité de l'instance ne peut être opposé.

La société La Poste considère que la salariée est irrecevable à formuler la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée conclu en 2001. Elle précise que Mme Y... bénéficie déjà d'un contrat à durée indéterminée et ce, depuis le 9 mai 2005. Lors de la première procédure, elle sollicitait le bénéfice, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, d'une classification professionnelle correspondant au coefficient 1-3 et avait saisi la juridiction prud'homale avec d'autres salariés, sous l'impulsion du Syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir. Par jugement du 17 novembre 2008, la société rappelle avoir été condamnée à appliquer à Mme Y..., le coefficient 1-3 sollicité. Elle conclut à la confirmation des jugements déférés.

Selon l'article R.1452-6 du code du travail, "Toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance.
Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes".

Le 10 décembre 2007, Mme Y... avait saisi le conseil de prud'hommes de Chartres d'une demande au titre de sa classification. Cette demande a fait l'objet d'un jugement rendu le 17 novembre 2008 et aujourd'hui irrévocable. Mme Y... a introduit une nouvelle action en requalification des contrats de travail à durée déterminée conclus entre le 18 janvier 2000 et avril 2005, en paiement d'une indemnité de requalification et d'un rappel de salaire en raison de l'ancienneté résultant de la requalification des contrats à durée déterminée. Si la nouvelle instance, introduite le 11 juin 2013 tend notamment à obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée des contrats à durée déterminée conclus avec La Poste antérieurement au contrat à durée indéterminée en cours, elle a aussi pour objet d'obtenir que l'ancienneté en cours de la salariée prenne en compte ces contrats à durée déterminée puisque, par l'effet de la requalification, la relation de travail et, par suite, l'ancienneté, remonteraient au premier contrat irrégulier. Cette nouvelle demande est donc bien liée au contrat de travail en cours. En outre, Les faits sur lesquels reposent ces prétentions étaient nés lors de la conclusion de chacun des contrats à durée déterminée et donc antérieurement à la première saisine de la juridiction prud'homale. Cette demande est donc irrecevable et le jugement du 31 août 2015 doit être confirmé de ce chef.

En revanche, la règle de l'unicité de l'instance ne peut être opposée à une partie alors qu'elle n'a pas été partie à la première instance. L'action que peut exercer le syndicat en application de l'article L. 1247-1 du code du travail étant une action de substitution qui lui est personnelle et non une action par représentation des salariés, le syndicat ne peut se voir opposer la règle de l'unicité de l'instance alors qu'il n'était pas partie à celle objet du jugement du 17 novembre 2008.

Sur la prescription de l'action en substitution du syndicat :

La société indique qu'en application de la loi du 17 juin 2008 qui a modifié les articles 2222 et 2224 du code civil, l'action du syndicat se prescrivait par cinq ans. En effet, il n'a pas repris l'action de Mme Y... mais agi en son nom, de sorte qu'il aurait dû présenter sa demande au plus tard le 18 juin 2013. Or, la demande n'a été formée que le 12 novembre 2014, de sorte qu'il est forclos.

Le syndicat indique que son action est fondée sur le même contrat que celui sur le fondement duquel Mme Y... a agi, le 11 juin 2013, de sorte que la prescription a été interrompue par l'effet de la saisine de la juridiction prud'homale par la salariée et que son action est recevable.

Il convient préalablement de rappeler que les délais fixés par les articles 2222 et 2224 du code civil sont des délais de prescription et non, comme l'a retenu le premier juge, de forclusion.

L'action que peut exercer une organisation syndicale en vertu de l'article L. 1247-1 du code du travail est une action de substitution qui lui est personnelle et non une action par représentation des salariés. Dès lors elle n'est pas affectée par le sort qui peut frapper l'action exercée par la salariée.

Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent le même contrat de travail. L'action engagée par Mme Y... et l'action en substitution introduite par le syndicat concernent les mêmes contrats de travail, conclus à compter du 18 janvier 2000 par la salariée et La Poste. Il en découle que le délai de prescription quinquennale, qui courait à compter de la loi no 2008-651 du 17 juin 2008, a été interrompu par la saisine, le 11 juin 2013, par Mme Y..., du conseil de prud'hommes de Chartres. La demande du syndicat, qui est intervenu volontairement le 13 décembre 2013, et a engagé son action en substitution le 12 novembre 2014, est donc recevable. Le jugement du 25 novembre 2015 sera donc infirmé.

Sur la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée :

Le syndicat soutient que les deux-cents-vingt-sept contrats à durée déterminée signés du 18 janvier 2000 au 8 mai 2005, relèvent d'une politique mise en place au sein de La Poste pour pallier la disparition des agents qualifiés de "volants" alors que les postes occupés par la salariée étaient liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Il précise que les surcroîts d'activité avancés étaient totalement inexistants et relevaient de l'activité normale et permanente de l'entreprise. Il ajoute que le premier contrat ne comporte pas la qualification de la salariée remplacée, que le deuxième n'a pas été transmis à la salariée dans les deux jours et que le motif visé par le troisième ne constitue en aucune manière un surcroît d'activité.

La société souligne qu'en cas de requalification en contrat à durée indéterminée, l'indemnité ne peut excéder 1 354,74 euros nets.

Quant au caractère permanent des emplois pourvus au moyen des contrats à durée déterminée :

Le seul fait pour l'employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Le syndicat, qui se borne à soutenir que le recours au contrat à durée déterminée participe à la politique de l'entreprise qui recourt aux contrats précaires pour pourvoir des emplois relevant l'activité normale et permanente de l'entreprise, n'apporte aucun élément permettant d'établir que les divers contrats de remplacement ou pour surcroît temporaire d'activité étaient en réalité liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Quant au formalisme des contrats à durée déterminée :

Il résulte de la combinaison des articles L. 1242-12 et L. 1245-1 du code du travail qu'est réputé à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée qui ne comporte pas la définition précise de son motif et que cette exigence de précision quant à la définition du motif implique nécessairement que le nom et la qualification du salarié remplacé figurent dans le contrat lorsqu'il s'agit de l'un des cas visés par l'article L. 1242-12 1o du code du travail.

En l'espèce, le premier contrat à durée déterminée signé le 19 janvier 2000 pour le remplacement le 18 janvier 2000 de Mme B... et pour une durée d'un jour, indique l'emploi exercé par la salariée remplacée, à savoir "trieur", alors que cette mention ne permet pas de connaître sa qualification précise. Ce contrat est donc irrégulier et la requalification est encourue.

Le deuxième contrat, conclu pour une durée d'une nuit débutant le 26 janvier 2000, a pour motif un "accroissement temporaire d'activité découlant d'important trafic de début d'année", a été établi le 27 janvier 2000 et signé par la salariée le 31 janvier. Ce contrat a donc été soumis à la salariée après l'expiration du délai de deux jours ouvrables suivant l'embauche prévue à l'article L. 1242-13 du code du travail. La requalification en contrat à durée indéterminée est donc également encourue pour ce motif.

Le troisième contrat à durée déterminée, signé le 2 février 2000, mentionne comme motif "accroissement temporaire d'activité découlant de Renfort". L'employeur ne justifie en rien de la réalité de ce motif ni du caractère temporaire du surcroît d'activité qui justifierait le recours au contrat à durée déterminée. La requalification en contrat à durée indéterminée est donc également acquise au titre de l'irrégularité formelle de ce troisième contrat.

Conformément à l'article L. 1245-2 du code du travail, le salarié peut, du fait de la requalification en contrat à durée indéterminée, prétendre à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à au dernier salaire perçu avant la saisine de la juridiction, soit, au vu du bulletin de paie de juin 2013, la somme de 1858,94 euros bruts. Aucun des éléments produits ou invoqués ne permet de fixer cette indemnité à un montant supérieur.

Sur la demande de rappel de salaire :

Le syndicat sollicite une reprise de l'ancienneté de la salariée à compter du 18 janvier 2000. Considération prise de la saisine au 11 juin 2013, des minima conventionnels, et d'une qualification à retenir "d'ACC 1.2 jusqu'à novembre 2008 et d'ACC 1.3 à compter de décembre 2008", Mme Y... sollicite un rappel de salaire d'un montant de 5561,23 euros pour la période du mois de juillet 2008 au mois d'avril 2018, outre les congés payés afférents à hauteur de 556,23 euros.

La société sollicite, sur la période qu'elle a prise en considération qui va de juillet 2008 à avril 2015, que ce montant soit fixé à la somme de 3 385,93 euros, et les congés payés y afférents se chiffreraient ainsi à 338,59 euros bruts.

Du fait de la requalification intervenue à compter du 18 janvier 2000, l'ancienneté de la salariée remonte à cette date et sa rémunération doit être reconstituée en conséquence au regard des dispositions fixant les minima conventionnels applicables et du fait de la progression de classification avec un passage de ACC 1.2 à ACC 1.3 en décembre 2008. Au vu des justificatifs et des éléments de calcul produits, le rappel de salaire pour la période de juillet 2008 au mois d'avril 2018 s'élève à 5 561,23 euros nets, outre 556,12 euros nets au titre des congés payés afférents.

Cette somme portera intérêt au taux légal à compter de l'introduction par le syndicat de son action en substitution conformément à l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016. Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1341-2 du code civil.

Sur la remise du bulletin de paie :

L'employeur est tenu de remettre au salarié un bulletin de paie conforme à la présente décision. Toutefois, il n'apparaît pas nécessaire d'assortir ce chef de condamnation d'une astreinte.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice financier

Par application des articles 1147 du code civil et L. 1221-1 du code du travail, et en raison du préjudice financier nécessairement subi à raison du retard dans le paiement du salaire et de l'absence de toute bonne foi de l'employeur dans l'exécution de la relation contractuelle, le syndicat sollicite une indemnité dont le montant sera justement fixé à la somme de 1 000 euros.
La société conclut au rejet de cette demande, Mme Y... n'apportant pas la preuve d'un quelconque préjudice alors qu'il lui appartient, au visa de l'article 1147 du code civil, de le démontrer. Elle n'a pas plus rapporté la preuve d'une quelconque responsabilité contractuelle de l'employeur, ni d'un lien de causalité avec le préjudice qui est simplement allégué.

Il n'est pas justifié par le syndicat de ce que la salariée aurait, en raison du caractère irrégulier du recours au contrat de travail à durée déterminée et des conséquences financières qui découlent de la requalification en contrat à durée indéterminée, subi un préjudice distinct de celui résultant du retard dans le paiement. Cette demande doit être rejetée.

Sur la demande de dommages-intérêts du syndicat :

Le syndicat demande l'allocation de 5 000 euros en réparation du préjudice subi par l'intérêt collectif de la profession qu'il représente.

La société conteste la réalité du préjudice invoqué.

La violation des dispositions légales relatives au contrat à durée déterminée est de nature à porter atteinte à l' intérêt collectif de la profession. Dès lors, le recours irrégulier aux contrats de travail à durée déterminée par la société La Poste, tels qu'il a été constaté ci-dessus, a porté atteinte aux intérêts collectifs de la profession. En conséquence, il sera alloué au syndicat la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de l'employeur :

La société réclame la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en se fondant sur l'article 32-1 du code de procédure civile.

Les demandes du syndicat ayant partiellement prospéré, son action ne saurait être regardée comme abusive. Par ailleurs, la société ne démontre pas que l'action de la salariée avait un caractère abusif que le rejet de ses demandes ne saurait caractériser à lui seul. La société sera donc déboutée de ce chef.

Sur les dépens :

La Poste, partie succombante, doit supporter les dépens. Les frais d'exécution, qui ne sont pas des frais nécessaires à la tenue de la procédure au sens de l'article 695 du code de procédure civile et sont régis par le code des procédures civiles d'exécution n'entrent pas dans les dépens.

Sur les frais irrépétibles :

Il paraît inéquitable de laisser à la charge du syndicat l'intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche, aucune considération tirée de l'équité ou de la situation économique ne permet d'allouer une quelconque indemnité à la société au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Ordonne la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 15/04039 et 15/05250 et dit qu'elles seront suivies désormais sous le seul numéro 15/04039,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Chartres du 31 août 2015 en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme Y...,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Chartres du 24 novembre 2015,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Ordonne la requalification des contrats de travail à durée déterminée conclus entre Mme Y... et la société La Poste à compter du 18 janvier 2000,

Condamne la société La Poste à payer à Mme Y... la somme de 1858,94 euros bruts à titre d'indemnité de requalification,

Condamne la société La Poste à payer à Mme Y... la somme de 5 561,23 euros nets, à titre de rappel de salaire pour la période de juillet 2008 au mois d'avril 2018, outre 556,12 euros nets au titre des congés payés afférents, avec les intérêts légaux à compter de l'introduction de l'action du syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir , lesquels seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne la société La Poste à remettre à Mme Y... un bulletin de paie conforme à la présente décision,

Dit n'y avoir lieu à astreinte de ce chef,

Condamne la société La Poste à payer au syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession,

Déboute le syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir de ses autres demandes,

Déboute la société la Poste de ses demandes,

Condamne la société La Poste à payer les dépens et à verser au syndicat CGT PTT d'Eure-et-Loir la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame LECLERC, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21
Numéro d'arrêt : 15/040398
Date de la décision : 29/03/2018
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Analyses

Arrêt rendu le 29 mars 2018 par la 21ème chambre de la cour d’appel de Versailles RG 15/04039 Syndicat professionnel - Action en justice - Action de substitution – prud’hommes - Procédure - Instance - article R.1452-6 du code du travail - Unicité de l'instance - Conditions - Action de substitution exercée par un syndicat - Portée - Action personnelle - Recevabilité – Prescription de l’action de substitution. Prescription quinquennale – Application. La cour rappelle que la règle de l’unicité de l’instance ne peut être opposée à une partie alors qu'elle n'a pas été partie à la première instance. L’action que peut exercer le syndicat en application de l’article L. 1247-1 du code du travail étant une action de substitution qui lui est personnelle et non une action par représentation des salariés, le syndicat ne peut se voir opposer la règle de l’unicité de l’instance alors qu’il n’était pas partie à la première instance. Sur la prescription de l’action, la cour infirme le jugement entrepris en ce qu’il a constaté la « forclusion » de l’action intentée par le syndicat en considérant, d’une part, que l’action de substitution ne peut pas être affectée par le sort qui peut frapper l’action exercée par le salarié et, d’autre part, que si l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent le même contrat de travail.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2018-03-29;15.040398 ?
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