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18/01/2018 | FRANCE | N°17/02887

France | France, Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 18 janvier 2018, 17/02887


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 89B

5e Chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 18 JANVIER 2018



R.G. N° 17/02887



AFFAIRE :



SASU THALES COMMUNICATIONS & SECURITY





C/

[S] [N]

...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 21 Septembre 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES

N° RG : 14-01537/V





Copies exécutoires délivrées à :



la SELEURL ENOR AVOCATS



la SELARL HOCHE SOCIETE D AVOCATS



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 1]



Copies certifiées conformes délivrées à :



SASU THALES COMMUNICATIONS & SECURITY



[S] [N]



[K] [N]



[M] [N]







l...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89B

5e Chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 JANVIER 2018

R.G. N° 17/02887

AFFAIRE :

SASU THALES COMMUNICATIONS & SECURITY

C/

[S] [N]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 21 Septembre 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES

N° RG : 14-01537/V

Copies exécutoires délivrées à :

la SELEURL ENOR AVOCATS

la SELARL HOCHE SOCIETE D AVOCATS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 1]

Copies certifiées conformes délivrées à :

SASU THALES COMMUNICATIONS & SECURITY

[S] [N]

[K] [N]

[M] [N]

le :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DIX HUIT JANVIER DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SASU THALES COMMUNICATIONS & SECURITY

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Bénédicte GIARD-RENAULT TEZENAS DU MONTC de la SELEURL ENOR AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1234

APPELANTE

****************

Madame [S] [N]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Frédérique CASSEREAU de la SELARL HOCHE SOCIETE D AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0077 substituée par Me Vincent MARTY, avocat au barreau de

Monsieur [K] [N]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Frédérique CASSEREAU de la SELARL HOCHE SOCIETE D AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0077 substituée par Me Vincent MARTY, avocat au barreau de

Mademoiselle [M] [N]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Frédérique CASSEREAU de la SELARL HOCHE SOCIETE D AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0077 substituée par Me Vincent MARTY, avocat au barreau de

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 1]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Mme [W] [O] (Inspecteur contentieux) en vertu d'un pouvoir général

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,

Madame Sylvie CACHET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Adrien CROUZET

[D] [N] a été engagé par la société Thalès communications & security (ci-après 'la Société') le 1er février 1983.

Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait les fonctions d'ingénieur spécialiste en simulation mécanique et thermique au sein du service AEP (architecture électrique et physique) sur le site de [Localité 3]. L'équipe AEP y comptait neuf salariés, dont [D] [N].

En 2010, la société a décidé de déménager du site de [Localité 4] vers le site 'Cristal'[Localité 5]. Le déménagement a été réalisé le 24 septembre 2012. Lors de ce déménagement, n'a pas été transféré le laboratoire d'essai mécanique, appelé 'pot vibrant', permettant de valider les calculs effectués sur logiciels, alors que [D] [N] aurait insisté pour soutenir le transfert de cette unité qu'il avait collaboré à développer et qu'il estimait nécessaire aux études à effectuer.

Ce même24 septembre 2012, [D] [N] a été hospitalisé en urgence et placé en arrêt de travail, pour dépression, jusqu'au 17 octobre 2012. Il a repris le travail sans examen médical de reprise. La visite médicale périodique effectuée le mercredi 4 septembre 2013 le déclarera apte au travail.

En mai 2013, un dossier sensible classé secret défense (projet '[F]'), concernant le nouveau site du ministère de la défense, a été confié à [D] [N].

Le 9 octobre 2013, il a été victime d'un malaise sur le lieu de travail, sa collègue le trouvant prostré devant son ordinateur. Les pompiers sont intervenus et auraient transporté [D] [N] en chaise roulante du fait de son incapacité à se mouvoir.

L'arrêt de travail délivré le même jour faisait état de 'troubles nerveux', l'arrêt de prolongation délivré le 14 octobre 2013 mentionnait 'stress aigu au travail'.

Le 17 octobre 2013, [D] [N] mettait fin à ses jours à son domicile.

Il laissait à l'attention de sa famille un mot aux termes duquel il lui demandait de lui pardonner si cela était possible.

Il écrivait 'j'ai fait des erreurs à mon boulot et aujourd'hui je pense l'avoir perdu. Je ne sais plus quoi faire pour remonter. Je suis seul et unique responsable mais c'est trop insupportable'.

Le 22 octobre 2013, Mme [S] [N], veuve de [D] [N], a déposé plainte auprès des services de police pour des faits de harcèlement moral.

Le 21 décembre 2013, Mme [N] a saisi l'inspection du travail afin d'alerter sur les conditions de travail de son mari précédant son suicide et la caractérisation de ce geste en accident du travail.

Puis, le 11 janvier 2014, Mme [N] a effectué une déclaration d'accident du travail auprès de la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] (ci-après, la 'CPAM' ou la 'Caisse').

Par courrier daté du 28 mars 2014, la Caisse a informé Mme [N] qu'elle ne faisait pas droit à sa demande au motif que :

'La preuve que le décès soit survenu par le fait ou à l'occasion du travail n'est pas démontrée. En effet, le décès est survenu hors du temps et du lieu de travail, alors que Monsieur [N] observait un arrêt de travail au titre de l'assurance maladie'.

Le 20 mai 2014, Mme [S] [N] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM afin de contester cette décision.

Par courrier du 26 juin 2014, la commission de recours a confirmé à Mme [N] le bon enregistrement de son recours.

A défaut de réponse de la commission de recours amiable dans les délais impartis, Mme [N], M. [K] [N] et Mme [M] [N] (ci-après, les 'consorts [N]' ou 'les ayants droit de [D] [N]'), par requête enregistrée le 25 septembre 2014, ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Yvelines (ci-après, le 'TASS') aux fins de, au visa des articles L. 411-1 et suivants et L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale :

- dire les consorts [N] recevable et bien fondés en leur demande ;

- juger que le suicide de [D] [N] est constitutif d'un accident du travail ; en conséquence :

- ordonner la prise en charge par la CPAM du suicide de [D] [N] en tant qu'accident du travail ;

- condamner la Caisse à verser à Mme [S] [N] la rente viagère d'un montant de 21 114,53 euros ;

- condamner la caisse à prendre en charge les frais funéraires s'élevant à la somme de 7 415,89 euros ;

- dire que cet accident a pour cause la faute inexcusable de l'employeur ; en conséquence :

- ordonner la majoration à 100% du revenu de base de la rente viagère versée à [S] [N] qui sera portée à un montant de 52 786,63 euros ;

- condamner solidairement la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] et la société Thalès communication & security à verser à [S] [N] la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral ;

- condamner solidairement la Caisse et la société Thalès à verser à [K] [N] la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral ;

- condamner solidairement la Caisse et la société Thalès à verser à [M] [N] la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral ;

- condamner solidairement la Caisse et la société Thalès au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société a demandé au tribunal de :

A titre principal :

- confirmer la décision de la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] du 28 mars 2014 ;

- considérer que le décès de [D] [N] en date du 17 octobre 2013 n'a pas lieu d'être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail ; en conséquence :

- débouter les consorts [N] de leurs demandes ;

A titre subsidiaire :

- dire que les consorts [N] ne rapportent pas la preuve de la faute inexcusable de l'employeur à l'origine du décès de leur époux et père le 13 octobre 2013 ;

En conséquence :

- débouter les consorts [N] de leurs demandes ;

A titre plus subsidiaire, sur la justification des indemnités sollicitées par les ayants droit de [D] [N] :

- constater leur absence pour l'évaluation des préjudices subis ;

En tout état de cause :

- condamner les ayants droit de [D] [N] solidairement au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par décision du 6 août 2015 notifiée le 1er septembre 2015, la commission de recours de la CPAM a reconnu le caractère professionnel du décès de [D] [N].

Par jugement du 21 septembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité des Yvelines a considéré que les circonstances dans lesquelles était intervenu le geste désespéré du salarié en établissait l'origine professionnelle et permettait dès lors de retenir l'existence d'un accident du travail ; que la société avait ou aurait dû avoir conscience des risques qu'elle faisait courir à son salarié, qui s'étaient matérialisés par une suite de symptômes dépressifs ayant abouti à son geste désespéré et n'avait pas pris les mesures nécessaires propres à l'en préserver tant sur le plan individuel que collectif en l'absence de mesures appropriées pour détecter, au titre des risques psychosociaux, les facteurs de stress rencontrés par ses salariés ; que la faute inexcusable de la société était dès lors établie ; que la caisse était fondée à récupérer les sommes versées aux ayants droit de [D] [N] auprès de la Société.

C'est ainsi que le TASS a :

- dit que le décès de [D] [N] devait bénéficier de la législation professionnelle sur les accidents du travail ;

- dit que le décès de [D] [N] était dû à la faute inexcusable de son employeur la société Thalès communication & security ;

- fixé au maximum la majoration de la rente allouée à Mme [S] [N] en sa qualité de veuve de [D] [N] dans les conditions de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;

- dit que la caisse devrait prendre en charge les frais funéraires s'élevant à la somme de 7 415,89 euros ;

- fixé la réparation du préjudice moral subi par Mme [S] [N] à la somme de 40 000 euros ;

- fixé la réparation du préjudice moral subi par M. [K] [N] à la somme de 20 000 euros ;

- fixé la réparation du préjudice moral subi par Mme [M] [N] à la somme de 20 000 euros ;

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] ferait l'avance des indemnisations et récupérerait les sommes auprès de l'employeur ;

- condamné la Société à payer à Mme [S] [N] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Thalès de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 7 octobre 2016, la société a interjeté appel de ce jugement rendu.

L'affaire a été radiée du rôle par un arrêt du 12 mai 2017.

Par la suite, elle a été réinscrite au rôle de la 5e chambre de la cour d'appel de Versailles.

Par ses conclusions écrites, la société demande à la cour de :

A titre principal :

- infirmer le jugement du 21 septembre 2016 en toutes ses dispositions ;

- confirmer la décision de la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] du 28 mars 2014 ;

- considérer en conséquence que le décès de [D] [N] en date du 17 octobre 2013 n'a pas lieu d'être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail ; en conséquence :

- débouter les ayants droit de [D] [N] de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire :

- dire que les ayants droit de [D] [N] ne rapportent pas la preuve de la faute inexcusable de l'employeur à l'origine du décès de leur époux et père le 13 octobre 2013 ; en conséquence :

- débouter les ayants droit de [D] [N] de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre plus subsidiaire, sur la justification des indemnités sollicitées par les ayants droit de [D] [N] :

- constater l'absence de justifications par les consorts [N] de l'évaluation de leurs préjudices subis ;

En tout état de cause :

- condamner les ayants droit de [D] [N] solidairement au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par leurs conclusions écrites, les consorts [N] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par la TASS des Yvelines le 21 septembre 2016 en son intégralité à l'exception de la fixation du quantum de l'indemnisation du préjudice moral de Mme [S] [N] ;

Statuant à nouveau :

- fixer le préjudice moral de Mme [S] [N] à 50 000 euros ;

- condamner la société Thalès au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses conclusions orales, la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] indique s'en rapporter quant à la faute inexcusable et, dans l'hypothèse où la cour retiendrait celle-ci, statuer selon qu'il appartiendra.

Vu les conclusions déposées tant pour la société Thalès communication & security SAS que pour les consorts [N], ainsi que les pièces y afférentes respectivement, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties,

Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 9 novembre 2017,

MOTIFS

Sur la violation du principe du contradictoire

A titre liminaire, à l'appui de son appel, la société fait valoir la violation du principe du contradictoire ; que le tribunal a fondé sa décision sur des pièces simplement évoquées dans le courrier de l'inspection du travail (ci-après, le 'Rapport'), dont il n'a pas lui-même pu prendre connaissance, rapport qui se basait lui-même sur des pièces dont la Société n'avait pas pu prendre connaissance.

La cour ne peut que constater que, s'il est exact que le Rapport a été communiqué tardivement, dans le cadre de la procédure de première instance, il convient de relever que la procédure devant les juridictions sociales est orale, que la Société ne peut prétendre avoir ignoré l'existence de ce Rapport, qu'elle pouvait en tout état de cause faire ses observations devant le juge et que la circonstance que le jugement s'en serait trouvé 'truffé d'erreurs' compte tenu des inexactitudes ou imprécisions contenues dans ce Rapport constitue précisément la raison pour laquelle la Société a relevé appel ; que dès lors, outre que la violation du principe du contradictoire alléguée n'est pas démontrée, elle est inopérante au stade de l'appel, l'ensemble des pièces invoquées par chacune des parties à l'appui de ses prétentions ayant été communiqué en temps approprié, la cour rappelant ici que l'affaire devant elle a tout d'abord fait l'objet d'une radiation.

Sur l'accident du travail

A l'appui de son appel, la société relève, tout d'abord, que la présomption d'imputabilité doit être écartée et que, dès lors, il appartient à celui qui invoque l'origine professionnelle de l'accident de le démontrer.

Dans cette perspective, la Société fait notamment valoir qu'aucun élément objectif n'est rapporté comme étant à l'origine du geste dramatique de [D] [N], qui n'est pas intervenu au temps et au lieu de travail ; que la lettre d'adieu ne constitue pas une mise en cause de son employeur ; qu'il n'y a pas eu de continuité de soins ou de symptômes entre la dépression de 2012 et le suicide.

La Société ajoute que préalablement à son décès, [D] [N] a eu un parcours professionnel 'sans faille' au sein de Thalès; qu'il n'existait aucune tension avec ses collègues ou avec sa hiérarchie ; qu'il ne s'est jamais plaint à son employeur d'une dégradation des conditions de travail ; que le médecin du travail l'a considéré apte lors de la visite médicale du 4 septembre 2013 ; que sa charge de travail n'était pas excessive, le 'projet [F]' ne s'étant accompagné d'aucune augmentation de la charge de travail ; qu'aucun élément de preuve ne permet de relier le déménagement de site au suicide, d'autant qu'il n'est pas démontré que l'arrêt de travail de septembre 2012 soit lié à ce déménagement.

La Société souligne qu'il n'y a eu aucun événement soudain qui puisse expliquer le geste de [D] [N] ; qu'encore lors de son dernier entretien d'évaluation, le 23 septembre 2013, il avait émis le souhait d'être maintenu dans son poste de responsable de la simulation des essais.

La Société indique, en outre, qu'elle a mis en place un dispositif d'alerte professionnelle dès 2001, réactualisé en 2012, concernant notamment les risques psychosociaux et que [D] [N] n'a jamais saisi le 'responsable éthique'.

La Société rappelle, aussi, que [D] [N] était atteint d'un astrocytome cérébelleux et avait été opéré d'une tumeur au cerveau en 1999 et que, dès lors, il 'ne peut être écarté, au regard des éléments médicaux du dossier, une pathologie préexistante, ayant peut être occasionné l'état de prostration de Monsieur [N] du 8 octobre 2013 et son suicide'.

Enfin, la Société invoque l'absence de 'crédibilité du rapport CATEIS', demandé par le comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) de la Société après le suicide, relevant au demeurant qu'aux termes de ce rapport, 'même les collègues de Monsieur [N] qui le cotoyaient pourtant quotidiennement n'avaient pas conscience des difficultés qui pouvaient peser sur Monsieur [N]'.

A titre subsidiaire, la Société considère que, en tout état de cause, sa faute inexcusable n'est pas établie. Les consorts [N] ne démontrent pas l'existence d'une telle faute et, de plus la Société, qui ne pouvait avoir conscience que son salarié était exposé à un quelconque danger, 'avait pris les mesures pour identifier et prévenir (le risque de suicide), de sorte que sa responsabilité doit être écartée'. Bien plus, même les salariés qui auraient observé que [D] [N] était 'moins souriant, très préoccupé', 'moins combatif', avait une attitude 'plus sombre' n'avaient à aucun moment alerté qui que ce soit, le CHSCT n'avait adressé aucun signalement, ne serait-ce que concernant le service AEP.

La Société souligne, sur ce point que, contrairement à ce que suggérait le rapport CATEIS ou le jugement entrepris, il n'y avait pas eu de suppression de courriels par la Société, ainsi que le confirmait le rapport d'enquête de la police judiciaire.

En outre, les rapports du service médical entre 2010 et 2012 ne mentionnent pas une 'montée en puissance des risques psychosociaux'.

La Société conclut que, en réalité, 'personne dans l'entourage de Monsieur [N] n'avait perçu la dégradation de son équilibre psychologique qui aurait présager de son suicide' (en gras et souligné dans l'original des conclusions).

La Société développe par ailleurs les 'importantes mesures mises en place (...) pour préserver la santé et la sécurité des salariés' (en gras et souligné dans l'original), notamment les mesures d'accompagnement lors du déménagement du site de [Localité 4] vers le site de [Localité 3].

Les consorts [N] soutiennent en particulier, pour leur part, que, à compter de 2011 et du déménagement sur le site de [Localité 3], un 'malaise' s'est instauré, le secrétaire du CHSCT allant jusqu'à invoquer un 'grave problème dans la chaîne de management'. [D] [N] s'était montré particulièrement préoccupé par le transfert du 'pot vibrant'. Il 'craignait légitimement, compte tenu de cette ultra-spécialisation, que l'absence de transfert de son matériel entraîne de facto sa mise au placard et, in fine, son licenciement'.

Pour eux, l'acte suicidaire de [D] [N] est dans la continuité du syndrome dépressif constaté médicalement en 2012, déclenché le jour même du déménagement de la société qui a eu des conséquences importantes pour l'activité professionnelle du salarié.

Les consorts [N] soutiennent que la disparition de 40% de sa charge de travail habituelle a été comblée par une mission qui lui a été confiée à la fois sortant de sa compétence habituelle, prioritaire, compliquée et sensible, sans les moyens habituels pour l'exécuter, dans une courte échéance à tenir. Le 'projet [F]' était complexe, sensible. [D] [N] avait 'subi d'importantes pressions pour modifier ses calculs qui' n'allaient apparemment pas dans le sens escompté par le client'.

Les consorts [N] ajoutent que les déclarations des collègues recueillies démontrent la persistance d'une attitude sombre et préoccupée tout au long de l'année 2013 ; que l'état de santé psychologiquement fragile de [D] [N] est confirmé par le malaise et l'état de choc constatés le 9 octobre 2013 intervenus quinze jours après l'évaluation, en temps et lieu du travail, qui ont conduit son médecin généraliste à envisager en urgence une prise en charge psychiatrique telle que suivie en 2012 ; qu'en revanche, au cours des enquêtes, il n'a pas été mis en évidence des troubles psychologiques préexistants à 2012 ou à des difficultés rencontrées par ce salarié à l'extérieur de l'entreprise.

Les consorts [N] en concluent que ce geste désespéré est directement lié 'à son stress professionnel et à ses conditions de travail'; que c'est à bon droit que le caractère professionnel de l'accident a été reconnu par la commission de recours amiable le 6 août 2015 et par le TASS le 21 septembre 2016.

Sur ce

La cour estime utile de formuler deux observations préliminaires.

La première est que le fait qu'une personne se suicide provoque nécessairement une émotion légitime, laquelle peut être accrue par la circonstance que le suicide serait lié à l'activité professionnelle. Le fait de discuter des conditions dans lesquelles le suicide s'est produit, ce qui impose pour le juge de prendre la distance nécessaire, ne saurait en aucune manière être interprété comme une quelconque contestation de la souffrance éprouvée par l'auteur du suicide, par ses proches, par ses collègues.

La seconde est que l'ensemble des pièces et des arguments soumis à l'examen de la cour démontre que [D] [N] était un travailleur reconnu pour ses qualités professionnelles, ses compétences qui faisaient de lui un expert en son domaine, 'exigeant et pédagogue' comme il a pu être écrit. Rien, dans ce qui suit, ne saurait être lu comme une quelconque remise en cause de ces qualités, indiscutables et incontestées et au demeurant, rien n'établit que la mission confiée dépassait, en quoi que ce soit, ses compétences.

Cela étant, il convient de rappeler que, aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale: 'Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise'.

Il en résulte que, quand bien même il s'agirait d'un suicide, il pourrait s'agir d'un accident, susceptible d'être pris en charge au titre de la législation professionnelle, dès lors qu'il serait survenu par le fait ou à l'occasion du travail.

En l'espèce, le suicide n'ayant été commis ni au temps ni au lieu du travail, il n'existe pas de présomption que, à en supposer le caractère accidentel, il soit en lien avec le travail.

Contrairement à ce que soutient la défense des consorts [N], le mot laissé par [D] [N] n'impute pas expressément au travail le geste fatal qu'il s'apprête à commettre.

Comme indiqué plus haut, dans ce mot, [D] [N] invoque des 'erreurs' qu'il aurait commises, exprime sa crainte de perdre son travail, affirme être seul responsable des erreurs commises. A aucun moment, [D] [N] ne fait état de pressions, mêmes non dites, de sa hiérarchie, de l'insuffisance des moyens, matériels ou humains, dont il aurait disposé, des difficultés qu'aurait engendrées le non déménagement du 'pot vibrant', encore moins de ce qu'on aurait exigé de lui de modifier ses calculs pour satisfaire à la demande du client de l'entreprise.

Il est faux pour la défense des consorts [N] d'indiquer que des courriels auraient été supprimés qui empêcheraient de vérifier ces pressions, ces insuffisances, ces exigences: rien, dans le dossier, ne vient étayer cette affirmation péremptoire.

Il ne peut davantage être établi un lien entre l'arrêt de travail de 2012 et celui de 2013.

A cet égard, il convient tout d'abord d'indiquer qu'il est de notoriété publique que l'employeur n'est destinataire que d'un arrêt de travail ne mentionnant pas, pour des raisons évidentes de confidentialité, le motif de cet arrêt.

En l'occurrence, l'arrêt de travail du 24 septembre 2012 n'est pas produit: seul un bulletin de situation du bureau des admissions du CHI [Localité 7] est soumis à l'examen de la cour; ce sont les documents de prolongation de l'arrêt de travail qui font état d'une 'dépression'.

La cour souligne, sur ce point, que, contrairement à ce qui est suggéré par la défense des consorts [N], aucun de ces documents n'établit de lien entre la dépression et le travail.

Au total, [D] [N] aura cessé le travail du 24 septembre au 17 octobre 2012 inclus.

S'agissant plus généralement de l'état de santé de [D] [N], s'il est exact que la Société n'apporte aucun élément de nature à permettre d'établir un lien entre la pathologie dont [D] [N] a souffert en 1999 et le suicide, il n'est pas suffisant de dire que l'opération pour une tumeur cérébrale effectuée n'a plus donné lieu à un suivi : il faut préciser que [D] [N] lui-même a pu se montrer inquiet de son état de santé à cet égard, puisqu'en janvier 2012, il fera pratiquer un examen tomodensitométrique pour des vertiges. Si l'examen n'a rien révélé, il demeure qu'il est ainsi établi que [D] [N] souffrait de vertiges qu'il ne pouvait expliquer.

De plus, le médecin traitant de [D] [N] a pensé qu'il pouvait y avoir un lien entre l'antécédent d'astrocytome opéré en 1999 et l''angoisse importante' avec 'insomnie' qu'il constatait le 9 octobre 2013, puisqu'il prescrivait une IRM, fût-elle 'de principe', ainsi qu'il résulte du certificat dressé à cette date.

Plus significativement, l'arrêt de travail délivré par le CHI [Localité 7] le 9 octobre 2013 ne fait pas état d'une dépression: il fait état de 'Troubles mentaux'.

C'est l'arrêt de travail de prolongation délivré par le médecin traitant, le 14 octobre 2013, qui mentionne un 'stress aigu au travail'.

Par ailleurs, le 4 septembre 2013, soit un peu plus d'un mois auparavant, [D] [N] avait été déclaré apte au travail, sans aucune réserve, par le médecin du travail.

Enfin, il est constant que, le 9 octobre 2013, [D] [N] a été non pas transporté, par les pompiers comme il a pu être écrit, mais conduit à l'infirmerie, où il a été laissé sous la surveillance de l'infirmière et du médecin du travail, et que c'est Mme [S] [N] qui viendra le chercher pour le raccompagner à son domicile.

C'est dans ces conditions médicales que s'est produit le suicide, le 17 octobre 2013, dont la Société ne sera informée que le 22 octobre 2013.

Le 29 octobre 2013, le secrétaire du CHSCT a écrit au président de ce comité pour solliciter une réunion extraordinaire. La réunion se tient le 6 novembre, la direction informe les membres du comité que la famille ne souhaite pas faire état des causes du décès.

Lors ce cette réunion, comme lors des réunions suivantes et dans le rapport du CATEIS, il apparaît que le déménagement vers le site de [Localité 3] a pu être difficile pour de nombreux salariés, pas seulement ceux du service AEP, tandis que les membres de ce service se trouvaient, de par leur position dans la structure comme leur métier spécifique, un peu isolé de la communauté de travail. Le médecin du travail indiquera cependant que deux personnes (seulement) du service se sont rendues à l'infirmerie et que '(l)orsqu'on est ingénieur, et en particulier expert, on est dans la performance et c'est très difficile de parler de ses problèmes'.

Il est juste de relever que la direction de la Société s'est montrée, pour le moins, réticente à la mise en place d'un groupe de travail restreint, à la mise en place d'une délégation d'enquête paritaire (elle ne le sera pas) puis à la demande d'un rapport d'expertise par un cabinet spécialisé, CATEIS, lequel déplorera, d'ailleurs, le peu de coopération de l'entreprise à certains égards.

Sur ce point, la cour souhaite indiquer que, quelle que soit la qualification que l'on puisse donner à un tel comportement, qui a pu être guidé par la réflexion faite par le médecin du travail qu'il fallait être très vigilant afin de pas créer une souffrance supplémentaire avec une expertise, 'toujours traumatisante', il ne peut en être tiré aucun argument en faveur d'un accident à caractère professionnel.

Les consorts [N] tendent cependant à considérer que cette attitude de l'entreprise est à mettre en relation avec les difficultés par [D] [N] sur le plan professionnel.

Sont ainsi évoquées: une situation d'isolement ; des désaccords avec M. [T], supérieur hiérarchique de [D] [N] ; le non déménagement sur le site de [Localité 3] du 'pot vibrant' et au-delà, le manque de moyens ; la surcharge de travail ; la pression au travail.

La cour ne peut que constater que, pour l'essentiel, tous ces reproches adressés à la Société résultent des seules déclarations de Mme [S] [N].

Les élément soumis à la cour permettent d'établir ce qui suit.

S'agissant de l'isolement, il ne résulte pas d'une volonté délibéré de l'employeur, mais de la nature même du travail de l'équipe AEP, qui intervient dans un cadre à la fois très limité et très spécialisé. Au demeurant, si à l'occasion du déménagement sur le site de [Localité 3], il a pu être envisagé de supprimer ce service, il n'en était plus question lorsque [D] [N] s'est suicidé.

S'agissant des désaccords avec le supérieure hiérarchique, malgré le peu d'éléments que la cour puisse trouver dans le dossier à cet égard, il faut les considérer comme ayant existé. Mais rien dans le dossier ne permet de considérer qu'ils auraient, en quoi que ce soit, excédé les désaccords susceptibles d'exister dans toute communauté de travail, a fortiori dans un domaine aussi éminemment technique que celui dans lequel intervenait [D] [N]. La cour trouve ainsi révélateur que l'un des désaccords le plus important, semble-t-il, tienne à des procédés ou des méthodes de calcul: quand bien même [D] [N] aurait-il eu entièrement raison sur ses choix, il demeure qu'il est du pouvoir de son supérieur hiérarchique de les contester et rien n'indique que cela se soit déroulé autrement que dans un cadre ordinaire.

S'agissant du non déménagement du 'pot vibrant' sur le site de [Localité 3], la cour peut entendre que cela ait contrarié [D] [N], voire que cela ait pu rendre son travail un peu plus difficile, en termes de temps disponible.

Toutefois, il relève du pouvoir de l'employeur de déterminer les raisons du déplacement - ou non - d'un outil professionnel : il est établi que cela n'avait rien à voir avec [D] [N] et tout à voir avec une question de coûts.

De plus, si la manière particulière de travailler de [D] [N] (il ressort du rapport CATEIS que ses collègues le décrivent comme ayant une relation physique avec les éléments testés: il savait 'sentir' ce qui n'allait pas, où ça n'allait pas) rend légitime son désagrément de ne plus avoir cet outil à portée de main, il demeure qu'il continuait de disposer de l'ensemble des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa tâche.

Rien, dans le dossier, n'établit un quelconque manque de moyens matériels ou humains.

S'agissant de la surcharge de travail, les éléments soumis à la cour ne permette en aucune manière de l'établir.

Il reste à examiner la question de la pression au travail. Le cabinet CATEIS a utilisé l'expression de 'pressions invisibles'. Cette expression est intéressante en elle-même en ce qu'elle tend à indiquer qu'il n'existait pas de pression visible. En tout état de cause, la cour ne trouve pas dans les éléments qui lui sont soumis de quoi établir, en quoi que ce soit, de telles pressions, qui dépasseraient ce que toute entité spécialisée, comme celle dont [D] [N] était responsable, doit affronter, s'agissant notamment de procéder à des tests ou des évaluations dont les conséquences peuvent être lourdes ou importantes.

D'où cette notion de 'pressions invisibles'. Le rapport du cabinet CATEIS explique que le travail du service AEP repose à la fois sur des 'hypothèses livrées la plupart du temps dans le cahier des charges qui leur sont remis' et sur des simulations, à partir de logiciels et des essais. Les experts d'AEP 'consignent le fruit de leurs recherches dans des rapports qu'ils remettent à leur client. Ces rapports peuvent faire l'objet de discussions plus ou moins vives entre l'expert et son commanditaire'. La cour relève que le rapport CATEIS indique que, du 'point de vue du client interne, il est attendu des experts qu'ils disent la vérité même si elle n'est pas forcément agréable à attendre' (sic) et que les 'experts ont intériorisé cette demande de 'transparence technique'. Ils savent que les résultats de leurs travaux sont attendus. Ils mettent un point d'honneur à rendre des résultats fiables et justes. Il arrive que les analyses livrées par les experts ne sont pas toujours conformes aux attentes du demandeur' (sic). Le rapport ajoute qu'il existe aussi parfois des contraintes temporelles ou une 'pression sur les résultats', lorsque le client exige que le rapport soit réécrit en bonne partie; dans 'ce cas, les experts peuvent rester fermes sur leurs positions ou exiger que leur nom soit ôté du rapport lorsqu'il est 'réécrit' par le client'.

Les salariés peuvent alors, dit le rapport, se trouver confronté à des situations de 'souffrance éthique' et souligne que le 'renoncement à ses propres valeurs éthiques n'est pas sans dommage pour la santé mentale. Il altère l'image et l'estime de soi. Il fait éprouver des sentiments de honte ou de culpabilité dont les conséquences peuvent être dramatiques (retournement du sentiment de honte contre soit-même' (en gras dans l'original du rapport).

Les rédacteurs du rapport considèrent que ce 'conflit de valeur' a été un élément majeur dans le cheminement qui l'a conduit au geste fatal.

Ils concluent que [D] [N] est un 'expert de haut niveau délogé de sa place'.

La cour considère que ce rapport pêche cependant par manque d'objectivité et emploie des expressions fortes, imagées, qui n'ont pu que frapper l'esprit, déjà traumatisé par le suicide, des consorts [N].

Ce qui frappe, en effet, est l'absence de données objectives dans le rapport et tout spécialement la non prise en compte de la chronologie.

Il ne paraît pas contestable que [D] [N] ait combattu pour que le 'pot vibrant' soit déménagé sur le site de [Localité 3]. Mais la décision de ne pas effectuer ce transfert est prise dès 2012 et, à supposer que l'on considère qu'il y ait un lien avec l'arrêt pour dépression alors subi par [D] [N], force est de constater que l'on se situe un an avant le suicide en cause ici.

Or rien, dans le rapport, ne vient combler ce vide, sinon des considérations générales sur l'évolution de la société en générale: [D] [N] a été confronté à des ingénieurs plus jeunes qui disposent de connaissances et de compétences différentes. La cour peut, évidemment, comprendre, que [D] [N] ait ressenti avec difficulté ce passage d'une expertise à dimension 'humaine', si l'on peut écrire, mélange d'intuition, de passion et d'expérience, à une technique d'expertise plus abstraite, faite de calculs qu'au demeurant il n'approuve pas nécessairement.

Mais il n'y a là aucune remise en cause de ses compétences.

Au contraire, la confiance qu'on lui accorde est telle que c'est à lui que va être confiée le projet '[F]'. Le rapport CATEIS souligne qu'il s'agit d'une mission qui 'sort de l'ordinaire' et 'dont le degré de difficulté apparaît bien plus élevé que celui auquel [D] [N] était confronté habituellement'.

Le rapport indique ensuite qu'il aurait été demandé à [D] [N] de refaire ses calculs, au retour de ses vacances d'été, puis qu'il y aurait eu 'reddition de résultats qu'il ne valide pas', certains collègues se disant surpris que, lors d'une réunion du 7 octobre 2013, [D] [N] indique qu'il n'avait plus que la conclusion à terminer, alors que la situation du projet [F] s'était révélé très compliquée avant l'été.

Le rapport conclut que le suicide de [D] [N] est une 'histoire de dépossession, de perte progressive de ce qui faisait autrefois sa grandeur', la 'conséquence d'une immense solitude dans le travail'.

La cour ne peut que constater que ce rapport ne fournit aucun élément objectif permettant de valider ses conclusions et oblige à retenir que l'appréciation subjective du salarié de sa situation ne correspondait pas à sa situation objective, que rien ne vient confirmer qu'il a été demander à [D] [N] de falsifier ses calculs : c'est une chose différente qu'on ait pu lui demander de les refaire; que le rapport CATEIS fait peu de cas de l'évaluation à laquelle il avait été procédé, quelques semaines auparavant, à l'occasion de laquelle [D] [N] n'a exprimé aucune doléance, à la différence de celle de 2012, lorsqu'il avait indiqué que l'année avait été difficile 'humainement', ce qui montre qu'il pouvait faire part de ses difficultés éventuelles ; que ce rapport ne fait aucune mention de ce que, le 4 septembre 2013, [D] [N] a été déclaré apte au travail, sans aucune restriction, alors même que l'inspection du travail a souligné auprès de la Société qu'il ya avait eu, en 2013, une '(a)ugmentation des restrictions d'aptitude médicales et psychiques' ; que ni le rapport CATEIS ni l'inspection du travail ne prennent en considération que les collègues directs de [D] [N] ont spontanément indiqué qu'ils n'avaient rien décelé qui leur aurait permis de laisser penser qu'il allait commettre un geste fatal, qu'au demeurant ses proches eux-mêmes n'ont en aucune manière envisagé ; que, ni le rapport CATEIS ni l'inspection du travail n'ont pris en considération la formulation du bulletin d'hospitalisation du 9 octobre 2013, laquelle semble n'avoir alerté quiconque malgré sa brutalité ; enfin, qu'il est constant que, la veille du suicide, le traitement médical ordonné à [D] [N] a été diminué, passant de un comprimé d'antidépresseur et trois comprimés d'anxiolytique par jour, à la moitié de ces doses, un troisième médicament étant supprimé.

De tout ce qui précède, la cour retiendra que c'est à tort que commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] a reconnu le caractère professionnel du suicide de [D] [N] et que le tribunal des affaires de sécurité sociale [Localité 6] a confirmé cette décision.

Par voie de conséquence, aucune faute inexcusable ne peut être ici retenue à l'encontre de la Société.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

La cour dira n'y avoir lieu à condamner l'une des parties à payer à l'autre partie une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement et par décision contradictoire,

Infirme le jugement du le tribunal des affaires de sécurité sociale des Yvelines en date du 21 septembre 2016 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Décide que le suicide de [D] [N] n'est pas constitutif d'un accident du travail ;

Déboute les consorts [N] de leur demande de voir reconnue la faute inexcusable de la société Thalès communications & security SASU ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Florence Purtas, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 5e chambre
Numéro d'arrêt : 17/02887
Date de la décision : 18/01/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 05, arrêt n°17/02887 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-01-18;17.02887 ?
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