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30/11/2017 | FRANCE | N°17/00422

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 30 novembre 2017, 17/00422


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 61B



3e chambre



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 30 NOVEMBRE 2017



R.G. N° 17/00422



AFFAIRE :





SA UCB PHARMA



C/



[I], [J] [S]

...









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Mars 2014 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 2

N° RG : 12/13062







Expéditions

exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Pierre GUTTIN

Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS

Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE

Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 61B

3e chambre

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 30 NOVEMBRE 2017

R.G. N° 17/00422

AFFAIRE :

SA UCB PHARMA

C/

[I], [J] [S]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Mars 2014 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 2

N° RG : 12/13062

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Pierre GUTTIN

Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS

Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE

Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE NOVEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SA UCB PHARMA

RCS de Nanterre n° B 562 079 046

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Pierre GUTTIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 - N° du dossier 14000161

Représentant : Me RAVIT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS substituant Me Carole SPORTES de la SELARL HUASSMANN Associés, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

1/ Madame [I], [J] [S]

née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 2] (67)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

2/ Madame [V] [X] épouse [S]

née le [Date naissance 2] 1931 à [Localité 2] (67)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

3/ Monsieur [A] [J]

né le [Date naissance 1] 1956

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 620 - N° du dossier 001745

Représentant : Me Martine VERDIER, Plaidant, avocat au barreau d'ORLEANS

INTIMES

4/ MGEN 67 B RHIN 3

[Adresse 4]

[Localité 2]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

INTIMEE ET ASSIGNEE EN APPEL PROVOQUE

5/ SAS GLAXOSMITHKLINE SANTE GRAND PUBLIC dont le siège social est sis au [Adresse 5], RCS n° 672 012 580, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, venant aux droits de la société NOVARTIS SANTE FAMILIALE à la suite de l'apport en nature de l'intégralité de ses titres à Glaxosmithkline Santé Grand Public par décision de son associé unique en date du 22 décembre 2015, suivi de sa dissolution sans liquidation à effet au 1er février 2016

Représentant : Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1453184

Représentant : Me AYNES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS substituant Me Jean-pierre GRANDJEAN du PARTNERSHIPS CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0112

INTERVENANTE VOLONTAIRE

6/ CPAM DU BAS-RHIN

[Adresse 6]

[Localité 2]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentant : Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.26 - N° du dossier 17316

Représentant : Me Arnaud FRIEDERICH du cabinet ALEXANDRE LEVY KAHN BRAUN & Associés, Plaidant, avocat au barreau de STRASBOURG

INTERVENANTE VOLONTAIRE

-------------

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Octobre 2017 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOISSELET, Président chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET,

----------

Mme [I] [S], née le [Date naissance 1] 1965, alléguant avoir été exposée in utero au Distilbène, a, par actes du 16 octobre 2007, assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société UCB Pharma et la MGEN 67 en réparation des préjudices subis.

Par jugement du 30 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné une expertise dont le rapport a été déposé le 25 février 2011.

Par acte du 14 avril 2010, la société UCB Pharma a assigné en intervention forcée la société Novartis Santé Familiale, devenue depuis la société Glaxosmithkline.

Mme [V] [X] épouse [S], mère de la demanderesse initiale, et M. [A] [J], son compagnon, sont intervenus volontairement à la procédure.

Par jugement du 20 mars 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme [S],

- déclaré UCB Pharma responsable des dommages subis,

- mis hors de cause la société Novartis,

- condamné UCB Pharma à payer :

- à Mme [I] [S], la somme de 110 970,80 euros

ainsi qu'une indemnité de procédure de 10 000,00 euros

- à M. [J], la somme de 8 000,00 euros

- à Mme [V] [S], la somme de 10 000,00 euros

- condamné la société UCB Pharma aux dépens, en ce compris les frais de consignation, avec recouvrement direct,

- ordonné l'exécution provisoire à concurrence des deux tiers des condamnations prononcées,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- déclaré le jugement commun à la MGEN 67.

Plus précisément, le tribunal a fixé comme suit les préjudices de Mme [I] [S] :

frais divers3 520,80 euros

déficit fonctionnel temporaire11 050,00 euros

souffrances endurées25 000,00 euros

déficit fonctionnel permanent51 400,00 euros

préjudice sexuel15 000,00 euros

préjudice d'établissement5 000,00 euros

préjudice d'anxiétérejet

La société UCB Pharma en a relevé appel le 18 avril 2014 et prie la cour, par dernières écritures du 29 septembre 2017, de :

- juger l'action de Mme [I] [S] prescrite compte tenu de la date de consolidation au 15 janvier 1995,

- débouter la société Glaxosmithkline de toutes ses demandes,

- juger l'action de M. [J] et de Mme [V] [S], ainsi que de la CPAM du Bas-Rhin également prescrites, même compte tenu d'une date de consolidation au 24 janvier 2002,

- dans le cas où une contre-expertise serait ordonnée, dire que Glaxosmithkline y sera partie, dire que les frais en seront avancés par Mme [S] et rejeter sa demande de provision ad litem,

- juger que la preuve de l'exposition au Distilbène n'est pas rapportée et condamner in solidum UCB Pharma et Glaxosmithkline à réparer le préjudice causé par l'exposition à la molécule DES,

- fixer la contribution à la dette de chacun des laboratoires à 50 %,

- évaluer les préjudices de Mme [I] [S] comme suit :

frais diversrejet

déficit fonctionnel temporaire7 800,00 euros

souffrances endurées20 000,00 euros

déficit fonctionnel permanent40 000,00 euros

préjudice sexuel6 000,00 euros

préjudice d'établissementrejet

préjudice d'anxiétérejet

- débouter Mme [V] [S] et M. [A] [J] de leurs demandes,

- ramener l'indemnité de procédure à de plus justes proportions.

Par conclusions du 15 septembre 2017, la société Glaxosmithkline demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'elle a été mise hors de cause,

- subsidiairement, dire que sa contribution à la dette ne sera que de 2,3 % au prorata de sa part de marché, et subsidiairement de 5 %,

- débouter la société UCB Pharma du surplus de ses demandes,

- débouter les consorts [S] et la CPAM du Bas Rhin de l'ensemble de leurs demandes,

- subsidiairement, dire que l'indemnisation de la CPAM ne saurait excéder la somme de 29 850,94 euros, soit 686,57 euros ou subsidiairement 1 492,54 euros à la charge de Glaxosmithkline,

- condamner UCB Pharma à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions du 19 septembre 2017, Mmes [I] et [V] [S] et M. [J] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement sur la responsabilité d'UCB Pharma et le rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription, sur les sommes allouées à Mme [V] [S] et M. [J], ainsi que sur l'indemnité de procédure,

- fixer la date de consolidation au 17 décembre 2010,

- condamner UCB Pharma à payer à Mme [I] [S] les sommes suivantes :

frais divers11 266,56 euros

déficit fonctionnel temporaire13 000,00 euros

souffrances endurées40 000,00 euros

déficit fonctionnel permanent139 000,00 euros

préjudice sexuel22 000,00 euros

préjudice d'établissement25 000,00 euros

indemnité de procédure en cause d'appel8 000,00 euros

subsidiairement, dans l'hypothèse où seule une exposition à la molécule DES serait jugée établie,

- condamner in solidum les sociétés UCB Pharma et Glaxosmithkline à payer les sommes détaillées plus haut, et confirmer les sommes allouées à Mme [V] [S] et M. [J],

- plus subsidiairement, ordonner une contre-expertise confiée à un cancérologue, un gynécologue et un expert psychiatre, aux frais avancés des deux laboratoires,

- les condamner dans ce cas à payer une provision sur dommages de 50 000 euros.

- condamner les laboratoires aux dépens, avec recouvrement direct.

Par conclusions du 28 septembre 2017, la CPAM du Bas Rhin, intervenante volontaire devant la cour, lui demande de :

- la recevoir en son intervention volontaire,

- confirmer le jugement sur la responsabilité d'UCB Pharma,

- la condamner, le cas échéant solidairement avec la société Glaxosmithkline à lui payer les sommes de 32 853,30 euros

outre intérêts au taux légal à compter des conclusions,

outre une indemnité de procédure de 3 000,00 euros

et l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 055,00 euros

- réserver ses droits au titre de prestations non comprises ou postérieures.

Bien qu'assignée à personne habilitée les 10 juin 2014 et 26 août 2014, la MGEN n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2017.

SUR QUOI, LA COUR :

Les données médicales résultant du rapport d'expertise sont les suivantes :

Mme [V] [S] a déclaré avoir été traitée par Distilbène au cours de sa grossesse, par Distilbène et Progestérone retard entre le 3ème mois et la naissance de sa fille.

Ont été observés chez Mme [I] [S] une adénose cervico-vaginale, un diaphragme vaginal, et une hypoplasie cervicale. Un adénocarcinome à cellules claires de stade I étendu à la partie supérieure du vagin a été diagnostiqué en juillet 1994, Mme [S] avait 29 ans, et opéré le 3 août 1994 après transposition ovarienne bilatérale avec curage ganglionnaire. Deux curiethérapies (techniques de radiothérapie mise au point à l'Institut [Établissement 1] où la source radioactive scellée est placée à l'intérieur ou à proximité immédiate de la zone à traiter) ont été pratiquées en août et septembre 1994. Le cancer a été considéré comme en rémission fin février 2002 et comme définitivement guéri à la date de l'expertise.

Les experts précisent que l'adénocarcinome à cellules claires du col de l'utérus représente 10 à 20 % des tous les cancers du col de l'utérus, et que 2/3 d'entre eux sont liés à une exposition au DES in utero. Un lien de causalité direct et exclusif entre l'adénocarcinome à cellules claires de l'utérus et l'exposition au DES peut être établi à raison des traitements reçus par la mère, et de la date de survenue de l'adénocarcinome, qui ne survient, hors exposition au DES, que chez les femmes ménopausées, précisant sur dire d'UCB Pharma que l'association d'une adénose vaginale, d'une hypoplasie du col et d'un cancer cervico-vaginal témoigne d'un rapport direct et certain avec l'exposition in utero au DES.

Mme [I] [S] présente une stérilité définitive liée à la curiethérapie.

- Sur la prescription :

Les experts avaient initialement fixé la date de consolidation au 15 janvier 1995.

Après dire de Mme [S], ils l'ont retardée au 15 septembre 1995, au motif que les différents examens cliniques n'ont fait que constater les séquelles de la curiethérapie, séquelles qui étaient fixées et définitives à cette date, et qui permettaient de déterminer les préjudices permanents subis, précisant que les autres problèmes gynécologiques survenus après 1996 sont sans rapport avec les séquelles de la curiethérapie.

Le tribunal, après avoir rappelé que lors de la délivrance de l'assignation l'action en responsabilité née d'une dommage corporel se prescrivait par dix ans à compter de la date de consolidation, a retenu que le diagnostic de stérilité, imputable à la curiethérapie, n'a été posé au plus tôt qu'en janvier 1999, et qu'en outre Mme [S] avait été soumise à un contrôle très étroit lié à l'éventualité d'une récidive, jusqu'en janvier 2002, date à laquelle la rémission a été jugée acquise par les médecins.

Ucb Pharma expose que la prescription est acquise, plus de dix ans s'étant écoulés entre la date de la consolidation et l'assignation initiale, et observe que toute thérapeutique active a cessé en 1995, qu'aucune nouvelle séquelle n'est apparue depuis 1995, et que Mme [S] a eu connaissance de sa stérilité liée à la curiethérapie dès cette époque, et ne peut être considérée comme ayant été empêchée d'agir puisqu'elle a repris une activité professionnelle dès la fin des traitements en 1995. Elle ajoute que la dysplasie vaginale survenue en 2004 est, aux yeux des experts, sans lien avec l'exposition au DES et ne saurait dès lors être prise en compte.

Glaxosmithkline s'associe à cette argumentation.

Mme [S] expose qu'elle a été étroitement suivie après 1995, qu'ont été craintes à deux reprises, en 1996 et 1997 des récidives, et que, par ailleurs, elle a subi le 29 octobre 1996 une intervention sous anesthésie générale ayant pour objet de traiter les remaniements secondaires à la curiethérapie. Plus généralement, elle rappelle qu'en raison du pronostic très négatif de ce type de cancer, nombre d'experts estiment qu'un recul d'au moins dix ans est nécessaire pour apprécier leur consolidation.

Elle considère que la date de consolidation doit être fixée au jour de l'expertise, soit le 17 décembre 2010. En tout état de cause, ignorant sa stérilité jusqu'en 1999, elle a été empêchée d'agir.

Ainsi que justement rappelé par toutes les parties, la date de consolidation de la victime est définie par le rapport Dintilhac comme la date de stabilisation des blessures constatées médicalement, soit comme le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif.

Les suspiscions de récidives évoquées par la victime n'ont aucun caractère de généralité, mais sont fondées sur des anomalies décelées au cours d'examens de contrôle.

Si des récidives étaient réellement survenues lorsqu'elles ont été redoutées, c'est à dire en 1996 et 1997, il n'est pas douteux que les experts auraient considéré que la consolidation n'était pas acquise à la cessation des traitements initiaux, et que les récidives avérées auraient été intégrées dans le préjudice initial, et non considérées comme des aggravations de ce préjudice initial. Le préjudice définitif n'aurait pu être apprécié à la date d'arrêt initial des traitements. Rien ne justifie de raisonner différemment en raison du caractère fort heureusement infondé de ces alertes, alors surtout qu'il est notoire, s'agissant d'affections cancéreuses, que les médecins se réservent une longue période d'observation avant de considérer que l'état du patient est stabilisé et la rémission acquise. Ainsi que justement observé par UCB Pharma, la date de guérison se distingue de la date de consolidation, et les experts considèrent bien que cette guérison n'est acquise, dans le cas de Mme [S], qu'à la date de dépôt de leur rapport. Le jugement sera confirmé en ce que la date de consolidation a été fixée à la date à laquelle la rémission a été considérée comme acquise, soit le 24 janvier 2002.

L'exception de prescription a donc à bon droit été rejetée par le tribunal en ce qui concerne les demandes de Mme [I] [S].

En revanche, en l'absence de toute indivisibilité entre les demandes de cette dernière et celles formées par sa mère et son compagnon, qui ne sont intervenus volontairement à la procédure que le 16 avril 2013, les demandes de Mme [V] [X] épouse [S] et de M. [J] seront déclarées irrecevables comme atteintes par la prescription, plus de 10 ans s'étant écoulés entre le 24 janvier 2002 et la date de la signification de leur intervention volontaire devant le tribunal, soit le 16 avril 2013.

- Sur l'exposition in utero de Mme [I] [S] et la responsabilité :

Au regard des conclusions particulièrement nettes des experts, notamment en ce qui concerne l'adénome et son imputabilité à l'exposition au DES, et qui ne sont pas utilement discutées, les pathologies présentées ont été à bon droit jugées imputables de façon directe et certaine à l'exposition de Mme [S] à la molécule DES.

Mme [V] [S] a rédigé le 15 mai 2017, soit quelques mois avant l'assignation, une attestation selon laquelle lui ont été prescrites et administrées des injections hebdomadaires de Distilbène à compter du 3ème mois de grossesse. S'il est vrai que ce document à lui seul ne peut constituer une preuve formelle de l'exposition de sa fille au Distilbène, en raison tant de sa date que de la proximité de son auteur vis-à-vis de l'intimée, il constitue néanmoins un élément en faveur de l'exposition alléguée. Ce document est confirmé par une lettre de l'oncle de Mme [I] [S], qui relate que sa mère, qui passait sa grossesse alitée au domicile de ses parents, recevait des injections de Distilbène, et qu'il se souvenait être allé chercher les produits à la pharmacie. Est enfin produite une enveloppe datée du 21 octobre 1964 adressée à Mme [V] [S] contenant une lettre au dos de laquelle a été noté le terme 'Distilbène 500 Progestérone retard'. Il résulte enfin d'une ordonnance du 13 novembre 1964 que Mme [V] [S] a bien eu des injections prescrites, le produit utilisé n'étant malheureusement pas précisé. Contrairement à ce qu'UCB Pharma soutient, il existait bien une présentation injectable de Distilbène, dénommée Furostilboestrol. Il a par ailleurs été justement relevé que tant Mme [V] [S] que son frère ont pu faire une confusion entre les deux médicaments reçus, soit du Distilbène et de la Progestérone retard, qui est, elle, toujours injectable, ce qui est l'opinion des experts, qui considèrent que cette confusion est très vraisemblable et que le traitement par Distilbène a été mené per os.

Le médecin traitant de Mme [I] [S], qui a indiqué la suivre depuis une vingtaine d'années, a attesté avoir toujours noté qu'elle avait été exposée au Distilbène. Sont notamment produits un courrier d'un autre médecin, mentionnant dès avril 1990 que cette exposition lui a été rapportée, un compte-rendu d'échographie daté du 30 avril 1991 mentionnant 'adénose vaginale/Distilbène', un compte-rendu de contrôle rénal daté du 3 septembre 1991 mentionnant également la prise de Distilbène chez la mère, un courrier du professeur [T] de 1993 mentionnant également cet antécédent. Ces pièces qui émanent toutes de professionnels de santé, sont trop nombreuses pour qu'il puisse être considéré qu'il y ait eu confusion sur le produit et que le terme Distilbène at été employé à tort pour désigner le produit commercialisé par Novartis, étant rappelé que le produit d'UCB Pharma, le laboratoire Ucepha, dominait très largement le marché à l'époque (Le produit Novartis ne représentant qu'entre 2 et 10 % des ventes totales). C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré qu'était suffisamment établie l'exposition au Distilbène et non au produit équivalent commercialisé par Novartis.

Ni la faute, ni le lien de causalité entre l'exposition et les préjudices subis n'ayant par ailleurs fait l'objet d'observation de la part de l'appelante, le jugement sera confirmé tant en ce qu'il a retenu la responsabilité d'UCB Pharma qu'en ce que Novartis a été mise hors de cause.

- Sur les préjudices :

La cour considère que les pièces produites et le rapport d'expertise déposé lui permettent de liquider les préjudices de Mme [I] [S] sans recours à une nouvelle expertise, étant rappelé que les conclusions des experts ne lient pas le juge.

Frais divers :

Force est de constater que Mme [S] ne justifie pas de son domicile pendant toute la période des soins reçus lors de son cancer, ce qu'il lui était cependant aisé de faire. Les frais de déplacement seront donc confirmés pour la somme de 3 520,80 euros

Déficit fonctionnel temporaire :

Mme [S] a en effet subi une intervention en octobre 1996, destinée à contrôler l'absence de récidive de lésions cancéreuses, pour laquelle elle a subi un déficit temporaire total, étant observé qu'il n'y a pas eu de période d'hospitalisation subséquente. Il sera donc retenu à ce titre deux jours de DFTT.

La période de DFTT retenue par les experts, du 2 août 1994 au 31 août 1995, soit sur une période de 12 mois et 29 jours n'est pas contestée.

La somme allouée par le tribunal, qui correspond à une période de 13 mois, sera confirmée pour le montant de 11 050,00 euros

Souffrances endurées :

Elles ont été évaluées à 4,5 / 7 par les experts compte tenu de la lourdeur des traitements de l'adénocarcinome et du retentissement psychologique induit par la maladie.

L'indemnisation allouée par le tribunal est adaptée et sera confirmée pour la somme de 25 000 euros

Déficit fonctionnel permanent :

Ce poste, qui a pour objet la réparation de l'atteinte portée au potentiel physique ou moral de la victime, doit intégrer tant les séquelles liées à la maladie cancéreuse, ou son traitement, tels que la stérilité liée à la curiethérapie, que celles constituées par le suivi vigilant auquel Mme [S] est astreinte, tant sur le plan matériel que psychologique.

Le taux proposé par les experts apparaît dès lors insuffisant et sera fixé à 30 %, la valeur du point étant fixée à 2 810 euros.

Mme [S] avait 37 ans à la date de consolidation, et ce poste de préjudice sera fixé à la somme de 84 300 euros

Préjudice sexuel :

Sont établies par le rapport d'expertise, et ne sont pas sérieusement contestées tant une atteinte à l'intégrité des organes sexuels, qu'une impossibilité d'avoir une vie sexuelle normale, Mme [S] ayant toujours connu diverses gênes dans sa vie intime à raison des pathologies qu'elle présentait.

La somme allouée par le tribunal constitue une juste indemnisation de ce préjudice et sera confirmée pour la somme de 15 000 euros

Préjudice d'établissement :

Ainsi que justement rappelé par le tribunal, ce poste a vocation, selon la nomenclature Dintilhac, à réparer la perte d'espoir et la perte de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap.

L'impossibilité de procréer a été réparée au titre du déficit fonctionnel permanent, et ne peut être assimilée à un handicap. La demande formée de ce chef sera rejetée et le jugement infirmé sur ce point.

- Sur les demandes formées par la CPAM du Bas-Rhin :

UCB Pharma souligne avec raison que plus de dix ans s'étant écoulés entre la première demande de la CPAM du Bas Rhin par voie d'intervention volontaire devant la cour et la date de la consolidation, ses demandes sont atteintes par la prescription.

- Sur les autres demandes :

UCB Pharma, qui succombe en son appel, en supportera les dépens, et contribuera aux frais irrépétibles exposés devant la cour par Mme [S] à hauteur de 3 000 euros.

Le surplus des demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejeté.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirmant le jugement sur les sommes allouées à Mme [I] [S], et les demandes formées par Mme [V] [S] et M. [A] [J], et statuant à nouveau de ces chefs,

Constate que la prescription est atteinte en ce qui concerne les demandes indemnitaires formées par Mme [V] [X] épouse [S] et M. [A] [J], et les déclare irrecevables,

Dit n'y avoir lieu à nouvelle expertise,

Fixe comme suit les postes de préjudices subis par Mme [I] [S], provisions non déduites et indépendamment de la créance des tiers payeurs :

frais divers3 520,80 euros

déficit fonctionnel temporaire11 050,00 euros

souffrances endurées25 000,00 euros

déficit fonctionnel permanent84 300,00 euros

préjudice sexuel15 000,00 euros

préjudice d'établissementrejet

Condamne la société UCB Pharma à payer lesdites sommes en deniers ou quittances à Mme [I] [S],

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Constate que les demandes formées par la CPAM du Bas Rhin sont atteintes par la prescription et les déclare irrecevables,

Condamne la société UCB Pharma à payer à Mme [I] [S] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

La condamne également aux dépens d'appel, avec recouvrement direct,

Déclare le présent arrêt commun à la MGEN 67,

Rejette le surplus des demandes.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 17/00422
Date de la décision : 30/11/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°17/00422 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-30;17.00422 ?
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