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28/11/2017 | FRANCE | N°16/04739

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 28 novembre 2017, 16/04739


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES



DA

Code nac : 56C



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 28 NOVEMBRE 2017



R.G. N° 16/04739



AFFAIRE :



SA ENGIE anciennement dénommée GDF SUEZ





C/

SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 19 Mai 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 02

N° Section : 00

N° RG : 20

13F03190



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON



Me Stéphane CHOUTEAU





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

DA

Code nac : 56C

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 NOVEMBRE 2017

R.G. N° 16/04739

AFFAIRE :

SA ENGIE anciennement dénommée GDF SUEZ

C/

SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 19 Mai 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 02

N° Section : 00

N° RG : 2013F03190

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

Me Stéphane CHOUTEAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SA ENGIE anciennement dénommée GDF SUEZ

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20160254

Représentant : Me Paul RAVETTO de l'AARPI RAVETTO ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Représentant : Me Anne-laure PROISY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire: 620 - N° du dossier 002880

Représentant : Me Laurent MARTINET du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: J001 - et de Me ROUER

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Octobre 2017 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Denis ARDISSON, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Dominique ROSENTHAL, Président,

Monsieur François LEPLAT, Conseiller,

Monsieur Denis ARDISSON, Conseiller,

Greffier F.F., lors des débats : Monsieur James BOUTEMY,

Les articles 22 et 23 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ayant pour objet la garantie dans le respect de l'intérêt général de l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national par le service public de l'électricité ont institué l'option, pour l'utilisateur final du réseau de distribution électrique détenu par l'opérateur historique Electricité de France, de convenir d'un 'contrat unique' pour les facturations de la fourniture d'électricité ainsi que de celles de l'accès au réseau, option précisée à l'article 5 I. du décret n°2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, selon lequel, dans sa version modifiée du 30 décembre 2005, il est énoncé que 'Lorsque le fournisseur a conclu un contrat d'accès au réseau en application du septième alinéa de l'article 23 de la loi du 10 février 2000, il facture simultanément à son client la fourniture d'énergie et l'utilisation des réseaux publics. Il identifie sur la facture le montant correspondant à l'utilisation des réseaux publics par son client', ces dispositions étant reprises aujourd'hui aux articles L.111-92 et L.332-3 du code de l'énergie et L.224-8 du code de la consommation.

En exécution de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 96/92/CE, et de l'entrée en vigueur au 1er juillet 2007 de son article 15 relatif à la séparation juridique des gestionnaires de réseau et des fournisseur d'électricité, la Commission de régulation de l'énergie (la CRE) a publié une communication le 24 décembre 2003 indiquant que le 'groupe de travail électricité 2004' qu'elle avait institué pour l'ouverture du marché électrique a retenu que : 'Dans le système du 'contrat unique', le risque client pour impayés sera porté entièrement par le fournisseur, qui devra assurer, vis-à-vis du GRD (gestionnaire de réseau de distribution), le paiement de l'acheminement de l'électricité de ses clients. Il n'y aura pas de rémunération spécifique des fournisseurs pour ce service, la baisse des charges que représente, pour les GRD, le transfert de certaines fonctions aux fournisseurs étant prise en compte par le tarif d'utilisation des réseaux au fur et à mesure de ce transfert'.

Les fournisseurs d'électricité sont entrés en négociation avec Electricité réseau distribution France, devenue ERDF, pour adapter le contrat unique dit 'Contrat GRD-Fournisseur' (Contrat GRD-F), et que pour sa part, la société Gaz de France, a signé le 3 mars 2006 avec ERDF dans les termes d'une version 3.01 stipulant à l'article 7.1 relatif au 'prix, facture et modalités de paiement' la clause selon laquelle 'Le Fournisseur recouvre les sommes dues auprès du Client, et assume le risque financier de non-paiement de celui-ci pour l'intégralité de la facture', cette clause étant reprise dans une version 5.1 du Contrat GRD-F le 20 février 2009 ;

En opposition avec ERDF sur l'adoption de certaines des stipulations du contrat GRD-F dans sa version 4, des fournisseurs d'électricité, dont la société Gaz de France, ont saisi en février 2007 le Comité de règlement des différends et des sanctions (le Cordis) qui, dans sa décision du 7 avril 2008, a enjoint ERDF de transmettre aux fournisseurs un nouveau Contrat GRD-F.

En juillet 2010, le fournisseur d'électricité Direct énergie a saisi le Cordis du différend l'opposant à ERDF, notamment sur la clause de l'article 7.1 de la version 5.1 du contrat GRD-F selon laquelle 'le Fournisseur recouvre les sommes dues auprès du Client, et assume le risque financier de non-paiement de celui-ci pour l'intégralité de la facture'. Par une première décision du 22 octobre 2010, le Cordis a enjoint ERDF de mettre en conformité cette clause après avoir retenu, au visa des articles 23 de la loi du 10 février 2000 et L.121-92 du code de la consommation, 'que pour reverser au gestionnaire de réseau les sommes dues au titre de l'utilisation du réseau, le fournisseur doit les avoir préalablement recouvrées auprès du client final. Il ne peut en être autrement que dans les cas où le fournisseur n'a pas effectué toutes les diligences requises pour recouvrer les sommes concernées' ;

Par une seconde décision du 17 décembre 2012, le Cordis a constaté que son injonction avait été respectée, ERDF régularisant ainsi le 4 juin 2014 une clause de l'article 7.1 du contrat GRD-F dans sa version 6.0 du Contrat GRD-F qui stipulant qu''est posé le principe ERDF pour reverser au gestionnaire de réseau les sommes dues au titre de l'utilisation du réseau, le fournisseur doit les avoir préalablement recouvrées auprès du client final. Il ne peut en être autrement que dans les cas où le fournisseur n'a pas effectué toutes les diligences requises pour recouvrer les sommes concernées, en particulier celles prévues par le décret n° 2008-780 du 13 août 2008' ;

Mise en demeure le 5 juillet 2013 par la société GDF-Suez de payer la somme de 2 531 23,77 euros au titre des 'créances d'acheminement d'électricité aux clients particuliers constatées en créances irrécouvrables pour la période du 08/11/2007 au 22/12/2011', y compris les intérêts, la société ERDF a répondu que la version 5.1 du contrat GRD-F alors en vigueur ne mettait pas à sa charge les irrécouvrables pour les particuliers. La société GDF-Suez, devenue Engie, a alors assigné le 8 août 2013 la société ERDF, devenue Enedis, en paiement devant le tribunal de commerce de Nanterre.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES /

Vu le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 19 mai 2016 qui a :

- débouté la société Engie, venant aux droits de la société GDF-Suez, de sa demande de voir la société ERDF à lui payer la somme en principal de 2 531 323,77 euros,

- débouté la société ERDF de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné la société Engie, venant aux droits de la société GDF-Suez, à payer à la société ERDF la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- mis les dépens à la charge de la société Engie, venant aux droits de la société GDF-Suez ;

Vu l'appel interjeté le 23 juin 2016 par la société Engie ;

* *

Vu les conclusions transmises par le RPVA le 27 septembre 2017 pour la société Engie en vue de voir, au visa des articles 12, 455 et 458 du code de procédure civile,4, 6 et 1382 (ancien) du code civil, 1135 (ancien) du code civil, 23 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 (article L.111-92 du code de l'énergie), L.121-92 du code de la consommation (aujourd'hui article L.224-8), du décret n° 2001-365 du 26 avril 2001, notamment ses articles 3 et 5 (R.341-1 et suivants du code de l'énergie) :

- dire que la jugement manque à son obligation de motiver,

- dire que la société Enedis est tenue de supporter la charge des impayés des clients au titre de la facturation des coûts d'acheminement,

- infirmer le jugement,

- constater que le refus de la société Enedis de rembourser les créances irrécouvrables des clients constitue une faute qui cause un préjudice direct et certain à la société Engie dont elle est fondée a demander réparation,

- condamner en conséquence la société Enedis à payer à la société Engie la somme de 2 134 201,94 euros HT (2 531 323,77 euros TTC), avec intérêts de droit a compter du 4 juillet 2013, date d'échéance de la facture du 4 juin 2013, correspondant aux créances irrécouvrables d'acheminement constatées pour les 23186 points de livraison des clients sur la période du 8 novembre 2007 au 22 décembre 2011,

- rejeter la demande la société Enedis de condamnation de la société Engie à la somme de 50 000 euros pour procédure abusive,

- condamner la société Enedis au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile exposés en première instance en appel, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Lafon conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions transmises par le RPVA le 20 septembre 2017 pour la société Enedis, aux fins de voir, au visa des articles 1134, 1135 et 1382 du code civil (ancien) :

- constater le bien fondé du refus par la société Enedis de payer à la société Engie la facture du 4 juin 2013 d'un montant de 2 134 201,94 euros HT au regard des stipulations contractuelles liant les parties et applicables à la période du 8 novembre 2007 au 22 décembre 2011,

- constater l'absence de faute commise par la société Enedis susceptible d'engager sa responsabilité,

- constater que la demande d'indemnisation présentée par la société Engie est mal fondée,

- constater en conséquence, que les demandes formées par la société Engie sont dépourvues de tout fondement,

- constater la prescription des demandes de la société Engie pour toutes les factures antérieures au 31 juillet 2008,

- débouter en conséquence, la société Engie de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société Enedis,

- condamner la société Engie à payer la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive en application de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner la société Engie à payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Engie aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré, aux écritures des parties, et au rapport d'expertise ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

1. Sur la nullité du jugement

Considérant que la demande de la société Engie en annulation du jugement, et tirée du défaut de réponse aux moyens qu'elle avait invoqués sur l'application des dispositions législatives et réglementaires issues du code de l'énergie, du code de la consommation et du décret du 26 avril 2001, sera purement et simplement rejetée, alors d'une part, que le jugement déféré expose sur treize pages les prétentions et les moyens des parties et est motivé, et d'autre part, qu'il entre dans l'office du juge de rejeter ou d'écarter implicitement des moyens dès lors que le juge estime qu'ils sont sous-tendus par les motifs qu'il énonce au soutien de sa décision.

2. Sur le fondement de la charge des coûts du gestionnaire de réseau

Considérant que pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de sa condamnation à payer les frais irrécouvrables des clients finaux au titre de ses prestations de gestionnaire de réseau de distribution d'électricité aussi bien sur le fondement de l'article 1382 du code civil que sur ceux tirés du droit des contrats, la société Enedis se prévaut, en premier lieu, des clauses de l'article 7.1 des versions du contrat GRD-F antérieures à celle numéro 6.0 mettant à la charge de la société Engie le risque des irrécouvrables en stipulant que 'Le fournisseur recouvre les sommes dues auprès du Client, et assume le risque financier de non-paiement de celui-ci pour l'intégralité de la facture', relevant que cette charge n'a jamais été contestée par la société Engie et qu'elle a en conséquence renoncé à s'en prévaloir ;

Considérant que pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de sa condamnation à payer les frais irrécouvrables des clients finaux au titre de ses prestations de gestionnaire de réseau de distribution d'électricité, la société Enedis se prévaut, en premier lieu, des clauses de l'article 7.1 des versions du contrat GRD-F antérieures à celle numéro 6.0 mettant à la charge de la société Engie le risque des irrécouvrables en stipulant que 'Le fournisseur recouvre les sommes dues auprès du Client, et assume le risque financier de non-paiement de celui-ci pour l'intégralité de la facture', relevant que cette charge n'a jamais été contestée par la société Engie et qu'elle a en conséquence renoncé à s'en prévaloir ;

Considérant que la société Enedis prétend, en deuxième lieu, qu'aucune disposition d'ordre public ne régit la prise en charge des irrécouvrables et conteste que celles de l'article 5-1 du décret précité du 26 avril 2001 mettent à la charge du gestionnaire de réseau de distribution d'énergie les impayés du client final ;

Considérant que la société Enedis se prévaut, en troisième lieu, de l'autorité de la communication de la CRE du 24 décembre 2004 ainsi que celle des décisions du Cordis dont elle soutient que, jusqu'à la décision précitée du 17 décembre 2012, elles ont mis les impayés à la charge des fournisseurs, et affirme que ces décisions sont constitutives d'un droit dépourvu d'effet rétroactif sur les facturations antérieures ; qu'au soutien de ce moyen, la société Enedis expose que les attributions reconnues à ces autorités de régulation les autorisent à faire évoluer leurs réflexions dans le cadre des instances de concertation qu'elles ont mis en place, que ce régulateur sectoriel poursuit une finalité d'intérêt général pour un accès transparent, équitable et non discriminatoire des utilisateurs du réseau d'électricité, que le mécanisme du Contrat unique relève d'un ordre public de direction, qui consiste à orienter de façon globale l'économie dans un sens paraissant conforme aux intérêts de la collectivité, se prévalant à cet égard d'une communication de la CRE du 27 septembre 2007 déclarant que 'si la concertation n'aboutissait pas à une solution satisfaisant toutes les parties, [elle] pourrait faire usage de son pouvoir réglementaire supplétif, afin de préciser le schéma contractuel liant les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs' ;

Considérant que la société Enedis prétend, en quatrième lieu, que les coûts mis à la charge du gestionnaire de réseaux de distribution au titre de l'utilisation du réseau de distribution d'électricité doivent en principe être couverts par le Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Électricité ;

Considérant que la société Enedis prétend enfin, et en cinquième lieu, que la reconnaissance de cette charge pour cette période porterait atteinte au principe d'égalité de traitement entre les différents fournisseurs qui ont accepté de la supporter ;

Mais considérant que, après avoir écarté ces mêmes moyens déjà présentés dans leur substance en droit devant lui par la société Engie, alors ERDF, le conseil d'Etat a dit pour droit, au point 8 de son arrêt n°388150 du 13 juillet 2013, que 'En adoptant les dispositions de l'article L.121-92 du code de la consommation citées au point 1 ci-dessus, le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité, en dispensant certains consommateurs de conclure directement, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec le fournisseur, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution. En prévoyant ainsi la souscription par le consommateur d'un 'contrat unique' auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, il n'a pas entendu modifier les responsabilités respectives de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité. Dès lors, les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau' ;

Qu'en application de cette décision, aucun des moyens que la société Enedis invoque n'est de nature à la soustraire à l'obligation de supporter la charge des impayés pour l'accès à son réseau depuis l'entrée en vigueur de la séparation juridique des gestionnaires de réseau énoncée à l'article 15 de la directive du 26 juin 2003, de sorte qu'il convient d'infirmer le jugement de ce chef, de dire que les stipulations des contrats litigieux ont une cause illicite au sens de l'article 1131 du code civil dans sa version applicable à l'espèce, et de les déclarer nuls.

3. Sur la prescription de l'action

Considérant que pour conclure à la prescription de la demande en paiement, la société Enedis oppose qu'en suite de l'article 2224 du code civil issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et de ses dispositions transitoires, plus de cinq ans se sont écoulés entre la demande en justice du 31 juillet 2013 et les créances irrécouvrables antérieures au 31 juillet 2008 ;

Qu'elle conteste à la société Engie sa prétention à voir fixer le point de départ de la prescription à compter du 4 juin 2013 lorsqu'elle a adressé la facture globale des irrécouvrables, et dont la société Enedis soutient qu'elle est exclue par la décision du Cordis du 22 octobre 2010 enjoignant ERDF de mettre en conformité cette clause, soit que cette décision est 'créatrice de droits sans effet rétroactif et alors l'action [de Engie] fondée sur cette facture du 4 juin 2013 n'est pas prescrite, certes, mais elle est infondée pour tout irrécouvrable réseau antérieur au 1er janvier 2012', soit que cette décision est 'déclarative et porte effet rétroactif, et alors son action est prescrite pour tous les irrécouvrables réseau antérieurs au 31 juillet 2008' ;

Qu'elle conteste la prétention subsidiaire de la société Engie à voir fixer le point de départ de la prescription à compter du 29 décembre 2008 lorsqu'elle a passé les premières créances irrécouvrables des clients dans ses comptes au fur et à mesure que la société Contentia qu'elle a mandatée à cette fin l'informait du sort de la procédure de recouvrement, alors que cette date repose sur une appréciation unilatérale de la société Engie du moment où la créance est irrécouvrable sans aucun fondement ni justification des diligences qui ont été entreprises ;

Mais considérant qu'à la suite des motifs retenus au paragraphe 1. ci- dessus, la décision du Cordis du 22 octobre 2010 ne peut servir de fondement à l'appréciation de la prescription ;

Et considérant qu'en supportant pour le compte du gestionnaire de réseau, la responsabilité juridique et financière de collecter auprès du client final les frais relatifs à l'accès au réseau, le point de départ du fait générateur pour recouvrer les impayés dont le fournisseur a fait l'avance au gestionnaire part, en l'absence d'accord contraire entre les sociétés Enedis et Engie, nécessairement du jour où cette dernière a enregistré l'événement dans sa comptabilité, de sorte qu'il convient de déclarer non prescrite l'action en paiement de la société Engie.

4. Sur la preuve du préjudice

Considérant que la société Enedis conteste la réalité et le montant de la somme de 2 026 131,79 euros HT au titre des créances irrécouvrables que la société Engie a extraite de ses bases de données dans deux fichiers 'detail facture pour erdf V2.xlsx' et ' ACH ELEC PARTICULIERS.xlsx', et dont elle affirme qu'ils sont inexploitables sans explication ou documentation et que la correspondance de ces données présente des incohérences ;

Mais considérant que la société Engie justifie dûment d'après le premier fichier le détail de chaque numéro de facture, du taux de passage en irrécouvrables, de leur solde, de la part acheminement-abonnement et de celle pour l'acheminement consommation, et que le second fichier constitue une version simplifiée du premier dont sont extraits les montants totaux de la Contribution au Service public de l'Electricité attachée aux volumes d'énergie fournis, et non celui du coût d'acheminement ; qu'elle justifie avoir aussi dûment agrégé dans le premier fichier par point de livraison la valeur de plusieurs factures qui pouvaient être rattachées à un même point de livraison et détaillées dans le second fichier ;

Que ces éléments de preuve suffisent à faire présumer le bien-fondé de la créance dont le détail pouvait être utilement contesté par la société Enedis sur la base de ses propres informations rapportées dans ses fichiers clients, ce qu'elle ne fait pas, de sorte qu'il convient la condamner à verser la somme de 2 531 323,77 euros TTC (comprenant celle de 108 070,15 euros au titre des intérêts sur avance de trésorerie), dûment attestée par le commissaire aux comptes de la société Engie qui les réclame, et avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2013, date de la mise en demeure.

5. Sur la demande de dommages et intérêts, les frais irrépétibles et les dépens

Considérant que la société Enedis succombe à l'action, en sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

Qu'en revanche, le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens ; que statuant à nouveau, y compris en cause d'appel, la société Enedis sera condamnée à payer la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à tous les dépens.

PAR CES MOTIFS,

Contradictoirement,

Rejette l'exception de nullité du jugement ;

Déclare non prescrite l'action en paiement de la société Engie ;

Infirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf celle qui a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Enedis en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Déclare nulle la clause de l'article 7.1 du Contrat GRD-Fournisseur des contrats GRD-F convenus le 3 mars 2006 et le 20 février 2009 entre la société GDF Suez et la société Electricité réseau distribution France ;

Condamne la société Enedis à payer à la société Engie la somme de 2 531 323,77 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2013 ;

Condamne la société Enedis à payer à la société Engie la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Enedis aux dépens de première instance et d'appel dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François Leplat, Président, et Monsieur Alexandre Gavache, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 16/04739
Date de la décision : 28/11/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 12, arrêt n°16/04739 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-28;16.04739 ?
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