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08/11/2017 | FRANCE | N°15/01455

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 08 novembre 2017, 15/01455


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES







Code nac : 80C

17e chambre





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE



DU 08 NOVEMBRE 2017



R.G. N° 15/01455



AFFAIRE :



[P] [Q] Exploitant sous l'enseigne le « TABAC DES BLANCHES »



C/



[W] [P]



Association UNION LOCALE DES SYNDICATS ANTIPRECARITE









Décision déférée à la cour : jugement rendu le 18 juillet 2013 par le conseil de prud'hommes

- formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

Section : commerce

N° RG : F12/00387









Copies exécutoires délivrées à :



Me Olivier FONTIBUS



SELAS DADI AVOCATS





Copies certifiées conformes délivrées à :



[P] [Q]



[W] [P]



Associa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 NOVEMBRE 2017

R.G. N° 15/01455

AFFAIRE :

[P] [Q] Exploitant sous l'enseigne le « TABAC DES BLANCHES »

C/

[W] [P]

Association UNION LOCALE DES SYNDICATS ANTIPRECARITE

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 18 juillet 2013 par le conseil de prud'hommes - formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

Section : commerce

N° RG : F12/00387

Copies exécutoires délivrées à :

Me Olivier FONTIBUS

SELAS DADI AVOCATS

Copies certifiées conformes délivrées à :

[P] [Q]

[W] [P]

Association UNION LOCALE DES SYNDICATS ANTIPRECARITE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [P] [Q] exploitant sous l'enseigne le « TABAC DES BLANCHE »

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Olivier FONTIBUS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 108

APPELANTE

****************

Madame [W] [P]

[Adresse 2]

[Adresse 1]

comparante en personne,

assistée de Me Ghislain DADI de la SELAS DADI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257

Association UNION LOCALE DES SYNDICATS ANTIPRECARITE

[Adresse 3]

[Adresse 1]

représentée par Me Ghislain DADI de la SELAS DADI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 29 septembre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Président,

Madame Monique CHAULET, Conseiller,

Madame Elisabeth ALLANNIC, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Marine GANDREAU

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye (section commerce) du 18 juillet 2013 qui a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail au torts de l'employeur,

- fixé la moyenne des salaires à 2 292,24 euros,

- condamné Mme [Q], exploitant sous l'enseigne « Tabac des Blanches » à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

. 27 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 6 876 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

. 4 584 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 500 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,

. 1 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [Q], exploitant sous l'enseigne « Tabac des Blanches » à payer les intérêts de droits sur les salaires et éléments de salaire à compter du 25 juillet 2012, date de réception par le défendeur de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et du prononcé pour le surplus,

- ordonné à Mme [Q], exploitant sous l'enseigne « Tabac des Blanches » la remise des documents sociaux sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter du 16ème jour après la notification du présent jugement,

- débouté Mme [P] du surplus de ses demandes,

- débouté Mme [Q], exploitant sous l'enseigne « Tabac des Blanches » de ses demandes reconventionnelles,

- ordonné l'exécution provisoire totale en application de l'article 515 du code de procédure civile,

- condamné Mme [Q], exploitant sous l'enseigne « Tabac des Blanches » aux dépens,

Vu la déclaration d'appel adressée au greffe le 26 juillet 2013 pour Mme [Q],

Vu l'ordonnance de radiation prononcée le 3 décembre 2014 pour défaut de diligences des parties et la réinscription de l'affaire au rôle le 27 février 2015,

Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, pour Mme [Q], exerçant en son nom personnel sous l'enseigne « Tabac des Blanches » , qui demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye,

- ordonner à Mme [P] de rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire,

- condamner Mme [P] à verser à Mme [Q] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, pour Mme [P], qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner Mme [Q] à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

. 22 500 euros de dommages-intérêts au titre de la résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 30 000 euros de dommages-intérêts pour insultes à caractère raciste,

. 19 224, 48 euros de rappel de salaire sur les heures supplémentaires effectuées et 1 922, 44 euros de congés payés y afférents,

. 15 167, 40 euros de dommages-intérêts pour travail dissimulé par dissimulation des heures supplémentaires,

. 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

SUR CE LA COUR,

Considérant que Mme [P] [Q] exploite un commerce de bar-tabac et emploie moins de 10 salariés ;

Considérant que Mme [W] [P] a été engagée par Mme [P] [Q], exerçant en son nom personnel sous l'enseigne « Tabac des Blanches », en qualité de serveuse, par contrat à durée indéterminée en date du 1er octobre 2001 à temps complet selon une durée hebdomadaire de travail de 43 heures, puis sur une base de 39 heures à partir de l'année 2004 ;

Que les horaires de travail de Mme [P] étaient alors aménagés et qu'en particulier elle ne travaillait pas le dimanche ;

Que par courrier remis en main propre le 29 janvier 2012, Mme [Q] a informé Mme [P] d'un changement d'horaire de travail et des jours de repos en raison de « la conjoncture actuelle et aux travaux de transformation de commerce » ;

Que par courrier du 23 février 2012, Mme [P] a informé Mme [Q] de son refus d'un tel changement ;

Que le 4 avril 2012, Mme [P] a reproché à Mme [Q] d'avoir tenu des propos racistes;

Que Mme [Q] a déposé une main courante auprès du commissariat de [Établissement 1] dans laquelle elle dénonçait les déclarations mensongères de Mme [P] ;

Que Mme [P] a été sanctionnée d'un avertissement le 14 avril 2012, l'invitant à plus de retenue ;

Que le 18 avril 2012, Mme [P] a dénoncé un harcèlement et des humiliations nuisant à sa santé de la part de Mme [Q] ;

Que Mme [P] a été placée en arrêt maladie le 20 avril 2012 prolongé à plusieurs reprises jusqu'à la saisine du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-En-Laye en résiliation judiciaire de son contrat de travail le 23 juillet 2012 ;

Considérant, sur les heures supplémentaires, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties, mais qu'il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ;

Que Mme [P] affirme que bien qu'ayant accompli 43 heures de travail hebdomadaires, l'employeur l'a rémunérée sur la base de 39 heures hebdomadaires ;

Qu'elle ne produit aux débats aucun élément étayant sa demande en estimant qu'il incombe à l'employeur de démontrer qu'elle n'accomplissait que 39 heures de travail hebdomadaires ;

Qu'en conséquence, les premiers juges ont fait une juste appréciation de la situation en déboutant la salariée de sa demande, celle-ci n'ayant pas étayé sa demande ; que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;

Considérant, sur le travail dissimulé, que le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande, l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées au-delà de 39 heures n'ayant pas été démontrée ;

Considérant, sur la résiliation judiciaire, que le salarié peut la demander en cas de manquements de l'employeur à ses obligations ;

Que ces manquements doivent être d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail ;

Considérant que Mme [P] se prévaut de 3 manquements :

- un non-paiement des heures supplémentaires,

- des injures publiques à caractère raciste,

- un harcèlement moral ;

Considérant, sur le non-paiement des heures supplémentaires, que ce grief n'est pas établi, le jugement entrepris ayant été confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande en paiement ;

Considérant, sur les injures publiques à caractère raciste, que par lettre recommandée en date du 4 avril 2012 Mme [P] a reproché à Mme [Q] d'avoir proféré des injures publiques à caractère raciste « visant particulièrement la population maghrébine dont je fais partie », d'une part, le 23 mars 2012 vers 16h00 en disant en présence de clients « je vais virer les arabes et mettre des brésiliennes et des russes pour remonter mon affaire. J'en ai marre des arabes, tous des merdes », d'autre part, le 3 avril 2012 vers 9h00 en proclamant toujours en présence de clients « en avoir marre des marocains et des marocaines et ne plus les supporter surtout en ce moment » ;

Que le 10 avril 2012, Mme [Q] a déposé une main courante au commissariat de [Établissement 1] mentionnant que depuis qu'elle a envisagé le changement de ses horaires de travail, Mme [P] n'échange que par lettre recommandée, en ajoutant « elle m'accuse d'être raciste et d'avoir tenu des propos en ce sens sur son lieu de travail alors que je ne le suis pas » ;

Qu'à compter du 20 avril 2012 Mme [P] a été en arrêt maladie et n'a ensuite pas repris son travail au sein du commerce de Mme [Q] ;

Que par jugement en date du 30 septembre 2013, saisi des chefs de harcèlement moral et d'injures publiques à caractère raciste sur citation directe de Mme [P] remise à la personne de Mme [Q] le 21 juin 2013, le tribunal correctionnel de Versailles a constaté le désistement de Mme [P], la partie poursuivante ;

Que M. [Z], client du bar-tabac, atteste avoir entendu Mme [Q] se plaindre à plusieurs qu'elle « en avait marre des arabes » et ajoute qu'elle lui a confirmé ultérieurement avoir tenu de tels propos en se défendant d'être raciste ;

Que M. [M] atteste également avoir été témoin à plusieurs jours d'intervalle de propos racistes tenus par Mme [Q] disant « je vais virer les arabes et mettre des brésiliennes et des russes pour remonter mon affaire. J'en ai marre des arabes, tous des merdes » et « j'en ai marre des marocains et des marocaines, je ne les supporte plus surtout en ce moment », précisant que ces propos étaient nécessairement destinés à Mme [P], seule personne maghrébine d'origine marocaine présente à ce moment ;

Que Mme [Q] produit les attestations de M. [K], Mme [L], M. [J], M. [O], M. [R] et de M. [X] qui tous déclarent ne l'avoir entendu tenir de tels propos à caractère raciste ni le 23 mars 2012 ni le 3 avril 2012 ;

Que M. [K] dit avoir été présent ces deux jours et n'avoir noté aucun évènement particulier ;

Que M. [J] dit avoir été présent le 23 mars 2012 jusqu'aux environs de 17h30 et précise qu'aucun propos de cette nature n'a été tenu ;

Que M. [O] indique y avoir rejoint des amis le 23 mars 2012 vers 15h00 et ne pas avoir entendu Mme [Q] tenir des propos raciste ni insultant ;

Que M. [X] atteste que présent le 3 avril 2012, il n'a assisté à aucune altercation entre Mme [Q] et Mme [P] ;

Qu'en outre, M. [U] qui atteste le 2 mars 2013 en faveur de Mme [Q] en disant regretter d'avoir attesté à deux reprises pour Mme [P], précise que fréquentant le bar-tabac depuis 20 ans il n'a jamais entendu Mme [Q] insulter quiconque ni avoir des propos racistes ;

Que de ces diverses attestations produites par Mme [P] et Mme [Q] et qui se contredisent, il ressort que les déclarations de Mme [P] selon lesquelles elle aurait été victime de propos à caractère raciste de la part de Mme [Q] ne sont corroborées par aucun élément suffisamment constant, précis et circonstancié pour les établir ;

Qu'en conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande d'indemnisation pour insultes à caractère raciste ;

Considérant, sur le harcèlement moral, qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ;

Qu'en application de l'article L. 1154-1, interprété à la lumière de la directive n  2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Que Mme [P] soutient que son employeur a modifié son poste et ses horaires de travail et l'a ainsi isolée, qu'il l'a mise en opposition avec ses collègues, qu'elle a été victime de brimades et de fausses accusations, qu'il lui a retiré de façon brutale des usages mis en place dans l'entreprise depuis une décennie , qu'il lui a donné des instructions contradictoires dans le but de la troubler et qu'il a fait preuve d'acharnement disciplinaire ;

Que s'agissant de la modification de son poste de travail, de ses horaires de travail et d'une mise à l'isolement, Mme [P] reproche à Mme [Q], son employeur, de lui avoir interdit de servir au bar à son retour de congés le 16 mars 2012 pour la cantonner au service du tabac et du PMU et d'avoir modifié ses horaires de travail nonobstant son refus, de telles modifications induisant son isolement/sa mise au placard au sein de l'établissement ;

Considérant que, si la fonction est un élément essentiel du contrat de travail dont l'altération ou la dénaturation constitue une modification du contrat supposant l'accord du salarié, la variation des tâches à accomplir, sans dénaturation de l'emploi, constitue un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur ;

Que suivant contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2001, Mme [P] a été embauchée à temps complet en qualité de serveuse ;

Qu'il n'est pas discuté qu'à compter du mois d'août 2006, ses horaires de travail ont été aménagés afin qu'elle puisse s'occuper de son fils ; que cette organisation du temps de travail lui permettant de ne pas travailler le soir ni les samedis et dimanches les semaines impaires a perduré pendant 6 années ;

Que par courrier en date du 27 janvier 2012, Mme [Q] a notifié à Mme [P] une modification de ses horaires de travail ainsi que de ses jours de repos en raison de « la conjoncture actuelle et des travaux de transformation de mon commerce » ; que le tableau des horaires modifiés et annexé à ce courrier fixait les horaires comme suit, les semaines paires :  lundi, mardi, vendredi de 13h à 21h30, samedi de 12h à 20h30 et dimanche de 12h30 à 20 h, et les semaines impaires : lundi, mardi, vendredi de 6h à 14h30, samedi de 6h30 à 15h et le dimanche de 7h30 à 15h ;

Que le 29 janvier 2012 Mme [P] a verbalement fait connaître à Mme [Q] son opposition à cette modification avant de la lui notifier par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 février 2012 et après avoir pris conseil auprès de l'union locale CGT de Chatou qui le 4 mars 2012 adressait un courrier à Mme [Q] affirmant qu'il s'agissait là d'une modification substantielle du contrat de travail que la salariée refusait ;

Qu'il sera noté que les autres salariés au sein de ce commerce ont également vu leurs horaires et jours de repos être modifiés comme le révèlent les tableaux des horaires annexés au courrier de notification de l'employeur ainsi que les attestations précises et circonstanciées de deux salariés, Mmes [D] et [F] ;

Que suite à son refus, Mme [P] affirme avoir été contrainte par son employeur de prendre six semaines de congés ; que si elle a bien été en congés pendant 6 semaines, elle ne produit aucun élément démontrant que l'employeur les lui a imposés ;

Que pour sa part, Mme [Q] déclare que suite au refus verbalement énoncé le 29 janvier 2012 par Mme [P], la discussion s'est portée sur une éventuelle rupture conventionnelle de la relation contractuelle avant que Mme [P] ne prenne 6 semaines de congés du 2 février au 16 mars 2012 ;

Qu'en tout état de cause, il n'est pas contesté qu'à son retour le 16 mars 2012, Mme [Q] a renoncé à modifier ses horaires de travail et le lui a expressément indiqué par courrier en date du 21 mars 2012 ; qu'il n'y a donc jamais eu de modification effective des horaires de travail de Mme [P] ;

Que le 16 mars 2012, l'union syndicale CGT de Chatou adressait un nouveau courrier à Mme [Q] indiquant que Mme [P] qui le jour même avait repris son travail, était confrontée à des difficultés dont celle d'avoir été changée de poste de travail puisque bien qu'occupant un emploi de serveuse elle était désormais affectée à la vente de tabac et presse ;

Que dans ces conditions, le 21 mars 2012 Mme [Q] adressait un courrier à Mme [P] lui indiquant que depuis sa reprise, elle demeurait dans ses fonctions puisqu'elle est chargée de servir les clients du bar-tabac-PMU « indistinctement pour l'ensemble des services » de l'établissement ;

Qu'aux termes du contrat de travail, Mme [P] occupe un emploi de serveuse ;

Que l'article 34 de la convention collective hôtels-cafés-restaurants régissant le contrat de travail précise que l'organisation du travail tient compte de la nécessité d'emplois utilisant la plusrivalence et la pluriaptitude des salariés, que chaque employé participe aux travaux communs et peut être amené à effectuer des travaux annexes tenant compte du caractère spécifique de chacun des établissements, l'activité de service ayant cette particularité de devoir avant tout, s'adapter aux besoins du client ; que ce même article indique que l'hygiène et la propreté du matériel, des locaux et des personnes constituent une des préoccupations permanentes, les postes étant entretenus par chacun ;

Qu'en application de ladite convention, un serveur peut être amené à exécuter des tâches annexes telles que le ménage ou être affecté ponctuellement à d'autres travaux, le tout pour s'adapter aux besoins du client ;

Que la situation de Mme [P] est toute autre puisqu'après avoir été affectée pendant une dizaine d'années au bar en tant que serveuse conformément à son contrat de travail, elle s'est retrouvée affectée à titre exclusif à la vente du tabac et de la presse ; que loin de constituer l'attribution de tâches annexes, ce changement de situation correspond à un changement de poste imposé unilatéralement par l'employeur et qui constitue une modification du contrat de travail ;

Que Mme [P] soutient en outre qu'en la retirant du service du bar, l'employeur a ainsi cherché à l'isoler allant jusqu'à lui interdire d'échanger avec la clientèle qu'elle côtoyait quotidiennement depuis plus de 10 ans ;

Que pour étayer ses dires, Mme [P] s'appuie sur 14 comptes rendus journaliers du 16 mars au 12 avril 2012 dénués de force probante comme rédigés par ses soins, ainsi que sur les attestations de clients, M. [G] et M. [C], qui déclarent que Mme [Q] leur interdisaient de parler à Mme [P] une fois celle-ci affectée au tabac-presse ; que ces deux attestations insuffisamment circonstanciées ne sauraient à elles seules démontrer que l'employeur interdisait à la clientèle de parler avec la salariée ;

Que cependant, au regard des conditions dans lesquelles est intervenue la modification de son poste de travail, Mme [P] s'est incontestablement retrouvée isolée puisque servant au bar depuis plus de 10 ans, elle n'avait plus à faire à la même clientèle ;

Que s'agissant des brimades, et plus généralement des incivilités à caractère vexatoire, des remarques insidieuses ou injurieuses et des mots blessants dont elle affirme avoir été victime de la part de son employeur, il apparaît que suite à la modification de son poste de travail, son emploi n'ayant plus le même objet et la relation à la clientèle n'étant plus la même, Mme [P] est apparue comme très affectée comme l'indiquent plus de 14 clients habituels du bar qui au travers d'attestations précises et circonstanciées l'ont unanimement décrite comme étant non seulement très affectée mais également comme étant l'objet de propos et d'attitudes humiliants voire vexatoires de la part de Mme [Q] ;

Qu'ainsi, M. [Y], un client, atteste s'être interposé entre Mme [P] et Mme [Q] en demandant à cette dernière de ne pas insulter ni agresser la salariée, après l'avoir entendue « la sermonner, l'agresser verbalement et la dévaloriser publiquement » ;

Qu'un autre client, M. [Z], indique que suite à son changement de poste, Mme [P] semblait recluse au tabac presse, n'avait plus le droit de servir au bar et ne pouvait plus accéder à la caisse du bar;

Que l'attestation de M. [A] corrobore ces témoignages en disant avoir entendu Mme [Q] dire à Mme [P] « maintenant tu resteras au tabac, tu ne feras que le tabac et la presse, tu ne toucheras plus jamais à la caisse du bar et du PMU » ;

Que la dizaine d'attestations supplémentaires produites par Mme [P] confirment celles évoquées ci-dessous ; que de façon précise et circonstanciée, la salariée est décrite comme très humiliée, très affectée tant par le fait de ne plus servir au bar que par le ton employé par Mme [Q] à son égard ; qu'ainsi, les déclarations de Mme [P] sont corroborées par ces témoignages qui ne sauraient être remis en cause par ceux versés par Mme [Q] qui s'ils insistent sur l'absence d'agressivité, d'humiliation ou de pression à l'égard de Mme [P], ne sont ni précis ni circonstanciés ;

Que s'agissant du retrait brutal des usages mis en place dans l'entreprise depuis une décennie, Mme [P] soutient que Mme [Q], d'une part, lui a interdit de travailler en chaussures médicalisées alors qu'elle se remettait à peine d'une opération chirurgicale et que ses fonctions sont marquées par une forte pénibilité, d'autre part, a interdit qu'un client habituel lui règle ses achats ; qu'il sera relevé que la salariée ne produit aucun élément étayant cette seconde allégation ;

Qu'en vertu de son obligation de sécurité, Mme [Q] admet avoir demandé à Mme [P] lors de son retour de congés le 16 mars 2012 de porter des chaussures fermées pour éviter de se blesser en cas de chute d'objet, avant de lui demander par courriers en date des 21 mars et 6 avril 2012 une confirmation médicale quant au port de chaussures médicales ouvertes et après avoir elle-même reçu un courrier de l'union syndicale CGT de Chatou lui rappelant l'autorisation du port de telles chaussures ;

Que Mme [P] lui a remis le 18 avril 2012 un certificat médical prescrivant le port de ce type de chaussures ;

Que, s'agissant d'instructions contradictoires que lui auraient données son employeur dans le seul objectif d'entraver l'exécution de son contrat de travail, Mme [P] ne rapporte aucun élément pour étayer ses dires, se rapportant simplement à ses propres déclarations consignées dans ses comptes rendus journaliers ;

Que, s'agissant d'acharnement disciplinaire subi, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 avril 2012 Mme [Q] a adressé un avertissement à Mme [P] en réponse à sa lettre recommandée du 4 avril 2012 l'accusant d'avoir tenu au sein de son commerce et en présence de clients, des propos à caractère raciste visant la population maghrébine ;

Que par cet avertissement, Mme [Q] a usé de son pouvoir disciplinaire estimant être victime de propos diffamatoires ; que dans de telles circonstances, cet avertissement ne saurait constituer un acharnement disciplinaire d'autant plus qu'il s'agit de la seule sanction dont a fait l'objet Mme [P] en 10 années d'exercice ;

Que s'agissant de fausses accusations subies, Mme [P] soutient Mme [Q], toujours à son retour de congés, l'a faussement accusée d'avoir dérobé de l'argent dans la caisse ;

Que seul M. [Z], client du bar-tabac, atteste avoir eu « la très nette impression » que Mme [Q] voulait lui faire croire que Mme [P] volait dans la caisse ;

Qu'enfin, s'agissant d'une différence de traitement entre elle et ses collègues, Mme [P] fait valoir qu'à compter de son retour de congés le 16 mars 2012, elle a fait l'objet d'une surveillance incessante de son travail en étant seule obligée de prendre ses pauses de 10h à 10h30 alors que tel n'était pas le cas pour les autres salariés et étant la seule à subir un contrôle systématique de caisse ;

Qu'à l'exception de ses propres comptes rendus journaliers, Mme [P] ne produit aucune pièce susceptible de corroborer ses dires ;

Que Mme [P] établit la dégradation de son état de santé en produisant un certificat médical dressé le 1er juin 2012 par le docteur [E] qui indique suivre médicalement depuis le 20 avril 2012 la salariée qui présente une dépression nerveuse sévère nécessitant un traitement médicamenteux, cet état étant en relation avec un harcèlement au travail ;

Que la modification de son contrat de travail par un changement unilatéral de poste intervenu brutalement après plus de 10 années d'exercice en tant que serveuse, la pression exercée par l'employeur cherchant à lui imposer un changement d'horaire et donc une modification dans l'organisation de sa vie privée, l'isolement et la mise à l'écart induits par le changement de poste de travail ressenti comme une brimade non seulement par la salariée mais également par les clients habituels du commerce, le port de chaussures médicales toléré par l'employeur seulement après la production d'un certificat médical et la dégradation de l'état de santé de la salariée laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Qu'il incombe à l=employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d=un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Que Mme [Q] n'établit nullement les raisons objectives des modifications ainsi intervenues plus particulièrement celle relative au poste de travail de la salariée ; qu'en effet, elle ne produit aucune pièce ayant trait aux travaux de transformation de son commerce ni à la réorientation commerciale envisagée pour faire face à la conjoncture ;

Que faute pour l'employeur de prouver que les agissements laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le harcèlement moral subi par Mme [P] est établi ;

Que le harcèlement moral subi par la salariée et qui perdurait malgré ses protestations rendait impossible la poursuite du contrat de travail ;

Qu'en conséquence le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [P] aux torts de Mme [Q], qu'il a condamné cette dernière à lui verser une indemnité conventionnelle de licenciement et une indemnité à titre de préavis dont les montants ne sont pas discutés ;

Considérant, sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que Mme [P], qui, salariée dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, en application de l'article L. 1235-5 du code du travail, a droit à une indemnité réparant son préjudice ;

Qu'au regard de son âge au moment du licenciement, 38 ans, de son ancienneté d'environ 12 années dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de ce qu'elle a retrouvé un emploi juin 2013, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral subi, la somme de 12 000 euros ; que le jugement sera infirmé de ce chef ;

Considérant, sur l'absence de visite médicale, qu'il n'est pas discuté que Mme [P] n'a jamais passé de visite médicale d'embauche ni de visite médicale périodique ;

Que Mme [Q] soutient avoir respecté son obligation en la matière, Mme [P] ayant choisi délibérément de ne se rendre à aucune des convocations de la médecine du travail ; qu'elle ne produit aucun élément en attestant ;

Que néanmoins, Mme [P] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice subi ; qu'il convient donc, infirmant le jugement de ce chef de la débouter de cette demande ;

Considérant que la restitution des sommes versées en exécution de la décision infirmée est, sans qu'il y ait lieu de l'ordonner, la conséquence de l'arrêt infirmatif rendu ;

Qu'il convient d'ajouter que la partie qui doit restituer une somme qu'elle détenait en exécution d'une décision de justice exécutoire n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification valant mise en demeure de la décision ouvrant droit à répétition ;

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Infirme partiellement le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Condamne Mme [Q] exerçant sous l'enseigne « Tabac des Blanches » à payer à Mme [P] la somme de 12 000 euros à titre d'indemnisation pour licenciement abusif,

Déboute Mme [P] de sa demande d'indemnisation pour absence de visite médicale,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne Mme [Q] à payer à Mme [P] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure pénale, en cause d'appel

Condamne Mme [Q] aux dépens.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450, alinéa 2, du code de procédure civile, et signé par Madame Clotilde Maugendre, président et Madame Marine Gandreau, greffier.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 15/01455
Date de la décision : 08/11/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 17, arrêt n°15/01455 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-08;15.01455 ?
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