COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
contradictoire
DU 25 OCTOBRE 2017
R.G. N° 15/00334
AFFAIRE :
SAS BOUYGUES BATIMENT ILE-DE-FRANCE
C/
[Y] [W]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Décembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY
Section : Industrie
N° RG : F13/00852
Copies exécutoires délivrées à :
SCP DERRIENNIC & ASSOCIÉS
SELARL VIEIRA - GRANDJEAN
Copies certifiées conformes délivrées à :
SAS BOUYGUES BATIMENT ILE-DE-FRANCE
[Y] [W]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE DIX SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS BOUYGUES BATIMENT ILE-DE-FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Sabine SAINT SANS de la SCP DERRIENNIC & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0426 substituée par Me Maxime BENOIST, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K168
APPELANTE
****************
Monsieur [Y] [W]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Assisté de Me Marie-Hélène VIEIRA de la SELARL VIEIRA - GRANDJEAN, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 95
INTIMÉ
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Claire GIRARD, Président,
Madame Marie-Christine HERVIER, Conseiller,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Gaëlle POIRIER,
FAITS ET PROCÉDURE :
M. [Y] [W] a été mis à disposition de la société Bouygues Bâtiment Île-de-France du 14 décembre 2009 au 7 mai 2010 par la société de travail temporaire Proveqtus pour occuper un emploi d'aide grutier.
À compter du 10 mai 2010, M. [W] a été embauché selon contrat à durée indéterminée par la société Bouygues Bâtiment Île-de-France en qualité de grutier.
La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective régionale des ouvriers du bâtiment de la région parisienne.
À compter du 28 septembre 2011, M. [W] a été placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle.
À l'issue de deux visites médicales de reprise des 8 et 24 janvier 2013, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude de M. [W] à son poste ainsi rédigé : 'inapte au poste de grutier. Reconfirmation de l'avis émis le 8 janvier 2013. Il est recommandé de lui éviter une charge mentale élevée. Il ne peut pas travailler sur un chantier ou en milieu ordinaire actuellement. Il est recommandé qu'il fasse des démarches médico-administratives afin d'être reclassé en milieu protégé temporairement' .
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 18 mars 2013, la société Bouygues Bâtiment Île-de-France a convoqué M. [W] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 2 avril 2013.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 15 avril 2013, la société Bouygues Bâtiment Île-de-France a notifié à M. [W] son licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.
Au moment de la rupture du contrat de travail, la société Bouygues Bâtiment Île-de-France employait habituellement au moins onze salariés et la rémunération moyenne mensuelle de M. [W] s'élevait à 1 713,83 euros brut.
Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency (section industrie) le 21 octobre 2013.
Par un jugement en date du 23 décembre 2014, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des faits, moyens et prétentions des parties, le conseil de prud'hommes a :
- condamné la société Bouygues Bâtiment Île-de-France à verser à M. [W] les sommes suivantes :
* 17'102,50 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif ;
* 85,51 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement ;
* 3 420,50 euros à titre d'indemnité de préavis ;
* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté M. [Y] [W] du surplus de ses demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculé sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ;
- ordonné les intérêts légaux en application de l'article 1153 du code civil et ceux à compter de la date du dépôt de la saisine ;
- ordonné la remise des documents suivants : attestation Pôle emploi, certificats de travail, bulletins de salaire conformes ;
- mis les dépens à la charge de la société Bouygues Bâtiment Île-de-France.
Le 22 janvier 2015, la société Bouygues Bâtiment Île-de-France a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 8 septembre 2017 soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société Bouygues Bâtiment Île-de-France demande à la cour de :
- annuler le jugement attaqué à raison d'une violation du principe de la contradiction et du droit à un procès équitable ;
- statuant à nouveau, dire que le licenciement de M. [W] repose sur une cause réelle et sérieuse et débouter ce dernier de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner M. [W] à verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions du 25 août 2017 soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, M. [W] demande à la cour de :
- rejeter la demande d'annulation du jugement ;
- confirmer le jugement attaqué ;
- y ajoutant, condamner la société Bouygues Bâtiment Île-de-France à remettre sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard son bulletin de salaire, son solde de tout compte, son certificat de travail et son attestation pour Pôle emploi conformes et ordonner la capitalisation des intérêts ;
- condamner la société Bouygues Bâtiment Île-de-France à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience ;
Vu la lettre de licenciement ;
SUR CE :
Sur l'annulation du jugement :
Considérant que la société Bouygues Bâtiment Île-de-France demande l'annulation du jugement entrepris au motif que le conseil des prud'hommes s'est fondé, pour dire le licenciement de M. [W] sans cause réelle et sérieuse et la condamner à des indemnités de rupture, sur des moyens soulevés d'office, méconnaissant ainsi le principe de la contradiction et de l'égalité des armes ;
Que M. [W] conclut au rejet de cette demande d'annulation ;
Considérant qu'il ressort du dossier de première instance ainsi que du jugement attaqué que le conseil de prud'hommes s'est fondé, pour condamner la société Bouygues Bâtiment Île-de-France à verser des indemnités de rupture, sur une violation de l'obligation de reclassement incombant à l'employeur, laquelle a été soulevée par M. [W] ; que les motifs du jugement critiqués par la société appelante étaient superfétatoires et n'ont pas servi à fonder les condamnations prononcées ; qu'il s'ensuit qu'aucune violation du principe de la contradiction ou de l'égalité des armes ne peut être relevée ; que la demande d'annulation du jugement sera ainsi rejetée ;
Sur le licenciement et ses conséquences :
Considérant, au préalable, que par l'effet dévolutif de l'appel, il convient, après avoir rejeté la demande d'annulation du jugement, de statuer sur les conclusions au fond de la société Bouygues Bâtiment Île-de-France ;
Considérant que la société appelante soutient qu'elle n'a commis aucun manquement à son obligation de reclassement et que le licenciement est dès lors fondé sur une cause réelle et sérieuse ; qu'elle conclut par suite au débouté des demandes de M. [W] ;
Que M. [W] soutient que la société Bouygues Bâtiment Île-de-France a manqué à son obligation de reclassement en ce que :
- elle ne justifie pas de l'impossibilité de reclassement, notamment par la production du livre d'entrée et de sortie du personnel ;
- elle n'a pas sollicité l'ensemble des entreprises du groupe Bouygues ;
- l'avis d'inaptitude était ambigu et lui imposait de saisir à nouveau le médecin du travail pour lui demander de formuler des propositions de reclassement ;
- il n'a pas compris l'avis du médecin sur le milieu ordinaire et son reclassement en milieu protégé et n'étant pas déclaré travailleur handicapé, il ne pouvait être admis en milieu protégé dans un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.1226-2 du code du travail, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou à un accident non professionnels, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ;
Que les possibilités de reclassement d'un salarié doivent être recherchées à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel ;
Qu'il appartient à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyen, et de rapporter la preuve de l'impossibilité de reclassement qu'il allègue ;
Considérant, en l'espèce, que l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 24 janvier 2013 a déclaré M. [W] inapte à son poste de grutier ainsi qu'à un emploi en milieu ordinaire et lui a recommandé de faire des démarches pour être employé dans un milieu protégé ;
Qu'ainsi l'avis du médecin était clair quant à l'incapacité de M. [W] à exercer son emploi ainsi que tout emploi en milieu ordinaire et la société Bouygues Bâtiment Île-de-France n'avait dès lors pas à saisir à nouveau le médecin du travail pour qu'il formule des propositions de reclassement, contrairement à ce que soutient le salarié ; qu'il appartenait au salarié s'il ne comprenait pas le sens de cet avis d'exercer toutes les voies de recours prévues par la loi ;
Qu'ensuite, il ressort des pièces versées aux débats par la société Bouygues Bâtiment Île-de-France que, au vu de cet avis d'inaptitude, le société a procédé à des recherches de reclassement en son sein et en envoyant des courriers détaillés quant au profil de M. [W] et quant à son inaptitude aux principales sociétés du groupe Bouygues situées sur le territoire national ayant une activité non seulement dans le domaine de la construction (pièces n°7 à 19) mais aussi dans le domaine des services, de l'immobilier, de l'informatique et de la télévision, lesquelles ont toutes répondu qu'elles ne disposaient pas de poste compatible avec l'avis du médecin du travail ; que la société employeuse a ainsi procédé à des recherches de reclassement loyales et serieuses en son sein et à l'intérieur du groupe auquel elle appartient, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel ;
Qu'il n'est enfin pas contesté que l'ensemble des entités du groupe Bouygues relève du travail en milieu ordinaire et que ce dernier ne détient pas d'entités relevant du milieu protégé telles une entreprise adaptée prévue par l'article L. 5213-13 du code du travail ou un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) ; que l'impossibilité de reclassement de M. [W] est ainsi établie ;
Qu'il s'ensuit que M. [W] n'est pas fondé à soutenir que la société Bouygues Bâtiment Île-de-France a manqué à son obligation de reclassement et que son licenciement est pour ce motif dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Qu'il convient en conséquence de débouter le salarié de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points ;
Sur le complément d'indemnité de licenciement :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1251-38 du code du travail, lorsque l'entreprise utilisatrice embauche, après une mission, un salarié mis à sa disposition par une entreprise de travail temporaire, la durée des missions accomplies au sein de cette entreprise au cours des trois mois précédant le recrutement est prise en compte pour le calcul de l'ancienneté du salarié ;
Que, contrairement à ce que soutient la société Bouygues Bâtiment Île-de-France, cette disposition n'exige pas que les fonctions exercées au cours de la mission et du contrat de travail ultérieur soient identiques ;
Qu'il s'ensuit que M. [W] est fondé à se prévaloir de l'ancienneté de trois mois acquise au cours de la mission accomplie au sein de la société appelante à l'occasion de sa mise à disposition par l'entreprise de travail temporaire Proveqtus dans un emploi d'aide grutier ; que la société Bouygues Bâtiment Île-de-France sera dès lors condamnée à verser à M. [W] une somme de 85,51 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;
Sur les intérêts et la capitalisation :
Considérant que la somme allouée ci-dessus portera intérêts à compter du jugement qui en a fixé le principe s'agissant d'une créance à caractère indemnitaire ; qu'en outre, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points ;
Sur les documents sociaux :
Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à la société Bouygues Bâtiment Île-de-France de remettre à M. [W] les documents sociaux conformes au présent arrêt ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Qu'en outre, il n'est pas nécessaire dans les circonstances de l'espèce d'ordonner une astreinte sur ce point ; que M. [W] sera donc débouté de cette demande ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il statue sur ces deux points ;
Que chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles et des dépens exposés par elle en première instance et en appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Rejette la demande de la société Bouygues Bâtiment Île-de-France aux fins d'annulation du jugement attaqué,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il condamne la société Bouygues Bâtiment Île-de-France à verser à M. [Y] [W] une somme de 85,51 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [Y] [W] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Déboute M. [Y] [W] de ses demandes d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
Dit que le complément d'indemnité de licenciement alloué à M. [Y] [W] portera intérêts à compter du jugement attaqué,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,
Ordonne à la société Bouygues Bâtiment Île-de-France de remettre à M. [Y] [W] les documents sociaux conformes au présent arrêt,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel,
Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens exposés par elle en première instance et en appel.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Claire GIRARD, président et par Madame POIRIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,