COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 28 SEPTEMBRE 2017
R.G. N° 15/03866
AFFAIRE :
[T] [Q]
C/
SA COMPAGNIE OPTORG
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° RG : 12/02382
Copies exécutoires délivrées à :
Me David METIN
la SELARL RACINE
Copies certifiées conformes délivrées à :
[T] [Q]
SA COMPAGNIE OPTORG
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUTT SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [T] [Q]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159
APPELANT
****************
SA COMPAGNIE OPTORG
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Carla DI FAZIO PERRIN de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0301
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 09 Juin 2017, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Sylvie BOSI, Président,
Madame Marie-Christine PLANTIN, Conseiller,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 24 juin 2015, qui a :
- constaté le défaut de qualité d'employeur de la compagnie OPTORG en raison de l'absence de lien juridique résultant de l'existence d'un contrat de travail de droit français ou de co-emploi,
- dit et jugé que la société TRACTAFRIC MOTORS CAMEROUN est le seul employeur de M. [Q],
en conséquence,
- mis hors de cause la compagnie OPTORG ,
- débouté M. [T] [Q] de l'ensemble de ses demandes, fin et conslusions,
- condamné M. [T] [Q] aux dépens.
Vu l'appel interjeté par M. [T] [Q] en date du 16 juillet 2015.
Vu les dernières conclusions déposées par M. [T] [Q] et soutenues oralement à l'audience par son avocat qui demande de :
- recevoir M. [T] [Q] dans ses demandes et l'y déclarer bien fondé ,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
statuant à nouveau,
A titre liminaire :
- se déclarer compétente pour statuer sur le présent litige,
- constater que l'ensemble du dispositif légal régissant le licenciement des salariés français non protégé est une disposition impérative,
en conséquence,
- écarter le principe de l'autonomie des parties,
- retenir l'application de la loi française,
sur la rupture du contrat de travail :
- dire et juger que la société OPTORG est l'employeur de M. [T] [Q],
- dire et juger que le licenciemetn de M. [T] [Q] s'analyse en une rupture de sa période d'essai,
en conséquence,
- condamner la société OPTORG à verser à M. [T] [Q] les sommes suivantes :
. 57 000 euros nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
. 9 500 euros de dommages et intérêts pour irrespect de la procédure de licenciement,
. 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait des circonstances vexatoires du licenciement,
en tout état de cause,
- ordonner la remise de l'attestation Pôle Emploi conforme, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter de la notification du jugement à intervenir,
- dire qu'en application de l'article L.131-3 du code des procédures civiles d'exécution, le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte sur simple requête,
- dire que ces sommes porteront intérêt à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,
- ordonner la capitalisation judiciaire des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil,
- condamner la société OPTORG à payer à M. [T] [Q] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société OPTORG aux entiers dépens, dont les éventuels frais d'exécution de l'arrêt.
Vu les dernières conclusions déposées par la COMPAGNIE OPTORG et soutenues oralement à l'audience par son avocat qui demande :
In limine litis:
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a constaté le défaut de qualité demployeur de la COMPAGNIE OPTORG, en raison de l'absence de lien juridique résultant de l'existence d'un contrat de travail de droit français ou de co-emploi,
- dire que les sociétés TRACTAFRIC MOTOTS CAMEROUN et SDIA sont seuls employeurs de M. [T] [Q],
en conséquence,
- se déclarer incompétent,
- renvoyer M. [T] [Q] à mieux se pourvoir,
à titre principal,
- dire et juger que la loi française n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce,
- constater l'absence de preuve apportée par M. [T] [Q], en ce que ses demandes pourraient trouver un fondement juridique en droit camerounais ou en droit mauricien,
en conséquence,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a débouté M. [T] [Q] de ses demandes,
a titre infiniment subsidiaire, si la cour devait entrer en voie de condamnation,
- réduire les demandes de dommages et intérêts à de plus justes proportions, qui ne sauraient être supérieures à 19 000 euros,
- débouter M. [T] [Q] pour le surplus,
en tout état de cause,
- condamner M. [T] [Q] à régler à la COMPAGNIE OPTORG la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [T] [Q] aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience ;
CECI AYANT ETE EXPOSE :
Considérant que par contrat de travail à durée indéterminée du 1er décembre 2011, M. [T] [Q] a été engagé par la société TRACTAFRIC MOTORS CAMEROUN, filiale du groupe OPTORG, en qualité de directeur administratif et financier des filiales AFRIQUE ;
Considérant que le 1er décembre 2011, M. [T] [Q] a signé un autre contrat de travail en qualité de consultant financier avec la société SDIA dont le siège social est situé à Maurice et qui est également filiale du groupe OPTORG ;
Considérant que par courrier du 27 mars 2012, la société TRACTAFRIC MOTORS CAMEROUN a mis fin au contrat de travail de M. [T] [Q] avant le terme de la période d'essai qui avait été prorogée jusqu'au 31 mars 2012 ;
Considérant que la société SDIA a également mis fin au contrat de travail de M. [T] [Q] à une date qui n'est pas précisée ;
Considérant que la rémunération mensuelle brute de M [Q] était équivalente à 9 502, 21 euros ;
Considérant que c'est dans ce contexte que M. [T] [Q] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre pour contester la rupture de son contrat de travail et solliciter des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il affirme avoir subi ;
SUR LE CO-EMPLOI :
Considérant que M [Q] soutient que la société OPTORG est co-employeur, et ce contrairement à cette société ;
Considérant que nonobstant les dénégations de la société OPTORG il existe des indices concordants en faveur du co-emploi ;
Que des liens de dépendance apparaissent entre la société TRACTAFRIC MOTORS CAMEROUN et le groupe OPTORG dont la société mère est la société OPTORG ;
Qu'ainsi, le 16 avril 2012, les groupes OPTORG/TRACTAFRIC d'une part et DEMIMPEX d'autre part se sont rapprochés et ont créé par voie d'apport de leurs activités MOTORS respectives (automobile et poids lourds) un nouvel ensemble Motors à l'échelle du continent africain ; que la nouvelle entité dénommée TRACTAFRIC MOTORS CORPORATION devait être détenue à concurrence de 60% par OPTORG et à concurrence de 40% par SDA ; que les enseignes commerciales utilisées dans les états africains devaient notamment être AFRICAUTO et TRATAFRIC MOTORS ; que la joint venture bénéficie d'un réseau propre et de distributeurs agréés;
Que la société OPTORG est intervenue dans la recrutement de M [Q] pour la société TRACTAFRIC MOTORS CAMEROUN ;
Qu'en effet des contrats de prestations de services ont été conclus les 11 mai et 8 août 2011 entre M [Q] et la société Compagnie OPTORG représentée par son secrétaire général, M [Y];
Que par ces contrats à durée déterminée, la société Compagnie OPTORG a confié à M [Q] des prestations de services relatives au conseil et à l'assistance financière dans l'intérêt de sa filiale SHO GABON à [Localité 1] ; que des frais de déplacement et de séjour exposés par le salarié étaient pris en charge par OPTORG tandis que SHO GABON en payait d'autres ainsi que la rémunération ;
Que dans un courriel du 16 septembre 2011, M [Y], secrétaire général OPTORG a écrit que M [Q] était en place jusqu'à la fin octobre à [Localité 1] puis qu'il partait à [Localité 2] comme directeur administratif et financier ; que dans ce même document, M [Y] a donné des indications précises à M [P], dirigeant de la société TRACTAFRIC MOTORS CAMEROUN sur le rôle dévolu aux directeurs administratifs et financiers ;
Que le 21 décembre 2011, M [J] agissant au nom de la Direction des ressources humaines TMC dont l'adresse était située à [Localité 3] a envoyé un courriel à M [Q] pour lui proposer d'intégrer 'notre groupe' par le biais d'un contrat à durée indéterminée et d'occuper le poste de directeur administratif et financier à l'étranger ; que dans ce courriel, M [J] faisait référence aux entretiens que M [Q] avait eu avec 'nos' collaborateurs et 'notre direction des ressources humaines' ;
Que précédemment par lettre du 1er décembre 2011, M [H], directeur de TRATAFRIC MOTORS CAMEROUN, agissant par procuration du gérant signait l'engagement sous condition suspensive de l'obtention des autorisations administratives des autorités camerounaises de M [Q] en tant que directeur administratif et financier 'régional motors' après avoir fait mention de différents entretiens comme M [J] ;
Qu'à la même date du 1er décembre 2011, la compagnie mauritienne SDIA représentée par M [C] [Z], son administrateur, recrutait M [Q] en tant que consultant financier dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée ;
Que dès lors, il existe des liens entre ces différents contrats et que les affectations de M [Q] ne sont pas étrangères à la société OPTORG ;
Que d'ailleurs, M [Q] est présenté sur un site internet comme directeur financier des filiales Afrique Tractafric du groupe OPTORG ;
Qu'il ressort également du courriel adressé par M [P] à partir d'une adresse internet OPTORG à d'autres personnels d'OPTORG le 23 mars 2012 que la situation de M [Q] ne lui était pas indifférente puisqu'il écrivait que le salarié qui n'avait pas démérité allait perdre son emploi de directeur des affaires financières de la filiale TAM CAMEROUN ; qu'il avait déjà travaillé plusieurs mois comme prestataire au GABON (TAE et TAM) ; que disponible et connaissant les méthodes de travail, les outils et leurs limites ('nos méthodes et nos outils'), il serait un bon candidat pour répondre à leurs besoins au GABON et au CONGO ;
Qu'il s'ensuit que le départ de M [Q] est intervenu au moment de la création de TRACTAFRIC MOTORS CORPORATION et que la société mère OPTORG, qui donnait des indications précises sur la méthodologie à suivre, a souhaité faire intervenir l'appelant dans ses filiales ;
Que dès lors la situation de co-emploi sera retenue entre la société OPTORG et la société TRACTAFRIC MOTORS CAMEROUN ;
Que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef ;
SUR LA COMPÉTENCE ET LA LOI APPLICABLE :
Considérant que la société Compagnie OPTORG est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE ;
Considérant que la juridiction prud'homale française est compétente pour connaître du litige opposant M [Q] à la société Compagnie OPTORG ;
Considérant que la loi française s'applique ; que le litige oppose un ressortissant français à un co-employeur immatriculé et domicilié en France ; que les dispositions relatives à la rupture sont impératives ;
SUR LE LICENCIEMENT :
Considérant que M [Q] a été après l'échéance du terme de son contrat de travail à durée déterminée engagé par contrat à durée indéterminée, la durée de son contrat de travail à durée déterminée doit être déduite de la période d'essai prévue dans son nouveau contrat de travail; qu'il importe peu qu'il ait occupé le même emploi en exécution de différents contrats;
Considérant que M [Q] a été embauché par contrat à durée déterminée du 11 mai 2011 renouvelé le 8 août 2011 jusqu'au 8 décembre 2011 ;
Considérant que le contrat du 1er décembre 2011 prévoyait une période d'essai de 3 mois prorogé à 6 mois soit jusqu'au 31 mars 2012 ;
Considérant qu'en sa qualité de cadre, M [Q] ne pouvait être à l'essai plus de 8 mois ;
Considérant que la période d'essai de M [Q] expirait le 12 janvier 2012 ;
Considérant qu'il ne se trouvait plus en période d'essai lorsqu'il a été mis fin à son contrat de travail ;
Considérant en conséquence que M [Q] est bien fondé à soutenir que la rupture de son contrat de travail est abusive ;
SUR LES DEMANDES PECUNIAIRES :
Considérant que la procédure de licenciement aurait dû être mise en oeuvre mais que l'employeur ne l'a pas utilisée ;
Considérant que le salarié dispose d'une ancienneté inférieure à 2 ans ;
Qu'il réclame le paiement d'une indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;
Considérant que faute d'avoir été entendu sur le motif de son licenciement, M [Q] n'a pu faire valoir ses arguments pour tenter de faire renoncer son employeur à la rupture de son contrat de travail ;
Considérant que la cour évalue son préjudice à la somme de 9 500 euros ;
Considérant que M [Q] était âgé de 56 ans à la date de la rupture de son contrat de travail ; qu'il n'envisageait pas qu'il puisse être mis fin dans de telles conditions à son embauche puisque sa compagne avait obtenu son affectation dans un collège à [Localité 2] pour la rentrée 2012 ;
Considérant que M [Q] argue du fait qu'il est au chômage mais que les seuls documents de Pôle Emploi qu'il communique font état d'une prise en charge pour la période du 1er avril 2016 au 20 février 2017 seulement ;
Considérant en conséquence que le préjudice matériel n'est pas démontré ;
Que par contre la brutalité de la rupture justifie l'indemnisation d'un préjudice moral à hauteur de 6 000 euros ;
Considérant que les qualités professionnelles de M [Q] n'ont pas été mises en doute puisque M [P] a voulu l'orienter sur un autre poste en précisant bien qu'il n'avait pas démérité ;
Considérant que la demande de dommages et intérêts supplémentaires pour licenciement vexatoire sera rejetée ; que le préjudice moral a déjà été pris en compte ;
SUR LES INTERETS DE RETARD :
Considérant que les condamnations seront productives d'un intérêts de retard au taux légal à compter de la décision qui les fixe ;
Considérant que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de droit ;
SUR LA REMISE DES DOCUMENTS SOCIAUX :
Considérant que la société OPTORG devra remettre à M [Q] une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la décision dans le mois suivant sa signification;
Considérant que le prononcé d'une astreinte n'est pas nécessaire ;
SUR LES FRAIS IRREPETIBLES ET LES DEPENS :
Considérant que la société OPTORG succombe à l'action pour l'essentiel ;
Qu'elle sera condamnée aux dépens et à payer à M [Q] une indemnité pour frais irrépétibles de procédure de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Qu'elle sera elle-même déboutée de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que la société Compagnie OPTORG est co-employeur de M [T] [Q],
Dit la rupture du contrat de travail de M [T] [Q] abusive,
Condamne la société Compagnie OPTORG à payer à M [T] [Q] les sommes suivantes :
- 9 500 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement,
- 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
Dit que les créances indemnitaires sont productives d'un intérêt de retard au taux légal à compter du présent arrêt et avec capitalisation,
Enjoint à la société Compagnie OPTORG de remettre à M [T] [Q] une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à l'arrêt dans le mois suivant sa signification,
Dit que le prononcé d'une astreinte n'est pas nécessaire,
Condamne la société Compagnie OPTORG à payer à M [T] [Q] une indemnité pour frais irrépétibles de procédure de 2 000 euros,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société Compagnie OPTORG aux entiers dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2 ème alinéa de l'art 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Christine PLANTIN, conseiller en remplacement du président empêché, et par Madame Claudine AUBERT, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT