COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
contradictoire
DU 28 JUIN 2017
R.G. N° 15/03386
AFFAIRE :
SARLAU FRANCE ARNO
C/
[N] [C]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
Section : Encadrement
N° RG : 13/00068
Copies exécutoires délivrées à :
Me Aurélien TOUZET
Me Thibaut BONNEMYE
Copies certifiées conformes délivrées à :
SARLAU FRANCE ARNO
[N] [C]
PÔLE EMPLOI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT JUIN DEUX MILLE DIX SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SARLAU FRANCE ARNO
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représentée par Me Aurélien TOUZET, avocat au barreau d'ANGERS
APPELANTE
****************
Madame [N] [C]
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Assistée de Me Thibaut BONNEMYE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0726
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mai 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Claire GIRARD, président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Claire GIRARD, Président,
Madame [N] HERVIER, Conseiller,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Gaëlle POIRIER,
FAITS ET PROCÉDURE :
Mme [N] [C] a été embauchée par le groupe Eram selon contrats à durée déterminée successifs du 9 janvier 1996 au 10 août 1996 en qualité de vendeuse, se poursuivant par un contrat à durée indéterminée du 10 août 1996. Mme [N] [C] est ensuite devenue première vendeuse, puis vendeuse responsable, puis gérante directrice à compter du 1er juin 2001 au magasin Eram situé dans le 15ème arrondissement de Paris rue Saint-Charles puis, à compter du 1er juin 2002, au magasin Eram situé [Adresse 5] puis, à compter du 1er mars 2004, au magasin Eram situé [Adresse 6] avec une rémunération fixe et variable et un salaire brut garanti de 3 060 euros.
Le contrat de travail de Mme [N] [C] a ensuite été transféré à la société France Arno à compter du 1er novembre 2008 et la salariée a été affectée au magasin France Arno de Vélizy, à proximité de son domicile situé à [Adresse 7] moyennant une rémunération mensuelle brute garantie de 2 700 euros, baisse de 360 euros que la salariée a acceptée.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce succursaliste de la chaussure. La société France Arno employait habituellement au moins onze salariés au moment de la rupture du contrat de travail.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 2 avril 2012, la société France Arno a confirmé à Mme [N] [C] sa décision de la muter au magasin France Arno de Chartres avec un salaire minimum garanti de 2 700 euros bruts par mois. Les échanges par lettres recommandées avec avis de réception se sont poursuivis entre les parties.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 juillet 2012, Mme [N] [C] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 12 juillet 2012.
Mme [N] [C] a été licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juillet 2012 pour refus de mutation.
Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, Mme [N] [C] a saisi le 18 janvier 2013 le conseil de prud'hommes de Versailles (section encadrement) qui a, par jugement du 11 mai 2015 auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des faits, prétentions et moyens antérieurs des parties :
- dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné la société France Arno à verser à Mme [N] [C] les sommes de :
* 40 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société France Arno de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société France Arno aux éventuels dépens.
La société France Arno a régulièrement relevé appel de la décision le 18 juin 2015.
Aux termes de ses conclusions du 12 mai 2017, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société France Arno demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- débouter Mme [N] [C] de ses demandes,
- condamner Mme [N] [C] aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions du 16 mai 2017, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, Mme [N] [C] demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et l'infirmer s'agissant du quantum des indemnités prononcées,
- condamner la société France Arno à lui payer les sommes suivantes :
* 97 200 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 4 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie devant le conseil de prud'hommes,
* 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie devant la cour d'appel,
- condamner la société France Arno aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement,
- condamner la société France Arno au paiement de la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en appel,
- condamner la société France Arno aux entiers dépens,
En tout état de cause,
- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.
Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience du 16 mai 2017,
Vu la lettre de licenciement,
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le licenciement
La société France Arno fait valoir que la clause de mobilité contenue dans le contrat de travail est valable tandis que Mme [N] [C] en conteste la validité et fait valoir en premier lieu qu'elle n'a jamais formulé de refus d'être mutée mais seulement fait des observations.
Aux termes des dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
L'article L.1235-1 du code du travail précise qu'en cas de litige et à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il est ajouté que, si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi, l'administration de la preuve du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis, objectifs imputables au salarié et matériellement vérifiables.
Il convient enfin de rappeler que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les limites du litige. En l'espèce, les termes en sont les suivants :
« Nous faisons suite à l'entretien préalable que vous avez eu le 12 juillet 2012 avec votre directeur régional, M. [H] et vous notifions par la présente votre licenciement. Lors de cet entretien, vous étiez assistée par Mme [D] [V], directrice de magasin.
Cette décision, nous vous le rappelons, est motivée par les faits suivants :
Par courrier recommandé du 2 avril 2012, nous avons décidé de vous muter au magasin France Arno sis [Adresse 8].
Nous vous avons précisé que cet établissement avait réalisé aux 12 derniers mois, à fin mars 2012, un chiffre d'affaires de 622 647 euros TTC contre 644'838 euros TTC pour la même période pour le magasin France Arno à Vélizy dont vous avez la responsabilité.
Nous vous avions également indiqué qu'à votre nouveau poste, les conditions d'exécution de votre contrat de travail et notamment votre statut restaient inchangés.
En tout état de cause, nous vous garantissions que votre salaire brut mensuel serait au moins égal à celui que vous percevez actuellement.
Par ailleurs et à titre tout à fait exceptionnel, nous vous proposions la prise en charge de l'intégralité de vos titres d'abonnement aux transports collectifs pour vos déplacements entre votre domicile habituel à Meudon-la-Forêt et votre nouveau lieu de travail à [Localité 1].
Vous aviez également la possibilité de disposer d'un logement de fonction situé au-dessus du magasin France Arno de Chartres.
Or, par courrier du 23 juin 2012, vous nous avez informé refuser votre mutation.
Lors de l'entretien préalable, M. [H] vous a demandé votre position. Vous l'avez renvoyé à la lecture de votre dernier courrier, ajoutant ne rien avoir à dire verbalement.
Nous vous rappelons que cette mutation s'inscrivait par application de la clause de mobilité géographique prévue à l'article IV de votre contrat de travail.
En conséquence, votre refus d'être mutée au magasin France Arno de Chartres, malgré la clause de mobilité figurant dans votre contrat de travail, nous contraint à vous notifier par la présente votre licenciement.
Vous serez, à dater de la première présentation de cette lettre, en préavis pendant trois mois.
Nous vous dispensons toutefois d'effectuer ce préavis et il vous sera en conséquence normalement rémunéré, aux échéances habituelles de paye.
À l'expiration de ce préavis, nous vous adresserons votre attestation pour Pôle emploi, ainsi que votre certificat de travail et nous solderons votre compte.
Nous vous précisons enfin que vous avez acquis 120 heures au titre du droit individuel à la formation et que vous pourrez utiliser ces heures que vous ayez ou non retrouvé un emploi, pour financer un bilan de compétences, une action de formation ou une validation des acquis de l'expérience. »
S'agissant en premier lieu du refus de mutation que [N] [C] conteste, la cour relève qu'à la suite de la lettre recommandée avec accusé de réception envoyée par la société France Arno le 2 avril 2012, aux termes de laquelle elle annonce à Mme [N] [C] sa décision de la muter au magasin France Arno de Chartres, de nombreux échanges de points de vue et demandes de précision ont eu lieu, au vu des courriers que la salariée verse aux débats :
- la lettre recommandée avec accusé de réception du 13 avril 2012 aux termes de laquelle Mme [N] [C] a formulé des observations en réponse à cette décision de mutation au regard de sa rémunération, rappelant la baisse de rémunération acceptée en 2008, s'agissant d'une mutation à Vélizy à proximité de son domicile et faisant part du coût prévisible de 584 euros par mois pour ses frais de transport si elle devait travailler à [Localité 1],
- la lettre recommandée avec accusé de réception du 14 mai 2012 de la société France Arno (réadressée le 8 juin 2012), mentionnant un entretien du 4 mai 2012, au cours duquel la société France Arno a proposé à Mme [N] [C] de prendre en charge ses frais d'abonnement aux transports collectifs ou de mettre à sa disposition un logement de fonction situé à [Localité 1] avec une baisse corrélative de sa rémunération,
- la lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juin 2012 aux termes de laquelle Mme [N] [C] a sollicité des compléments d'information sur la prise en charge des frais de transport ainsi que la réattribution de la somme brute de 360 euros correspondant à la réduction de rémunération acceptée en novembre 2008 du fait de son nouvel emploi à proximité de son domicile,
- la lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juin 2012 aux termes de laquelle la société France Arno lui a répondu qu'une somme de 193,08 euros serait prise en charge par l'employeur pour ses titres de transport mais que son salaire actuel de 2 700 euros bruts serait maintenu, sans qu'il soit envisagé de le majorer de 360 euros,
- la lettre recommandée avec avis de réception du 28 juin 2012 aux termes de laquelle Mme [N] [C] a fait valoir qu'elle ne répondait pas aux critères pour bénéficier du tarif préférentiel pour l'abonnement TER Centre mentionné par l'employeur, de telle sorte que le coût réel du transport est supérieur à celui calculé et proposé par son employeur de 193,08 euros mensuel ; par ailleurs, elle invoque les dispositions de l'article 14 de l'avenant cadres du 10 juin 1982 de la convention collective applicable mentionnant que la mutation ne peut entraîner une réduction de la situation pécuniaire de l'intéressé et fait observer que son temps de transport pour [Localité 1] passerait à 4 heures 30 par jour, étant obligée de rester domiciliée en région parisienne où son conjoint travaille et bénéficie d'un suivi médical.
En revanche, la société France Arno ne verse pas aux débats la lettre du 23 juin 2012 mentionnée dans la lettre de licenciement, lettre du 23 juin 2012 aux termes de laquelle la société France Arno affirme que Mme [N] [C] a expressément refusé la mutation au magasin France Arno de Chartres.
Dès lors, faute pour la société France Arno de rapporter la preuve du refus de mutation qu'elle mentionne dans la lettre de licenciement, refus fondant sa décision de licencier Mme [N] [C], la société France Arno ne permet ainsi pas à la cour d'exercer son contrôle quant au caractère réel et sérieux des motifs invoqués, il en résulte que l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement doit, en conséquence, être écartée ; la décision attaquée sera confirmée à ce titre.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Au moment de la rupture de son contrat de travail, Mme [N] [C] avait au moins deux années d'ancienneté et la société France Arno employait habituellement au moins onze salariés, de telle sorte qu'en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, elle peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement, sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue par l'article L.1234-9 du code du travail.
Compte tenu, notamment, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [N] [C], de son âge (52 ans au licenciement), de son ancienneté (16 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard (syndrome anxio-dépressif consécutif au licenciement ; justification de recherches d'emploi auprès des sociétés Caroll, C&A, Promod, Okaïdi, Celio, Chaussea, Marks & Spencer, Devred, etc ; ARE jusqu'en décembre 2015 ; puis reconversion professionnelle par une formation d'assistante maternelle auprès du département des Hauts-de-Seine en novembre 2015 et bulletins de salaire d'assistante maternelle, emploi moins rémunérateur que précédemment) tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, la cour considère qu'il convient de lui allouer à ce titre la somme de 60 000 euros ; la décision entreprise sera infirmée de ce chef.
Sur les intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature indemnitaire seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
En vertu de l'article L.1235-4 du code du travail, 'Dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées'.
Il convient de faire d'office application de ces dispositions, en ordonnant à la société France Arno de rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage payées à Mme [N] [C] du jour de son licenciement dans la limite de 6 mois. Le greffe, en application de l'article R. 1235-2 du code du travail, adressera à Pôle emploi une copie certifiée conforme du présent arrêt.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge de la société France Arno.
Seule la demande formée en cause d'appel par Mme [N] [C] au titre des frais irrépétibles sera accueillie, à hauteur de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu le 11 mai 2015 par le conseil de prud'hommes de Versailles (section encadrement) en toutes ses dispositions à l'exception du montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la société France Arno à payer à Mme [N] [C] la somme de 60'000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement sur la somme de 40'000 euros et de la présente décision sur le surplus,
Ordonne à la société France Arno de rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage payées à Mme [N] [C] du jour de son licenciement dans la limite de 6 mois,
Dit que le greffe, en application de l'article R. 1235-2 du code du travail, adressera à Pôle emploi une copie certifiée conforme du présent arrêt,
Condamne la société France Arno à payer à Mme [N] [C] la somme de 2'000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société France Arno de sa demande sur ce même fondement,
Condamne la société France Arno aux dépens d'appel.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Claire GIRARD, président et par Madame POIRIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,