COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53I
16e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 1ER JUIN 2017
R.G. N° 15/08248
AFFAIRE :
SA AGEAS FRANCE venant aux droits de FORTIS
C/
[Q] [E]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Novembre 2015 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE
N° Chambre : 03
N° Section :
N° RG : 13/04411
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Francis LEGOND, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE PREMIER JUIN DEUX MILLE DIX SEPT, après prorogation
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA AGEAS FRANCE venant aux droits de FORTIS, au capital de 109 221 274,91 euros immatriculée au RCS PARIS sous le N°352 191 167 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 352 19 1 1 677
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20150468
Représentant : Me Jacques MARTIN DE LA BASTIDE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0124
APPELANTE
****************
Monsieur [Q] [E]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Francis LEGOND, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 118
Représentant : Me Jacques-michel FRENOT de la SCP FRENOT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0322
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Février 2017 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odette-Luce BOUVIER, Président et Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Odette-Luce BOUVIER, Président,
Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller,
Madame Ghislaine SIXDENIER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Bernadette RUIZ DE CONEJO,
FAITS ET PROCEDURE,
La société à responsabilité limitée (SARL) Cogefina Immobilier et Finances avait pour objet social d'acquérir différents biens immobiliers destinés à la revente à des investisseurs après réhabilitation. M. [Q] [E] et son père [B] [E] (également appelé [I] [E]) étaient les deux seuls associés de cette société.
Au début de l'année 1996, la SARL Cogefina a eu recours à la société Euralliance pour financer ses opérations.
Dans un même acte notarié signé le 3 avril 1996, la société Euralliance a consenti':
-à la SARL Cogefina un prêt in fine de 3.100.000 francs soit 472.591,95 € remboursable sur 15 ans au taux de 8,15 % par an, intérêts payables par trimestre et capital remboursable au terme du prêt afin de financer pour partie des travaux sur deux immeubles appartenant à la SARL Cogefina à [Localité 2] et [Localité 3] et pour partie à la rénovation et la commercialisation d'un immeuble à [Adresse 3],
-à M. [Q] [E] un prêt portant sur une somme de 2.900.000 francs sur une période de 15 ans, au taux d'intérêt de 8,15 %, remboursable in fine le 3 avril 2011, somme affectée à la souscription d'un contrat d'assurance vie « Avenir placement Plus » dont les conditions particulières ont été acceptées le 17 avril 1996 par M. [E]. Ce contrat d'une durée de 15 ans était signé afin de « garantir la reconstitution du capital d'un montant de 6 millions de francs correspondant aux prêts accordés par la société Euralliance à la SARL Cogefina et à M. [Q] [E] en sa qualité de caution ».
Le prêt consenti à la SARL Cogefina a été garanti par :
-une hypothèque portant sur deux biens immobiliers à [Localité 4] et [Localité 2],
-le cautionnement solidaire de M. [Q] [E], associé-gérant de la SARL Cogefina, et de son père,
-le nantissement au bénéfice d'Euralliance du contrat « Avenir Placement » souscrit personnellement par M. [Q] [E].
Entre 1996 et 1998, un changement de la législation fiscale a remis en cause les perspectives de bénéfices de la SARL Cogefina.
Le 24 juillet 1996, la société Euralliance constatait que les intérêts dus au 3 juillet 1996 n'avaient pas été payés, prononçait la déchéance du terme du prêt personnel consenti à M. [Q] [E] et annonçait saisir la valeur de rachat du contrat «Avenir Placement ».
Les 28 mai et 5 juin 1998, la société Euralliance mettait en demeure :
-la SARL Cogefina de lui verser la somme de 9.476.345,45 francs
-M. [E] de lui verser la somme de 3.434.501,65 francs au titre du prêt de 3.100.000 F.
Le redressement judiciaire de la SARL Cogefina a été prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 2 juin 1998, converti en liquidation judiciaire le 8 décembre 1998.
La société Fortis, venant aux droits de la société Euralliance, a déclaré sa créance le 27 juillet 1998 auprès du mandataire judiciaire à hauteur de 9.479.345,45 francs constituée d'une double créance, le solde restant dû au titre du prêt de 3.100.000 francs et une somme de 6.000.000 francs au titre d'un acte notarié du 31 juillet 1996, outre les intérêts de retard.
La créance a été admise à hauteur du montant réclamé et il n'a pas été formé d'appel contre cette décision d'admission.
Le 31 mai 2013, la société anonyme Ageas France, venant aux droits de la société Fortis, a fait assigner M. [Q] [E] devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour obtenir sa condamnation à lui payer en sa qualité de caution de la SARL Cogefina, la somme de 946.657,42 € au titre du solde du prêt de 472.591,95 € consenti à cette société le 3 avril 1996.
Par jugement rendu le 6 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Pontoise a notamment :
- déclaré la créance de la SA Ageas France prescrite,
- par conséquent, déclaré les demandes de la SA Ageas France irrecevables,
- rejeté toute autre demande,
- condamné la SA Ageas France aux dépens.
Le 30 novembre 2015, la SA Ageas France a formé appel de cette décision.
Dans ses conclusions transmises le 19 avril 2016, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA Ageas France, appelante, demande à la cour de :
-dire que la prescription invoquée par M. [E] n'a même pas commencé à courir,
Et, 'réformant' en tous points le jugement rendu le 6 novembre 2015 par la 3ème chambre civile du tribunal de grande instance de Pontoise,
-condamner M. [E] à lui payer les sommes suivantes :
1) 946.657,42 € au titre du solde restant dû sur le principal et les intérêts ayant courus jusqu'au 10 avril 2013, au titre du prêt de 472.591,95 € consenti le 3 avril 1996 à la SARL Cogefina, pour lequel M. [E] s'est porté caution,
2) les intérêts légaux sur la somme de 811.440,74 € à compter du 11 avril 2013, jusqu'à parfait paiement de la somme en principal,
3) 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil,
-lui attribuer le bénéfice du contrat « Avenir Placement Plus » référencé n° C 468523 F, d'une valeur de 830.033,13 €,
-dire que la valeur du gage attribué judiciairement viendra en déduction des sommes que M. [E] lui doit,
-débouter M. [E] de toutes ses demandes contraires,
-condamner M. [E] en tous les dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la SA Ageas France fait valoir :
-qu'elle a régulièrement déclaré sa créance à la suite du prononcé du redressement judiciaire de la SARL Cogefina'; que, le contrat ayant été conclu pour une période de quinze ans, les dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce doivent être appliquées ;
- que, selon la jurisprudence développée au visa de l'article L. 622-24 du code de commerce, la déclaration de créance au passif du débiteur principal en liquidation judiciaire interrompt la prescription à l'égard de la caution et que cet effet interruptif est prolongé jusqu'à la clôture de la procédure » (Cass. com. 30 octobre 2012)'; qu'en l'espèce, la clôture de la liquidation de la SARL Cogefina n'était pas prononcée à la date du 28 février 2013 mais qu'elle est intervenue le 20 novembre 2014 ;
- que la prescription ne touche que l'obligation de M. [E] au remboursement du prêt personnel de 2.900.000 francs, sans porter atteinte à l'intégralité du contrat conclu le 3 avril 1996 ;
- que M. [E] cherche délibérément à créer une confusion entre ce prêt du 3 avril 1996 et le transfert d'hypothèque du 31 juillet 1996 alors que ces deux opérations sont strictement distinctes, et qu'aucune somme n'est réclamée à M. [E] au titre de la deuxième opération ;
- que les dispositions l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 'ultérieurement intégrées dans le code des marchés financiers ' ne sont applicables qu'aux établissements de crédit, catégorie dont ne relèvent pas les compagnies d'assurances ou assimilées ;
- que les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation ne sont entrées en vigueur qu'à compter du 5 février 2004 ; que, dans son arrêt du 3 juin 2010, la cour d'appel de Paris a jugé, au visa de cet article, qu'en présence d'une lettre recommandée avec avis de réception mettant la caution en demeure de payer il y avait « substitution au taux d'intérêt conventionnel du taux d'intérêt légal » ;
-que les pièces communiquées en 1996 par M. [E] lui-même au moment de ses démarches auprès de la société Euralliance pour obtenir son concours financier, versées aux débats, témoignent de l'absence de disproportion de son engagement de caution au regard de ses biens et revenus ;
-qu'elle entend mettre en 'uvre les dispositions de l'acte notarié de prêt du 3 avril 1996 concernant les « garanties ».
Dans ses conclusions transmises le 22 février 2016, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [E], intimé, demande à la cour de :
- déclarer la SA Ageas France irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter purement et simplement,
- confirmer le jugement entrepris,
- déclarer prescrites les réclamations présentées par la SA Ageas France à son égard découlant des engagements souscrits dans l'acte notarié du 3 avril 1996 afférent tant au prêt personnel souscrit par l'intéressé qu'au cautionnement donné au profit de la SARL Cogefina à hauteur de 3.100.000 francs,
- constater qu'en ce qui concerne le prêt de 2.900.000 francs, la SA Ageas France ne réclame rien à ce titre,
- débouter en conséquence la SA Ageas France de l'intégralité de ses demandes à toutes fins qu'elles comportent,
A titre subsidiaire,
- constater que la SA Ageas France n'a pas fait état des sommes réellement perçues par elle dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SARL Cogefina,
- constater que la société Fortis Assurances, aux droits de laquelle se trouve la SA Ageas France, a perçu dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SARL Cogefina une somme globale de 728.672,93 €, en l'état des éléments communiqués,
- débouter en l'état la SA Ageas France de toutes réclamations vis-à-vis de lui, en sa qualité de caution de la SARL Cogefina, à hauteur du prêt de 3.100.000 francs (472.591,95 €),
- rejeter le décompte des sommes figurant dans les conclusions et déclarer mal fondée la SA Ageas France à lui en réclamer paiement,
- dire que la SA Ageas France est déchue des intérêts qu'elle lui réclame, en ce qui concerne le montant des sommes cautionnées au profit de la SARL Cogefina (3.100.000 francs = 472.591,95 €),
- dire que, dans l'hypothèse où des intérêts resteraient dus, seul l'intérêt légal est à comptabiliser de la date de la mise en demeure reçue, soit à compter du 10 avril 2013,
En tout état de cause, et si la déchéance des intérêts n'était pas prononcée en totalité,
- faire application des articles 2224 du code civil et 2277 ancien du même code, qui prescrivent par cinq ans le montant des réclamations sur intérêts des sommes prêtées ou empruntées qui peuvent être réclamées,
- débouter la SA Ageas France de ses demandes d'intérêts à hauteur de 342.468,09 € et de 135.216,68 € en vertu des textes sus indiqués,
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que son engagement de caution est manifestement disproportionné à ses biens et revenus, en vertu de l'article L 341-3 du code de la consommation,
- débouter par voie conséquente la SA Ageas France de sa demande sur ce fondement,
En toute hypothèse,
- condamner la SA Ageas France à lui payer la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner la SA Ageas France aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, M. [E] expose :
- que la société Euralliance l'avait mis en demeure de payer le prêt de 2.900.000 francs dès le 24 juillet 1996'; que la première réclamation opérée par la SA Ageas France est intervenue le 13 février 2013 et l'assignation introductive d'instance le 31 mai 2013'; que la prescription de l'obligation était acquise dès le 25 juillet 2006 si l'on considère que la première lettre recommandée de la société Euralliance valait acte d'exigibilité de la créance ou, si tel n'était pas le cas, la deuxième lettre recommandée du 5 juin 1998 que lui a adressée Me [I], ce qui reporterait le délai de prescription au 6 juin 2008';
- que la Cour de cassation confirme que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance, et que la circonstance que celle-ci soit constatée par un acte authentique (ce qui est le cas en l'espèce) revêtu de la formule exécutoire ne modifiait pas cette durée ;
- que l'extinction du prêt, dette principale, entraîne la caducité du nantissement consenti en vertu du contrat de prêt sur le contrat d'assurance-vie «'Avenir Placement'», pris et consenti à son propre bénéfice'; que la SA Ageas France ne peut faire valoir aucune réclamation sur l'objet principal du contrat ni sur ses accessoires ;
- que le cautionnement qu'il a souscrit le 3 avril 1996 d'une somme de 3.100.000 francs prêtée à la SARL Cogefina se voit appliquer la prescription décennale'; que la créance a été déclarée au mandataire liquidateur de la SARL Cogefina le 27 juillet 1998 par Fortis Assurances, date marquant le point de départ de la prescription';
- que la jurisprudence admet que la déclaration de créance équivaut à une demande en justice et à ce titre qu'elle interrompt la prescription (Cass. com. 15 octobre 1991 ; 14 décembre 1993 ; 28 juin 1994, n° 92-13.477 ; 28 juin 1997)'; que l'effet interruptif se prolonge jusqu'à la clôture de la liquidation (Cass. com. 27 mars 2007, n° 06-12.012 ; Cass. com. 10 février 2015, n° 13-21.953)'; que cette jurisprudence de la Cour de cassation ne s'appuie sur aucun texte légal et demeure incohérente, compte tenu des possibilités d'agir du créancier contre la caution au cours de la procédure collective ;
- que durant les opérations de liquidation, les biens de la SARL Cogefina ont été vendus par les organes de la procédure collective, et que la société Fortis Assurances s'est vue octroyer une somme de 504.432,77 €, qu'elle a perçue, résultant de la vente du bien situé [Adresse 4]'; que les comptes et calculs présentés par la SA Ageas France sont donc erronés, l'opération de [Localité 5] n'étant pas une opération parallèle ou indépendante ;
- que le calcul des intérêts qui seraient dus est infondé puisqu'il a été effectué sur le principal du prêt de 3.100.000 francs à 8,15 % arrêté au 31 décembre 2004, soit 342.462,09 €'; que ce calcul fait fi de la réglementation et de la législation constante depuis 1984'; que la société Euralliance a prêté des fonds à la SARL Cogefina, a pris sa caution, et s'est donc comportée comme un établissement de crédit en accordant un concours financier à une entreprise de promotion immobilière';
- qu'il n'a jamais été avisé annuellement, comme les textes successifs l'imposent, du montant et de l'existence du cautionnement qu'il avait souscrit'; que la déchéance des intérêts est due en totalité et que le montant de ces intérêts devra être exclu du décompte présenté par la SA Ageas France, tant en ce qui concerne les intérêts à 8,15 % arrêtés au 31 décembre 2004, que les intérêts légaux sur une somme de 811.440,74 euros du 1er janvier 2005 au 1er avril 2013 : soit 131.216,68 €';
- que si la société Euralliance était considérée comme une société d'assurance, le contrat de prêt du 3 avril 1996 devrait être déclaré nul, les sociétés d'assurances n'étant pas autorisées, du fait de leurs propres statuts, à souscrire des prêts avec des professionnels de l'immobilier ou à leur prêter des fonds pour mener à bien leurs opérations.
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La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 janvier 2017.
L'audience de plaidoirie a été fixée au 8 février 2017.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la prescription des demandes découlant des engagements souscrits par M. [Q] [E] dans l'acte notarié du 3 avril 1996 :
Il y a lieu de relever au préalable que la société Ageas France ne conteste pas la prescription de sa créance au titre du crédit personnel de 2.900.000 F consenti à M. [Q] [E] le 3 avril 1996.
* Sur la prescription des demandes au titre du prêt de 3.100.000 € :
En ce qui concerne l'engagement de caution souscrit par M. [E] relatif au prêt consenti à la société Cogefina à la même date, c'est par une motivation que la cour adopte que le tribunal, retraçant l'évolution des effets de l'ouverture d'une procédure collective à l'égard d'un débiteur principal personne morale sur la caution personne physique de celui-ci, a retenu que la loi du 10 juin 1994 dans sa version en vigueur en 1998, époque du redressement puis de la liquidation judiciaire de Cogefina, a étendu aux cautions le bénéfice de la suspension provisoire des poursuites résultant du redressement judiciaire, cette disposition ayant ensuite été codifiée à l'article L 622-28 du code de commerce.
Cette suspension provisoire a été poursuivie lors du placement de la société Cogefina sous le régime de la liquidation judiciaire, le 8 décembre 1998.
Cependant le tribunal a omis de prendre en considération l'effet interruptif de la prescription de la déclaration de créance du 27 juillet 1998 lors de la procédure de redressement judiciaire, suivi d'une nouvelle interruption lors de la déclaration de créances prise en considération par le liquidateur et le juge-commissaire dans le cadre de la liquidation judiciaire, le renouvellement d'une déclaration de créances après le 8 décembre 1998 résultant nécessairement de la notification d'admission de sa créance au passif adressée par le greffe du tribunal de commerce à la société Fortis Assurances le 6 juillet 2001 pour la somme de 9.479.345,45 € à titre de privilège spécial.
Il résulte de la jurisprudence constante relative à l' application de l'article L 642-24 du code de commerce relatif aux déclarations de créance que la déclaration de créances interrompt la prescription à l'égard de la caution, sans qu'il soit besoin d'une notification (Cass. com.26/09/2006, Bull.civ.IVn° 190) et que l'effet interruptif se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective (Cass. com. 12 /12/1995, Bull. civ.IV n° 299), un nouveau délai de prescription courant à compter du jugement de clôture(Cass. com 15 mars 2005, n° 03-17.783).
La clôture de la liquidation judiciaire de la société Cogefina n'étant intervenue que le 20 novembre 2014, c'est à tort que le jugement entrepris a déclaré prescrite la demande en paiement par assignation du 31 mai 2013, de la société Ageas France, venant aux droits de la société Fortis Assurances, à l'égard de M. [Q] [E], caution de la société Cogefina.
Le jugement dont appel est infirmé en ce qu'il a déclaré prescrite comme faisant l'objet d'une assignation formée hors délai de la prescription décennale, la créance de la société Ageas France à l'égard de la caution [Q] [E].
Statuant à nouveau, la cour déclare recevable comme non prescrite la demande de paiement fondée sur cette créance .
* sur la prescription par voie accessoire du nantissement destiné à garantir le remboursement de ce prêt :
Le prêt de 3.100.000 F consenti à la société Cogefina le 3 avril 1996 était garanti par la souscription d'un contrat 'Avenir Placement' destiné à 'garantir la reconstitution d'un capital d'un montant de 6 millions de francs correspondant aux prêts accordés par la société Euralliance à la société Cogefina et à M. [Q] [E] en sa qualité de caution'
Le contrat 'Avenir Placement' venait donc garantir la caution par M. [E] assortissant le prêt de 3.100.000 € consenti à Cogefina, ainsi que le remboursement par M. [E] du prêt personnel destiné à sa souscription.
L'obligation résultant du cautionnement de M. [E] n'étant pas éteinte, celui-ci ne peut se prévaloir de l'extinction de tous les engagements ou garanties accessoires qui feraient suite à la prescription de la demande en paiement de l'engagement principal.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la prescription de cette demande et, statuant à nouveau, de déclarer recevable comme non prescrite la demande découlant de la mise en oeuvre du nantissement fourni par la caution intimée.
* Sur les versements effectués entre les mains du liquidateur au profit d'autres créanciers hypothécaires :
Par ailleurs, M. [E] ne saurait se prévaloir des versements à la liquidation de la société Cogefina des prix de vente des immeubles de [Localité 5], la convention qu'il garantissait n'ayant pas constitué d'hypothèque sur ces biens, lesquels garantissaient par l'effet d'une hypothèque de premier rang le prix de différents biens immobiliers acquis par la société Cogefina à la société Sodif le 19 juin 1995 pour un prix de six millions de francs, mais dont le paiement n'a été prévu que par une convention postérieure du 16 juillet 1996, au demeurant jamais exécutée par la société Cogefina. Il importe de préciser que le prêt du 3 avril 1996, pour lequel M. [E] s'est porté caution, était également garanti par une hypothèque portant sur un immeuble situé à [Localité 4] (Haut-Rhin), et sur un immeuble situé à [Localité 2], dont les ventes n'ont dégagé, par le jeu des différents privilèges et sûretés en concurrence, qu'un actif de 3.614,30 € au profit de la société prêteuse.
En conséquence, la société Ageas France est fondée à réclamer à M. [E] le montant du solde en principal du prêt de 3.100.000 F (472.591,95 €) accordé à la société Cogefina.
Sur la déchéance du droit aux intérêts découlant du manquement à l'obligation d'information annuelle de la caution :
M. [E], se prévalant de l'absence d'information annuelle de la caution depuis la souscription de son engagement, invoque les dispositions de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984-ensuite intégrées à l'article L 312-22 du code monétaire et financier-, imposant aux établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise sous condition du cautionnement par une personne physique, d'informer avant le 31 mars de chaque année cette dernière du montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente sur le prêt concerné, ainsi que du terme de l'engagement, entend voir prononcer la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts, dans la mesure prévue par ce texte.
La cour retient que cette obligation d'information annuelle de la caution n'a été initialement applicable qu'aux établissements de crédit et non aux sociétés d'assurances ou assimilées, dont relève la société Euralliance ainsi que les différentes sociétés venues à ses droits.
Si effectivement les dispositions de l'article L 341-6 du code de la consommation assignent la même obligation au 'créancier professionnel' à l'encontre de la caution personne physique, il importe d'observer que ces dispositions ne sont entrées en vigueur qu'à compter du 5 février 2004 , ce qui rend fondée la substitution par la société Ageas France, qui reconnaît un défaut total d'information de la caution depuis l'origine, des intérêts au taux légal aux intérêts conventionnels à compter du 31 décembre 2004, date de la première information annuelle exigible par la caution en l'espèce.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale des intérêts :
L'effet interruptif de la prescription à l'égard de la caution d'un débiteur principal en liquidation judiciaire, ressortant de la déclaration de créance à cette liquidation et se prolongeant jusqu'à la clôture de la liquidation, un nouveau délai de prescription courant à compter du jugement de clôture, commande le débouté de la fin de non-recevoir tirée par M. [E] de la prescription quinquennale des intérêts échus jusqu'au 10 avril 2008 ou plus exactement jusqu'au 31 mai 2008, par référence à la mise en demeure de la caution du 10 avril 2013, ou à l'assignation dirigée contre elle le 31 mai 2013.
Sur la dette au titre des intérêts contractuels :
S'agissant de la demande incidente de l'intimé tendant à ce que les intérêts légaux pour la période du 1er janvier 2005 au 10 avril 2013 ne soient calculés que sur la somme principale de 472.591,95 € (3.100.000 F) et non sur celle de 811.440,74 € comprenant les intérêts au taux contractuel de 8,15 % échus du 30 avril 1998 au 31 décembre 2004, tels que réclamés par la société Ageas France, la cour relève qu'aucune mise en demeure à la caution au titre du prêt de 3.100.000 F accordé à la société Cogefina n'a été envoyée à M. [E].
Celle adressée à [Q] [E] en qualité de gérant de la société Cogefina le 28 mai 1998, figurant en pièce 5-1 de la société appelante, est en toute hypothèse, antérieure à la déchéance du terme opérée sur le fondement de la cessation des paiements de la société Cogefina le 26 octobre 1998.
Dès lors la caution, qui n'a été mise en demeure utilement que le 10 avril 2013, dans le temps de la prescription ainsi qu'il a été vu précédemment, n'est pas fondée à revendiquer une exemption des intérêts au taux conventionnel comme au taux légal pour la période du 30 avril 1998 au 31 décembre 2004.
Les intérêts au taux conventionnel courent donc du 30 avril 1998 au 31 décembre 2004 pour la somme de 342.462,09 € réclamée par la société Ageas France ; s'y ajoutent les intérêts au taux légal sur la dette en principal et intérêts de la société Cogefina cautionnée par M. [E] de 811.440,74 €, du 1er janvier 2005 au 10 avril 2013.
La dette totale de M. [E] s'élevant après déduction des versements reçus au titre des ventes des immeubles de [Localité 4] et d'[Localité 2], à la somme de 946.657,42 €.
Sur la manifeste disproportion du cautionnement fourni :
Pour tenter d'échapper à ses obligations 'à titre infiniment subsidiaire', M. [E] prétend après avoir discuté 'subsidiairement' de la déchéance des intérêts qui laisserait subsister une dette en principal, fait état de la disproportion manifeste de son engagement de caution du prêt consenti à la société Cogefina, au motif que son patrimoine serait totalement inexistant et qu'il n'aurait eu comme ressources que la rémunération qu'il percevait de la société Cogefina.
Aux termes de l'ancien article L 131-4 du code de la consommation, applicable à l'espèce, l'acte de caution litigieux ayant été conclu avant le 1er octobre 2016, date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus'.
L'examen des pièces communiquées en 1996 par M. [Q] [E] lui-même lors de sa demande de prêt pour la société Cogefina dont il était le représentant légal, et pour lui-même, révèle que l'intéressé faisait alors état au titre de ses patrimoine et revenus, outre de la rémunération qu'il percevait de la société Cogefina :
-d'une valeur de vente du stock immeubles de la société Cogefina au 31 décembre 1995 de 7.747.482,69 F, pour un seul emprunt de seulement 250.000 € .
-de la détention par lui avec son père [B] [E] de la totalité des parts de la société Cogefina dédiée depuis plusieurs années à la commercialisation de produits financiers hautement défiscalisants ;
-d'un patrimoine : immobilier et valeurs immobilières, ainsi composé :
+ 50% d'une SCI Immobilière de l'Allée des arts, évaluée à 3 MF environ, sans emprunt ;
+ Un local commercial à [Localité 6] loué 3.000 F par mois, valeur estimée 350.000 F sans emprunt ;
+Deux appartements situés à [Localité 6], loués 6.000 F par mois, valeur estimée 1.200.000 F emprunt sur neuf ans 8.000 F par mois .
-d'un portefeuille de valeurs mobilières estimé à '370.000 F constitué de SICAV et de bons de caisse' ;
-d'un fichier 'Prospects' actuellement suivi de 20.000 noms ;
-que le bénéfice dégagé par la société - situation arrêtée au 31 mars 1995 - était de 674.373 F
C'est en vain, au vu de ces informations portées par M. [E] accréditant un réel patrimoine en sus de la rémunération qu'il pouvait alors percevoir en qualité de représentant légal de la société Cogefina, que celui-ci allègue le caractère manifestement disproportionné du cautionnement donné au bénéfice de la société Cogefina. Cette demande très subsidiaire de M. [E] ne peut qu'être rejetée.
Sur l'attribution à la société Ageas France du contrat Avenir Placement souscrit par M. [E] :
L'acte notarié de prêt à la société du 3 avril 1996 prévoit des garanties au titre desquelles figure le nantissement du contrat d'assurance-vie 'Avenir-Placement' souscrit par M. [Q] [E] personnellement et cause de son emprunt de 2,9MF le 3 avril 1996.
Ce nantissement garantit à la fois, dans l'acte du 3 avril 1996, le remboursement de l'emprunt personnel contracté par M. [E], et, ainsi qu'il est mentionné au paragraphe'cautionnement solidaire' de l'acte authentique, l'efficacité du cautionnement solidaire du prêt contracté par la société Cogefina de 3,1 MF, le prêteur étant expressément autorisé à 'exercer de plein droit son droit sur le contrat 'Avenir placement' dont il est bénéficiaire, en cas de non-remboursement à l'échéance du principal du prêt, objet des présentes'.
En application des dispositions de l'article 2333 du code civil selon lesquelles 'le gage est une convention par laquelle le constituant accorde au créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens immobiliers corporels, présent ou futurs', il convient de faire droit à la demande d'Ageas France tendant à ce que lui soit attribuée la valeur du contrat 'Avenir Plus'n° C 468523 arrivé à son terme le 15 avril 2011.
Cette somme lui demeurera en paiement partiel de sa créance sur M. [Q] [E] pris en sa qualité de caution.
En conséquence de ces constatations et énonciations, il y a lieu à fixation de la dette de M. [Q] [E] au montant de 946.657,42 €, qu'il sera condamné à payer avec intérêts au taux légal sur la somme de 811.440,74 € à compter du 11 avril 2013.
Il sera fait droit à la demande d'attribution du contrat nanti et dit que la valeur du gage attribué judiciairement viendra, pour son montant à la date du présent arrêt, en déduction des sommes dues par M. [Q] [E] à la société Ageas France.
M. [Q] [E] est débouté de l'ensemble de ses demandes.
Sur les demandes accessoires :
Il apparaît équitable au vu de la solution du litige, d'allouer à la société Ageas France au titre des frais irrépétibles de procédure qu'elle a du exposer en cause d'appel pour la préservation de ses droits, une somme de 5.000 €. M. [E] verra rejeter sa prétention du même chef.
Succombant en son argumentation et ses demandes incidentes, M. [E] supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rejette les fins de non-recevoir tirées de la prescription,
Déclare recevables comme non prescrites les demandes en paiement et de mise en oeuvre de nantissement de la SA Ageas France à l'égard de la caution, M. [Q] [E]
Condamne M. [Q] [E] à payer à la SA Ageas France une somme de 946.657,42 € au titre du solde restant dû sur le principal, et des intérêts au taux légal ayant couru du 1er janvier 2005 jusqu'au 10 avril 2013 , du prêt de 472.591,95 € consenti le 3 avril 1996 à la société Cogefina, pour lequel M. [E] s'est porté caution ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil ;
Attribue à la SA Ageas France le bénéfice du contrat 'Avenir Placement Plus' référencé n° C 468523 F, d'une valeur de 830.033,13 € ;
Dit que la valeur du gage attribué judiciairement viendra en déduction des sommes dues par M. [Q] [E] à la SA Ageas France ;
Déboute M [Q] [E] de toutes ses demandes ;
Condamne M. [Q] [E] à verser à la SA Ageas France une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [Q] [E] aux entiers dépens, qui pourront être directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Odette-Luce BOUVIER, Président et par Madame RUIZ DE CONEJO, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,