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27/03/2017 | FRANCE | N°15/015631

France | France, Cour d'appel de Versailles, 04, 27 mars 2017, 15/015631


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54D

4e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 27 MARS 2017

R.G. No 15/01563

AFFAIRE :

Société SPAC

C/

Société ENEDIS

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Octobre 2014 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

No chambre : 3ème

No RG : 2012F01913

et RG : 2012F04292

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Anne-Laure DUMEAU

Me Frédériqu

e THUILLEZ

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE VINGT SEPT MARS DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54D

4e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 27 MARS 2017

R.G. No 15/01563

AFFAIRE :

Société SPAC

C/

Société ENEDIS

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Octobre 2014 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

No chambre : 3ème

No RG : 2012F01913

et RG : 2012F04292

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Anne-Laure DUMEAU

Me Frédérique THUILLEZ

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE VINGT SEPT MARS DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société SPAC

Ayant son siège 13, rue Madame de Sanzillon

92112 CLICHY CEDEX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Anne-Laure DUMEAU, avocat postulant du barreau de VERSAILLES, No du dossier 41476 vestiaire : 628

Représentant : Maître Sophie SEGOND de la SELARL SEGOND - VITALE et ASSOCIE, avocat plaidant du barreau de PARIS, vestiaire : E 1963

APPELANTE

****************

Société ENEDIS "S.A." anciennement dénommée société ERDF

No Siret : 444 608 442 R.C.S. NANTERRE

Ayant son siège 34, Place des Corolles

92079 PARIS LA DÉFENSE CÉDEX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Frédérique THUILLEZ, avocat postulant du barreau de VERSAILLES, No du dossier 15/1563 vestiaire : 513

Représentant : Maître François TRECOURT de la SELASU TRECOURT, avocat plaidant du barreau de PARIS, vestiaire : A 0510

Société DELCROIX TP "SAS"

No Siret : 302 565 767 R.C.S. VALENCIENNES

Ayant son siège 106, rue d'Hauterive

59199 BRUILLE SAINT AMAND

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant du barreau de VERSAILLES, No du dossier 017691 vestiaire : 52

Représentant : Maître Anne SQUILLACI-BAZELA, avocat plaidant du barreau de LILLE

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Février 2017, Madame Anna MANES, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Brigitte AZOGUI-CHOKRON, Président,

Madame Isabelle BROGLY, Président,

Madame Anna MANES, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Nathalie MULOT

***************FAITS ET PROCEDURE,

La société Electricité Réseau Distribution France (ci-après "la société ERDF"), nouvellement nommée ENEDIS, a, en qualité de maître d'ouvrage, confié à la société Delcroix TP un marché de travaux concernant le tramway de Valenciennes (Nord Pas-de-Calais).

Selon la société SPAC, par contrat en date du 5 janvier 2010, la société Delcroix TP aurait sous-traité une partie des travaux à la société Suburbaine/SPAC, aux droits de laquelle elle vient à la suite d'une opération de fusion-absorption entre ces sociétés. La société SPAC prétend, en outre, que la société ERDF, maître d'ouvrage, avait une parfaite connaissance de sa présence sur le chantier.

En cours de réalisation des travaux, la société SPAC dit avoir adressé en vain à la société Delcroix TP différentes factures.

A l'issue de la réalisation desdits travaux, la société SPAC a mis en demeure, le 13 octobre 2011, la société Delcroix TP de lui payer la somme totale de 133.946,02 € TTC en paiement de deux factures en date des 30 novembre et 17 décembre 2010, pour les sommes respectives de 50.068,05 € TTC et 83.877,97 € TTC.

Par lettre du 7 novembre 2011, la société Delcroix TP a contesté la créance de la société SPAC. Celle-ci a donc adressé à la société ERDF, en sa qualité de maître d'ouvrage, une seconde lettre de mise en demeure le 7 février 2012, d'avoir à lui payer la somme totale de 133.946,02 d'une part, et de lui communiquer les justificatifs afférents au cautionnement de la société Delcroix TP, d'autre part. Ces correspondances sont demeurées sans réponse.

C'est dans ces circonstances que, par actes d'huissier de justice en date des 26 avril et 20 novembre 2012, la société SPAC a fait respectivement assigner la société ERDF et la société Delcroix TP devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Par jugement contradictoire du 16 octobre 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Ordonné la jonction des procédures enrôlées sous les références 2012 F 01913 et 2052 F 04292.

- Dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société ERDF et la société Delcroix TP.

- S'est déclaré incompétent et renvoie les parties à mieux se pourvoir.

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes en tant qu'elles visent l'exception d'incompétence.

- Condamné la société SPAC à payer à la société ERDF et à la société Delcroix TP la somme de 1.500 euros à chacune, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la société SPAC aux entiers dépens.

Par déclaration du 26 février 2015, la société SPAC a interjeté appel de ce jugement à l'encontre de la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF) et de la société Delcroix TP.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 7 novembre 2016, la société SPAC, appelante, demande à la cour, au fondement des articles 96 et 99 du code de procédure civile, de la loi 75-1334 du 31 décembre 1975, de l'ordonnance no 2005-649 du 6 juin 2005, de :

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel.

- Réformer le jugement attaqué dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

* constater que la société ERDF, en qualité de concessionnaire, supporte un risque dans l'exploitation du réseau de distribution litigieux,

* constater que le Sidegav, en qualité d'autorité publique concédante, n'est subrogé dans les droits de la société ERDF qu'à l'issue de la concession,

* dire et juger qu'en conséquence la société ERDF agit pour son propre compte dans le cadre de la convention de concession publique conclue avec le Sidegav,

En conséquence,

- Débouter la société ERDF et la Société Delcroix de leur exception d'incompétence soulevée au profit de la juridiction administrative.

- Dire et juger que la présente affaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire, en l'espèce, du tribunal de commerce de Nanterre.

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que la présente instance ne porte pas sur le fond du litige.

En tout état de cause,

- Condamner solidairement la société ERDF et la société Delcroix au paiement d'une somme de 20.000 euros du chef des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 7 juillet 2015, la société Delcroix TP, intimée, demande à la cour, au visa de la loi du 28 pluviôse an "XIII" (sic, plus vraisemblablement an VIII), de l'article R 312-11 du code de justice administrative, de :

A titre principal, in limine litis et avant toute défense au fond :

- Se déclarer matériellement incompétent.

- Renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

- Condamner la société SPAC à lui payer la somme de 5. 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire :

- Mettre préalablement en demeure la société SPAC d'avoir à conclure sur le fond du litige.

- Condamner la société SPAC à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 6 juillet 2015, la société ERDF, intimée, demande à la cour, au fondement des lois des 28 pluviôse an VIII et 31 décembre 1975, de :

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 16 octobre 2014.

- Condamner solidairement la société SPAC et la société Delcroix TP au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 janvier 2017.

SUR CE,

A titre liminaire

Il ressort de l'extrait Kbis versé aux débats par la société ERDF qu'elle se nomme désormais ENEDIS.

Il est patent en outre que cette cour est exclusivement saisie de la question de la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire pour connaître de ce litige.

Sur la compétence

Pour écarter la compétence de la juridiction judiciaire, le tribunal de commerce de Nanterre a retenu que les travaux, tels que prévus au titre des marchés passés entre les trois parties, s'ils sont signés par des sociétés de droit privé, concernent, à l'évidence, la modification d'un ouvrage public, affecté au service public de la distribution électrique, dont la société ERDF a désormais la charge et conservent donc de ce fait leur caractère d'ouvrage public.

Il considère ainsi que les marchés litigieux passés entre la société ERDF, la société Delcroix TP et la société SPAC sont des marchés relatifs à la réalisation de travaux sur des ouvrages publics, relevant par nature, de la seule compétence de la juridiction administrative.

Par voie de conséquence, les premiers juges se sont déclarés incompétents pour statuer au fond.

La société SPAC soutient que le critère relatif au caractère d'ouvrage public des travaux réalisés est inopérant aux fins de déterminer la juridiction compétente et que les seuls critères pertinents sont relatifs à la prise en charge par le concessionnaire du risque dans l'exploitation du réseau de distribution et la subrogation de l'autorité publique concédante dans les droits du concessionnaire à l'issue de la concession.

Ainsi, selon la société SPAC, le tribunal administratif sera compétent pour connaître d'un contrat ayant pour objet la réalisation de travaux publics si, après analyse des deux critères précités, il apparaît que la société ERDF n'agit pas pour son propre compte, mais pour le compte de l'autorité publique.

Elle reproche aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte de ces critères pour trancher le point de droit qui lui était posé.

Elle relève que le syndicat intercommunal de distribution de l'énergie électrique et du gaz de l'arrondissement de Valenciennes (autrement nommé "Sidegav") a signé un cahier des charges de concession pour le service public de la distribution électrique avec la société EDF à compter du 28 décembre 1996. Ce cahier des charges a été transféré à la société ERDF à sa création.

La société SPAC prétend que les contrats conclus par la société ERDF relèveront de la compétence de la juridiction judiciaire si la société ERDF, en sa qualité de concessionnaire, supporte un risque dans l'exploitation du réseau de distribution et si le Sidegav, en sa qualité d'autorité publique concédante, n'est subrogée dans les droits de la société ERDF qu'à l'issue de la concession.

En l'espèce, selon elle, il est clair que la société ERDF gère à ses risques et périls les ouvrages de distribution d'électricité et est rémunérée directement par l'usager. Dès lors, peu important que l'opération ait ou non le caractère de travaux publics, le contrat qu'elle conclut est de droit privé et relève de la compétence du juge judiciaire dans la mesure où la société ERDF agit pour son propre compte dans le cadre de la concession en cause.

Elle observe que la société ERDF se fonde de manière erronée sur l'arrêt Sagep du Conseil d'Etat, rendu le 7 août 2008, pour soutenir que les marchés, passés par une entité adjudicatrice et portant sur l'exécution de travaux publics, relèvent de la compétence du juge administratif. En effet, selon elle, aux termes de cet arrêt, le Conseil d'Etat n'a fait qu'entériner la jurisprudence du Tribunal des conflits qui décide invariablement que les dommages causés aux tiers par des ouvrages publics relèvent de la compétence du juge administratif. Or, en l'espèce, il ne s'agit pas d'un litige opposant un tiers en raison des dommages causés par un ouvrage public, mais d'un litige opposant une société sous-traitante ayant participé à des travaux sur un ouvrage public et qui sollicite du maître d'ouvrage, sur le fondement de la loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, le règlement de factures impayées. Or, la position du Tribunal des conflits et du Conseil d'Etat en la matière est identique et constante en ce sens qu'ils jugent que le litige né de l'exécution de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé (CE 9 décembre 2011, Commune d'Alès, req. No 342283 et TC 28 mars 2011, commune de La Clusaz, req. No C3773). Ces jurisprudences confirment, selon elle, que la compétence du juge est liée au mandat détenu par le concessionnaire. Ainsi, si ce dernier agit pour le compte d'une personne publique, le juge administratif sera compétent, s'il agit pour son propre compte, le juge judiciaire le sera.

La société ERDF, nouvellement nommée ENEDIS, rétorque qu'elle est une entité adjudicatrice dont la mission est fixée par la loi et qu'il a été jugé que les marchés passés par une entité adjudicatrice ont un caractère administratif lorsqu'ils portent sur la réalisation de travaux publics. En outre, ayant agi pour le compte d'une personne publique, le marché litigieux est par nature administratif et relève de la juridiction administrative.

Elle ajoute que, gestionnaire du service public de la distribution d'électricité, elle exerce une mission de service public définie par la loi (article L 121-1, L 121-4 et L 321-8 du code de l'énergie) et par un cahier des charges réglementaire approuvé par décret qui fixe les conditions dans lesquelles la société ERDF assure sa mission de service public.

Elle prétend qu'en l'espèce elle s'est bornée à agir pour le compte d'une personne de droit public et que les biens, objet du contrat, reviendront à cette personne publique à l'expiration de la concession.

Elle ajoute que les marchés conclus avec la société Delcroix TP ont pour objet le déplacement d'ouvrages liés au tramway de Valenciennes, qu'ils ont été réalisés sur ordre de l'autorité concédante et dans l'intérêt de la voirie et financés en partie par des fonds publics, à savoir une dotation de la Commission de l'énergie et une participation des collectivités publiques.

La société Delcroix TP sollicite également la confirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre en faisant valoir que le litige porte sur l'exécution de travaux publics, pour le compte d'une personne publique, dans un but d'intérêt général.

Elle rappelle en effet que :

* le contrat de sous-traitance en date du 5 janvier 2010 précise très clairement que son objet consiste en la réalisation de travaux publics, soit les travaux de raccordement dans le cadre du tramway Valenciennes confiés à ce sous-traitant (la société SPAC) pour le compte du maître d'ouvrage, à savoir "la société ERDF",

* la convention passée entre le syndicat intercommunal de distribution de l'énergie électrique et du gaz de l'arrondissement de Valenciennes, en date du 28 décembre 1996, précise en son article 9 que "le concessionnaire est maître d'ouvrage des renforcements de toutes les canalisations à haute tension du réseau concédé... des renforcements des postes de transformation et des canalisations à basse tension dans les communes indiquées...",

* les réseaux de distribution concédés à la société ERDF appartiennent à l'Etat et aux collectivités territoriales,

* les trois marchés passés entre elle et la société ERDF, concessionnaire du service public de distribution d'électricité, ont pour objectif les réseaux concédés,

* les réseaux ainsi réalisés reviendront à l'autorité concédante, à savoir l'Etat ou collectivités territoriales, à l'issue de la concession de service public, critère supplémentaire de caractérisation du marché public emportant la compétence du juge administratif,

* le Tribunal des conflits décide qu'une demande en justice liée à l'exécution de travaux réalisés dans le cadre d'une concession de service public relève de la seule compétence des juridictions administratives, en particulier la décision du Tribunal des conflits rendu 7 juillet 1975 commune d'Agde, no 2013, et que le juge administratif demeure compétent quand bien même les travaux auraient été réalisés par une entreprise privée, en particulier la décision du Tribunal des conflits rendu le 3 juillet 1995, no 2955,

* les travaux litigieux ont été réalisés à la demande de la société ERDF dans le cadre de la réalisation de travaux du tramway Valenciennes ; il s'agit plus précisément de la modification d'un ouvrage public dont la société ERDF doit assurer la continuité dans l'intérêt général de la population française,

* le marché litigieux étant un marché de travaux publics, les litiges relatifs à ces marchés relèvent par voie de conséquence de la compétence du tribunal administratif en application de l'article R 312-11 du code de justice administrative.

Il est incontestable que, bien que la société ENEDIS (anciennement "ERDF") soit une société de droit privé, elle est chargée d'une mission de service public et les ouvrages lui appartenant, qui sont directement affectés au service public de la distribution électrique, constituent des ouvrages publics.

Il est également constant que le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le fondement juridique de l'action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé. Toutefois, même si le contrat est de droit privé, la compétence demeure administrative si l'une des parties au contrat agit pour le compte d'une personne publique (TC du 9 juillet 2012, Compagnie des eaux et de l'ozone ; TC 16 juin 2014, la société nouvelle d'exploitation de la Tour Eiffel (SNTE) et TC, 7 juillet 1975, Commune d'Agde, no002013, Rec. p. 798).

Pour vérifier l'existence d'une « action pour le compte d'une personne publique », il convient de procéder selon la méthode du faisceau d'indices consistant à répondre à diverses questions qui porte sur l'objet du contrat (travaux publics), le pouvoir de direction de la personne publique, les modalités de financement (éligibilité au bénéfice de subventions initialement destinées aux collectivités locales), les modalités de rémunération du cocontractant privé (paiement public) ou, encore, dans l'hypothèse de travaux conduisant à des ouvrages remis dès leur achèvement à la collectivité publique avec substitution de plein droit de celle-ci au cocontractant privé pour mettre en jeu, en particulier, la responsabilité décennale des constructeurs.

En fonction de la réponse à ces différentes questions, compte tenu donc de la teneur des indices ainsi réunis, le juge judiciaire sera amené à retenir ou à décliner sa compétence.

Il convient en outre de rappeler que lorsqu'une personne privée, chargée par une personne publique d'exploiter un ouvrage public, conclut avec d'autres entreprises un contrat en vue de la réalisation de travaux sur celui-ci, elle ne peut être regardée, en l'absence de conditions particulières, comme agissant pour le compte de la personne publique propriétaire de l'ouvrage.

Ainsi, en principe, le concessionnaire agit pour son propre compte, de sorte que les litiges nés de l'exécution des marchés conclus par ce dernier relève de la compétence du juge judiciaire sauf en présence d'un mandat administratif, nécessitant la réunion de conditions particulières. Celles-ci existent, par exemple, si l'autorité concédante conserve un contrôle sur la programmation des travaux qui excède le pouvoir que conserve le propriétaire de l'ouvrage public afin d'en assurer le respect, l'intégrité et la destination. Il conviendra en outre de vérifier si l'autorité concédante finance l'opération à l'aide de subventions directes.

En l'espèce, le contrat litigieux est un contrat de sous-traitance conclu entre la société à responsabilité limitée Delcroix TP et la société anonyme Suburbaine/ Spac, aux droits de laquelle vient la société anonyme SPAC, portant sur des travaux de raccordement d'un ouvrage public dans le cadre des marchés S1000 80M, 80M, Tramway Valenciennes, dont le maître d'ouvrage désigné est la société ERDF.

Il est donc patent que le contrat a été conclu entre des personnes morales de droit privé.

Nul ne prétend que le contrat litigieux contienne une clause exorbitante du droit commun.

Il convient en outre d'apprécier si l'une des parties agit pour le compte d'une personne publique par application de la méthode du faisceau d'indices susmentionnée. Il devra également être vérifié si l'autorité concédante conserve un contrôle sur la programmation des travaux qui excède le pouvoir que conserve le propriétaire de l'ouvrage public afin d'en assurer le respect, l'intégrité ainsi que la destination par le cocontractant et si elle finance l'opération à l'aide de subventions directes.

Comme indiqué précédemment :

* le contrat porte sur des travaux publics,

* le maître d'ouvrage est la société ERDF, nouvellement nommée ENEDIS, qui vient en lieu et place de la société EDF GDF Services, agissant en exécution d'une convention de concession pour le service public de la distribution d'énergie électrique conclue entre le président du syndicat intercommunal de distribution de l'énergie électrique et du gaz de l'arrondissement de Valenciennes le 28 décembre 1996 et d'un cahier des charges daté du même jour,

* il n'est nullement établi que ce cahier des charges ait été approuvé par décret,

* l'article 1 du cahier des charges stipule que l'autorité concédante garantit au concessionnaire le droit exclusif d'exploiter le service public de distribution d'énergie électrique sur le territoire concerné (limites territoriales des communes citées dans la convention) et à cette fin d'établir, sous réserve des droits de l'autorité concédante, les ouvrages nécessaires ; que le concessionnaire est responsable du fonctionnement du service et le gère conformément au présent cahier des charges ; qu'il l'exploite à ses risques et périls ; que la responsabilité résultant de l'existence des ouvrages et de l'exploitation du service concédé lui incombe ; que le concessionnaire est autorisé à percevoir auprès des usagers un prix destiné à rémunérer les obligations mises à sa charge ;

* les ouvrages concédés (article 2) comprennent, en particulier, l'ensemble des installations affectées à la distribution publique de l'énergie électrique existant au moment de la signature du présent contrat, dans le périmètre de la concession ;

* l'article 9 du cahier des charges précise que pour le renforcement du réseau concédé, défini comme toute modification des ouvrages existants nécessité par l'accroissement de la demande d'électricité ou l'amélioration de la qualité de service, le concessionnaire est le maître d'ouvrage, qu'il prendra en charge ces travaux et sera autorisé à demander aux clients des contributions ; s'agissant des travaux de raccordement au réseau, la maîtrise d'ouvrage est répartie entre concessionnaire et autorité concédante ;

* comme indiqué précédemment, le contrat de sous-traitance précise expressément que la maîtrise d'ouvrage revient à la société ERDF, depuis ENEDIS ;

* le cahier des charges démontre que le Sidegav, en qualité d'autorité publique concédante, n'est subrogé dans les droits de la société ERDF, ENEDIS, qu'à l'issue de la concession ;

* il n'apparaît nullement des productions et des écritures des parties que la personne publique, à savoir l'autorité concédante, donc le Sidegav, dispose du pouvoir de direction de ces travaux ;

* la société ERDF, nommée depuis ENEDIS, affirme que l'ouvrage est financé en partie par des fonds publics, à savoir une dotation de la Commission de l'énergie et une participation des collectivités publiques ; même si cela paraît vraisemblable, pour autant cela ne résulte pas de ses productions ; en outre, cet indice, à supposer avéré, est insuffisant pour convaincre que la société ERDF, nouvellement ENEDIS, n'aurait pas agi pour son propre compte ;

* il n'apparaît pas plus que le sous-traitant, à savoir la société SPAC, soit payé par une personne morale de droit public ; en tout état de cause, les pièces produites par la société ERDF, nouvellement ENEDIS, et la société Delcroix TP ne le démontrent pas ;

* il ne ressort pas des productions que l'autorité concédante prenne possession de l'ouvrage à l'issue de la réalisation des travaux, qu'elle reprenne la direction technique de l'ouvrage au terme dudit contrat, ce qui l'empêche d'être regardée comme jouant le rôle de maître d'ouvrage.

Il découle de ce qui précède que le présent litige, à savoir les demandes en paiement de factures nées de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant les participants à l'exécution de ces travaux, personnes morales de droit privé, relève de la compétence de la juridiction judiciaire dès lors qu'il est établi que les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé et qu'il n'est pas démontré que l'une des parties au contrat ait agi pour le compte d'une personne publique.

Le jugement en ce qu'il se déclare incompétent pour trancher le litige et renvoie les parties à mieux se pourvoir sera infirmé.

Il y a donc lieu d'accueillir la demande de la société SPAC et dire que la présente affaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire, en l'espèce, du tribunal de commerce de Nanterre.

Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Il apparaît équitable d'allouer à la seule société SPAC la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ERDF, nouvellement nommée ENEDIS, et la société Delcroix TP seront condamnées in solidum au paiement de cette somme.

Ces sociétés seront en outre condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la société ENEDIS et la société Delcroix TP de leur exception d'incompétence soulevée au profit de la juridiction administrative.

Dit que le présent litige relève de la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire, en l'espèce du tribunal de commerce de Nanterre.

Condamne in solidum la société ENEDIS et la société Delcroix TP à payer à la société SPAC la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toutes autres demandes.

Condamne in solidum la société ENEDIS et la société Delcroix TP aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Brigitte AZOGUI-CHOKRON, Président et par Madame MULOT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 15/015631
Date de la décision : 27/03/2017
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Analyses

Arrêt rendu le 27 mars 2017 par la 4ème chambre de la cour d'appel de Versailles, RG n° 15/01563 SÉPARATION DES POUVOIRS Compétence judiciaire. - Exclusion. - Cas. - Litige relatif aux travaux publics. - Définition. - Etendue. - Litige né de l'exécution d'une opération de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux. - Condition. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties sont unies par un contrat de droit privé. Dans ce dernier cas, la compétence demeure administrative si l'une des parties au contrat agit pour le compte d'une personne publique. Ainsi, ressortit à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire le litige opposant un concessionnaire (ERDF, devenu ENIDIS), personne morale de droit privé agissant pour son propre compte, chargé par un syndicat intercommunal à vocation multiple de travaux pour la réalisation du tramway de Valenciennes, et la société sous-traitante qui réclame le paiement de factures nées de sa participation à ce marché de travaux publics. Rapprochement : TC 9 juillet 2012, N° 12-03.834. xx ********* SÉPARATION DES POUVOIRS Compétence judiciaire. - Exclusion. - Cas. - Litige relatif aux travaux publics. - Définition. - Etendue. - Litige né de l'exécution d'une opération de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux. - Condition. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties sont unies par un contrat de droit privé. Dans ce dernier cas, la compétence demeure administrative si l'une des parties au contrat agit pour le compte d'une personne publique. Ainsi, ressortit à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire le litige opposant un concessionnaire, personne morale de droit privé agissant pour son propre compte, chargé par un syndicat intercommunal à vocation multiple de la construction et de l'exploitation d'une station d'épuration, et les sociétés auxquelles il a fait appel pour la réalisation de l'ouvrage. 9 juillet 2012 N° 12-03.834. - CAA Marseille, 4 juillet 2011.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2017-03-27;15.015631 ?
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