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26/01/2017 | FRANCE | N°14/09204

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 26 janvier 2017, 14/09204


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63A



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 26 JANVIER 2017



R.G. N° 14/09204







AFFAIRE :





[C], [E], [G] [M]



...



C/



[P] [F]

...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Décembre 2014 par le Tribunal de Grande Instance de Versailles

N° Chambre : 4

N° RG : 13/07993





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Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Gisèle MOR de la SELARL MOR

Me Pierre GUTTIN

Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA

Me Catherine LEGRANDGERARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63A

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 JANVIER 2017

R.G. N° 14/09204

AFFAIRE :

[C], [E], [G] [M]

...

C/

[P] [F]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Décembre 2014 par le Tribunal de Grande Instance de Versailles

N° Chambre : 4

N° RG : 13/07993

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Gisèle MOR de la SELARL MOR

Me Pierre GUTTIN

Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA

Me Catherine LEGRANDGERARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

1/Madame [C], [E], [G] [M]

née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants :

[M], [Q], [Y] [N], né le [Date naissance 2] 1999, à [Localité 1]

[R], [O], [P] [M], né le [Date naissance 3] 2005 à [Localité 3]

[J], [N], [I] [M], née le [Date naissance 4] 2007 à [Localité 4]

Représentant : Me Gisèle MOR de la SELARL MOR, Postulant et Plaidant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 46 - N° du dossier 044149

APPELANTE ET INTERVENANTE VOLONTAIRE ET ASSIGNEE EN APPEL PROVOQUE

2/ Monsieur [X], [K], [H] [M]

né le [Date naissance 5] 1970 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de ses enfants :

[M], [Q], [Y] [N], né le [Date naissance 2] 1999, né à [Localité 1]

[R], [O], [P] [M], né le [Date naissance 3] 2005 à [Localité 3]

[J], [N], [I] [M], née le [Date naissance 4] 2007 à [Localité 4]

3/ Mademoiselle [S] [M]

née le [Date naissance 6] 1998 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Gisèle MOR de la SELARL MOR, Postulant et Plaidant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 46 - N° du dossier 044149

INTERVENANTS VOLONTAIRES ET ASSIGNES EN APPEL PROVOQUE

****************

1/ Monsieur [P] [F]

né le [Date naissance 7] 1942 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Pierre GUTTIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 - N° du dossier 15000066

Représentant : Me Jean-luc HIRSCH, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1665

INTIME

2/ [Établissement 1] anciennement dénommé [Établissement 2]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 7]

pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20150006

Représentant : Me Christine LIMONTA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0026

INTIME

3/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES

[Adresse 4]

[Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Catherine LEGRANDGERARD, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 391

INTIMEE

-------------

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Décembre 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOISSELET, Président chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET

---------

Mme [C] [M], âgée de 27 ans, a subi le 26 janvier 2009, une gastrectomie pratiquée par le docteur [F] au [Établissement 2].

Reprochant au docteur [F] divers manquements à l'origine d'un état séquellaire invalidant, elle a sollicité du juge des référés la désignation d'un expert. Le docteur [U] [Q] a été désigné par ordonnance du 9 décembre 2010. Son rapport a été déposé le 4 décembre 2011.

Par acte du 9 septembre 2013, Mme [C] [M], M. [X] [M], son époux, tant à titre personnel qu'ès qualités de représentants légaux des enfants mineurs [S], [R] et [J] [M], et [M] [N], ont assigné devant le tribunal de grande instance de Versailles le docteur [F], le [Établissement 2], et la CPAM des Yvelines en réparation des préjudices subis.

Par jugement du 11 décembre 2014, le tribunal de grande instance de Versailles a :

- mis hors de cause le [Établissement 2],

- débouté Mme [M] de sa demande de nouvelle expertise,

- déclaré M. [F] responsable à hauteur de 20 % des préjudices subis par Mme [M] à raison du défaut de prise en charge dans la période post-opératoire à compter du 23 mai 2009, constitutif d'une faute,

- condamné M. [F] à payer les sommes suivantes :

à Mme [C] [M] :

frais d'hospitalisation421,04 euros

assistance familiale6 548,40 euros

frais de crèche, cantine et garderie247,15 euros

frais de médecin conseil669,60 euros

déficit fonctionnel temporaire216,70 euros

souffrances endurées5 000,00 euros

déficit fonctionnel permanent2 080,00 euros

préjudice esthétique temporaire1 600,00 euros

lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter du jugement,

indemnité de procédure 5 000,00 euros

à M. [X] [M] :

- à titre personnel :

préjudice d'affection 1 600,00 euros

préjudice extra-patrimonial exceptionnel1 000,00 euros

- ès qualités de représentant légal de ses enfants mineurs :

préjudice moral de [S] [M]1 600,00 euros

préjudice moral de [M] [N]1 600,00 euros

à M. et Mme [M], ès qualités de représentants légaux de leurs enfants communs :

préjudice moral de [R] [M]1 600,00 euros

préjudice moral d'[J] [M]1 600,00 euros

à la CPAM des Yvelines :

prestations versées8 240,94 euros

état récapitulatif définitif4 120,47 euros

indemnité forfaitaire de gestion1 028,00 euros

- débouté Mme [M] du surplus de ses demandes indemnitaires,

- condamné M. et Mme [M] à payer au [Établissement 2] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné M. [F] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Mme [M] en a relevé appel le 23 décembre 2014.

Les consorts [M] dont [S] [M], devenue majeure, prient la cour, par dernières écritures du 23 novembre 2016, de :

- confirmer le jugement déféré en ce que M. [F] a été jugé responsable des dommages causés par sa faute dans le suivi de la complication post-opératoire,

infirmant sur le surplus,

- juger que M. [F] est entièrement responsable de l'accident thérapeutique subi par Mme [M],

- ordonner une nouvelle expertise afin d'évaluer les séquelles imputables à l'intervention,

- condamner M. [F] à payer :

à Mme [M], à titre provisionnel280 000,00 euros

à M. [M],62 032,95 euros

à M. [M],

ès qualités de représentant légal de [S] [M]20 000,00 euros

à M. et Mme [M], ès qualités de représentants légaux des mineurs :

[M] [N]20 000,00 euros

[R] [M]20 000,00 euros

[J] [M]20 000,00 euros

aux consorts [M],

au titre de l'article 700 du code de procédure civile6 000,00 euros

Par dernières écritures du 16 novembre 2016, le docteur [F] demande à la cour de :

- juger qu'il n'a pas commis de faute en relation de causalité avec les préjudices dont il est demandé réparation,

- débouter les consorts [M] et la CPAM des Yvelines de toutes leurs demandes,

subsidiairement, si le principe de sa responsabilité était retenu,

- juger qu'il ne sera tenu de réparer qu'une perte de chance de 20 % d'éviter les dommages survenus postérieurement au 23 mai 2009,

- fixer les indemnisations des préjudices invoqués à des montants bien inférieurs à ceux réclamés.

Par conclusions du 23 juin 2015, la CPAM des Yvelines demande à la cour de :

- déclarer le docteur [F] entièrement responsable de l'accident thérapeutique subi par Mme [M],

- le condamner à rembourser intégralement la caisse de la somme de 50 332,87 euros

- étant constaté qu'elle a été payée de la somme de 5 150,95 euros, le condamner à lui payer la somme résiduelle de 46 212,40 euros

avec intérêts à compter de l'état récapitulatif du 21 octobre 2013,

- le condamner à lui payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile

la somme de 2 000,00 euros

Par conclusions du 18 décembre 2015, le [Établissement 1], anciennement dénommé [Établissement 2], demande à la cour de :

- confirmer sa mise hors de cause,

- confirmer la condamnation des consorts [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à son profit,

- subsidiairement, condamner le docteur [F] à le garantir de toute éventuelle condamnation,

- condamner les consorts [M] à lui payer une indemnité complémentaire de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2016.

SUR QUOI, LA COUR :

Mme [M], souhaitant la pose d'un anneau gastrique, a consulté d'elle-même le docteur [F] à la suite d'une remarque de son fils. Il lui a néanmoins été proposé une gastrectomie, dont elle a accepté le principe et qu'elle a subie le 26 janvier 2009. Elle est sortie de la clinique le 30 janvier 2009 et a dû être ré-hospitalisée une semaine plus tard, le 8 février 2009, en raison d'un abcès sous-phrénique gauche par fistule. Une nouvelle intervention chirurgicale d'évacuation et de drainage s'est déroulée le 11 février 2009. Elle est retournée à son domicile le 25 février 2009. Compte-tenu de la persistance d'une collection purulente sous le diaphragme, un nouveau drainage avec soins associés a été pratiqué. Mme [M] a été ré-hospitalisée le 7 avril 2009 pour un syndrome douloureux et fébrile de l'hypochondre gauche. Une autre intervention d'évacuation et de drainage a été pratiquée le 8 avril 2009, Mme [M] est rentrée à son domicile le 11 avril 2009. Elle a été ré-hospitalisée le 16 avril 2009 et réopérée le 17 avril 2009 avec pose d'une endoprothèse oesophagienne. Hospitalisée dans le service de chirurgie, elle a été admise le 24 avril 2009 en réanimation polyvalente en raison d'un malaise grave. Elle a quitté l'hôpital le 14 mai 2009, puis réhospitalisée le 22 mai 2009, pour extraction de son endoprothèse oesophagienne. Elle explique qu'elle est restée alors en fauteuil roulant, compte tenu de son état de faiblesse, qu'elle a toujours des écoulements répétés par un orifice cutané abdominal. Elle indique qu'elle s'est alimentée très peu et a pesé environ 44 kilos. Elle précise que, contacté par téléphone à cette période, le docteur [F] l'a rassurée en lui précisant qu'ils se reverraient en août. Elle s'est cependant présentée aux urgences de l'hôpital de [Localité 3], le 5 août 2009, compte-tenu de l'apparition d'une fièvre importante. Elle y a subi une intervention de drainage sous anesthésie générale, puis, le 9 octobre 2009, une gastro-jéjunostomie. Elle a quitté l'hôpital le 19 octobre 2009 avec un traitement médicamenteux. Depuis, elle déclare qu'elle est astreinte à un régime alimentaire très strict et a dû s'alimenter très souvent dans la journée par petites quantités. Elle indique avoir été ré-hospitalisée du 10 au 14 janvier 2011 et précise qu'il a été mis en évidence un germe klebsiella pnemoniae responsable d'infections urinaires. Bien qu'ayant conclu pour la dernière fois le 23 novembre 2016, elle ne fournit aucune indication sur son état de santé entre janvier 2011 et novembre 2016, alors pourtant qu'elle conteste la date de consolidation proposée par l'expert.

Sur la responsabilité :

Le tribunal a retenu que ni le principe ni la mise en oeuvre de l'intervention n'étaient fautifs, puisque cette dernière n'était pas, au regard du tableau clinique présenté par Mme [M], contre-indiquée, qu'elle a été réalisée dans les règles de l'art, mais que la prise en charge post opératoire, marquée par l'apparition d'une fistule constitutive d'un aléa thérapeutique, avait été défaillante faute de suivi suffisant à ce stade par M. [F], justifiant une indemnisation par ce dernier de 20 % des dommages subis.

Mme [M] reproche au docteur [F] de lui avoir proposé une intervention non justifiée, constitutive d'une solution de dernière chance, alors que ni la gravité de son obésité, sans comorbidités associées, ni son âge n'excluaient des thérapeutiques moins lourdes, telles qu'un régime ou la pose d'un anneau gastrique, et ce en contradiction avec les recommandations de bonnes pratiques émanant de la Haute Autorité de Santé (HAS). Elle considère qu'elle n'a été informée ni de la nécessité d'une supplémentation à vie, ni des contraintes alimentaires impliquées par l'intervention, ni de l'existence d'alternatives sérieuses moins lourdes. Enfin, elle fait valoir que le suivi postérieur à l'apparition de la fistule a été totalement défaillant.

M. [F] rappelle que sa patiente a reconnu devant l'expert avoir reçu et compris une information complète tant sur le geste opératoire que ses risques, et qu'elle a bénéficié d'un délai de réflexion de plus de deux mois. Il observe qu'elle a reconnu devant l'expert ne pas regretter d'avoir subi cette intervention, et ne former de griefs que sur le suivi postopératoire. Il fait valoir que l'intervention, en effet 'limite', se justifiait dans la mesure où son obésité avait un net retentissement sur la qualité de vie de la patiente, et où l'existence de recommandations de la HAS ne prive pas le médecin de toute faculté d'appréciation. Il considère que la prise en charge du suivi de la fistule ne peut faire l'objet de critiques pertinentes, puisque Mme [M] était suivie par son médecin traitant, et qu'aucun épisode fébrile n'a existé jusqu'à la survenance de celui d'août 2009 qui a conduit à une nouvelle hospitalisation de la patiente.

***

Les éléments essentiels du rapport d'expertise sont les suivants :

Lors de la décision thérapeutique, Mme [M] pesait près de 104 kilos. Elle a précisé à l'expert qu'elle n'avait pas de suivi nutritionnel ni de discussions sur ce point avec son médecin traitant.

Elle a subi une gastrectomie verticale en manchette de réduction réalisant une gastroplastie verticale calibrée. Cette intervention a été compliquée d'une fistule ayant conduit à plusieurs réinterventions, à raison d'infections récidivantes, jusqu'au 14 mai 2009, date à laquelle les soins à domicile se sont poursuivis. Un rendez-vous convenu en août 2009 n'a pas eu lieu, la patiente étant réhospitalisée pour un nouvel abcès en août 2009 à l'hôpital de [Localité 3], jusqu'à mi octobre 2009.

Elle s'est plainte auprès de l'expert d'un affaiblissement important, avec malaises, diarrhées continues, chutes de cheveux, perte de la libido, mais a indiqué ne pas regretter d'avoir subi l'opération, reprochant seulement au docteur [F] de ne pas l'avoir confiée plus tôt à une autre équipe (pour le traitement de la fistule).

L'indication opératoire a été qualifiée de 'limite' car Mme [M] n'avait pas de signe objectif sur le plan clinique et morphologique de comorbidité, ne présentant ni hypertension artérielle, ni diabète, ni troubles ostéo-articulaires ou respiratoires. Son indice de masse corporelle était de 35 kg/m², ce qui représente une obésité pathologique.

L'information donnée à la patiente a été complète, l'intervention initiale et celles correspondant au traitement de la fistule ont été menées conformément aux données de la science, jusqu'au 22 mai 2009.

En ce qui concerne la période du 23 mai au 6 août 2009, on note un grand vide, alors qu'il aurait été souhaitable que Mme [M] soit revue régulièrement par le docteur [F]. Il n'y a pas eu pendant cette période d'épisode septique ou de fièvre, en dehors de celui survenu le 5 août 2009, qui a conduit à une nouvelle hospitalisation.

Dans son pré-rapport, l'expert a conclu que l'indication opératoire limite et le défaut de prise en charge post-opératoire de la complication à compter du 23 mai 2009 constituaient un manquement dans la prise en charge de Mme [M], rendant les dommages subis imputables au docteur [F] à hauteur de 50 %.

A la suite des dires des parties, il a revu cette appréciation en retenant seulement 20 % des dommages compte tenu du seul défaut de prise en charge pour la période du 23 mai au 5 août 2009.

***

Aucun grief n'est exprimé en ce qui concerne la réalisation de l'intervention proprement dite.

Sur l'indication opératoire :

Mme [M] reproche dans ses écritures au docteur [F] de lui avoir proposé immédiatement une opération chirurgicale, alors que des thérapeutiques moins agressives, telles qu'un suivi diététique et un régime, n'avaient pas été tentées, et, alors qu'elle souhaitait la pose d'un anneau gastrique, de lui avoir imposé une intervention plus radicale, irréversible comportant des risques supérieurs en obtenant son consentement sur la base d'une information fallacieuse, non conforme aux préconisations de la HAS (Haute Autorité de Santé).

Le docteur [F] réplique qu'un délai de deux mois a été laissé à la patiente, au cours duquel ont été organisés tant une concertation pluridisciplinaire avec un médecin psychiatre et un endocrinologue, que divers examens, qu'une indication 'limite' n'est pas pour autant illicite, et que les préconisations de la HAS n'ont pas pour effet de priver les médecins de toute faculté d'appréciation. Il ajoute que la gastrectomie longitudinale qu'il a pratiquée est actuellement généralement préférée à la pose d'un anneau gastrique dans la mesure où les complications semblent statistiquement moindres et où les résultats, en termes de perte de poids pérenne, paraissent supérieurs.

***

Sont produits deux documents émanant de la HAS, soit un avis daté de février 2008 préconisant l'inscription de la gastrectomie sur la liste des actes remboursables par l'Assurance maladie, et des recommandations de janvier 2009 sur la prise en charge chirurgicale de l'obésité chez l'adulte.

Aux termes du premier document, la HAS a émis un avis favorable à l'inscription de cette intervention à la liste des actes remboursables par l'Assurance maladie. La gastrectomie longitudinale constitue donc une option thérapeutique pour des patients obèses ayant un IMC (indice de masse corporelle) inférieur à 50 et éligibles à une chirurgie de l'obésité selon les recommandations internationales (soit les patients obèses ayant un IMC supérieur à 35 avec comorbidités). Plus précisément, la HAS a retenu que, si les données étaient insuffisantes pour affirmer la supériorité de la gastrectomie sur sur la gastroplastie par anneau, en termes de résultats pondéraux, il a été souligné que les patients avaient un meilleur confort alimentaire après gastrectomie. Il a été indiqué que les complications opératoires précoces étaient jugées potentiellement plus graves qu'après anneau gastrique, mais plus rares, au-delà du premier mois postopératoire, que la gastrectomie permettait de s'affranchir des procédures itératives de modulation du défilé gastrique que nécessitent les gastroplasties par anneau, et que l'avantage de la réversibilité de la gastroplastie a été remis en question au regard de l'aspect définitif de l'obésité sévère.

Cet avis ne permet dès lors pas de remettre en cause l'option de principe prise par le docteur [F], ayant consisté à proposer à sa patiente une gastrectomie au lieu de la gastroplastie qu'elle sollicitait.

Le second document est daté de janvier 2009. Il contient une liste des conditions dans lesquelles une chirurgie bariatrique est indiquée, et qui sont les suivantes :

- patient avec IMC supérieur ou égal à 35 kg/m², associé à au moins une comorbidité susceptible d'être améliorée par la chirurgie (maladies cardio-vasculaires, troubles respiratoires sévères, maladies ostéoarticulaires invalidantes),

- en deuxième intention après échec d'un traitement médical, nutritionnel, diététique et psychothérapeutique,

- patients bien informés au préalable, ayant bénéficié d'une évaluation et d'une prise en charge préopératoire pluridisciplinaire,

- patient ayant compris et accepté la nécessité d'un suivi médical et chirurgical à long terme,

- risque opératoire acceptable.

Il ne peut être reproché au docteur [F] de n'avoir pas strictement appliqué ces préconisations, d'une part parce qu'elles ont été publiées concomitamment à l'intervention, et qu'il pouvait donc ne pas les connaître, et d'autre part et surtout parce qu'elles ne constituent que des règles non contraignantes de bonne pratique, et ne font pas obstacle à l'adoption par le médecin de solutions différentes, dans le cadre de son appréciation propre du traitement le plus adapté au cas précis de son patient. Au demeurant, elles ont été respectées dans leur esprit.

En effet, l'indication opératoire a été qualifiée de 'limite' par l'expert car Mme [M], présentant un IMC de 35, n'avait pas de signe objectif sur le plan clinique et morphologique de comorbidité, ne présentant ni hypertension artérielle, ni diabète, ni troubles ostéo-articulaires ou respiratoires. Son indice de masse corporelle était de 35 kg/m², ce qui représente une obésité pathologique. Il est néanmoins fait état, dans les différents courriers échangés par les médecins (docteur [I] notamment) de facteurs de risque cardio-vasculaire puisque sont relevés un tabagisme, une hypercholestérolémie et un périmètre abdominal de 117 cm, ainsi que de douleurs ostéo-articulaires, de troubles respiratoires et de reflux gastro-oesophagien.

Est également noté que le problème de poids est ancien puisqu'apparu vers la menarche (âge des premières règles) et que les tentatives de régimes restrictifs se sont soldées par des échecs constants.

Le docteur [F] a justement souligné qu'il convenait d'apprécier la prise en charge globale de la patiente, ce qui constitue également une préconisation de la HAS. En l'espèce les documents médicaux produits montrent que l'incidence de son obésité sur la qualité de vie de Mme [M] était importante, et que ses doléances au cours des consultations chez l'endocrinologue et le psychiatre pouvaient laisser penser que, si les comorbidités sévères évoquées par la HAS n'étaient pas alors présentes, elles avaient de fortes chances de survenir ultérieurement.

Le docteur [F] a demandé à sa patiente, ainsi que préconisé par les recommandations de la HAS, de rencontrer un psychiatre et un endocrinologue, dont les avis favorables sont produits et dont il n'est nullement démontré qu'ils aient été de complaisance. Par ailleurs, aucune forme n'étant exigée pour la décision pluridisciplinaire requise, ces consultations et les avis favorables recueillis ont justement été jugés suffisants pour que soit considérée comme satisfaite l'exigence de concertation pluridisciplinaire.

Mme [M], qui était décidée à traiter son obésité par une intervention, a d'ailleurs elle-même souligné ne pas regretter l'opération, reprochant seulement au docteur [F] de ne pas l'avoir adressée à une autre équipe après survenance de la fistule, malgré les demandes réitérées de son époux.

Il convient de relever en outre que l'expert, après avoir dans son pré- rapport paru retenir que l'indication de l'intervention était excessive en l'absence de comorbidités objectivées, a abandonné cette appréciation, en retenant, dans son rapport définitif, que seule la prise en charge de la complication postopératoire était critiquable.

En ce qui concerne l'exposition à un risque anormal, l'avis précité de la HAS de février 2008 montre que les risques opératoires sont de nature différente, et ne conclut pas, en particulier, que la gastroplastie soit préférable. Ce grief ne peut donc être retenu.

L'expert a certes relevé que la demande d'entente préalable avec la caisse d'assurance maladie a été rédigée dès le premier rendez-vous. Cet élément ne suffit cependant pas à démontrer que la décision finale de l'intervention a été prise dès ce moment, alors surtout que la patiente a déclaré le contraire à l'expert, qu'un délai de près deux mois a séparé la consultation initiale de l'intervention, et que ce délai a été mis à profit pour des consultations auprès d'un psychiatre et d'un endocrinologue. Il ne peut donc être retenu que la décision a été prise avec une précipitation préjudiciable à une réelle évaluation de la situation de la patiente.

Ainsi, en l'état des pièces produites, qui font apparaître que l'obésité de Mme [M] était ancienne, rebelle aux régimes, sévère et vraisemblablement définitive, et que cette dernière, très jeune, ne présentait pas de risque opératoire particulier, il ne peut être reproché au docteur [F] d'avoir proposé une gastrectomie, étant observé qu'il a respecté l'essentiel du protocole prévu en la matière, notamment en prenant l'avis d'autres spécialistes de disciplines différentes, et en s'attachant à appréhender dans sa globalité l'intérêt de sa patiente, jeune mère de trois enfants.

Le tribunal sera donc approuvé d'avoir retenu que la proposition puis la mise en oeuvre d'une gastrectomie n'était pas fautive.

Sur le devoir d'information :

L'expert ne l'a pas retenu.

Mme [M], qui le conteste désormais, a indiqué à l'expert que le docteur [F] l'a informée de certains risques dont elle a oublié le détail et lui a expliqué que l'intervention consistait en une réduction de l'estomac, schéma à l'appui. Elle a admis avoir été informée du risque de carences vitaminiques. Elle a toujours indiqué avoir été déterminée à subir une opération et précisé avoir pris la décision de subir l'intervention proposée (qui ne correspondait pas à sa demande initiale) à l'issue des deux consultations avec le docteur [F]. Elle admet encore avoir reçu un document d'information qu'elle produit, et dont la lecture révèle qu'il traite bien de toutes les possibilités d'interventions, en termes clairs, sans aucunement masquer le risque de fistule notamment, et en indiquant un pourcentage de complications de 5 % quasi égal à celui mentionné dans l'avis de la HAS. Est expressément indiqué qu'il s'agit d'une intervention tendant à une malabsorption.

Aucun manquement à l'obligation d'information du médecin n'est ainsi démontré.

Sur le suivi postopératoire :

Il n'est pas contesté que la survenance d'une fistule postopératoire constitue un aléa thérapeutique. Le docteur [F] n'a donc pas à en répondre. Devant l'expert, Mme [M] a seulement reproché au docteur [F] de ne pas l'avoir confiée plus tôt à une autre équipe. Le docteur [F] a reconnu une erreur d'optimisme sur l'évolution favorable de la fistule.

Mme [M] reproche dans ses écritures au docteur [F] une mauvaise prise en charge de la fistule, bien avant la date retenue par l'expert, soit le 23 mai 2009, considérant que la prise en charge par le docteur [F] dès la manifestation de la complication, avait été inopérante.

L'expert a répondu sur ce point de manière précise en page 22 de son rapport, et aucune contestation argumentée n'a été formulée par les consorts [M] sur ce point, que ce soit par voie d'observations sur le pré-rapport ou dans leurs écritures.

Les conclusions du rapport d'expertise seront donc retenues en ce qui concerne l'absence de faute du docteur [F] avant le 23 mai 2009.

En revanche, l'expert s'est montré tout aussi formel sur la carence fautive du docteur [F] passé cette date, et jusqu'au moment où Mme [M] a été prise en charge par le centre hospitalier de [Localité 3], soit le 5 août 2009, en relevant qu'il n'y avait eu aucun suivi effectif par le docteur [F] pendant cette période.

Ce dernier fait valoir qu'il n'y a eu aucun syndrome septique ou fièvre pendant cette période, en sorte que la décision de réintervention prise à [Localité 3] consistant en un nouveau drainage, le 6 août 2009, n'aurait pu être prise plus tôt.

Mme [M] a indiqué à l'expert avoir consulté son médecin traitant à trois reprises pendant cette période. Elle n'était donc pas dépourvue de tout suivi médical. Or les pièces produites (notamment n° 9 des consorts [M]) établissent les relations amicales existant entre le médecin traitant de Mme [M] et le docteur [F], en sorte qu'il eût été facile au premier de consulter ce dernier s'il avait été inquiet. L'expert indiquant, sans être contesté sur ce point, qu'une fistule met entre 3 et 12 mois à guérir, les écoulements observés par Mme [M] pendant cette période ne présentaient pas de caractère inquiétant en eux-mêmes, ce qui n'est d'ailleurs pas prétendu. Force est de constater que l'expert ne précise pas les soins qui auraient dû ou pu être pratiqués par le docteur [F] à ce moment là, et dont la nécessité n'aurait pu être détectée par le médecin traitant et les consorts [M] n'apportent pas la moindre précision non plus.

Ainsi, rien ne permet de contredire le docteur [F] sur le fait que, même s'il avait suivi de manière effective et personnelle Mme [M] pendant la période considérée, il n'aurait pas été légitime à réintervenir plus précocement pour opérer un nouveau drainage, finalement mis en oeuvre par l'hôpital de [Localité 3]. Il n'est d'ailleurs soutenu par personne que l'intervention de gastro-jéjunostomie du 9 octobre 2009 aurait pu être pratiquée plus tôt ou au contraire évitée si le suivi de la patiente avait été exercé personnellement par le docteur [F]. S'il est vrai que le compte-rendu d'hospitalisation du 19 octobre 2009 de l'hôpital de [Localité 3] montre que la fistule était toujours présente avant les deux dernières interventions (à [Localité 3]), rien ne permet d'imputer sa persistance à une insuffisance du suivi de la patiente, notamment entre le 23 mai et le 5 août 2009, et en particulier à une attitude thérapeutique fautivement attentiste du docteur [F] ou du médecin traitant, qui n'est pas relevée par l'expert. Ainsi, la conclusion de l'expert selon laquelle le suivi par le docteur [F] de sa patiente entre le 23 mai et le 5 août 2009 a été insuffisant, correspond à une appréciation de pur principe, insuffisamment étayée pour pouvoir être retenue.

En outre, en se bornant à proposer que soit mis à la charge du docteur [F] un pourcentage global des préjudices subis, y compris ceux afférents à une période antérieure à la faute relevée (déficit fonctionnel temporaire total et partiel), l'expert exclut implicitement l'existence de tout préjudice en lien de causalité avec l'absence de suivi par le docteur [F] lui-même, qui seul serait à mettre à la charge de ce dernier. Les consorts [M] quant à eux n'explicitent pas davantage quel serait ce préjudice.

Ainsi, à défaut de tout grief spécifiquement lié à la carence personnelle du docteur [F] pendant la période considérée, formulé par les consorts [M], et de tout préjudice invoqué comme étant en lien de causalité avec la faute alléguée, les demandes indemnitaires des consorts [M] ne peuvent qu'être rejetées.

Le jugement sera donc infirmé tant sur le principe de la responsabilité du docteur [F], que sur les indemnisations qui ont été accordées aux consorts [M].

Sur les autres demandes :

Le principe de l'indemnisation des consorts [M] étant écarté, il n'y a pas lieu à expertise.

Aucune demande n'étant formée contre le [Établissement 1], anciennement dénommé [Établissement 2], sa mise hors de cause sera confirmée.

La responsabilité du docteur [F] n'étant pas retenue, le jugement sera infirmé sur les condamnations prononcées au profit de la CPAM des Yvelines.

Aucune considération d'équité ne justifie l'application de l'article 700 du code de procédure civile en la cause.

Les consorts [M], qui succombent, supporteront les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré sur la mise hors de cause du [Établissement 1], anciennement dénommé [Établissement 2] et le rejet de la demande de nouvelle expertise,

Infirmant sur le surplus et statuant à nouveau,

Déboute Mme [C] [M] et M. [X] [M] tant à titre personnel qu'ès qualités de représentants légaux des enfants mineurs [R] et [J] [M], et [M] [N], ainsi que Mme [S] [M] de toutes leurs demandes,

Rejette le surplus des demandes,

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Mme [C] [M] et M. [X] [M], tant à titre personnel qu'ès qualités de représentants légaux des enfants mineurs [R] et [J] [M] et [M] [N], ainsi que Mme [S] [M] aux dépens de première instance et d'appel, avec recouvrement direct.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 14/09204
Date de la décision : 26/01/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°14/09204 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-01-26;14.09204 ?
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