COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59C
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 SEPTEMBRE 2016
R.G. N° 14/05459
AFFAIRE :
[Q] [T] épouse [K]
...
C/
SAS RELAIS TENDRESSE GAZERAN
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Juillet 2014 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 04
N° RG : 13/01995
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Frédérique FARGUES
Me Aude GONTHIER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
1/ Madame [Q] [T] épouse [K]
née le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 1] (ESPAGNE)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 3]
2/ Monsieur [F], [B] [T]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 2] (28)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Adresse 8]
Représentant : Me Frédérique FARGUES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 138
APPELANTS
****************
1/ SAS RELAIS TENDRESSE GAZERAN
N° SIRET : 393 283 494
[Adresse 7]
[Adresse 5]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
2/ La SMACL ASSURANCES
N° SIRET : 301 309 605 004
[Adresse 2]
[Adresse 6]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Aude GONTHIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 395 - N° du dossier 2012416
Représentant : Me Rozenn GUILLOUZO de la SELARL DBC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0180
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Juin 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise BAZET, Conseiller chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET
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FAITS ET PROCEDURE
Le 14 septembre 2009, un contrat d'hébergement a été signé entre [G] [T], alors âgée de 83 ans, et l'établissement Relais Tendresse Gazeran, résidence médicalisée pour personnes âgées, pour une durée de 13 jours, du 14 au 26 septembre 2009.
Le 23 septembre 2009, alors qu'elle se trouvait aux toilettes, elle a fait une chute qui a entraîné une plaie du cuir chevelu et une fracture de la jambe droite. Elle a été hospitalisée, pour une durée de cinq jours, au centre hospitalier de [Localité 3] puis de nouveau prise en charge au sein de l'établissement Relais Tendresse. Elle est rentrée à son domicile le 18 décembre 2009, toujours immobilisée et sous traitement anticoagulant. Elle est décédée le [Date décès 1] 2010.
Considérant que la responsabilité de l'établissement Relais Tendresse était engagée à raison de la chute, [Q] [K], sa fille, a sollicité une indemnisation auprès de l'assureur de l'établissement qui a considéré que la responsabilité de ce dernier n'était pas engagée dés lors que la preuve d'une faute n'était pas rapportée.
Par actes d'huissier délivrés les 7 et 11 mars 20111, deux des enfants de [G] [T], [Q] [T] épouse [K] et [F] [T], ont fait assigner la société Relais Tendresse Gazeran et la SMACL au visa de l'article 1382 du code civil en leur qualité de victimes par ricochet et de l'article 1147 du code civil en leur qualité d'héritiers de [G] [T], pour voir condamner l'établissement Relais Tendresse, in solidum avec son assureur, la société SMACL Assurances, à réparer leurs divers préjudices.
Par le jugement entrepris, le tribunal a rejeté les demandes formées par les consorts [T] et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts [T] ont interjeté appel de cette décision le 3 juillet 2014.
Dans leurs conclusions signifiées le 23 mai 2016, [Q] [K] et [F] [T] demandent à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant nouveau,
- constater le manquement de l'établissement Relais Tendresse à son obligation contractuelle de sécurité,
- condamner l'établissement Relais Tendresse, in solidum avec son assureur, la société SMACL Assurances, à payer à [Q] [K] en sa qualité de victime par ricochet, la somme de 6 300,88 euros en réparation de son préjudice matériel,
- condamner l'établissement Relais Tendresse, in solidum avec son assureur, la société SMACL Assurances, à payer aux consorts [T], en leur qualité de victimes par ricochet, la somme de 15 000 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral,
- dire recevable l'action successorale des consorts [T] pour le compte de la succession,
Avant dire droit sur le préjudice,
- désigner tel expert ayant pour mission d'évaluer le préjudice corporel subi par Mme [T] au visa de son dossier médical,
- condamner l'établissement Relais Tendresse, in solidum avec son assureur, la société SMACL Assurances, à payer aux consorts [T] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs conclusions signifiées le 15 décembre 2014, la société Relais Tendresse Gazeran et la société SMACL Assurances demandent à la cour de :
A titre principal,
- juger que la société Relais Tendresse Gazeran n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité de moyen,
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
- si la cour reconnaissait un manquement de la société Relais Tendresse Gazeran à son obligation de sécurité, dire que ce manquement n'a pas de lien de causalité avec le préjudice subi par Mme [K] et M. [T],
Par conséquent,
- débouter Mme [K] et M. [T] de l'ensemble de leurs demandes,
A titre très subsidiaire,
- si la cour reconnaissait un lien de causalité et condamnait la société Relais Tendresse Gazeran au titre d'un manquement à son obligation de sécurité, réduire à de plus justes proportions le montant de la réparation au titre du préjudice moral subi par Mme [K] et M. [T],
- ordonner une expertise médiale afin de déterminer les préjudices subis par [G] [T],
En tout état de cause,
- condamner [Q] [K] et [F] [T] à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions notifiées aux dates mentionnées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 mai 2016.
SUR QUOI, LA COUR
Le tribunal a jugé que les consorts [T] ne rapportaient pas la preuve d'un manquement de la société Relais Tendresse Gazeran à son obligation de sécurité dés lors qu'une aide-soignante était à grande proximité de [G] [T] même si elle n'était pas juste à ses côtés afin de préserver son intimité, que la présence d'une barre d'appui était sans incidence sur la chute et que le fait que [G] [T] soit classée en GIR2 ne démontre pas qu'elle ne pouvait pas utiliser les toilettes.
Les consorts [T] affirment que l'établissement qui a reçu leur mère connaissait son état de dépendance classé en GIR 2 et qu'il a commis deux fautes, résultant d'une part de l'absence d'une barre d'appui à une distance utile des toilettes, celle située dans l'encadrement de la douche n'étant pas fixée à la distance réglementaire et ne pouvant être utilisée par une personne se trouvant aux toilettes et d'autre part par le défaut de surveillance de l'aide-soignante.
La société Relais Tendresse Gazeran et son assureur soutiennent en substance que la chute de [G] [T] est intervenue alors que sa surveillance était effective et qu'une barre d'appui était fixée à la distance réglementaire. Subsidiairement, ils affirment qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice moral consécutif au décès de Mme [T] survenu six mois après sa chute.
* * *
Aux termes des dispositions de l'article 1147 du code civil, il incombe aux consorts [T], qui recherchent la responsabilité de la société Relais Tendresse Gazeran, de rapporter la preuve d'un manquement de sa part à son obligation de sécurité de moyens, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ledit manquement et le préjudice.
Il est constant que le 14 septembre 2009, [G] [T], âgée de 83 ans, a été admise au sein de la résidence médicalisée la société Relais Tendresse Gazeran pour une durée de 12 jours, son époux, né en 1925, devant s'absenter quelques jours. Si Mme [T] se déplace en fauteuil roulant et n'est pas autonome pour la plupart des activités de la vie courante, les consorts [T] n'allèguent pas qu'elle ne pouvait pas utiliser les toilettes et au demeurant son mari atteste qu'à leur domicile commun, elle s'y rendait, même s'il précise qu'il l'accompagnait.
En annexe au contrat d'hébergement du 14 septembre 2009, il est mentionné que les prestations liées à la dépendance correspondant au GIR2 comprennent notamment l'aide à la prise des repas, à l'habillage et aux déplacements. Il s'en déduit que dans la journée la résidente pouvait utiliser les toilettes, avec l'assistance d'une tierce personne. Il doit être tenu compte que même si la personne dépendante a besoin d'être assistée, son intimité et sa dignité doivent être préservées dans toute la mesure du possible. Les consorts [T] ne peuvent donc être suivis lorsqu'ils affirment étonnamment que dés lors que Mme [T] était porteuse d'une couche durant la nuit, la nécessité de l'enlever le matin 'mettait à néant toute possibilité du respect de l'intimité'.
Les photographies versées aux débats établissent que contrairement à ce qui avait été soutenu devant les premiers juges et à ce qu'affirment les témoins dont les attestations sont produites, une barre d'appui rabattable est fixée au mur, entre la douche et les WC et les consorts [T] ne démontrent pas que celle-ci serait fixée de façon non conforme aux dispositions de l'arrêté du 1er août 2006 et à la circulaire du 30 novembre 2007, qui précisent la hauteur à laquelle la barre doit être située et qui donnent des recommandations quant à la distance séparant la cuvette de la barre. La façon dont Mme [T] est tombée, tête en avant alors qu'elle se penchait pour plier ses jambes douloureuses permet en tout état de cause de penser que la barre d'appui ne lui aurait été d'aucune utilité pour s'y rattraper.
Il n'est pas contesté que l'aide-soignante, [J] [P], se trouvait dans la même pièce que Mme [T] lorsque celle-ci était aux toilettes et qu'elle se tenait devant le lavabo. Les photographies versées aux débats permettent de considérer que du fait de la petite taille de la pièce, l'aide-soignante était très proche de l'intéressée. Dans son attestation, elle déclare qu'elle avait, avec l'aide d'une collègue, installé Mme [T] sur la cuvette munie d'un rehausseur, que la barre d'appui, à gauche de la cuvette, était comme à l'accoutumée abaissée et qu'elle avait positionné le fauteuil roulant à droite de la cuvette, en position freinée, de telle sorte que la résidente ne pouvait basculer sur l'un des côtés. [J] [P] précise que par égard pour son intimité, elle lui tournait le dos, préparant les produits nécessaires à sa toilette. Elle avait alors vu Mme [T] se pencher plus bas et s'était retournée, mais la chute s'était déjà produite.
Dés lors qu'il est établi que l'aide-soignante était présente, à très grande proximité de Mme [T] compte tenu de la configuration de la pièce, il ne saurait être reproché à l'aide-soignante que, par respect pour la dignité et l'intimité de Mme [T], dont il n'est pas contesté qu'elle avait conservé ses facultés intellectuelles, elle lui ait tourné le dos, et ce d'autant que la glace située au-dessus du lavabo lui avait permis de voir l'instant où la patiente se penchait.
C'est en conséquence par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a jugé que la chute de Mme [T] n'était pas la conséquence d'une défaillance dans l'organisation et le fonctionnement de l'établissement qui l'hébergeait ou d'une inadéquation de ses installations.
Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Relais Tendresse Gazeran et la SMACL, unis d'intérêts, sont fondés à demander l'allocation de la somme de 3 000 euros.
Les consorts [T] seront condamnés aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne [Q] [K] et [F] [T] à payer à la société Relais Tendresse Gazeran et la SMACL la somme de 3 000 euros en remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel,
Condamne [Q] [K] et [F] [T] aux dépens d'appel.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,