COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 61B
3e chambre
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 30 JUIN 2016
R.G. N° 14/04398
AFFAIRE :
SA UCB PHARMA
C/
[Z], [R], [O], [P] [P] divorcée [K]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Avril 2014 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° chambre : 2
N° RG : 12/12349
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Pierre GUTTIN
Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS
Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TRENTE JUIN DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA UCB PHARMA
RCS Nanterre n° 562 079 046
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
prise en la personne de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège
Représentant : Me Pierre GUTTIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 - N° du dossier 14000235
Représentant : Me SPORTES de la SELARL HAUSSMANN Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
1/ Madame [Z], [R], [O], [P] [P] divorcée [K]
née le [Date naissance 1] 1965
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 001861
Représentant : Me VERDIER de la société VERDIER & Associés, Plaidant, avocat au barreau d'ORLEANS
INTIMEE
2/ MGEN
[Adresse 3]
[Localité 1]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE
3/ SAS GLAXOSMITHKLINE SANTE GRAND PUBLIC dont le siège social est sis [Adresse 4], RCS 672 012 580, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, venant aux droits de la société NOVARTIS SANTE FAMILIALE, à la suite de l'apport en nature de l'intégralité de ses titres à Glaxosmithkline Santé Grand Public, par décision de son associé unique en date du 22 décembre 2015, suivi de sa dissolution sans liquidation à effet au 1er février 2016
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1453359
Représentant : Me AYNES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS substituant Me Jean-Pierre GRANDJEAN, avocat au barreau de PARIS
INTERVENANTE VOLONTAIRE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Mai 2016, Madame Véronique BOISSELET, Président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier en pré-affectation, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET
----------
Mme [Z] [P], née le [Date naissance 1] 1965, alléguant avoir été exposée in utero au diethylstilboestrol (DES), a, par actes du 23 juin 2009, assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société UCB Pharma (UCB Pharma) et la MGEN en réparation de ses préjudices. La société Novartis Santé Familiale, devenue Glaxosmisthkline Santé Grand Public, a été assignée en intervention forcée par UCB Pharma. La MGEN a également été appelée à la procédure.
Par jugement du 10 avril 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a :
- déclaré les sociétés UCB Pharma et Novartis responsables in solidum des dommages résultant de l'exposition au DES de Mme [P],
- dit que la société UCB Pharma contribuera à la dette à hauteur de 95 % et la société Novartis à hauteur de 5 %,
- condamné in solidum les sociétés UCB Pharma et Novartis à payer à Mme [P] la somme de 104 580 euros en réparation de ses préjudices personnels, et celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les sociétés UCB Pharma et Novartis aux dépens, en ce compris les frais de consignation,
- ordonné l'exécution provisoire à hauteur des deux tiers,
- déclaré le jugement commun à la MGEN,
- débouté les parties de toutes autres demandes.
UCB Pharma en a relevé appel le 10 juin 2014, et prie la cour, par dernières écritures du 6 avril 2016, de :
- débouter Mme [P] et Glaxosmithkline de toutes leurs demandes contre elle,
- ordonner une nouvelle expertise confiée à un collège d'experts, qualifiés en gynécologie et anatomopathologie,
- subsidiairement, condamner in solidum avec elle Glaxosmithkline et juger que la part de la dette sera de 50 % pour chacune,
- débouter Mme [P] de ses demandes au titre des postes suivants :
frais médicaux, la conisation et l'hystérectomie n'étant pas imputables au DES,
frais de déménagement,
assistance d'un médecin conseil, à intégrer dans les frais irrépétibles,
perte de gains professionnels, puisqu'elle est liée à l'hystérectomie,
incidence professionnelle,
déficit fonctionnel temporaire, en lien avec l'hystérectomie,
souffrances endurées,
déficit fonctionnel permanent,
préjudice sexuel,
préjudice d'établissement,
préjudice spécifique.
- ramener l'indemnité de procédure à de plus justes proportions.
Par dernières écritures du 1er février 2016, Glaxosmithkline demande à la cour de :
- lui donner acte de son intervention volontaire en lieu et place de Novartis,
- à titre principal,
- débouter UCB Pharma et/ou Mme [P] de leurs demandes contre elle et la mettre hors de cause,
- condamner UCB Pharma ou Mme [P] à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement du 10 avril 2014,
- subsidiairement,
- ordonner une expertise confiée à un collège d'experts, composé d'un gynécologue obstétricien et d'un pharmacologue,
- subsidiairement, sur la contribution à la dette,
- juger que la contribution à la dette de GlaxoSmithKline Sante Grand Public est limitée à une proportion de 2,3 % du montant des sommes allouées à Mme [P], au prorata de sa part de marché,
- à défaut, confirmer le jugement en ce qu'il a réparti la charge de la dette entre UCB Pharma et Novartis, devenue glaxo, au prorata de leurs parts de marché respectives, et retenu une part de 5 % du montant des sommes allouées à Mme [P],
- débouter pour le surplus UCB Pharma de ses demandes,
- en tout état de cause, sur l'évaluation des dommages-intérêts,
- débouter UCB Pharma et Mme [P] de leurs demandes,
- juger subsidiairement que l'indemnisation de Mme [P] ne saurait excéder la somme de 56.500 euros (soit 1.299,50 euros, ou, à titre subsidiaire, 2.825 euros, à la charge de GlaxoSmithKline),
- enfin,
- condamner UCB Pharma à verser à GlaxoSmithKline la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- subsidiairement, dans l'hypothèse ou GlaxoSmithKline serait condamnée à payer à Mme [P] une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déduire de ce montant la somme de 1.500 euros versée par Novartis à Mme [P] à titre de provision ad litem,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Par dernières écritures du 6 avril 2006, Mme [P] demande à la cour de :
- déclarer UCB Pharma entièrement responsable du dommage par elle subi,
- la condamner à lui payer les sommes suivantes :
déficit fonctionnel temporaire3 500,00 euros
frais divers6 340,84 euros
pertes de gains actuels1 912,60 euros
souffrances endurées25 000,00 euros
incidence professionnelle10 000,00 euros
pertes de gains professionnels futurs602 082,00 euros
déficit fonctionnel permanent62 500,00 euros
subsidiairement, déficit fonctionnel incluant l'angoisse d'un cancer
82 500,00 euros
préjudice sexuel12 000,00 euros
préjudice d'établissement25 000,00 euros
préjudice d'anxiété20 000,00 euros
indemnité de procédure au titre de l'instance d'appel10 000,00 euros
- à défaut, confirmer le jugement en ce que UCB Pharma et Glaxosmithkline, venant aux droits de Novartis, ont été déclarées solidairement responsables du dommage, sauf à dire que les malformations utérines et cervicales, la stérilité et l'hystérectomie sont présumées en lien certain avec l'exposition au DES,
- subsidiairement, condamner in solidum UCB Pharma et Glaxosmithkline à lui payer les sommes ci-dessus détaillées,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- condamner in solidum UCB Pharma et Glaxosmithkline aux dépens, en ce compris les frais de consignation.
La MGEN, à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée à personne habilitée le 30 juin 2014, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 avril 2006.
SUR QUOI, LA COUR :
Le tribunal a retenu pour l'essentiel qu'existait un faisceau d'indices précis et concordants permettant d'établir l'exposition de Mme [P] à la molécule DES, sans qu'il soit cependant possible de déterminer si le produit absorbé par sa mère était du Distilbène commercialisé par UCB Pharma ou du Stilboestrol-Borne commercialisé par les laboratoires Borne, auxquels a succédé Novartis.
Considérant que les deux laboratoires avaient méconnu les avertissements contenus dans la littérature médico-scientifique, et ainsi manqué à leur obligation de vigilance en maintenant sur le marché un produit dont ils avaient les moyens de savoir que non seulement l'efficacité, mais également l'innocuité étaient depuis longtemps remises en cause, et qu'aucun d'eux ne rapportait la preuve que son produit de pouvait être à l'origine du préjudice, le tribunal a retenu leur responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
En ce qui concerne la répartition de la charge de la dette entre les deux laboratoires, le tribunal a jugé que, si les fautes commises étaient de même nature, l'obligation de vigilance pesant sur UCB Pharma était renforcée dans la mesure où sa part de marché était prépondérante, la mettant en situation de quasi-monopole, en sorte que la répartition de la charge du dommage devait s'opérer proportionnellement au risque pour chacun de l'avoir causé, risque qui ne pouvait s'évaluer qu'au regard de la part de marché de chacun des deux médicaments.
Il a fixé comme suit les différents postes de préjudice :
déficit fonctionnel temporaire2 975,00 euros
frais divers1 692,10 euros
pertes de gains actuels1 912,60 euros
souffrances endurées12 000,00 euros
incidence professionnelle7 500,00 euros
pertes de gains professionnels futursrejet
déficit fonctionnel permanent58 500,00 euros
préjudice sexuel10 000,00 euros
préjudice d'établissement10 000,00 euros
préjudice d'anxiété20 000,00 euros
indemnité de procédure10 000,00 euros
***
Sur la responsabilité :
A) Sur l'exposition au DES de Mme [P] :
La mère de Mme [P] a attesté, lors du déclenchement de la procédure, avoir pris du Distilbène au cours de sa grossesse. Son dossier médical n'a pu être retrouvé. Ces seuls éléments ne suffisent pas, près de 50 ans après, à établir l'exposition au Distilbène plutôt qu'au Stilboestrol Borne, commercialisé par les laboratoires Borne, auxquels a succédé Novartis puis Glaxosmisthkline. Il a ainsi justement été retenu que la spécialité contenant la molécule DES demeurait indéterminée.
Les experts (les docteurs [H] et [F]) ont conclu en revanche, après exploitation des examens réalisés entre 1996 et 2010 que :
Mme [P] présente une stérilité définitive liée à l'exposition in utero au DES. Les anomalies morphologiques et structurales de l'appareil génital sont responsables de cette stérilité : hypoplasie utérine majeure, hypoplasie du col de l'utérus. Ce sont des anomalies morphologiques très importantes, avec des conséquences majeures telles qu'une cavité utérine 'quasi virtuelle', ce qui empêche toute grossesse.
En outre, il a existé à partir de 1996 une adénose ayant nécessité une surveillance gynécologique régulière, puis une conisation, dont la surveillance a été rendue difficile par la morphologie du col, ce qui, compte tenu des difficultés de cicatrisation des tissus propres aux femmes exposées au DES, a conduit à une hystérectomie avec annexectomie bilatérale en mars 2010.
Selon les experts, ces anomalies sont imputables au DES, ainsi que l'hystérectomie.
Contrairement aux affirmations d'UCB Pharma, les experts ont répondu de manière précise au point 5 de la mission qui leur était impartie, qui consistait, en l'absence de preuve formelle d'exposition au DES, à dire si la pathologie constatée aurait pu survenir sans une telle exposition, ou s'il existe des éléments qui la rendent vraisemblable, et définir alors le degré de causalité. En effet les experts notent (p. 22 de leur rapport) que l'hypoplasie majeure de l'utérus est en relation directe et certaine avec l'exposition in utero au DES, que l'infertilité en découle, et qu'enfin l'adénose est en lien direct et certain avec l'exposition in utero au DES.
Il ne saurait être déduit du refus par Mme [P] de l'hystéroplastie d'agrandissement qui lui était proposée, ou d'un parcours de procréation médicalement assisté, que ses vaines tentatives pour parvenir à une grossesse, pour laquelle les médecins lui laissaient peu d'espoir, ne seraient pas suffisamment longues, étant rappelé qu'elles ont duré près de deux ans après consultation spécialisée.
Il est par ailleurs inexact que l'infection HPV a été imputée par les experts, même partiellement, à l'exposition au DES, ce qui est en effet une contre-vérité scientifique. En revanche, il a été relevé une fragilité particulière des tissus, liée, elle, à l'exposition au DES, qui en a rendu, dans le cas de Mme [P], le traitement plus incertain, en sorte qu'il a été considéré que l'hystérectomie totale avec annexectomie étaient en lien de causalité avec l'exposition au DES.
La question du tabagisme n'a, semble-t-il, pas été évoquée lors des dires aux experts, en sorte que la contestation formulée sur ce point est tardive.
Les experts se sont expliqués sur les différences entre les clichés hystérographiques et les constatations sur les pièces anatomo-pathologiques, en rappelant que les secondes sont des pièces 'fixées'.
En ce qui concerne la question d'une éventuelle stérilité de son époux, il y a lieu d'observer que ce dernier a, après son divorce d'avec Mme [P], eu un enfant avec une nouvelle compagne.
Enfin, s'il est vrai que les anomalies morphologiques constatées chez Mme [P] peuvent exister chez des femmes non exposées, les experts soulignent le cumul de ces anomalies chez Mme [P], qui ne peut, lui, s'expliquer que par l'exposition au DES, de surcroît attestée par la mère de Mme [P]. Elles ont d'ailleurs rappelé les appréciations non moins formelles de tous les praticiens ayant eu à connaître du cas de Mme [P].
En l'état de ces éléments, le tribunal sera approuvé d'avoir jugé que la preuve de l'exposition au DES, et de l'imputabilité des pathologies présentées, à savoir une stérilité primaire et la nécessité de subir une hystérectomie, était suffisamment rapportée, et la nécessité d'une nouvelle expertise n'est nullement établie.
B) Sur la faute des deux laboratoires :
La faute des laboratoires, au sens de l'article 1382 du code civil, seul fondement possible de la demande, et sans qu'il soit utile de recourir au principe de précaution instauré par la convention européenne des Droits de l'Homme, doit être établie à la période d'exposition au DES de Mme [P], soit mi 1964 et jusqu'en mai 1965.
Il est justement rappelé par Mme [P], qui cite à ce propos de nombreux éléments de jurisprudence pertinents, que la molécule DES a été fabriquée en vue du traitement des femmes qui avaient des difficultés pour mener à terme une grossesse, à partir de 1946, et considérée comme bénéfique jusqu'à une étude dite 'Dieckman' de 1953 qui a mis en doute son efficacité en vue de la prévention des fausses couches du premier trimestre. La littérature médicale montre que des études antérieures sur des animaux en 1938, 1939 et 1941 ont mis en évidence des effets indésirables tels que des cancers ou des anomalies morphologiques. Sur l'être humain, le lien a été fait avec la survenue de certains cancers du col de l'utérus ou du vagin chez des jeunes femmes exposées in utero (étude dite 'Herbst' de 1971) puis avec des anomalies utérines (1977). Il a cessé d'être prescrit en 1977.
S'il est exact que, comme le soutient UCB Pharma, les effets néfastes sur l'être humain du DES n'ont été démontrés qu'en 1977, il demeure que, depuis les années 1960, se trouvait posée la question de l'efficacité de la molécule DES et d'effets tératogènes constatés chez les animaux, et que son efficacité était mise en cause depuis 1953. Or les laboratoires ne démontrent pas avoir, à la période à laquelle Mme [P] a été exposée, c'est-à-dire en 1964 et 1965, tiré les conséquences de ces interrogations en avisant les prescripteurs des inconvénients constatés et des réserves que devait susciter la prescription de ce produit.
Le tribunal a dès lors justement retenu contre les sociétés UCB Pharma et Novartis devenue Glaxosmisthkline une imprudence par défaut de vigilance, pour avoir maintenu, sans précaution ni mise en garde un produit dont la réelle efficacité et l'innocuité se trouvaient bien antérieurement mises en doute.
En cas d'exposition d'une victime au DES, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage.
Aucun des deux laboratoires ne prouvant que leur produit ne peut être à l'origine du dommage, leur responsabilité in solidum a justement été retenue.
Sur les préjudices :
- frais divers :
Ainsi que justement retenu par le tribunal, il ne peut être question de retenir des frais de déménagement liés à une mutation, dont rien ne démontre qu'elle serait exclusivement en lien avec les difficultés de santé connues par Mme [P].
En revanche, il est de principe que les frais d'assistance à expertise sont pris en charge au titre des frais divers, et la somme de 1 500 euros correspondant aux honoraires du professeur [Q] doit être admise.
S'y ajouteront les frais de transport retenus par le tribunal pour 850,10 euros et les honoraires du docteur [W], non pris en charge pour 840 euros, étant observé que, pas plus que devant le tribunal, il n'est justifié d'une éventuelle participation de la MGEN aux dépassements d'honoraires assumés par Mme [P].
Ce poste de préjudice sera donc fixé à 3 190,10 euros
- pertes de gains professionnels actuelles :
A justement été admise par le tribunal la somme de 1 912,60 euros, correspondant à la perte de rémunérations pour des travaux dirigés à la faculté de Dijon que Mme [P] n'a pu effectuer à raison de l'hystérectomie, étant observé que, s'agissant de travaux dirigés, ils ne pouvaient être rattrapés. La somme allouée sera confirmée pour 1 912,60 euros.
- pertes de gains professionnels futures :
Mme [P] fait valoir que ses difficultés tant de santé que de couple l'ont empêchée de passer le concours de directeur de recherches au CNRS qui s'offrait à elle en 2001, et qu'elle a été de ce fait privée du complément de rémunération afférent à cet emploi, par rapport à sa situation professionnelle actuelle.
Le tribunal a justement rejeté cette prétention, en des motifs pertinents que la cour adopte, étant observé, en outre, qu'elle ne produit strictement aucune pièce validant le tableau comparatif qu'elle produit, tenant compte du fait qu'elle a été admise au concours de l'agrégation en 2002.
- incidence professionnelle :
Selon la nomenclature Dintilhac, le préjudice résultant de l'incidence professionnelle du dommage consiste dans les incidences périphériques du dommage touchant la sphère professionnelle, tel que celui lié à la dévalorisation de la victime sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe liée au dommage ou encore celui causé par la nécessité de devoir abandonner la profession exercée antérieurement. Il inclut les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste exposés immédiatement après la consolidation, ainsi que la perte de retraite exposée à raison du changement de situation professionnelle de la victime imputable au dommage.
En l'espèce, sont seulement établies des difficultés relationnelles de Mme [P] avec un de ses collègues, qui, à travers les pièces produites, paraissent surtout procéder de facteurs personnels aux deux protagonistes. Mme [P] ne démontre pas davantage que sa décision de solliciter sa mutation soit due à ses difficultés de santé. La réalité de ce poste de préjudice n'est donc pas établie.
- déficit fonctionnel temporaire :
Les experts l'ont évalué à 3 mois et 15 jours, ce qui n'est pas sérieusement contesté. La cour le réparera sur la base mensuelle de 750 euros par mois, étant rappelé que, sans minimiser l'atteinte subie par Mme [P], elle n'a pas été atteinte dans son autonomie, et la gêne éprouvée est afférente à des examens médicaux et une intervention sans commune mesure, par exemple, avec celle éprouvée par des accidentés graves de la route.
Sur une base suffisante de 750 euros par mois, ce poste sera fixé
à :2 625, 00 euros
- souffrances endurées :
Elles ont été évaluées par les experts à 3/7 en ce qui concerne les souffrances physiques, et 5/7 en ce qui concerne les souffrances morales, étant rappelé que Mme [P], mariée en 1993, a dû affronter une dépression à la suite de la révélation de sa stérilité, à laquelle son couple n'a pas résisté.
Sans méconnaître néanmoins les multiples aspects de la souffrance morale et physique de Mme [P], ce poste sera ramené à la somme de 8 000,00 euros
- déficit fonctionnel permanent :
Selon la nomenclature Dintilhac, le déficit fonctionnel permanent consiste en la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l'atteinte corporelle subie, ainsi que les conséquences objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours. Le préjudice d'anxiété y est ainsi inclus, sauf élément particulier, en l'espèce non caractérisé.
Les experts proposent une évaluation à 25 % qui n'est pas sérieusement remise en cause.
Mme [P], née le [Date naissance 1] 1965, avait 44 ans lors de la consolidation, fixée au 30 mars 2010. La valeur du point a justement été fixée à 2 240 euros, sans qu'il y ait cependant lieu à majoration, puisque le taux d'IPP tient déjà compte de l'atteinte physique résultant de l'hystérectomie.
Ce poste de préjudice sera donc fixé à la somme de 56 000,00 euros
- préjudice sexuel :
La somme allouée est adaptée et sera confirmée pour10 000,00 euros
- préjudice d'établissement :
Il résulte des témoignages produits que la stérilité de Mme [P] a largement contribué à la ruine de son projet de vie de couple, et qu'elle n'a pu, pour des raisons qui lui sont propres, surmonter ce qu'elle a vécu comme un véritable handicap.
Le tribunal a dès lors justement admis cette demande, et la somme allouée sera confirmée pour le montant de 10 000,00 euros
- préjudice d'anxiété :
Ce poste est inclus dans le DFP et cette demande a justement été rejetée.
Sur la contribution à la dette et la demande en garantie d'UCB Pharma :
Pour fixer la contribution à la dette, le tribunal a retenu que, si les fautes commises sont d'une nature identique, leur degré de gravité doit être apprécié en tenant compte de l'importante disparité de présence sur le marché de chacune des spécialités, UCB étant en situation de quasi-monopole. Il en a déduit que l'obligation de vigilance et de surveillance d'UCB Pharma était renforcée, en sorte que la gravité de son manquement l'était également. En outre, la probabilité que Mme [P] ait été exposée à l'une ou à l'autre des spécialités est nécessairement proportionnelle aux parts de marché respectives des deux médicaments. Il en a tiré la conséquence que la répartition de la charge du dommage devait s'opérer proportionnellement au risque pour chacun des laboratoires de l'avoir causé, qui ne pouvait s'évaluer qu'au regard de leurs parts de marché respectives.
UCB Pharma fait valoir que, sur le plan de la causalité, c'est le lien entre le dommage et l'exposition au DES qui doit être établi. Or ce lien est analogue pour les deux médicaments, puisque, contenant le même principe actif, ils peuvent provoquer les mêmes effets. Il n'existe donc aucune hiérarchie entre eux sur le plan de la causalité. Cette société ajoute que faire dépendre d'une part de marché l'importance de la contribution reviendrait à encourager singulièrement la négligence de la personne recherchée dans la mesure où elle serait minoritaire, est de surcroît parfaitement hasardeux, compte tenu de la difficulté à évaluer cette part, et inéquitable, l'acteur économique dominant pouvant ainsi être conduit à indemniser un dommage qu'il n'a pas causé, dans l'hypothèse où ce serait le produit concurrent qui aurait été absorbé. Elle rappelle encore qu'ayant eu l'occasion de soumettre ce point à la Cour de Cassation à l'occasion d'une précédente affaire, Novartis devenu Glaxosmisthkline s'est désisté de son pourvoi et ainsi acquiescé à l'arrêt qui retenait à sa charge une contribution de 50 %.
Glaxosmisthkline produit une étude déterminant les prescriptions respectives d'un panel de médecins, notamment pour 1968 faisant apparaître que sa part de marché est de 1,7 %. Elle expose que, le régime de responsabilité consacré par la jurisprudence dite 'Ferrero' étant dérogatoire au droit commun puisque fondé sur une probabilité, elle-même déduite de la présence sur le marché de deux responsables possibles, la contribution à la dette entre eux doit être également répartie selon le même critère, pour des raisons de cohérence. Elle ajoute que la solution adoptée par le tribunal a été unanimement approuvée par la doctrine, qui souligne notamment qu'il serait contraire à l'équité que celui qui a la part prépondérante du marché ne contribue à la dette de réparation qu'à hauteur de sa part virile, alors que c'est lui qui a tiré le plus grand profit de la vente du produit considéré, et que la compensation de la sévérité liée à la condamnation in solidum de tous les responsables potentiels doit être équilibrée par une répartition du poids de la dette de réparation en fonction des parts de marché. Elle fait en outre valoir que le raisonnement usuel relatif aux co-responsables d'un même dommage identiquement fautifs n'est pas pertinent, puisque l'on se trouve en présence d'une hypothèse différente, soit celle d'un seul auteur sur les deux possibles, dont l'identité demeure indéterminée.
***
Il ne peut être tiré aucune conséquence du désistement de son pourvoi par Novartis au regard du rapport produit.
UCB Pharma souligne avec raison qu'il ne peut être question de retenir contre elle une faute d'une gravité supérieure à celle de Novartis en considération de l'importance de sa part de marché, ce qui reviendrait à mettre à la charge d'un agent économique minoritaire, une moindre exigence de vigilance. Le manquement ci-dessus relevé est en effet identique, qu'il s'agisse d'UCB Pharma ou de Novartis, en ce qui concerne sa gravité.
En ce qui concerne son rôle causal, UCB Pharma fait encore justement valoir qu'il ne peut davantage être considéré comme supérieur en raison de sa place prépondérante sur le marché, puisqu'il s'agit d'une responsabilité alternative, dans laquelle le dommage est causé par une seule faute et un seul produit, dont il ne peut être déterminé, parmi les auteurs et médicaments possibles, auquel il est imputable.
Néanmoins, la responsabilité in solidum des deux laboratoires est en réalité fondée, non sur un lien de causalité strictement entendu, mais sur une présomption d'imputabilité à une prise de risque fautive, soit en d'autres termes sur une probabilité que l'un ou l'autre des responsables présumés soit l'auteur du dommage, à raison de la faute commise.
Or le risque imputable à Novartis est, au vu de sa part de marché, bien moindre. Ce laboratoire est donc bien fondé, dans ses rapports avec son co-responsable, à demander que la contribution à la dette soit proportionnelle au risque qui lui est imputable, dont on ne voit pas comment elle pourrait être appréciée si ce n'est par référence à leurs parts de marché respectives.
Le tribunal sera donc approuvé d'avoir retenu ce critère, étant observé que la faculté reconnue à l'un des auteurs présumés de rapporter la preuve que son produit n'est pas la cause du dommage demeure, en sorte que le grief relatif à la violation de ses droits fondamentaux résultant de l'application d'un tel critère évoquée par UCB Pharma n'est pas démontré.
En ce qui concerne la détermination de la part de marché respective des deux laboratoires, la cour constate que, contrairement à l'opinion exprimée par UCB Pharma, les éléments produits sur ce point sont suffisamment précis, en ce que, notamment, ils comprennent des données concernant la période de grossesse de Mme [P], en sorte qu'il n'existe, en l'espèce, aucune réelle difficulté pour cerner la part de marché respective des deux laboratoires. Elle adopte sans aucune réserve les motifs pertinents retenus sur ce point par le tribunal.
L'équivalence des fautes retenues contre les sociétés UCB Pharma et Novartis aux droits de laquelle se trouve la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public conduit à rejeter la demande de garantie formulée par UCB Pharma contre Glaxosmisthkline.
Sur les autres demandes :
UCB Pharma et Glaxosmisthkline supporteront in solidum les dépens d'appel, la charge de ceux de première instance étant confirmée.
L'indemnité de procédure allouée en première instance sera également confirmée mais sera jugée suffisante pour couvrir également les frais irrépétibles exposés en appel. La provision pour frais d'instance devra en être déduite.
L'arrêt sera déclaré commun à la MGEN.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,
Constate l'intervention volontaire à la procédure de la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public, venant aux droits de la société Novartis Santé Familiale,
Confirme le jugement déféré en ce que :
les sociétés UCB Pharma et Novartis aux droits de laquelle se trouve la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public ont été déclarées responsables in solidum des dommages causés par l'exposition in utero au DES de Mme [P],
la contribution à la dette de dommages et intérêts a été fixée, dans les rapports entre les sociétés UCB Pharma et Novartis aux droits de laquelle se trouve la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public, à 95 % à la charge de la société UCB Pharma et 5 % à celle de Novartis aux droits de laquelle se trouve la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public,
les sociétés UCB Pharma et Novartis aux droits de laquelle se trouve la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public ont été condamnées à payer à Mme [P] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, en ce compris les frais de consignation, et avec recouvrement direct, étant précisé que la provision pour frais de procès devra en être déduite,
L'infirmant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant,
Fixe comme suit les préjudices subis par Mme [P], provisions non déduites, et indépendamment du recours des tiers payeurs :
déficit fonctionnel temporaire2 625,00 euros
frais divers3 190,10 euros
pertes de gains professionnels actuelles1 912,60 euros
incidence professionnellerejet
souffrances endurées8 000,00 euros
déficit fonctionnel permanent56 600,00 euros
préjudice sexuel10 000,00 euros
préjudice d'établissement10 000,00 euros
préjudice d'anxiétérejet
Condamne in solidum les sociétés UCB Pharma et la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public à payer les dites sommes en deniers ou quittances,
Déboute la société UCB Pharma de sa demande de garantie contre la société Glaxosmisthkline Santé Grand Public,
Dit n'y avoir lieu à application complémentaire de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne in solidum les sociétés UCB Pharma et Glaxosmisthkline Santé Grand Public aux dépens d'appel, avec recouvrement direct,
Rejette toute autre demande,
Déclare le présent arrêt commun à la MGEN.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,