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02/06/2016 | FRANCE | N°15/01415

France | France, Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 02 juin 2016, 15/01415


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A



RND



5e Chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 JUIN 2016



R.G. N° 15/01415



AFFAIRE :



[J] [I]

C/

SASU NOVETUDE OSTEOPATHIE F.I. venant aux droits de la SAS COLLEGE OSTHEOPATIQUE SUTHERLAND IDF









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Février 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Encadrement

N

° RG : 13/01241





Copies exécutoires délivrées à :



SELARL BERNARD - VIDECOQ



SCP ALTERLEX





Copies certifiées conformes délivrées à :



[J] [I]



SASU NOVETUDE OSTEOPATHIE F.I. venant aux droits de la SAS COLLEG...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

RND

5e Chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 JUIN 2016

R.G. N° 15/01415

AFFAIRE :

[J] [I]

C/

SASU NOVETUDE OSTEOPATHIE F.I. venant aux droits de la SAS COLLEGE OSTHEOPATIQUE SUTHERLAND IDF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Février 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Encadrement

N° RG : 13/01241

Copies exécutoires délivrées à :

SELARL BERNARD - VIDECOQ

SCP ALTERLEX

Copies certifiées conformes délivrées à :

[J] [I]

SASU NOVETUDE OSTEOPATHIE F.I. venant aux droits de la SAS COLLEGE OSTHEOPATIQUE SUTHERLAND IDF

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX JUIN DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [J] [I]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Savine BERNARD de la SELARL BERNARD - VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2002

APPELANTE

****************

SASU NOVETUDE OSTEOPATHIE F.I. venant aux droits de la SAS COLLEGE OSTHEOPATIQUE SUTHERLAND IDF

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Elodie ORY de la SCP ALTERLEX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D703 substituée par Me Ludivine MARCHAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0703

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Avril 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller,

Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Jérémy GRAVIER,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [J] [I] a été engagée par la société Collège Ostéopathique Sutherland (COS) Ile de France SAS (ci-après la Société), qui supervisait le COS de Paris, à compter du 17 mars 2011, en qualité de collaboratrice de direction, catégorie technicienne, niveau 3, coefficient A, de la convention collective nationale de l'enseignement privé hors contrat, moyennant un salaire mensuel brut de 2 400 euros.

L'article 4 du contrat de travail consacré au temps de travail lui fixait un horaire individualisé qui pouvait être modifié en fonction des nécessités de service, sachant que la société pouvait être conduite à ouvrir le samedi et certains week end (9 à 10 dates sur l'année scolaire), la salariée étant prévenue au moins un mois à l'avance et bénéficiant d'un repos compensateur pris par priorité dans la semaine concernée. Il était stipulé que Mme [I] acceptait l'éventualité d'une modulation de son temps de travail dans le respect des dispositions de la convention collective.

Un avenant au contrat de travail, signé le 13 septembre 2011, a modifié ses horaires de travail comme suit :

- le lundi : 8 h à 12 h 30 puis 13 h 30 à 18 h

- le mardi : 8 h 30 à 12 h 30 puis 13h 30 à 17 h 30

- le mercredi : 8 h à 12 h

- le jeudi : 8 h à 12 h puis de 14 h à 17 h

- le vendredi : 8 h 30 à 12 h 30 puis de 13 h 30 à 17 h 30

soit un total de 35 heures, les autres termes du contrat restant inchangés.

D'après ses bulletins de paie, Mme [I] a été promue, à compter d'octobre 2011, au poste d'adjointe de direction, le bulletin de décembre 2011 mentionnant le statut de cadre autonome, niveau C1, échelon A et un forfait de 213 jours.

La bonne compréhension du litige conduit au rappel des élément suivants :

Le Collège Ostéopathique [Établissement 1] est un établissement d'enseignement supérieur privé en ostéopathie qui comptait quatre écoles COS à [Localité 3] (en réalité à [Localité 4]), [Localité 5], [Localité 6] et [Localité 7], formant le Groupe COS.

En 2010, le Groupe Octant Partenaires a racheté le Groupe COS et a modifié l'organisation des écoles COS :

- en février 2010 a été créée la société Novetude Ostéopathie F.I SAS ayant pour activité le développement de l'ostéopathie et rattaché au Pôle Novetude Santé ;

- en 2011, M. [H], qui était directeur général du COS, est devenu président des établissement COS et la direction pédagogique qu'il assurait a été confiée, sous sa responsabilité hiérarchique, à Mme [V] [W] recrutée en septembre 2011 ;

- en 2012, la société COS Développement, holding du groupe COS, qui assurait les fonctions support des écoles a été transférée au GIE STILL DEV, géographiquement situé dans les locaux de l'école COS de Paris ;

- Mme [W] a pris en mars 2012 le titre de ' Directrice des écoles COS ' ;

- M. [C] [C] recruté en 2009 demeurait directeur opérationnel du COS [Localité 3].

In fine, le 31 août 2013, le COS Paris, qui était jusqu'alors une société distincte, a été absorbée par la société Novetude Ostéopathie F.I SAS.

Mme [I] date la dégradation de ses relations de travail de la nomination de Mme [W] en qualité de directeur des écoles en mars 2012.

Le 10 mai 2012, Mme [I] a dénoncé à la médecine du travail les méthodes de gestion de la nouvelle direction. Elle a été placée en arrêt maladie du 26 mars au 1er avril 2012 puis du 24 au 25 mai 2012. Le 5 juin 2012, elle s'est plainte d'un choc réactionnel à une réunion auprès de la médecine du travail qui l'a déclarée inapte temporaire. Elle sera arrêtée à compter du 6 juin 2012 et ne reprendra pas le travail. Le 10 septembre 2012, la caisse primaire d'assurance maladie reconnaîtra le caractère professionnel de l'accident survenu le 5 juin 2012.

Convoquée et mise à pied à titre conservatoire, par lettre recommandée du 17 juillet 2012 à un entretien préalable à licenciement fixé au 27 juillet 2012, Mme [I] a été licenciée pour faute grave, par lettre adressée sous la même forme le 24 août 2012 qui lui reprochait deux griefs :

- la suppression de documents informatiques,

- la participation à la création de l'association Approfondissement des Compétences en Ostéopathie (ACO) ayant une activité concurrente en vue de nuire à la société COS Ile de France.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre (section Encadrement), le 18 avril 2013, afin de demander la nullité du licenciement pour cause de harcèlement moral, des dommages-intérêts pour licenciement nul et, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse et pour harcèlement moral, pour non-respect du risque de prévoyance, pour travail dissimulé, des rappels de salaires pour heures supplémentaires et une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 06 février 2015, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [I] de ses demandes sauf en ce qu'il lui a alloué 2 400 euros de dommages-intérêts pour constitution tardive du dossier de prévoyance, 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens de l'instance éventuels à la charge de chacune des parties. Le salaire moyen a été fixé à 2 400 euros.

Par déclaration adressée au greffe le 3 mars 2014, Mme [I] a régulièrement interjeté appel de cette décision et les parties ont été convoquées à l'audience du 5 avril 2016.

Vu les conclusions transmises au greffe le 5 février 2016 et soutenues oralement à l'audience par son conseil pour Mme [J] [I] qui demande à la cour, infirmant le jugement, de :

- condamner la Société à lui verser les sommes suivantes :

. 30 000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement des articles L. 1152-1 et L. 4121-1  du code du travail,

. 4 800 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 480 euros de congés payés y afférents,

. 468 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. 33 600 euros à titre de dommages et intérêts, à titre principal pour licenciement nul sur le fondement des articles L. 1226-13 et L. 1152-3 du code du travail, et, à titre subsidiaire à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive sur le fondement de l'article L. 1235-5 du code du travail,

. 5 181 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires de mars 2011 à mai 2012 et 518,10 euros au titre des congés payés afférents,

. 14 400 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L. 8223-1  du code du travail,

. 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 1222-1 du code du travail pour constitution tardive du dossier prévoyance,

- ordonner à la Société de lui remettre, sous peine d'une astreinte de 150 euros par jour de retard et par document, les documents sociaux rectifiés conformément au ' dispositif du jugement à intervenir ' en se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamner la Société au paiement des intérêts légaux avec anatocisme (article 1154 du code civil) et aux dépens

- condamner la Société au paiement de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil pour la société Novetude Ostéopathie F.I, venant aux droits de la société Collége Osthéopathique Sutherland (COS) Ile de France, qui demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement des sommes de 2 400 euros de dommages-intérêts pour constitution tardive du dossier de prévoyance et de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le confirmer en ce qu'il a débouté Mme [I] du surplus de ses demandes,

- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux pièces et conclusions déposées et soutenues à l'audience ainsi qu'aux explications orales complémentaires rappelées ci-dessus, par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

La cour rappelle les principes suivants :

Sur le harcèlement moral et la rupture du contrat de travail

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements tels que définis ci-dessus.

En application de l'article L. 1154-1, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'article L. 1152-3 prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions précitées est nulle.

Sur le licenciement pour faute grave pendant l'accident du travail

Aux termes de l'article L. 1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

En application de l'article L. 1226-13, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1226-9 et L. 1226-18 est nulle.

*

Compte tenu de l'articulation des demandes de Mme [I] et des principes ci-dessus rappelés, la cour examinera d'abord la question du harcèlement moral, puisque Mme [I] soulève à titre principal, la nullité du licenciement pour ce motif et subséquemment les dommages-intérêts et les indemnités pour licenciement nul, et ce n'est que, si le harcèlement moral n'est pas retenu, que la cour appréciera la réalité des griefs invoqués par l'employeur à l'appui du licenciement pour faute grave.

A l'appui du harcèlement moral, Mme [I] soutient que la réorganisation du Groupe COS en 2012 s'est accompagnée de méthodes manageriales brutales de la part de la direction, spécialement de Mme [W], qui se sont manifestées par le dénigrement de l'ensemble du personnel et dans le cas particulier de Mme [I] par des ordres contradictoires, des remontrances publiques, des insultes et une mise à l'écart et qui ont fini par retentir gravement sur sa santé.

Au nombre des très nombreuses pièces que produit Mme [I], la cour écarte toutes celles qui ne reposent que sur ses seules affirmations et retient comme les plus pertinentes :

- les alertes de M. [C], directeur opérationnel, signalant la dégradation des conditions de travail de l'équipe du COS Paris à sa hiérarchie :

* un courriel, adressé le 18 octobre 2011 à Mme [W], lui reprochant d'annoncer aux étudiants et enseignants que son équipe est responsable des dysfonctionnements de l'école, tels que des dédoublements de planning et lui rappelant l'engagement professionnel de ses membres ;

* un courriel, adressé le 24 avril 2012 pour des raisons de confidentialité via sa messagerie personnelle directement à Mme [B], directrice générale adjointe, détaillant longuement les réprimandes répétées et la plupart du temps infondées, depuis la mise en place de la nouvelle direction et signalant avoir trouvé des membres de son équipe en pleurs après des appels téléphoniques du siège ou des visites de la direction ;

* l'attestation de M. [C], lui même licencié pour inaptitude suite à un avis unique visant le danger immédiat pour sa santé, ajoutant que Mme [W] a fait subir à Mme [I] une pression disproportionnée par rapport aux limites de son poste, des remarques humiliantes alors qu'elle était mise à l'écart des informations ou des réunions la concernant et affirmant que les délégués du personnel leur ont dit à tous deux que ' Mme [W] voulait la peau de Mme [I] ' ;

- les attestations de quatre anciens collégues dont celle de Mme [A] [L] décrivant les ordres contradictoires et les reproches faits à son arrivée par Mme [W] à l'équipe et indiquant avoir vu personnellement Mme [I] 's'effondrer dans son bureau ' ;

- les attestations d'anciens étudiants, tels que Mme [D], déléguée des élèves, qui exprime sa satisfaction de l'efficacité et de la disponibilité de Mme [I] et qui a vu Mme [W] humilier ou ridiculiser les équipes, les traitant d'incompétents devant les élèves et Mme [I] ' dépérir et triste ' et celle de Mme [P] qui a eu vent, fin juin, de rumeurs de menace de licenciement de l'équipe administrative ;

- les évaluations du 8 novembre 2011 et du 12 avril 2012 de la salariée par M. [C] qui confirment ses qualités professionnelles en retenant sa bonne prise de fonctions puis en lui donnant la note finale de 4,5 entre ' maîtrise (4) 'et ' maîtrise parfaitement (5) 'dans plusieurs domaines, étant souligné qu'il a relevé, à plusieurs reprises à la note maximale, l'auto-évaluation faite par la salariée de ses performances, notamment l'item 's'emploie à répondre aux attentes des interlocuteurs externes et internes' et ceux liés à la communication et relation d'équipe '; 

- le courrier, adressé le 24 mai 2012, par le médecin du travail au président du COS lui faisant part de son inquiétude concernant la santé de plusieurs salariés pour avoir ' pu constater une atteinte de leur état de santé physique et mentale motivée par une dégradation des conditions de travail principalement due à des agissements (déstabilisation, vexations diverses, injonctions paradoxales, modification du contenu du travail...) ' ;

- l'intervention de l'inspection du travail, par lettre du 29 mai 2013, certes postérieure au licenciement, qui, après enquête et auditions de six salariés du service administratif et pédagogique et de la directrice des ressources humaines, retrace l'historique de la mise sous pression des salariés à compter de l'alerte donnée par l'ancien directeur ; l'inspection rappelle les deux démissions et trois licenciements dont deux pour faute grave intervenues durant l'été 2012 puis en février 2013 ; il indique que la souffrance au travail n'a pas disparu au jour de l'enquête avec l'incertitude qui est maintenue sur la redistribution des tâches et recommande à l'employeur de faire appel à un organisme extérieur pour le diagnostic des risques et la préconisation d'orientations ;

- le fait que la déclaration d'accident du travail du 5 juin 2012 établie dès le lendemain par M. [C], en qualité de directeur d'établissement n'a pas été transmise à la caisse ce qui a valu à la salariée un rappel de la CPAM le 25 juin 2012 et l'a contrainte à relancer à son tour l'employeur puis à régulariser elle-même la situation ;

- les pièces médicales faisant état de la dégradation de l'état de santé de la salariée, à savoir les arrêts de travail délivrés par son médecin traitant du 26 mars au 1er avril, les 24-25 mai 2012 mentionnant une anxiété réactionnelle, l'avis d'inaptitude temporaire délivré le 5 juin 2012 par le médecin du travail consulté par la salariée, la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident du 5 juin 2012, les avis de prolongation d'arrêt de travail jusqu'au 2 juin 2013 et les attestations des 12 juillet et 22 août 2012 du Docteur [A] du service de souffrance au travail de l'hôpital [Établissement 2] de [Localité 8] qui atteste de troubles du sommeil persistants et de la nécessité d'intensifier son traitement médical, le médecin-traitant de salarié attestant en outre le 31 décembre 2013 d'un suivi médical et en milieu spécialisé pour état anxio-dépressif depuis juin 2012.

Au total, la cour considère que les pièces, ci-dessus produites par Mme [I], établissent des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; il incombe donc à la Société de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour contester le harcèlement moral, la Société objecte essentiellement que Mme [I] faisait partie d'un petit groupe de salariés ayant lancé une opération de dénigrement du Groupe COS aussi bien auprès des élèves que des salariés dans le but de monter une structure concurrente et qui a formulé de fausses accusations à l'encontre de la Société.

La Société verse des attestations ou courriers d'enseignants assurant qu'ils n'ont rien à voir avec la structure ACO citée dans la lettre de licenciement et la démarche de leurs collègues.

Ces attestations sont contredites par celles produites par Mme [I] émanant d'anciens élèves qui affirment qu'elle n'a pas participé à la réunion du 5 juillet 2012 présentant cette structure et surtout par le compte-rendu de ladite réunion qui ne la cite en aucune manière.

La société soutient aussi que les échanges ont toujours été cordiaux entre l'équipe dirigeante et l'équipe administrative notamment entre Mme [W] et Mme [I] en communiquant des exemples de mails échangés entre le 19 décembre 2011 et le 23 mai 2012.

La cour observe que le ton courtois de ces écrits est démenti par les témoignages produits par Mme [I] sur les propos plus vifs et humiliants tenus par Mme [W] lors de ses appels téléphoniques ou visites dans les locaux du COS et surtout sur la manière dont ils ont été vécus par l'équipe et Mme [I]. Figure d'ailleurs au dossier de la Société un courriel de Mme [W] du dimanche 8 juillet 2012 à 18 h 34 intitulé ' Ultra Important/Et la saga COS IDF continue ', qui démontre que Mme [W] peut faire montre d'une certaine acrimonie puisqu'elle conclut son courrier ' Aucun deal avec [C] [C] et essayer de le garder et de l'embêter le plus longtemps possible '.

La Société estime que la restructuration du Groupe COS entrait tout à fait dans le cadre de son pouvoir de direction et a été mal vécue par l'équipe du COS. Il n'en demeure pas moins que la médecine du travail et l'inspection du travail, alertés par plusieurs salariés, sont intervenus auprès de l'employeur pour lui faire part de leur constat d'une souffrance au travail de plusieurs salariés (dont Mme [I] citée par l'inspection) imputable à la nouvelle direction et pour lui recommander de prendre des mesures pour y mettre fin, peu important que les représentants du personnel n'aient pas été saisis par la salariée.

La cour estime enfin que l'employeur n'apporte aucun élément permettant de combattre les éléments apportés par la salarié sur le lien entre la détérioration de son état de santé et les agissements de l'employeur, particulièrement l'avis de médecins spécialisés dans le diagnostic et le traitement de la souffrance au travail et la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident du 5 juin 2012. A cet égard, la cour maintient cette analyse en toute connaissance de cause du principe de l'indépendance du juge prud'homal par rapport à la décision de la CPAM de reconnaître le caractère professionnel d'un accident.

Considérant que la Société ne rapporte pas la preuve que les agissements dénoncés et établis par Mme [I] aient été justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, ces agissements sont constitutifs de harcèlement moral.

Le jugement sera, en conséquence, infirmé.

Faisant application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, la cour dit que le licenciement prononcé à l'encontre de Mme [I] qui a subi des faits de harcèlement moral est nul, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le bien fondé du licenciement pour faute grave.

Sur les indemnités de rupture

La salariée, victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail et qui ne peut donc être inférieure à six mois de salaire.

Eu égard à son ancienneté de près de 17 mois, à son âge de 33 ans, à sa rémunération de 2 400 euros retenue par le conseil de prud'hommes et acceptée par les parties, aux circonstances entourant son licenciement intervenu en pleine suspension de son contrat de travail et à ce qu'elle justifie avoir retrouvé un emploi équivalent en septembre 2013, il lui sera alloué la somme de 17 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Mme [I] est également en droit d'obtenir :

- une indemnité compensatrice de préavis de 4 800 euros en application de la convention collective de deux mois de salaire eu égard à son ancienneté outre les congés payés y afférents de 480 euros,

- une indemnité légale de licenciement de 468 euros justement calculée sur la base de son ancienneté.

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral

Visant les dispositions de l'article L. 1152-1, L. 1152-4 et L. 4121-1 du code du travail, Mme [I] soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne prenant pas les mesures nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral malgré l'alerte donnée par le chef d'établissement et réclame des dommages-intérêts distincts pour l'important préjudice subi tandis que la Société lui oppose l'absence de tout harcèlement moral.

La cour estime que la salariée a fait la preuve de l'existence du harcèlement moral et de l'importance du préjudice moral qui en est résulté, notamment au vu des pièces médicales produites attestant de la persistance de sa souffrance au delà du licenciement et qui est distinct de celui réparé par l'indemnité pour licenciement nul ; la juste réparation du préjudice est fixée à 5 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les heures supplémentaires

Mme [I] réclame le paiement de 262 heures supplémentaires accomplies durant l'exécution de son contrat de travail, en arguant de ce qu'elle n'a jamais signé le forfait de 213 jours mentionné sur les bulletins de paie que lui oppose la Société.

C'est à bon droit que la salariée se prévaut des dispositions :

- de l'article L. 3121-40 du code du travail qui dispose : 'La conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit.';

- de l'article 4.3.4 de la convention collective applicable aux cadres

' 4.3.4. Dispositions relatives aux cadres

a) En ce qui concerne les cadres qui ne relèvent pas de la catégorie des cadres dirigeants au sens de l'article L. 3111-2 du code du travail, ni des cadres intégrés dans un horaire collectif, le temps de travail peut être fixé dans le cadre d'une convention de forfait de 212 jours maximum, en conformité avec les articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail, sous réserve de la conclusion d'une convention individuelle de forfait annuel. »

La société, à qui incombe de prouver la convention de forfait dont elle se prévaut, ne produit aucun document signé de la salariée en ce sens, se contentant d'affirmer que Mme [I] était un cadre autonome dans l'organisation de ses tâches.

La cour constate que ni le contrat de travail ni l'avenant au contrat ne contiennent pareille clause et considère que le défaut d'une telle clause ne peut être suppléé par les mentions du bulletin de paie mentionnant un forfait de 213 jours. Il faut souligner que la Société n'a pas saisi l'occasion de la promotion de la salariée au statut cadre pour régulariser un avenant stipulant une convention de forfait.

Mme [I] était donc soumise à la durée légale de travail de 35 heures

S'agissant de calculer le montant du rappel de salaire, il est rappelé qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

La cour considère que Mme [I] étaye suffisamment sa demande par les documents qu'elle verse aux débats :

- les ' formulaires mensuels des relevés des écarts horaires ' établis par elle et contresignés par le chef d'établissement, son supérieur hiérarchique direct ;

- un tableau récapitulant mensuellement les heures supplémentaires effectuées déduction faite des heures récupérées et corrélé par un calendrier établi par ses soins semaine par semaine faisant apparaître les samedis ou les dimanches pour lesquels elle a travaillés tant sur [Localité 3] que sur [Localité 7] pour assumer les journées portes ouvertes de l'école ou participer à des salons professionnels ce qui permet de satisfaire aux exigences de l'article L. 3121-20 du code du travail qui prévoit que les heures supplémentaires se décomptent par semaine civile ;

- des attestations de collègues ou d'élèves relatant sa présence le matin à 7 h 30 pour ouvrir l'école et après le départ des élèves à 18 h 45;

- de nombreux courriels dont l'objet professionnel est incontestable adressés à des heures matinales ou à des heures très tardives ou le week end.

Face à ces élément, l'employeur oppose à tort la convention de forfait, sans verser la moindre pièce contredisant ceux apportés par la salariée pour justifier de la réalité des horaires effectués, se bornant à indiquer que le décompte a été effectué sur une base mensuelle et non hebdomadaire et demandant de déduire le règlement de 1 107,50 euros au titre des 10 jours de RTT (équivalents à 70 heures) acquis en contrepartie de sa convention de forfait en jours et qui lui ont été intégralement payés dans le cadre de son solde de tout compte.

Il convient d'infirmer le jugement et de condamner la Société au rappel de salaire de 5 181 euros justement calculé par la salariée (262 x 1,25 x 15,82), outre les congés payés y afférents, sans tenir compte des 10 jours de RTT prétendument acquis et non pris par la salariée en contrepartie d'une convention de forfait jugée irrégulière.

Sur le travail dissimulé

Mme [I] réclame une indemnité de 14 400 euros de ce chef à laquelle s'oppose la Société soutenant qu'elle décomptait en toute bonne foi les jours de RTT accumulés par la salariée.

En droit, la dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

Dans le cas d'espèce, la volonté de la Société de dissimuler les heures supplémentaires effectuées par Mme [I] est caractérisée par le fait de mettre en place des formulaires de relevés d'écart d'horaire faisant apparaître un nombre élevé d'heures de travail (à titre d'exemple : 46,50 heures supplémentaires non récupérées en janvier 2012) et de mentionner sur les bulletins de paie de Mme [I] la référence à une convention de forfait jour que la salariée n'avait jamais signée pour éviter le paiement desdites heures.

Il y a lieu d'infirmer le jugement de ce chef et d'allouer à Mme [I] une indemnité de 14 400 euros en application du texte précité.

Sur la demande de dommages intérêts pour constitution tardive du dossier de prévoyance

Mme [I] réclame une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail qui dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi et non pas l'article L. 1221-1 cité et discuté par la Société avec l'article 1153 du code civil.

Mme [I] établit que la Société lui a prélevé sous l'intitulé ' Humanis ' les cotisations sur les bulletins de paie au titre de la prévoyance à hauteur de 561,88 euros d'avril 2012 à août 2012 alors qu'elle n'a pas régularisé son adhésion à la mutuelle.

Dans ses écritures, la Société convient avoir commis une erreur en opérant un tel prélèvement qu'elle a régularisée à hauteur de 642,32 euros dans le solde de tout compte.

Il s'agit là d'une faute qui est imputable à l'employeur qui a causé un préjudice à la salariée constituée par la perte de chance de percevoir une indemnisation complémentaire de la prévoyance durant ses arrêts de travail pour maladie et de bénéficier de la portabilité prévue par l'accord national interprofessionnel étendu du 15 octobre 2009 et qui mérite d'être réparée à hauteur de 1 000 euros.

Le jugement sera infirmé sur le montant de l'indemnité allouée.

Sur les intérêts et leur capitalisation

La cour rappelle que les sommes allouées porteront intérêts, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, pour ce qui est des créances de nature salariale et, à compter de la décision qui les fixe, en ce qui concerne les créances à caractère indemnitaire ;

Il y a lieu également de faire droit à la demande de capitalisation desdits intérêts en application de l'article 1154 du code civil.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Sans qu'il soit nécessaire de l'assortir d'une astreinte, il sera ordonné à la Société de remettre à Mme [I] les documents de fin de contrat.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La Société sera tenue aux entiers dépens et sera condamnée à Mme [I] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe et par décision contradictoire ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Dit que Mme [J] [I] a subi des faits de harcèlement moral la part de société Novetude Ostéopathie F.I SAS venant aux droits de la société Collège Ostéopathique Sutherland (COS) Ile de France ;

Dit nul le licenciement de Mme [J] [I] pour avoir subi un harcèlement moral de la part de société Novetude Ostéopathie F.I SAS venant aux droits de la société Collège Ostéopathique Sutherland (COS) Ile de France ;

Condamne la société Novetude Ostéopathie F.I SAS venant aux droits de la société Collège Ostéopathique Sutherland (COS) Ile de France à verser à Mme [J] [I] les sommes suivantes :

. 5 000 euros à titre de dommages intérêts au titre du harcèlement moral,

. 4 800 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 480 euros au titre des congés payés y afférents,

. 468 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. 17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

. 5 181 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

. 518,10 euros au titre des congés payés y afférents,

. 14 400 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

. 1 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du dossier prévoyance,

Dit que les sommes allouées porteront intérêts, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, pour ce qui est des créances de nature salariale et, à compter de la décision qui les fixe, en ce qui concerne les créances à caractère indemnitaire à savoir le présent arrêt sauf pour les dommages-intérêts au titre du dossier prévoyance alloués par le conseil de prud'hommes ;

Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil ;

Ordonne à la société Novetude Ostéopathie FI SAS venant aux droits de la société Collège Ostéopathique Sutherland (COS) Ile de France de lui remettre les documents sociaux conformes au présent arrêt ;

Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Condamne la société Novetude Ostéopathie F.I SAS venant aux droits de la société Collège Ostéopathique Sutherland (COS) Ile de France à payer à Mme [J] [I] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Novetude Ostéopathie F.I SAS venant aux droits de la société Collège Ostéopathique Sutherland (COS) Ile de France aux dépens.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Monsieur Jérémy Gravier, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 5e chambre
Numéro d'arrêt : 15/01415
Date de la décision : 02/06/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 05, arrêt n°15/01415 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-02;15.01415 ?
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