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24/05/2016 | FRANCE | N°15/02347

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 24 mai 2016, 15/02347


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 24 MAI 2016



R.G. N° 15/02347



AFFAIRE :



[T] [R]



C/



Société RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE - RTE







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Avril 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

Section : Industrie

N° RG : 12/2632





Copi

es exécutoires délivrées à :



Me Myriam WILHEIM PRUD'HOMME



Me Tamar KATZ





Copies certifiées conformes délivrées à :



[T] [R]



Société RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE - RTE



le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



L...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 MAI 2016

R.G. N° 15/02347

AFFAIRE :

[T] [R]

C/

Société RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE - RTE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Avril 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

Section : Industrie

N° RG : 12/2632

Copies exécutoires délivrées à :

Me Myriam WILHEIM PRUD'HOMME

Me Tamar KATZ

Copies certifiées conformes délivrées à :

[T] [R]

Société RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE - RTE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [T] [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Comparante

Assistée de Me Myriam WILHEIM PRUD'HOMME, avocat au barreau de BOBIGNY

APPELANTE

****************

Société RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE - RTE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Me Tamar KATZ, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 15 Mars 2016, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine BÉZIO, président,

Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,

Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE

EXPOSE DU LITIGE

En décembre 1981 Mme [R] a été embauchée par l'EPIC EDF en qualité d'agent statutaire employée, puis son contrat a été transféré le 1er septembre 2005 à la société RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE ou RTE, au sein de laquelle elle a assuré le secrétariat médical du service de santé au travail ; elle occupait aussi le poste de secrétaire et membre du CHSCT jusqu'au 1er janvier 2008, travaillant au total 32h par semaine, soit la moitié au service médical et la moitié dans ses fonctions syndicales et de formation au secourisme.

A partir d'octobre 2008, elle a travaillé 26h au lieu de 16h dans le service médical, assurant des formations au secourisme le reste de son temps plein.

Elle a été en arrêt maladie de manière régulière et intermittente entre le 18 mai et octobre 2009, puis de manière continue du 3 novembre 2009 au 19 juin 2013, étant en longue maladie depuis le 18 mai 2009, à la suite d'une décision du médecin conseil en date du 6 septembre 2010.

Par lettre recommandée du 9 mars 2010 Mme [R] indiquait à son employeur que ses arrêts de travail étaient dus à une dépression réactionnelle suite au harcèlement moral professionnel.

A partir du 8 juillet 2012 elle ne percevait plus qu'un demi-salaire pendant 2 ans.

Par courrier du 11 décembre 2012 la société RTE informait Mme [R] de son changement de service et de sa mutation d'office au poste d'assistante au sein du groupe santé de la direction des ressources humaines.

Après une visite médicale de pré-reprise et une visite médicale de reprise, Mme [R] a été déclarée apte à ce poste d'assistante, reprenant donc son travail à compter du 20 juin 2013.

Elle se trouve actuellement à la retraite depuis le 1er juillet 2015.

Entre-temps, le 18 mai 2011, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre principalement aux fins de paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral et non respect de l'obligation de sécurité.

Par jugement du 2 avril 2015, dont Mme [R] a interjeté appel, le juge départiteur l'a déboutée de ses demandes fondées sur le harcèlement moral, mais a retenu le non respect de l'obligation de sécurité, condamnant la société RTE à lui payer la somme de 10 000 € à titre d'indemnité, outre celle de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par écritures soutenues oralement à l'audience du 15 mars 2016, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu comme suit :

Mme [R] sollicite la condamnation de la société RTE à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil :

- 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité

- 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société RTE conclut au débouté de Mme [R], et à sa condamnation à payer la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le harcèlement moral

Selon l'article L 1152-1 et 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L 1154-1 du code du travail, il appartient au salarié de rapporter la preuve des faits qui permettent de présumer le harcèlement, et l'employeur doit rapporter ensuite la preuve que ces faits ne constituent pas du harcèlement.

En l'espèce, Mme [R] faisait partie de l'équipe du service médical de santé au travail (médecine du travail) composée de 3 médecins (dont Mme [A]), de deux infirmières et de deux assistantes dont elle-même.

Elle invoque une dégradation de ses conditions de travail à partir de janvier 2009, du fait du harcèlement moral du médecin du travail responsable du service, Mme [A], qui la rabaissait et critiquait son travail, ce qui aurait entraîné son état dépressif et ses arrêts-maladies, lesquels ont débuté par un premier arrêt de travail les 5 et 6 février 2009.

La société RTE soutient qu'à compter de 2008 Mme [R] a développé des difficultés relationnelles avec les intérimaires et les médecins du travail, par son caractère intransigeant et revendicatif, et qu'elle ne rapporte pas la preuve de faits répétés constitutifs de harcèlement moral.

Il convient de rappeler la chronologie des faits avec les allégations de chacune des parties, à la lumière de leurs conclusions et leurs pièces, pour rendre compte de la réalité des relations de travail entre Mme [R] et les médecins du service médical.

Il ressort des courriels échangés entre Mme [R] et Mme [T], un des médecins du service, entre le 21 et le 28 juillet 2008, au sujet de la validation des heures de travail de l'assistante intérimaire de Mme [T], qu'il existait un différend portant sur la validation des heures de travail, Mme [R] ayant l'habitude de les prendre en compte en fin de mois, alors que Mme [T] souhaitait une prise en compte chaque semaine. Mme [R] estimant que la prise en compte des heures de travail de l'intérimaire devenait trop compliquée, informait Mme [T] qu'elle demanderait à Mme [I], sa supérieure hiérarchique (N+2), de ne plus s'en occuper.

Aucune pièce n'est produite qui pourrait établir que Mme [R], ou Mme [T], ont interpellé officiellement Mme [I] à ce sujet, et aucune note de service n'est produite à ce sujet, ce qui ne permet pas à la cour de déterminer la marche à suivre en terme de bonne organisation et donc d'attribuer la responsabilité du différend à Mme [R] ou à Mme [T].

L'élément le plus déterminant serait la dégradation alléguée des relations entre Mme [R] et Mme [A], dont elle était l'assistante, et qui remonte, selon Mme [R], à janvier 2009, époque à laquelle deux changements sont intervenus dans le service médical, d'une part l'arrivée d'une nouvelle infirmière, d'autre part l'augmentation du temps de travail de Mme [A] (3 vendredis sur 4 au lieu d'un vendredi sur 4, outre le mercredi) ; par ailleurs, depuis janvier 2008, Mme [R] a vu son temps de travail dans le service médical augmenter, puisqu'elle n'avait plus de mandat syndical au CHSCT ; c'est ainsi que Mme [R] se trouvait plus souvent en situation de travail avec Mme [A] qu'auparavant.

* Mme [R] allègue que courant janvier/début février 2009 Mme [A] a tenu des propos déplacés et humiliants à son égard, en lui disant qu'il était plus intéressant de discuter avec une infirmière qu'avec elle, lui disant à plusieurs reprises qu'elle écrivait mal et de manière illisible, lui reprochant de parler trop fort à la cantine et lui disant 'calmez vous ou j'appelle Saint Anne' ; selon Mme [R], ces faits étaient la cause de son premier arrêt-maladie du 5 et 6 février 2009.

Mme [R] produit une attestation de l'infirmière arrivée dans le service en janvier 2009, Mme [G], qui indique : 'les mercredis lorsque nous déjeunions au restaurant de l'entreprise, Mme [R], Mme [A] et moi, Mme [A] ne s'adressait qu'à moi au cours du repas, faisant comme si Mme [R] n'était pas là ; les rares fois où le docteur [A] s'adressait à Mme [R], c'était pour lui dire quelque chose qui provoquerait chez Mme [R] une réaction. Je me souviens en particulier d'un mercredi midi ... Mme [A] a dit quelque chose concernant une personne travaillant dans le service et Mme [R] a fait un commentaire en élevant un peu la voix ; le docteur [A] lui a enjoint de parler moins fort en lui disant qu'elle allait passer pour une folle et qu'il faudrait appeler Saint Anne pour la faire interner. Mme [R] a pris son plateau et a quitté la table.'

Le comportement et les propos de Mme [A] sont humiliants à l'égard de Mme [R], et apparaissent avoir été répétitifs, selon les termes de cette attestation.

La société RTE ne produit aucun élément venant contredire cette attestation.

* Il n'est pas contesté par la société RTE que dans la matinée du 15 mai 2009, Mme [R] a eu, à sa demande et sur conseil de Mme [I], un entretien seule à seule avec Mme [A] au sujet de leurs relations dans le travail ; Mme [R] prétend que cette dernière lui aurait dit : 'si vous avez trop de travail, vous ne faites plus mes visites, vous ne faites que le secrétariat', alors que Mme [R] souhaitait surtout savoir comment elles pouvaient s'organiser pour mieux travailler, vu les réflexions que Mme [A] lui faisaient depuis janvier 2009.'

Mme [A] lui aurait répondu : 'c'est ce que je viens de vous dire, vous faites le secrétariat et moi je travaille avec l'infirmière.'

Mme [R] déclare que les propos de Mme [A] par leur caractère agressif et humiliant, l'ont choquée, ce qui expliquait qu'elle avait demandé à Mme [I] une autorisation de congé immédiatement après cet entretien et n'avait pu assister à la réunion de service de l'après-midi.

Si la relation de cet entretien par Mme [R] n'a pas un caractère probant en lui-même, force est de constater que la société RTE ne verse aucun élément venant contredire cette relation des faits, et notamment la version de Mme [A].

En outre, il est établi que c'est à la suite de cet entretien que Mme [R] n'a pas été en capacité d'assister à la réunion prévue l'après-midi au sujet de la réorganisation du service médical, ce qui est compatible avec le fait que l'entretien avec Mme [A] s'est mal passé et que Mme [R] s'est sentie dévalorisée.

Lors de cette réunion du 15 mai 2009 se déroulant l'après-midi et à laquelle Mme [R] n'a pas participé (ayant demandé à Mme [I] une autorisation d'absence en fin de matinée), a été discutée l'organisation future du service, les médecins souhaitant fonctionner avec 3 infirmières à 32h et une secrétaire à mi-temps dans un système de mutualisation, ce qui devait nécessairement avoir une incidence sur le poste de Mme [R] qui travaillait à temps plein.

Cependant, à l'issue de cette réunion aucune information n'était donnée à Mme [R] au sujet de ce projet de réorganisation, ce qui a fortement contribué à la déstabiliser, au vu de ses arrêts-maladie qui ont suivi.

C'est en effet à partir de cette réunion que Mme [R] s'est trouvée régulièrement en arrêt-maladie en 2009, soit du 18 au 20 mai, du 27 au 28 mai, du 3 au 14 juin, du 22 juin au 14 septembre, et du 9 au 22 octobre, pour finir par un long arrêt-maladie du 3 novembre 2009 au 19 juin 2013.

Mme [R] affirme aussi qu'à la suite de cette réunion du 15 mai 2009, l'atmosphère du service était devenue très tendue, car elle continuait à subir des remarques humiliantes de Mme [A] et se trouvait isolée.

Mme [R] soutient que cette volonté de suppression de son poste d'assistante, ou de réduction de son temps de travail (de plein temps à mi- temps), venait de la volonté de Mme [A] qui voulait la faire 'craquer', ce qui ne procède pas que du seul ressenti de Mme [R], les relations entre cette dernière et Mme [A] étant déjà dégradées, au vu des remarques dévalorisantes que subissait Mme [R] de la part de Mme [A].

En outre, la société RTE, à l'époque où Mme [R] était régulièrement en arrêt-maladie, entre mai et septembre 2009 n'a rien fait pour la rassurer sur la pérennité de son poste, alors que cette réorganisation interviendra finalement en 2012/2013, au moment où Mme [R] sera encore en arrêt maladie.

Un doute légitime a pu s'insinuer, alors, dans l'esprit de Mme [R] sur la pérennité de son poste, d'autant qu'au retour de son arrêt-maladie le 15 septembre 2009 elle n'a pas bénéficié d'une visite de reprise, obligatoire après son dernier arrêt maladie de plus de 30 jours (du 22 juin au 14 septembre), et n'a pas reçu un bon accueil dans le service.

En effet, Mme [R] précise qu'elle n'avait plus en charge les dossiers de Mme [A], car cette dernière trouvait plus intéressant de travailler avec une infirmière intérimaire ; elle précise que pendant 3 semaines son travail a consisté à saisir des données comptables, car elle n'avait pas accès au logiciel médical HORIZON pour les tâches paramédicales, son ordinateur ayant été verrouillé du 15 au 21 septembre.

Il ressort du mail du 25 septembre 2009 que Mme [R] s'en est plainte auprès des représentants syndicaux, tout en déclarant n'être pas au courant de la réorganisation de son service.

Or, une partie de ces éléments sont contestés par la société RTE, qui soutient que le travail de Mme [R] (secrétariat mais aussi tâches para- médicales) n'a pas été modifié ; or, il ressort des pièces produites par la société que Mme [R] a effectué certaines tâches para-médicales (passation de tests urinaires et d'ergo-vision) pour la période du 15 septembre au 9 octobre 2009.

Toutefois, la société RTE ne contredit pas le fait que l'ordinateur de Mme [R] était verrouillé du 15 au 21 septembre pour l'accès au logiciel médical, ce qui a nécessairement affecté le travail de cette dernière, en ne facilitant pas ses tâches para-médicales, lesquelles étaient plus enrichissantes que le secrétariat.

Par ailleurs, il ressort du mail de Mme [R] en date du 17 septembre 2009, adressé aux représentants syndicaux, que de retour dans son bureau le 15 septembre elle n'a pas retrouvé toutes ses affaires de travail (classeur, fiche de plannings) et ses dossiers, et que Mme [A] lui a réservé un accueil froid ('indifférence totale'), sans lui proposer de visite de reprise, le docteur [A] étant à la fois son supérieur hiérarchique et son médecin du travail.

Ces éléments ne sont pas contredits par la société.

L'ensemble de ces éléments, à savoir les remarques humiliantes et en public de Mme [A] à l'égard de Mme [R] entre janvier et mai 2009, le blocage du logiciel médical du 15 au 21 septembre 2009 et la disparition d'une partie de ses affaires de travail à son retour de congé maladie en septembre 2009, l'absence d'information sur le projet de réorganisation et l'absence de visite médicale de reprise en septembre 2009, sont des faits répétés constitutifs de harcèlement moral.

Au vu des éléments médicaux produits, arrêts de travail et dossier médical, il apparaît un lien entre la situation de souffrance au travail avec dégradation de la santé de Mme [R] et les faits de harcèlement moral que celle-ci a subis.

En conséquence, il sera alloué à Mme [R] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur le non respect de l'obligation de sécurité

L'article L 4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité du travail, des actions d'information et de formation, et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Cette obligation de l'employeur est méconnue lorsque l'employeur, averti de la sa situation de danger, s'est abstenu de prendre les mesures adaptées pour y mettre fin.

Selon les articles R 4624-21 et R.4624-22 du code du travail, pris dans leur rédaction à l'époque des faits, le salarié doit bénéficier d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail après une absence d'au moins 21 jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel - cet examen ayant un double objectif, celui de délivrer l'avis d'aptitude médicale du salarié à reprendre son poste, mais aussi de préconiser l'aménagement, l'adaptation du poste ou le reclassement du salarié.

Or, Mme [R], qui s'est trouvée en arrêt-maladie du 22 juin au 14 septembre 2009, soit plus de 30 jours, n'a pas bénéficié de visite de reprise, laquelle aurait permis au médecin du travail de prendre la mesure de l'importance des difficultés de Mme [R] au sein de son service et de faire des préconisations allant jusqu'au changement de service, de sorte que l'employeur aurait pu envisager dès cette époque une mutation dans un autre service.

Au surplus, le contexte de réorganisation souhaitée par les médecins du service était une raison supplémentaire de prêter une attention particulière à la situation de Mme [R], dont le poste pouvait être mis en cause par cette réorganisation, même si celle-ci n'est finalement intervenue qu'en 2013.

Le fait que ce manquement ait été commis justement à l'égard d'une personne travaillant pour le service médical de santé au travail, lequel assure les visites médicales des salariés dans le cadre de la médecine du travail, est d'autant plus grave.

Cette absence de visite de reprise n'a pu que participer à la 'rechute'de Mme [R], qui s'est trouvée rapidement à nouveau en arrêt-maladie pour la même raison que précédemment (à savoir un état dépressif en lien avec son travail) du 9 au 22 octobre 2009, puis de manière continue à compter du 3 novembre 2009 jusqu'au 19 juin 2013.

Les certificats médicaux mentionnent à compter du 9 octobre 2009 'un état dépressif réactionnel suite à un conflit professionnel, en lien avec probable harcèlement moral'.

Si, comme le fait remarquer la société RTE, Mme [R] n'a pas interpellé en 2009 la direction des ressources humaines sur la dégradation de ses conditions de travail, elle a néanmoins interpellé, par courriels en date des 17 et 25 septembre 2009 , deux représentants du personnel au CHSCT, comme ils le confirment dans leur attestation.

Par ailleurs, au regard des difficultés relationnelles déjà connues au moins par deux des médecins Mme [T] et Mme [A] au sein du service médical, et du souhait des médecins de ce service de réorganiser celui-ci (cf note de service du 15 mai 2009) en raison des difficultés de fonctionnement du service (non précisées dans cette note), il aurait été particulièrement opportun que les médecins du service saisissent officiellement leur hiérarchie pour régler ces difficultés, ou que leur hiérarchie s'en saisisse et que le CHSCT ou la direction ordonne une enquête.

Par la suite, alors que Mme [R], par lettre du 9 mars 2010, a informé la direction de la société RTE du harcèlement moral dont elle estimait être victime, demandant à changer de service, le directeur des ressources humaines (DRH) lui a répondu par lettre du 23 mars 2010 :

'Nous souhaitons tout d'abord vous inviter à la plus grande prudence dans vos propos et dans les accusations que vous portez à l'encontre du docteur [A]', tout en l'invitant à prendre contact avec le conseiller carrières IDF pour 'revenir dans une activité professionnelle'.

Dans cette réponse, le DRH présumait que les faits de harcèlement n'étaient pas sérieux, alors qu'il n'avait fait diligenter aucune enquête à ce sujet dans le respect du contradictoire, et qu'il lui appartenait de s'assurer que les conditions de travail de Mme [R] n'avaient pas eu des conséquences sur sa santé, comme l'y obligent les dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail.

A partir de sa reprise de travail dans un autre service, à savoir comme assistante d'équipe auprès du chef de pôle du département professionnalisation des salariés, à compter du 20 juin 2013, Mme [R] n'a signalé aucune difficulté et ce poste était conforme aux recommandations du médecin du travail. Elle y a travaillé jusqu'à sa retraite en juillet 2015.

Preuve en est qu'une solution existait mais qu'elle a été tardivement mise en oeuvre par la direction.

Au vu des éléments produits, et sans qu'il soit utile d'aborder la question du changement de médecin conseil critiqué par Mme [R], la preuve de la violation de l'obligation de sécurité est amplement rapportée, ce qui justifie l'allocation de la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts, comme l'a estimé le juge départiteur dont la décision sera confirmée sur ce chef.

Sur les demandes accessoires

La somme de 2500 € sera allouée à Mme [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de celle de 1500 € allouée par le juge départiteur.

La société RTE sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME la décision du conseil de prud'hommes de NANTERRE en date du 2 avril 2015, du chef de la condamnation de la société RTE à payer à Mme [R] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité, mais l'INFIRME pour le surplus, et statuant à nouveau ;

CONDAMNE la société RTE à payer à Mme [R] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, outre celle de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de celle de 1500 € allouée par le juge départiteur ;

CONDAMNE la société RTE aux dépens d'appel.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 15/02347
Date de la décision : 24/05/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°15/02347 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-05-24;15.02347 ?
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