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14/04/2016 | FRANCE | N°16/00357

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 14 avril 2016, 16/00357


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 61B



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 AVRIL 2016



R.G. N° 16/00357



AFFAIRE :







SA UCB PHARMA



C/



[G] [U] épouse [B]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Décembre 2014 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre : 02

N° RG : 13/8139







Expéditio

ns exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Pierre GUTTIN

Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCA...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 61B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 AVRIL 2016

R.G. N° 16/00357

AFFAIRE :

SA UCB PHARMA

C/

[G] [U] épouse [B]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Décembre 2014 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre : 02

N° RG : 13/8139

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Pierre GUTTIN

Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE QUATORZE AVRIL DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SA UCB PHARMA

RCS NANTERRE N° 562 079 046

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Pierre GUTTIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 - N° du dossier 15000022

Représentant : Me Carole SPORTES de la SELARL HAUSSMANN Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

1/ Madame [G] [U] épouse [B]

née le [Date naissance 4] 1971 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

2/ Madame [I], [P], [D] [K]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

3/ Monsieur [E], [F], [R] [B]

né le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 002160

Représentant : Me Martine VERDIER, Plaidant, avocat au barreau d'ORLEANS

INTIMES

4/ SAS GLAXOSMITHKLINE SANTE GRAND PUBLIC venant aux droits de la société NOVARTIS SANTE FAMILIALE à la suite de l'apport en nature de l'intégralité de ses titres à Glaxosmithkline Santé Grand Public par décision de son associé unique en date du 22 décembre 2015, suivi de sa dissolution sans liquidation à effet au 1er février 2016

RCS de Versailles 672 012 580

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1554186

Représentant : Me Jean-Pierre GRANDJEAN , Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

5/ CPAM [Localité 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R295 - N° du dossier [U]

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Mars 2016, Madame Véronique BOISSELET, Président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET

------------

Mme [G] [U], devenue épouse [B], née en [Date naissance 4] 1971, informée par son gynécologue de ce qu'elle présentait un col évocateur d'une exposition au DES, et alertée par sa mère, Mme [K], qui se souvenait avoir été traitée par cette molécule au cours de sa grossesse, a assigné la société UCB Pharma et la MGEN devant le tribunal de grande instance de Nanterre par actes des 21 et 23 février 2011. UCB Pharma a appelé dans la cause la société Novartis. M. [B] et Mme [K] sont intervenus volontairement à la procédure.

Après expertise ordonnée le 20 septembre 2011 par le juge de la mise en état, le tribunal de grande instance de Nanterre a, par jugement du 4 décembre 2014 :

- déclaré UCB Pharma et Novartis responsables in solidum des dommages résultant de l'exposition au DES de Mme [B],

- dit qu'UCB Pharma contribuera à la dette à hauteur de 95 % et Novartis à hauteur de 5 %,

- condamné in solidum UCB Pharma et Novartis à payer à Mme [B] :

- la somme de 48 080 euros en réparation de ses préjudices personnels, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum UCB Pharma et Novartis à payer :

à M. [B], au titre de son préjudice moral, avec intérêts à compter du jugement, la somme de 2 000,00 euros

à Mme [K], au titre de son préjudice moral, avec intérêts à compter du jugement, la somme de 8 000,00 euros

à la CPAM [Localité 2], sous réserve des prestations non connues, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, au titre de ses débours la somme de296 117,88 euros

- débouté la CPAM [Localité 2] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur des 2/3,

- condamné in solidum UCB Pharma et Novartis aux dépens, en ce compris la consignation, et avec recouvrement direct.

UCB Pharma en a relevé appel et, par dernières écritures du 16 février 2016, demande à la cour de :

- débouter Mme [B] de sa demande de complément d'expertise,

- débouter M. et Mme [B] et Mme [K] de toutes leurs demandes,

- débouter la CPAM [Localité 2] de toutes ses demandes,

- débouter la société Laboratoire Glaxosmisthkline de toutes ses demandes contre elle,

- condamner tout succombant à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

subsidiairement,

- juger que, la preuve de l'exposition au Distilbene n'étant pas rapportée, UCB Pharma et la société Laboratoire Glaxosmisthkline ne pourront qu'être condamnées in solidum en application de la présomption d'exposition in utero au DES, molécule commune aux produits respectivement commercialisés, soit le Distilbene pour UCB Pharma et le Stilboestrol Borne pour Novartis devenue Glaxosmisthkline,

- juger que la contribution à la dette de la société Laboratoire Glaxosmisthkline sera de 50 % et la condamner à la garantir pour ce montant,

- débouter la société Laboratoire Glaxosmisthkline de toutes ses demandes contre elle,

- débouter la CPAM de toutes ses demandes faute de lien de causalité établi entre ses débours et la faute qui lui est reprochée,

- juger que l'indemnité au titre des souffrances endurées ne saurait excéder 12 000 euros, les autres chefs de préjudice étant rejetés,

- ramener l'indemnité de procédure éventuellement accordée à de plus justes proportions,

- laisser à la charge de chaque partie ses dépens.

Par conclusions du 16 décembre 2015, la société Novartis devenue la société Laboratoire Glaxosmisthkline demande à la cour de :

- débouter UCB Pharma, les consorts [B] et la CPAM [Localité 2] de leurs demandes contre elle,

- mettre Novartis Santé Familiale hors de cause,

- condamner UCB Pharma ou les consorts [B] ou la CPAM [Localité 2] à lui rembourser les sommes qu'elle a versées en exécution du jugement du 4 décembre 2014,

à titre subsidiaire, sur la contribution à la dette,

- confirmer le jugement du 4 décembre 2014 en ce qu'il a réparti la charge de la dette entre UCB Pharma et Novartis Santé Familiale au prorata de leurs parts de marché respectives,

- juger que la contribution à la dette de Novartis Santé Familiale est limitée à une proportion de 1,3 % du montant des sommes allouées aux consorts [B], au prorata de sa part de marché,

- subsidiairement, confirmer le jugement du 4 décembre 2014 en ce que la contribution à la dette de Novartis Santé Familiale a été limitée à une proportion de 5 % du montant des sommes allouées aux consorts [B],

- débouter pour le surplus UCB Pharma de ses demandes,

sur l'évaluation des dommages-intérêts,

- débouter UCB Pharma, les consorts [B] et la CPAM [Localité 2] de l'ensemble de leurs demandes,

- subsidiairement, juger que l'indemnisation des consorts [B] ne saurait excéder la somme de 26 840 euros (soit 348,92 euros, ou, à titre subsidiaire, 1 342 euros, à la charge de Novartis Santé Familiale),

- condamner UCB Pharma à verser à Novartis Santé Familiale la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et statuer ce que de droit sur les dépens.

Par dernières écritures du 17 février 2016, M. et Mme [B] et Mme [K] demandent à la cour de :

- ordonner, si la cour le juge utile un complément d'expertise sur le lien entre dysplasie cervicale et DES, aux frais avancés d'UCB Pharma,

- confirmer le jugement en ce qu'UCB Pharma et Glaxosmisthkline ont été déclarés responsables des préjudices subis par Mme [B] et ses proches,

- condamner solidairement UCB Pharma et Glaxosmisthkline à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

- frais divers1 500,00 euros

- tierce personne38 880,00 euros

- perte de gains professionnels2 990,25 euros

- incidence professionnelle10 000,00 euros

- déficit fonctionnel temporaire20 000,00 euros

- souffrances endurées20 000,00 euros

- déficit fonctionnel permanent 50 000,00 euros

- préjudice sexuel10 000,00 euros

- préjudice spécifique d'anxiété8 000,00 euros

dans le cas où ce préjudice serait considéré comme inclus dans le déficit fonctionnel permanent, fixer ce dernier poste à la somme de 58 000,00 euros

- condamner solidairement UCB Pharma et Glaxosmisthkline à payer :

à Mme [K], au titre de son préjudice moral, 8 000,00 euros

à M. [B] au même titre6 000,00 euros

- confirmer le jugement sur l'indemnité de procédure allouée et y ajouter au titre de l'instance d'appel, la somme de 7 000,00 euros

- condamner solidairement UCB Pharma et Glaxosmisthkline aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Par conclusions du 23 juin 2015, la CPAM [Localité 2] sollicite la confirmation du jugement, sauf à constater que Glaxosmisthkline vient désormais aux droits de Novartis, et réclame une indemnité de procédure de 3 000 euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 mars 2016.

SUR QUOI, LA COUR :

Mme [B], dans le cadre d'une précédente union, a fait une fausse couche en 1998, a été spontanément enceinte de deux jumelles nées prématurément à 28 SA le [Date naissance 1] 1999. Après deux fausses couches elle a été à nouveau spontanément enceinte et, après une grossesse alitée, a donné le jour, toujours prématurément, à un petit garçon prénommé [T] le [Date naissance 2] 2004. Elle a eu dans le cadre de son union actuelle un quatrième enfant en [Date naissance 6] 2009 né à terme. Il n'est pas fait état de difficultés de santé particulière de ces quatre enfants, hormis le fait que les trois premiers sont nés prématurément.

Le tribunal a retenu pour l'essentiel que l'exposition au DES in utero de Mme [B], était établie, ainsi que la faute des deux laboratoires, ayant consisté à maintenir sur le marché sans précaution ni mise en garde à l'époque de la prescription à Mme [K] un médicament faisant l'objet de doutes sur son efficacité et son innocuité, alors que la littérature médico-scientifique de l'époque avaient déjà conduit à l'interdiction de la molécule aux Etats-Unis et qu'étaient connus ses effets tératogènes sur l'animal. Rappelant la multiplicité des effets néfastes de la molécule DES sur les femmes exposées, ainsi que l'interférence d'autres facteurs pouvant expliquer les pathologies présentées, le tribunal a rejeté la demande de Mme [B], tendant à ce que soit reconnue une présomption de causalité entre l'exposition au DES et les troubles qu'elle a subis. En revanche, le tribunal a relevé que, selon l'expert, Mme [B] présentait un utérus en forme de T et un col hypoplasique avec béance, anomalies à l'origine de la prématurité des trois premiers accouchements, et de l'alitement précédant la dernière grossesse. Relevant qu'aucun des deux laboratoires n'établissait que son propre produit n'était pas à l'origine du dommage, et en l'absence de certitude sur la spécialité pharmaceutique consommée, soit le distilbène pour UCB Pharma ou le Stilboestrol Borne pour Novartis, le tribunal a condamné UCB Pharma et Novartis à supporter in solidum la réparation des préjudices ainsi causés et les a fixés comme suit :

- dépenses de santé actuelles (prestations servies à Mme [G] [B] ainsi qu'aux enfants [H], [X] et [T] [N]), prises en charges par la CPAM [Localité 1]296 117, 88 euros

- tierce personne (4 h par jour pendant 18 mois soit 540 jours à 12 euros)6 480,00 euros

- pertes de gains professionnels rejet

- déficit fonctionnel temporaire13 600,00 euros

- souffrances endurées20 000,00 euros

- déficit fonctionnel permanentrejet

- incidence professionnelle6 000,00 euros

- préjudice sexuelrejet

- préjudice d'anxiété2 000,00 euros

En ce qui concerne la répartition de la charge de la dette entre les deux laboratoires, le tribunal a jugé que, si les fautes commises étaient de même nature, l'obligation de vigilance pesant sur UCB Pharma était renforcée dans la mesure où sa part de marché était prépondérante, la mettant en situation de quasi-monopole, en sorte que la répartition de la charge du dommage devait s'opérer proportionnellement au risque pour chacun de l'avoir causé, risque qui ne pouvait s'évaluer qu'au regard de la part de marché de chacun des deux médicaments.

UCB Pharma expose qu'à l'époque de la prescription aucun risque de malformation génitale n'avait été identifié, et que sa faute n'est pas démontrée. Le seul fait de l'exposition ne démontre par ailleurs pas le lien de causalité entre cette dernière et les préjudices invoqués en l'absence de présomption applicable. En ce qui concerne la contribution à la dette, elle fait valoir que la faute étant la même, chacun des co-responsables doit contribuer pour moitié, et que toute autre répartition serait en outre impraticable.

Novartis Santé Famille, devenu Glaxosmithkline, fait valoir que la présomption d'exposition au DES ne bénéficie qu'aux victimes, en sorte qu'il incombe à UCB Pharma de démontrer que le produit de son concurrent est impliqué dans la survenance du dommage. En outre, Mme [B] démontre qu'elle a été exposée au seul Distilbène, et les pathologies qu'elle a présentées n'ont pas pour seule origine possible son exposition au DES. Enfin, ce laboratoire expose que, le principe de la responsabilité ayant été retenu sur le fondement d'une probabilité, il est légitime que la réparation du poids de la dette s'opère sur le même fondement.

- Sur la responsabilité d'UCB Pharma et de Novartis Santé Familiale :

L'exposition au DES de Mme [B] n'est pas contestée. En revanche, le point de savoir lequel des médicaments contenant cette substance a été consommé doit être examiné en premier lieu.

Ni le dossier médical de Mme [K] ni les prescriptions n'ont été retrouvés.

Mme [K] a cependant attesté le 2 février 2011avoir été traitée par du Distilbène, soit le médicament commercialisé par UCB Pharma, et avoir appris par le Quotidien du médecin la nocivité de ce médicament, ce qui l'a conduite à faire examiner sa fille. Les éléments médicaux établis à l'époque, soit à compter de 1995, sur le fondement des déclarations initiales de Mme [K] puis de sa fille, mentionnent également formellement une exposition au Distilbène, et non au DES. Mme [K] a réitéré ses affirmations devant l'expert (rapport p. 8).

Novartis devenue Glaxosmithkline relève avec pertinence qu'exerçant à l'époque la profession de visiteuse médicale, Mme [K] est peu susceptible de commettre une erreur sur la dénomination du médicament. La cour ne peut par ailleurs que relever que les termes employés par Mme [K] excluent toute approximation de sa part sur cette dénomination alors qu'elle est beaucoup plus hésitante sur sa présentation et la posologie appliquée. Fort logiquement, n'a été initialement assigné que le laboratoire UCB Pharma. Mme [B] a par ailleurs toujours été constante dans la désignation du médicament, notamment lors des premiers examens dont elle fait état, en 1995.

Ainsi, rien ne permet de mettre en doute les affirmations initiales de la mère de Mme [B] et de cette dernière sur le médicament administré. Novartis Santé Familiale, devenue Glaxosmithkline, sera donc mise hors de cause.

- Sur la faute de la société UCB Pharma :

La faute du laboratoire, au sens de l'article 1382 du code civil, seul fondement possible de la demande, et sans qu'il soit utile de recourir au principe de précaution instauré par la convention européenne des Droits de l'Homme, doit être établie à la période d'exposition au DES de Mme [B].

Il est justement rappelé par Mme [B], qui cite à ce propos de nombreux éléments de jurisprudence pertinents, que la molécule DES a été fabriquée en vue du traitement des femmes qui avaient des difficultés pour mener à terme une grossesse, à partir de 1946, et considérée comme bénéfique jusqu'à une étude dite 'Diekman' de 1953 qui a mis en doute son efficacité en vue de la prévention des fausses couches du premier trimestre. La littérature médicale montre que des études antérieures sur des animaux en 1938, 1939 et 1941 ont mis en évidence des effets indésirables tels que des cancers ou des anomalies morphologiques. Sur l'être humain, le lien a été fait avec la survenue de certains cancers du col de l'utérus ou du vagin chez des jeunes femmes exposées in utero (étude dite 'Herbst' de 1971) puis avec des anomalies utérines (1977). Il a cessé d'être prescrit en 1977.

S'il est exact que, comme le soutient UCB Pharma, les effets néfastes sur l'être humain du DES n'ont été démontrés qu'en 1977, il demeure que, depuis les années 1960, se trouvait posée la question de l'efficacité de la molécule DES et d'effets tératogènes constatés chez les animaux, et que son efficacité était mise en cause depuis 1953. Or le laboratoire ne démontre pas avoir, à la période à laquelle Mme [B] a été exposée, c'est-à-dire en 1971, tiré les conséquences de ces interrogations en avisant les prescripteurs des inconvénients constatés et des réserves que devait susciter la prescription de ce produit.

Le tribunal a dès lors justement retenu contre la société UCB Pharma une imprudence par défaut de vigilance, pour avoir maintenu, sans précaution ni mise en garde un produit dont la réelle efficacité et l'innocuité se trouvaient bien antérieurement mises en doute.

Chaque cas d'exposition dommageable au DES étant différent, il n'y a pas lieu de considérer que l'exposition au DES créerait une présomption d'imputabilité des dommages allégués.

En ce qui concerne Mme [B], il résulte de l'expertise que :

- la dysplasie cervicale présentée par Mme [B], et traitée en 1996, 1997 est en rapport avec une infection HPV et non avec son exposition au Distilbène,

- en ce qui concerne la prématurité des jumelles, le caractère soudain des modifications du col à 6 mois de grossesse est en rapport avec l'exposition au DES in utero, caractérisant l'incompétence cervicale. La grande prématurité des jumelles est en lien direct et certain avec l'exposition DES in utero. L'une des jumelles a été hospitalisée pendant 2 mois, l'autre pendant 4 mois,

- l'exposition au DES et la grande prématurité des jumelles ont conduit à une décision de cerclage lors de la 2ème grossesse, qui a conduit à la naissance d'un enfant de 2,330 gr hospitalisé pendant plus d'un mois pour détresse respiratoire, puis de la 3ème, qui a conduit à une naissance à terme.

Ces conclusions ne sont contestées par aucune argumentation sérieuse, et le jugement sera ainsi confirmé en ce que les accouchements prématurés, la nécessité de cerclage et l'alitement pendant les deux dernières grossesses ont été jugés imputables au DES, dont la cour vient de juger qu'il s'identifie en l'espèce au Distilbène. Il le sera également en ce que la demande de complément d'expertise concernant l'imputabilité alléguée de la dysplasie cervicale à l'exposition au DES a été rejetée, et ce sans qu'une nouvelle expertise sur ce seul point soit jugée utile.

La responsabilité d'UCB Pharma sera donc confirmée, et ses demandes en garantie formées contre Novartis Santé Familiale devenue Glaxosmithkline seront rejetées.

- Sur la réparation des préjudices subis :

- En ce qui concerne Mme [B] :

- Frais divers :

Les honoraires du médecin conseil sont justifiés et seront admis pour la somme de1 500,00 euros

- Déficit fonctionnel temporaire :

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice d'agrément avant consolidation et éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

Mme [B] a arrêté son travail le 15 septembre 1999, et les jumelles sont nées le [Date naissance 5] 1999. La période d'hospitalisation des jumelles, si elle a bien évidemment été une source de désagréments multiples et d'inquiétude pour Mme [B] ne peut être assimilée à une période de DFT, qui fait référence à une maladie traumatique personnellement subie par la victime. Une période de deux mois sera donc retenue au titre de la première grossesse.

En ce qui concerne la seconde, [T] est né le [Date naissance 2] 2004, alors que sa mère était en arrêt de travail depuis le 26 juillet 2003. La période de DFT pour cette grossesse est donc de 7 mois.

En ce qui concerne la troisième, il résulte du rapport d'expertise que Mme [B] a été alitée pendant toute la grossesse, soit du 15 novembre 2009 au 23 juillet 2010, soit pendant 8 mois.

Il y a donc lieu de retenir un DFT de 17 mois, qui sera réparé par la somme mensuelle de 700 euros, soit la somme totale de (700 x 17) = 11 900 euros

- Tierce personne :

Bien que la question n'ait pas été traitée par l'expert, il est manifeste que Mme [B] a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne pendant les périodes d'alitement qu'elle a connues, soit pendant 17 mois ou 510 jours. Le nombre d'heures réclamées est cependant excessif et sera ramené à 2 heures par jour, au tarif horaire moyen, compte tenu des salaires applicables à l'époque, de 12 euros.

Ce poste sera donc fixé à (510 x 24) =12 240 euros

- Pertes de gains professionnels et incidence professionnelle :

S'il est incontestable que la prématurité des jumelles, puis celle de [T], ont entraîné des soins particuliers au début de leur existence, rien ne démontre cependant que la décision de Mme [B] de solliciter, de manière tout à fait légitime, un congé parental d'éducation à l'issue de ses congés de maternité, ait été imposée par les soins spécifiques à donner aux enfants, dont il n'est pas justifié, en ce qui concerne la période postérieure à leurs hospitalisations néo-natales. Le jugement sera donc confirmé en ce que la demande au titre des pertes de gains professionnel a été écartée.

Mme [B] est devenue, malgré son exposition au DES, mère de quatre enfants dont il n'est pas établi qu'ils ont présenté des soucis de santé particuliers passée la période néonatale. Occupant avant les naissances un poste navigant au sein d'Air France, elle est devenue professeur des écoles après la naissance des quatre enfants. Ces circonstances ne suffisent pas non plus à caractériser l'incidence professionnelle qui aurait été imputable aux troubles de la fécondité subis et à la prématurité des trois enfants. En effet la décision de Mme [B] de changer d'activité professionnelle après la naissance des quatre enfants, au profit d'une activité dont les contraintes sont moindres en termes de déplacements et d'horaires, peut tout à fait s'expliquer, et fort légitimement, par le souci de leur éducation indépendamment de toute autre considération. Cette demande sera également rejetée.

- Souffrances endurées :

L'expert les a évaluées à 4,5 sur 7.

Il est incontestable que l'angoisse liée à la peur de perdre les jumelles pendant la grossesse, puis [T], et enfin sa dernière fille a été à l'origine de souffrances morales importantes, tout comme l'inquiétude liée à leur hospitalisation néo-natale. Il est néanmoins tout aussi certain que le succès qui a finalement couronné les efforts de Mme [B] pour avoir quatre enfants a constitué un réconfort. Ce poste de préjudice sera fixé à la somme de 10 000 euros.

- Déficit fonctionnel permanent :

Il n'est pas retenu par l'expert qui néanmoins rappelle la nécessité d'un suivi particulièrement strict sur le plan gynécologique, en raison des risques aggravés de cancer.

Il est de fait que les troubles de la fécondité imputables à l'exposition au Distilbène de Mme [B] ne lui ont laissé aucune gêne physique dans sa vie courante après consolidation. En revanche, l'obligation rappelée par l'expert de se soumettre à un suivi particulier en raison de la majoration des risques de cancer, ainsi que l'inquiétude récurrente qui en résulte constituent bel et bien des séquelles définitives de l'exposition au DES. La somme de 8 000 euros sera accordée à ce titre.

- Préjudice sexuel :

Le préjudice sexuel peut revêtir trois aspects : le préjudice morphologique, lié à l'atteinte aux organes sexuels, le préjudice lié à l'acte sexuel, et le préjudice de procréation.

Le préjudice morphologique est nul puisque les atteintes subies n'ont eu aucune incidence sur les rapports sexuels, dont l'absence pendant les grossesses ne peut être considérée comme seulement imputable aux risques de prématurité. Les difficultés à procréer ont été réparées dans le cadre du DFT et des souffrances endurées. En outre, fort heureusement, le souhait de Mme [B] d'avoir de nombreux enfants a pu se réaliser.

Ce poste de préjudice a été justement rejeté.

- Préjudice d'anxiété :

Aucun préjudice distinct de celui réparé au titre du DFP n'est caractérisé en l'espèce.

- En ce qui concerne Mme [K] :

Le sentiment de culpabilité allégué ne ressort d'aucun élément et la cour ne peut se contenter d'une affirmation de principe sur l'existence et l'étendue du préjudice moral allégué par Mme [K]. Le jugement sera infirmé sur ce point.

- En ce qui concerne M. [B] :

Le seul fait de voir son épouse alitée pour préserver l'issue de la grossesse en cours ne suffit pas à caractériser le préjudice moral allégué. M. [B] sera débouté de sa demande.

- En ce qui concerne la CPAM [Localité 2] :

Il résulte des pièces produites par la CPAM [Localité 2] que le coût des frottis contesté par UCB Pharma n'a pas été inclus dans les demandes qu'elle a formées, et qui correspondent pour la quasi totalité d'entre elles aux frais d'hospitalisation des trois enfants nés prématurément. Le jugement sera donc confirmé sur la somme allouée, soit 296 117,88 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.

- Sur les autres demandes :

L'indemnité de procédure mise à la charge d'UCB Pharma par le tribunal sera confirmée, mais jugée suffisante pour couvrir également les frais exposés devant la cour, étant observé que Glaxosmisthkline, dont la responsabilité n'est pas retenue, ne la doit pas.

L'équité commande en outre que la somme de 2 000 euros soit allouée à la CPAM [Localité 2].

Aucune considération d'équité ne commande par ailleurs que les autres demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile soient accueillies.

UCB Pharma supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Rejette la demande de nouvelle expertise,

Confirme le jugement déféré en ce que :

la société UCB Pharma a été déclarée responsable des préjudices causés par l'exposition in utero au DES de Mme [G] [U] épouse [B] et condamnée à les réparer,

la société UCB Pharma a été condamnée à payer à la CPAM [Localité 2] la somme de 296 117,88 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

la société UCB Pharma a été condamnée à payer à Mme [G] [U] épouse [B] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance, en ce compris les frais de consignation,

Infirmant sur le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Mme [G] [U] épouse [B], M. [B] et Mme [K] de leurs demandes contre la société Novartis devenue Glaxosmisthkline Santé Grand Public,

Fixe comme suit les postes de préjudices subis par Mme [G] [U] épouse [B], provisions non déduites et indépendamment des recours des tiers payeurs :

- frais divers1 500,00 euros

- tierce personne12 940,00 euros

- perte de gains professionnelsrejet

- incidence professionnellerejet

- déficit fonctionnel temporaire11 900,00 euros

- souffrances endurées10 000,00 euros

- déficit fonctionnel permanent 8 000,00 euros

- préjudice sexuelrejet

- préjudice spécifique d'anxiétérejet

Condamne la société UCB Pharma à payer lesdites sommes en deniers ou quittances,

Déboute Mme [K] et M. [B] de leurs demandes,

Condamne la société UCB Pharma à payer à la CPAM [Localité 2] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société UCB Pharma aux dépens d'appel, avec recouvrement direct.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 16/00357
Date de la décision : 14/04/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°16/00357 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-04-14;16.00357 ?
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