La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/03/2016 | FRANCE | N°14/00407

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 08 mars 2016, 14/00407


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

DR

Code nac : 39H

12e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 08 MARS 2016

R.G. No 14/00407

AFFAIRE :

SAS GIFI MAG

...

C/

SAS MAISONS DU MONDE R.C.S. Nantes no 383.196.656. ,

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 17 Décembre 2013 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

No Chambre : 4

No Section :

No RG : 2012F0046

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me

Stéphane CHOUTEAU

Me Martine DUPUIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT MARS DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

DR

Code nac : 39H

12e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 08 MARS 2016

R.G. No 14/00407

AFFAIRE :

SAS GIFI MAG

...

C/

SAS MAISONS DU MONDE R.C.S. Nantes no 383.196.656. ,

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 17 Décembre 2013 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

No Chambre : 4

No Section :

No RG : 2012F0046

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Stéphane CHOUTEAU

Me Martine DUPUIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT MARS DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS GIFI MAG

Zone Industrielle de la Barbie

47300 VILLENEUVE SUR LOT

Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - No du dossier 001531

Représentant : Me Pierre FAVEL, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

SAS GIFI DIFFUSION

Zone Industrielle de la Barbie

47300 VILLENEUVE SUR LOT

Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - No du dossier 001531

Représentant : Me Pierre FAVEL, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

APPELANTES

****************

SAS MAISONS DU MONDE

No SIRET : 383 .19 6.6 56.

Lieu-dit Le Portereau

44120 VERTOU

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - No du dossier 1452776

Représentant : Me Pierre MASSOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Février 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Dominique ROSENTHAL, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Dominique ROSENTHAL, Président,

Monsieur François LEPLAT, Conseiller,

Madame Florence SOULMAGNON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

Vu l'appel interjeté le 15 janvier 2014, par les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion d'un jugement rendu le 17 décembre 2013 par le tribunal de commerce de Pontoise qui a :

* dit que l'importation et la commercialisation par les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion de produits reprenant les éléments identifiant les gammes "Cuba", "Havana" et "Trinidad" de la société Maisons du Monde, à savoir le tampon "Cuba Libre", le tampon "Cuba Producto" et la mention "Z486", constituent des actes de concurrence déloyale et parasitaires,

* interdit aux sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion de reproduire, d'importer, de faire fabriquer, de commercialiser, d'offrir en vente et de vendre, sous quelque dénomination que ce soit et à quelque titre que ce soit, sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée, tout article de décoration comportant ensemble ou séparés les éléments identifiant les gammes susvisées,

* ordonné, sous le contrôle d'un huissier de justice, aux frais des sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard, la destruction de la totalité du stock d'articles litigieux, en leur possession,

* ordonné la publication du jugement dans trois journaux ou revues, français ou étrangers, au choix de la société Maisons du Monde et aux frais des sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion, dans la limite d'un plafond hors taxe global de 10.000 euros,

* ordonné l'inscription, par extraits, du jugement sur la page d'accueil du site internet www.gifi.fr pendant une durée de un mois, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard,

* dit que les astreintes débuteront passé un délai d'un mois à compter de la signification du jugement et pour une durée de deux mois, après quoi il appartiendra à la société Maisons du Monde de saisir le juge de l'exécution d'une nouvelle demande, le cas échéant,

* débouté les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion de leurs demandes reconventionnelles,

* condamné solidairement les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion à payer à la société Maisons du Monde la somme de 10.000 euros au titre du préjudice commercial,

* condamné solidairement les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion à payer à la société Maisons du Monde la somme de 50.000 euros au titre de la perte d'image,

* condamné solidairement les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion à payer à la société Maisons du Monde la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* condamné solidairement les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion à payer à la société Maisons du Monde la somme de 5.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 23 juillet 2014, par lesquelles les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion demandent à la cour de:

* constater que la saisine de la cour porte exclusivement sur la reproduction prétendue servile des éléments identifiant les gammes "CUBA", "HAVANA" et "TRINIDAD",

* réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 décembre 2013 par le tribunal de commerce de Pontoise,

Vu les dispositions de l'article 1382 du Code Civil,

* dire que la vente d'un coussin dans les magasins à l'enseigne GIFI situés à Vertou et Ezanville n'est pas de nature à créer un risque de confusion avec le modèle de coussin à l'effigie de Che Guevara vendu par la société Maisons du Monde,

* constater qu'il n'est pas justifié de la poursuite de la commercialisation de son coussin par la société Maisons du Monde à l'expiration du contrat de licence d'exploitation fixée au 15 avril 2011,

* dire qu'aucun préjudice commercial n'a pu être constitué et débouter la société Maisons du Monde des demandes formées au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,

* la débouter également de sa demande au titre de l'atteinte à son image,

* reconventionnellement, condamner la société Maisons du Monde à leur payer:

- la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamner la société Maisons du Monde aux dépens de première instance et d'appel;

Vu les dernières écritures en date du 20 novembre 2015, aux termes desquelles la société Maisons du Monde, formant appel incident, prie la cour de:

*confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Pontoise le 17 décembre 2013, sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de la reprise illicite des visuels d'Audrey Hepburn par les sociétés Gifi et en ce qu'il a sous-évalué le préjudice subi,

Et statuant à nouveau :

*dire que l'importation et la commercialisation par les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion de produits reprenant, de manière servile, les éléments identifiant les gammes "CUBA", "HAVANA" et "TRINIDAD" (à savoir le tampon "CUBA LIBRE", le tampon "CUBA PRODUCTO" et la mention "Z486"), constituent des actes de concurrence déloyale et parasitaire au sens des articles 1382 et suivants du code civil,

* dire que l'importation et la commercialisation par les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion de produits reproduisant, sans autorisation, des visuels pour lesquels la société Maisons du Monde avait quant à elle obtenu des droits, caractérisent un comportement fautif au sens des articles 1382 et suivants du code civil,

En conséquence,

*interdire aux sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion de reproduire, d'importer, de faire fabriquer, de commercialiser, d'offrir en vente et de vendre, sous quelque dénomination que ce soit et à quelque titre que ce soit, et ce, sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, tout article de décoration comportant, ensemble ou séparément, les éléments identifiant les gammes "CUBA", "HAVANA" et "TRINIDAD",

* ordonner, sous le contrôle d'un Huissier de Justice désigné à cet effet, aux frais des sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion et sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la destruction de la totalité du stock d'articles litigieux, en leur possession,

*dire qu'en application de l'article L.131-3 du code des procédures civiles d'exécution, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la cour ayant statué sur la présente demande,

* condamner les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion au versement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial et de l'atteinte portée à ses investissements et à son image, sauf à parfaire après communication des quantités d'articles litigieux détenus et vendus par les appelantes,

* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues, français ou étrangers, au choix de la société Maisons du Monde et aux frais des sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion dans la limite d'un plafond hors taxes global de 10.000 euros pour l'ensemble des trois publications, et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires,

* ordonner l'inscription par extraits de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du site Internet www.gifi.fr, pendant une durée d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard.

* dire irrecevables et mal fondées l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion et les en débouter.

* condamne les sociétés GIfi Mag et Gifi Diffusion au versement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens comprenant les frais de constat;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

* la société Maisons du Monde est spécialisée dans l'équipement et la décoration de la maison, proposant à sa clientèle, dans ses 230 magasins en France et à l'étranger, à l'enseigne éponyme, des articles de décoration mixant les influences et les couleurs et évoquant des destinations lointaines,

* au début de l'année 2009, elle a décidé de développer des gammes autour du thème de Cuba et de la Havane,

* ce thème cubain a été choisi comme le thème de la saison printemps-été 2010 selon des codes couleurs très vifs,

* des premières ébauches ont été modifiées lors des réunions de style, avant d'aboutir aux décors définitifs "Cuba", "Havana" et "Trinidad,

* ces décors ont été apposés sur des articles de décorations, tels que des toiles, magnets, lumignons, boîtes, dessous de verre, coussins, plateaux, cadres photos,

* avant toute commercialisation de ces créations sur le marché français, la société Maisons du Monde a déposé plusieurs enveloppes Soleau dont l'ouverture a été constatée par huissier les 31 mars, 5 et 15 avril 2011,

*les gammes d'articles de décoration "Cuba", "Havana" et "Trinidad" ont été intégrés dans des corners dédiés à la thématique de Cuba auprès des magasins à l'enseigne Maisons du Monde dès le mois de février 2010,

* Gifi est une enseigne de distributions de produits à petits prix pour la maison, présente sur l'ensemble du territoire français avec plus de 400 magasins,

* la société Gifi Mag figure parmi les sociétés qui exploitent ces magasins et la société Gifi Diffusion en est la centrale d'achat,

* au mois de janvier 2012, la société Maisons du Monde a appris que les magasins à l'enseigne Gifi offraient à la vente en France des coussins reproduisant, selon elle de manière servile, les accroches visuelles de sa gamme cubaine,

* le 20 janvier et 10 juillet 2012, la société Maisons du Monde a fait procéder à des constats d'achat par huissier dans des magasins Gifi situés à Vertou et à Ezanville,

* c'est dans ces circonstances, que le 3 août 2012, la société Maisons du Monde a assigné devant le tribunal de commerce de Pontoise les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion en concurrence déloyale et parasitaire,

* en cours d'instance, la société Maisons du Monde aurait eu connaissance de la commercialisation par les sociétés Gifi d'un modèle de coussin et d'une housse de rangement reprenant deux visuels d'Audrey Hepburn alors qu'elle venait de sélectionner les visuels de cette actrice pour valoriser ses produits et pour lesquels elle avait acquis une licence d'exploitation,

* c'est dans ces circonstances, qu'est intervenu le jugement déféré;

Sur l'étendue de la saisine de la cour:

Considérant que les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion exposent qu'au visa de l'article 564 du code de procédure civile, le débat devant la cour ne peut porter que sur la reproduction des éléments identifiant les gammes "Cuba", "Havana" et "Trinidad" et non sur la reproduction de l'effigie d'Audrey Hepburn qui constituerait une demande nouvelle, observant en tout état de cause que la société Maisons du Monde n'a pas interjeté appel incident du jugement sur ce point;

Considérant que la société Maisons du Monde réplique avoir formé en première instance des demandes au titre de l'exploitation des visuels d'Audrey Hepburn, avoir soutenu dès ses conclusions du 13 février 2013, puis dans l'ensemble de ses conclusions ultérieures, l'utilisation illicite de ces visuels qui a accru son préjudice d'image justifiant l'augmentation du quantum de sa demande de réparation de 50.000 euros à 100.000 euros; qu'elle ajoute que dès ses premières conclusions d'appel, elle a demandé à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de cette reprise illicite et en ce qu'il a sous-évalué le préjudice subi;

Considérant que dans ses dernières écritures de première instance en date du 10 septembre 2013, la société Maisons du Monde a soutenu (page 17) avoir appris en cours de procédure que les défenderesses commercialisaient désormais des produits reprenant des visuels d'Audrey Hepburn alors qu'elle avait sélectionné des visuels de cette actrice pour mettre en avant ses produits et conclu un contrat de licence avec la société Paramount et les ayants droits d'Audrey Hepburn; qu'elle a relevé en page 18 de ces écritures que ces nouveaux actes litigieux ne sauraient relever du hasard mais illustraient au contraire la politique commerciale déloyale mise en place par les société Gifi, qui leur permet d'obtenir des avantages indus sur le marché par rapport aux autres acteurs du marché, à leur plus grand profit et à son détriment; qu'en page 25 de ces conclusions, elle a indiqué que les nouveaux actes litigieux commis par les sociétés Gifi ont nécessairement accru son préjudice d'image qu'elle a entendu voir réparer, aux termes du dispositif de ses écritures, par la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts;

Que contrairement à ce que soutiennent les sociétés Gifi, au terme du dispositif de ses conclusions déposées devant la cour, la société Maisons du Monde, forme bien un appel incident du jugement, dès lors qu'elle demande la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de la reprise illicite des visuels d'Audrey Hepburn par les sociétés Gifi et en ce qu'il a sous-évalué le préjudice subi, peu important qu'elle ne sollicite pas de mesure d'interdiction concernant ces visuels, de sorte que la cour est bien saisie de ces prétentions énoncées au dispositif;

Que ces prétentions, dès lors qu'elles portent sur l'appréciation globale du préjudice subi, ne sauraient être nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile;

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme:

Sur les décors "Cuba", "Havana" et "Trinidad":

Sur la concurrence déloyale:

Considérant que le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduit, sous certaines conditions tenant notamment en l'absence de risque de confusion dans l'esprit du consommateur sur l'origine du produit;

Considérant en l'espèce, que la société Maisons du Monde expose que l'ensemble des éléments distinctifs des décors "Cuba", "Havana" et "Trinidad" qu'elle a créés ont été reproduits à l'identique, sans aucune modification, par les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion, celles-ci ayant simplement décalqué et découpé ces éléments pour les apposer sur leurs propres produits afin de créer un rattachement avec les produits Maisons du Monde;

Qu'elle caractérise ses décors par:

- une association spécifique de couleurs vives (bleu turquoise, rose, rouge, jaune, orange, vert anis, violet)

- la reproduction d'illustrations évoquant Cuba, telles que des berlines des années 1950, de vieux bâtiments de la Havane, le slogan "Cuba Libre", l'image de Che Guevara,

- des éléments graphiques forts, dessinés spécifiquement pour accrocher le consommateur et l'inviter à voyager dans l'univers cubain,

- un tampon "Cuba Libre" apposé de manière légèrement inclinée, dans une typographie spécifique, avec une combinaison de lettres majuscules et minuscules qui apporte de la fantaisie au thème abordé, des représentations évoquant les traces d'encre d'un tampon visibles autour de l'écriture, la styliste ayant voulu créer "un côté chiné, usé, une patine comme si des éléments avaient été calqués de murs cubains", enfin, un point apposé en haut à droite de la lettre " a" du mot " Cuba" à la manière d'une signature,

- un cachet postal avec diverses inscriptions en lettres majuscules détourées noires et dans une police évoquant une fabrication artisanale, à savoir "CUBA PRODUCTO" et "CAEE" sur le tour extérieur du cachet et "No5", "12" et "1948" en son centre, chiffres ayant été spécifiquement choisis par la styliste pour donner une impression d'authenticité et évoquer une carte postale écrite lors d'un voyage en 1948,

-le sigle "Z486" apposé en lettres majuscules et en police "Stencil" de style pochoir, reproduit de manière légèrement inclinée, sur le cachet postal susvisé, sigle inhabituel, destiné à évoquer une immatriculation de bateau et participant ainsi à l'authenticité du "carnet de voyage"créé par son bureau de style;

Qu'elle rappelle avoir, avant toute commercialisation, afin de les protéger et leur donner date certaine, déposé plusieurs enveloppes Soleau dont les ouvertures ont été constatées par huissier les 31 mars, 5 et 15 avril 2011;

Considérant que les sociétés Gifi, qui contestent tout comportement déloyal, répliquent que le motif de dessin figurant sur le coussin qu'elles ont commercialisé s'il représente des symboles de l'île de Cuba, n'a rien de comparable avec le coussin vendu par la société Maisons du Monde qui a pour motif principal la photographie de Che Guevara, que l'élément de décor de leur coussin le plus apparent est une voiture américaine des années 1950, au-dessus de laquelle apparaissent en retrait cinq personnages dont trois musiciens, que sur la partie inférieure figure un paysan avec son chapeau de paille, cigarette à la bouche et roulant du tabac, que la mention "Cuba Libre" inscrite au-dessus du personnage symbolise la libération de l'île par Fidel Castro et est le nom donné à l'un des cocktails créé à la Havane, que le tampon "Cuba No5 1948 CAEE No1" est symbolique de l'image de Cuba pour des raisons géopolitiques, que le tampon dont se prévaut la société Maisons du Monde ne figure pas sur le coussin commercialisé par cette dernière, de sorte que le seul point de ressemblance est la mention "Cuba Libre" qui n'est pas de nature à créer un risque de confusion, cette mention occupant, au surplus, un espace moindre par rapport aux autres thèmes figurant sur le décor et étant en retrait sur le coussin vendu par la société Maisons du Monde sur lequel le visage de Che Guevara est prépondérant;

Qu'elles en concluent qu'il ne peut leur être reproché d'avoir recherché sans nécessité une confusion avec les produits de son concurrent tant la présentation des produits est différente et ajoutent que le thème cubain est emprunté par de nombreux fabricants et distributeurs, ne peut faire l'objet d'une appropriation privative, que les couleurs vives appartiennent à l'identité cubaine et relèvent du domaine public;

Or considérant que la société Maisons du Monde ne fait pas grief aux ²sociétés Gifi d'avoir reproduit les éléments du décor d'un coussin, qui figure dans les "book photos-magasin pilote", juxtaposant quatre photographies de Che Guevara, mais d'avoir repris l'ensemble des éléments distinctifs de ses décors "Cuba", "Havana" et "Trinidad" pour les apposer sur un coussin afin de créer un rattachement avec les articles commercialisés dans les magasins à l'enseigne Maisons du Monde;

Qu'elle ne revendique pas davantage l'appropriation du thème cubain ou de couleurs vives, mais reproche aux sociétés Gifi d'avoir multiplié les éléments de ressemblance avec ses décors alors qu'elles étaient libres de choisir n'importe quel décor pour leur produit, aucune contrainte technique ne limitant leur liberté de choix;

Que force est de constater que le produit commercialisé par les sociétés Gifi reproduit:

- le tampon "Cuba Libre" au graphisme particulier, dans une typographie identique, avec la même combinaison de lettres majuscules et minuscules, l'évocation de traces d'encre du tampon, le point apposé à droite de la lettre "a" du terme Cuba, selon la même inclinaison de droite à gauche,

- l'inscription "Z486" parfaitement arbitraire en matière d'articles de décoration, à l'identique, en police "Stencil" légèrement inclinée,

- l'apposition de la mention "Z486" sur le tampon "Cuba Producto" en forme de cachet postal et comportant les mentions "Cuba Producto" et "CAEE" sur le tour extérieur, les chiffres "No5", "12", "1948" au centre du cachet, le partiel effacement des chiffres "5"et "48",

- les codes couleurs vives choisies par la société Maisons du Monde;

Considérant que si pris isolément, chacun des éléments précités ne caractérise pas, à lui seul un acte déloyal, en revanche leur ensemble révèle la reprise sans nécessité de multiples éléments caractérisant et identifiant les produits "Cuba", "Havana" et "Trinidad" de la société Maisons du Monde, de nature à créer un risque de confusion, dès lors que le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, n'ayant gardé en mémoire qu'un souvenir imparfait des produits en présence, sera amené à croire que les produits vendus dans les magasins à l'enseigne Gifi sont issus d'une même gamme que ceux commercialisés par la société Maisons du Monde ou en constituent des déclinaisons;

Que cette reprise sans nécessité de nature à créer une confusion, traduit un comportement déloyal imputable aux sociétés Gifi, attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce;

Que confirmant le jugement entrepris, il convient de retenir à l'encontre des sociétés Gigi Mag et Gifi Diffusion un comportement fautif engageant leur responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil;

Sur les agissements parasitaires:

Considérant que la société Maisons du Monde expose que les actes commis par les sociétés Gifi constituent également des actes de parasitisme qui portent atteinte à l'image de ses produits, construite au prix d'efforts conséquents au cours des dernières années;

Que les sociétés Gifi répliquent qu'en dépit du volume considérable de pièces produites, la société Maisons du Monde ne justifie pas des lourds investissements consacrés à ses créations;

Considérant que le parasitisme économique se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire; qu'un tel comportement est fautif sans qu'il soit nécessaire de démontrer un risque de confusion ou la recherche d'un avantage concurrentiel au détriment de la victime; qu'il suffit de caractériser, à la charge du parasite, l'intention de promouvoir sa propre activité commerciale en profitant gratuitement et sans risque du fruit des efforts de toute nature et des investissements d'autrui;

Considérant que la société Maisons du Monde verse aux débats une attestation de son directeur administratif et financier en date du 23 juillet 2010, faisant état d'investissements au cours des années 2003 à 2009, au titre des salaires de ses stylistes et coordinateurs visuels, d'un montant d'environ 7 millions d'euros;

Mais considérant que les pièces versés aux débats par la société Maisons du Monde attestent du succès rencontré par ses produits, mais n'apportent aucune information précise sur la nature et le montant des investissements propres et particuliers aux décors concernés dont il n'est pas justifié qu'ils constitueraient des décors phares de ses collections aptes à l'identifier auprès du public;

Qu'infirmant la décision sur ce point, le grief de parasitisme sera rejeté;

Sur les visuels d'Audrey Hepburn:

Considérant que la société Maisons du Monde expose avoir appris en cours de procédure qu'au mois de septembre 2012, les sociétés Gifi commercialisaient un coussin reprenant un visuel d'Audrey Hepburn, alors qu'elle avait sélectionné des visuels de cette artiste pour mettre en avant ses produits et conclu au mois de mars 2012, un contrat de licence avec la société Paramount et les ayants droits d'Audrey Hepburn;

Qu'elle soutient que les agissements des sociétés Gifi traduisent un comportement déloyal et parasitaire;

Mais considérant, comme relevé le tribunal, que si la licence dont la traduction est produite aux débats, a pour objet le film intitulé "Breakfast at Tiffany's" ("Diamants sur canapé" en français), en revanche il n'est nullement démontré que les droits consentis par les studios Paramount concernent également l'effigie d'Audrey Hepburn reproduite sur le coussin vendu par les sociétés Gifi, que cette licence d'exploitation serait exclusive, qu'en outre, il n'est produit aucun document établissant que des produits revêtus de l'image de cette actrice auraient été commercialisés par la société Maisons du Monde antérieurement à la commercialisation du coussin incriminé par les sociétés Gifi;

Que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté les prétentions de la société Maisons du Monde relatives aux visuels d'Audrey Hepburn;

Sur les mesures réparatrices:

Considérant que la société Maisons du Monde sollicite la réparation de son préjudice commercial et de l'atteinte portée à son image qu'elle évalue à la somme globale de 100.000 euros;

Qu'elle rappelle, au soutien de ses prétentions relatives à son préjudice commercial, ses efforts pour créer et offrir à sa clientèle des décors originaux, sans cesse renouvelés, avoir largement investi au titre des salaires de ses stylistes; qu'elle fait valoir qu'en proposant à la vente sur l'ensemble du territoire français un article reproduisant les éléments distinctifs de ses produits, les sociétés Gifi ont détourné à leur profit le courant d'achat favorable qu'elle a créé, qu'en prenant l'hypothèse où chaque magasin Gifi aurait vendu une dizaine de coussins litigieux, les sociétés Gifi ont réalisé un chiffre d'affaire indu de 31.960 euros, que les sociétés Gifi ont incité la clientèle à procéder à des achats dans leurs magasins en profitant du pouvoir attractif des décors qu'elle a créés;

Qu'elle prétend à une atteinte portée à ses investissements et à son image, dès lors que les agissements des sociétés Gifi auraient entraîné la banalisation des éléments identifiant les gammes "Cuba", "Havana" et "Trinidad", dévalorisant ses investissements humains et financiers pour assurer le succès de ses produits, laissant croire au consommateur que les articles Maisons du Monde ne sont pas des créations originales et exclusives;

Considérant, sur le préjudice commercial, que les sociétés Gifi répliquent que la société Maisons du Monde s'est livrée à un calcul arbitraire en prenant en compte 400 magasins à l'enseigne Gifi qui auraient réalisé un chiffre d'affaires indu de (400 X 10 X 7,99) = 31.960 euros, que le chiffre de 400 est erroné, que les bénéfices réalisés n'ont pas à être pris en compte dans le cadre d'une action en concurrence déloyale, que la société Maisons du Monde n'invoque pas un prix de vente du coussin litigieux à un prix sensiblement inférieur par rapport à ses propres modèles, qu'elle ne justifie pas de la commercialisation de ses coussins après l'été 2010, de sorte qu'elle n'a pu subir la moindre concurrence et que le préjudice est inexistant;

Qu'elle rétorquent que la vente de quelques coussins ne peut constituer une atteinte à l'image ou la notoriété de l'enseigne "Maisons du Monde", que la perte d'image n'est aucunement démontrée;

Mais considérant qu'il convient de relever que la société Maisons du Monde ne reproche pas aux sociétés Gifi une copie de son modèle de coussin, mais la reproduction d'un ensemble d'accroches visuelles qui caractérisent les décors de trois de ses gammes, de sorte qu'il importe peu de déterminer à quelle date la société Maisons du Monde a cessé de commercialiser ses coussins et à quel prix ceux-ci étaient offerts à la vente;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucun acte de parasitisme n'étant établi à l'encontre des sociétés Gifi, la société Maisons du Monde ne saurait prétendre à une atteinte à ses investissements;

Considérant sans qu'il soit besoin d'entrer dans le détail inopérant de l'argumentation des parties, qu'il est constant qu'en proposant à la vente un article reproduisant les éléments identifiant trois décors de la société Maisons du Monde, les sociétés Gifi ont banalisé ces décors; qu'il s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés l'existence d'un préjudice pour la société Maisons du Monde, à tout le moins d'un trouble commercial, d'une atteinte portée à son image; que ce préjudice sera entièrement réparé par la somme de 35.000 euros mise à la charge in solidum des sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion, la décision entreprise étant infirmée sur le montant des dommages et intérêts alloués;

Considérant que les mesures d'interdiction, de destruction du stock, d'astreinte et de publication prononcées par le tribunal, selon les modalités précisées au dispositif du jugement, seront confirmées, sauf à y ajouter que les mesures de publication devront faire mention du présent arrêt; qu'il n'y a pas lieu de réserver la liquidation de l'astreinte à la cour;

Sur les demandes reconventionnelles des sociétés Gifi:

Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande en dommages et intérêts formée par les sociétés Gifi pour procédure abusive;

Sur les autres demandes:

Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application;

Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire droit aux prétentions de la société Maisons du Monde, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion qui succombent et doivent supporter la charge des dépens d'appel;

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Constate que la saisine de la cour ne porte pas exclusivement sur la reproduction des éléments identifiant les gammes "Cuba", "Havana" et "Trinidad",

Confirme le jugement déféré sauf:

- en ce qu'il a retenu des agissements parasitaires imputables aux sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion,

- sur le montant des dommages et intérêts,

L'infirme sur ces points et statuant à nouveau,

Déboute la société Maisons du Monde de ses prétentions au titre du parasitisme,

Condamne in solidum la société Gifi Mag et la société Gifi Diffusion à payer à la société Maisons du Monde la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale,

Y ajoutant,

Dit que les mesures de publication ordonnées par le premier juge devront faire mention du présent arrêt,

Condamne in solidum les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion à payer à la société Maisons du Monde la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne in solidum les sociétés Gifi Mag et Gifi Diffusion aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Mme Dominique ROSENTHAL, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 14/00407
Date de la décision : 08/03/2016
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Analyses

12 ème chambre, 8 mars 2016, RG n° 14/00407 1° CONCURRENCE DÉLOYALE OU ILLICITE - Concurrence déloyale. - Faute. - Confusion créée. - Reproduction sans nécessité d'un ensemble d'éléments de nature à créer un risque de confusion. Un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduit, sous certaines conditions tenant notamment en l'absence de risque de confusion dans l'esprit du consommateur sur l'origine du produit; Si pris isolément, chacun des éléments reproduits ne caractérise pas, à lui seul un acte déloyal, en revanche leur ensemble est de nature à créer un risque de confusion, pour le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, n'ayant gardé en mémoire qu'un souvenir imparfait des produits en présence, qui sera amené à croire que les produits litigieux sont issus d'une même gamme que les produits d'origine ou en constituent des déclinaisons. La reprise sans nécessité de ces éléments de nature à créer une confusion, traduit un comportement déloyal, attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce. 2° CONCURRENCE DÉLOYALE OU ILLICITE - Concurrence déloyale. - Faute. - Parasitisme. Le parasitisme économique se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, sans qu'il soit nécessaire de démontrer un risque de confusion ou la recherche d'un avantage concurrentiel au détriment de la victime. Il suffit de caractériser, à la charge du parasite, l'intention de promouvoir sa propre activité commerciale en profitant gratuitement et sans risque du fruit des efforts de toute nature et des investissements d'autrui. En l'espèce le grief de parasitisme n'est pas établi par la société demanderesse, qui, si elle démontre le succès rencontré par ses produits, n'apporte aucune information précise sur la nature et le montant des investissements propres et particuliers aux décors concernés dont il n'est pas justifié qu'ils constitueraient des décors phares de ses collections aptes à l'identifier auprès du public.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2016-03-08;14.00407 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award