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03/03/2016 | FRANCE | N°14/02765

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 03 mars 2016, 14/02765


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 60A



3e chambre



ARRET N°



DE DEFAUT



DU 03 MARS 2016



R.G. N° 14/02765







AFFAIRE :





SA COVEA FLEET

...



C/



[G] [U] veuve [A],prise en sa qualité de tutrice légale de son fils incapable majeur, Monsieur [M], [C] [A], né le [Date naissance 1] 1968



...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Décemb

re 2013 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE

N° Chambre : 1

N° RG : 11/05893







Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Alexis BARBIER de la SCP BARBIER

Me Claire RICARD

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 60A

3e chambre

ARRET N°

DE DEFAUT

DU 03 MARS 2016

R.G. N° 14/02765

AFFAIRE :

SA COVEA FLEET

...

C/

[G] [U] veuve [A],prise en sa qualité de tutrice légale de son fils incapable majeur, Monsieur [M], [C] [A], né le [Date naissance 1] 1968

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Décembre 2013 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE

N° Chambre : 1

N° RG : 11/05893

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Alexis BARBIER de la SCP BARBIER

Me Claire RICARD

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-

[Localité 1]

Me Franck LAFON

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS MARS DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

1/ SA COVEA FLEET

N° SIRET : 342 815 339

[Adresse 1]

[Localité 2]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

2/ SAS GT ILE DE FRANCE NORD

N° SIRET : 432 251 114

ci-devant

[Adresse 2]

[Localité 3]

et actuellement [Adresse 3]

[Localité 4]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Alexis BARBIER de la SCP BARBIER, Postulant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 102 - N° du dossier 314786

Représentant : Me Alain BARBIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTES

****************

1/ Madame [G] [U] veuve [A], prise en sa qualité de tutrice légale de son fils incapable majeur, Monsieur [M], [C] [A], né le [Date naissance 1] 1968

née le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 5] (INDE)

de nationalité Française

[Adresse 4]

Bâtiment L1

[Localité 6]

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2014188

Représentant : Me JOLINON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

2/ Association APAJH 95

[Adresse 5]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 12414

Représentant : Me Francis PUDLOWSKI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0122

INTIMEE

3/ SA MAIF

Service corporels graves dossier : n° M 09 1110186 P C79N 68

N° SIRET : 341 672 681

[Adresse 6]

[Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20140256

Représentant : Me Christian BOUSSEREZ, Plaidant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 89

INTIMEE

4/ MGEN

[Adresse 7]

[Localité 9]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Janvier 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise BAZET, Conseiller chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier en pré-affectation, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET

----------

FAITS ET PROCEDURE

Le foyer d'accueil médicalisé [Établissement 1], qui dépend de l'Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés du Val d'Oise, l'APAJH 95, accueille une soixantaine de résidents polyhandicapés. Le 7 décembre 2009, [U] [O], chauffeur poids lourd employé par la société GT Ile de France Nord, est entré au volant de son camion frigorifique dans la cour du foyer en marche arrière, pour effectuer une livraison, et a, dans sa manoeuvre, écrasé [M] [C] [A], adulte handicapé et résident permanent du centre. Ce dernier, qui présentait avant l'accident, un taux d'invalidité de 100 % a été transporté aux urgences à l'hôpital [Établissement 2]. Un bilan clinique, établi le 22 janvier 2010 par le docteur [B], a relevé de nombreuses fractures du massif facial dont certaines très importantes, avec notamment une destruction du globe oculaire gauche, de multiples plaies et des blessures. Il a évalué l'incapacité de travail à 3 mois sous réserve de complications ultérieures.

La société Covea Fleet, assureur du camion impliqué dans l'accident, n'a pas contesté le principe du droit à indemnisation de la victime et a versé une indemnité provisionnelle de 10 000 euros à sa tutrice, [G] [U] veuve [A], selon quittance du 2 mars 2011.

Par exploits d'huissier des 13, 19 et 21 juillet 2011, la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord, son assurée, ont assigné l'APAJH 95, la MAIF, [G] [U] veuve [A] en sa qualité de tutrice et la société d'assurance MGEN sur le fondement des articles 1251 et 1382 du code civil, aux fins notamment que soit constaté le manquement de l'APAJH 95 à son obligation de sécurité et que cette dernière soit tenue, ainsi que son assureur la MAIF, de les garantir.

Par le jugement entrepris, le tribunal a :

- rejeté l'exception de nullité et la fin de non-recevoir soulevées par l'APAJH 95,

- débouté la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord de leur demande en contribution à leur dette de réparation du dommage subi par [M] [C] [A],

- condamné la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord à indemniser intégralement le préjudice subi par [M] [C] [A],

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- déclaré le jugement commun et opposable à [G] [U] veuve [A], prise en sa qualité de tutrice de son fils, ainsi qu'à la MGEN prise en sa qualité d'organisme social,

- condamné la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord à payer chacune la somme de 1000 euros à l'APAJH 95, 1000 euros à la MAIF ainsi que celle de 2 000 euros à [G] [U] veuve [A] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les mêmes aux dépens.

La société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord ont interjeté appel de ce jugement le 9 avril 2014.

Dans leurs conclusions signifiées le 21 janvier 2015, elles demandent à la cour de :

- dire recevable leur appel,

- infirmer en totalité le jugement entrepris,

Statuant à nouveau :

- juger que l'APAHJ était tenue d'une obligation de moyen renforcée de sécurité et de surveillance envers ses résidents,

- juger que la cour d'entrée du foyer constitue un espace ouvert à la circulation de véhicules terrestres à moteurs,

- juger notoirement insuffisantes les mesures prises portant sur la seule surveillance du portail d'entrée,

- juger que la manoeuvre obligée, en marche arrière, d'un camion de 19 tonnes pour la livraison des produits alimentaires à la cuisine, constitue un événement prévisible,

- juger que l'absence de tout protocole de sécurité en prévision de tels événements tout comme la présence constante et répétée des résidents sans surveillance dans cette cour, constituent un manquement caractérisé de l'APAHJ à son obligation de moyen renforcée,

- juger qu'aucune faute, négligence ou imprudence n'a pu être caractérisée à l'encontre du conducteur du véhicule impliqué,

- juger que l'APAHJ est seule tenue à la contribution à la dette d'indemnisation du préjudice subi par [M], [C] [A], représenté par sa tutrice,

- condamner l'APAHJ et son assureur la MAIF, à relever et garantir intégralement les sociétés Covea Fleet et GT Ile de France de toutes sommes qu'elles auront été ou seront amenées, ou encore condamnées, à payer en faveur de [M], [C] [A], représenté par sa tutrice, par suite de l'accident dont il a été victime le 7 décembre 2009,

- les condamner à leur payer la somme de 10 000 euros au titre du remboursement d'une provision à valoir sur la liquidation définitive du préjudice,

- les condamner à leur payer la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel,

- les condamner aux dépens, tant de première instance que d'appel, avec recouvrement direct,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la MGEN.

Dans ses conclusions signifiées le 28 août 2014, l'APAHJ 95 demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 17 décembre 2013 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- constater l'absence de responsabilité de l'APAJH 95,

- débouter la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord de l'intégralité de leurs demandes formées à son égard,

En tout état de cause,

- juger que la MAIF en sa qualité d'assureur de l'APAJH 95 devra la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre,

- condamner la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord à lui payer la somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions signifiées le 2 septembre 2014, la société MAIF demande à la cour de :

- rejeter les prétentions de la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord tant comme irrecevables que mal fondées,

- confirmer en son intégralité le jugement déféré,

- condamner solidairement la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions signifiées le 4 août 2014, [G] [U] veuve [A] demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- condamner la société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord, l'APAJH 95 et la MAIF solidairement à lui payer, en sa qualité de tutrice légale de [M] [C] [A], la somme de 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens.

L'acte d'appel et les conclusions des appelantes du 3 juillet 2014 ont été signifiés à la MGEN le 15 juillet 2014, laquelle n'a pas constitué avocat.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions notifiées aux dates mentionnées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 décembre 2015.

SUR QUOI, LA COUR

Il sera constaté que le rejet de l'exception de nullité et de la fin de non-recevoir soulevées par l' APAJH 95 prononcé par le tribunal n'est pas discuté devant la cour et est donc définitif.

La société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord font essentiellement valoir que l'établissement de [Localité 10] qui accueille des adultes souffrant de lourds handicaps est tenu à une obligation de sécurité renforcée qu'il n'a pas respectée à l'égard de son résident, ce qui est à l'origine du préjudice qu'eux-mêmes subissent, faute qui oblige cet établissement à être seul tenu à la contribution à la dette. Ils soulignent que contrairement à ce que soutient l'APAJH 95, elle n'avait pris aucune mesure permettant d'effectuer une surveillance efficace de ses résidents, lesquels pouvaient circuler librement y compris dans la cour où s'effectuaient les livraisons.

La MAIF affirme que la société Covea Fleet a été tenue d'indemniser la victime du fait d'une obligation légale et non du fait d'un dommage causé par un tiers. Elle soutient que seul le comportement fautif du chauffeur est à l'origine de l'accident dont [M] [C] [A] a été victime et ce d'autant qu'il connaissait bien les lieux.

Après avoir longuement rappelé les règles éthiques qui inspirent son projet d'accueil de personnes poly-handicapées, et spécialement le respect de leur liberté d'aller et venir au sein de la structure d'hébergement, l'APAJH 95 soutient que le dommage subi par [M] [C] [A] résulte de l'accident causé par le camion conduit par [U] [O]. Elle fait par ailleurs valoir qu'elle avait pris toutes les dispositions permettant d'assurer la sécurité de ses résidents et que l'événement n'était en rien prévisible.

Quant à [G] [U] , après avoir rappelé qu'elle avait évoqué par une lettre du 22 avril 2010 la responsabilité de l'APAJH 95 du fait de 'sa négligence dans l'application des règles élémentaires de sécurité', elle conclut à la confirmation du jugement dans la mesure où le droit de son fils à être intégralement indemnisé n'est pas contesté.

* * *

Il est de principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

La société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord sont donc fondées à soutenir que si un manquement de l'établissement qui accueille [M] [C] [A] aux règles de sécurité est à l'origine de l'accident dont ce dernier a été victime, elles peuvent obtenir réparation du préjudice qui en est résulté pour elles-mêmes.

Il est également de principe que la contribution à la dette de réparation du dommage subi par la victime d'un accident de la circulation, entre un conducteur impliqué dans l'accident et un autre coobligé fautif, a lieu en proportion de la gravité des fautes respectives si de telles fautes devaient être retenues.

C'est donc à raison que le tribunal a recherché si le conducteur avait commis une faute et si l'établissement d'accueil avait manqué à son obligation de sécurité et de surveillance, laquelle est une obligation de moyens spécifique, déterminée en fonction de la pathologie de ses résidents.

Il est constant que le lundi 7 décembre 2009, à 10 heures, [U] [O] au volant du camion frigorifique de son employeur, procédait à la livraison de denrées alimentaires au sein du centre APAJH 95 et, alors qu'il entrait dans la cour en marche arrière, heurtait avec l'arrière de son véhicule [M] [C] [A] qui était traîné sur une courte distance, jusqu'à l'arrêt du camion, le conducteur étant averti par un salarié de l'établissement de ce qui venait de se produire.

De la déposition d'[U] [O] recueillie par les services de gendarmerie le lendemain des faits, doivent être retenus les éléments suivants :

- il travaille pour le compte de la société GT Ile de France Nord depuis cinq ans et conduit le poids-lourd de 19 tonnes avec lequel l'accident s'est produit depuis un an,

- il effectue les livraisons au sein du foyer de [Localité 10] depuis 5 ans, cette livraison a lieu tous les lundis entre 10h et 10h30,

- lorsqu'il a commencé ses livraisons cinq ans plus tôt, il sonnait au portail et attendait qu'un membre du personnel des cuisines lui ouvre puis, comme il n'y avait pas toujours quelqu'un de disponible, on lui avait donné le code, voici trois ans et qui depuis n'avait jamais changé,

- lors des livraisons personne ne vient l'aider à réaliser sa manoeuvre,

- il entre dans la cour de l'établissement en marche arrière parce qu'il est très difficile voire impossible de manoeuvrer une fois dans la cour,

- le 7 décembre 2009, il n'a pas été nécessaire de taper le code d'entrée, le portail était ouvert, deux véhicules venant d'entrer dans l'enceinte du foyer.

[U] [O] ajoute que comme à son habitude, lors de la manoeuvre de marche arrière, il avait éteint le frigo du camion, la radio, ouvert les fenêtres afin de pouvoir entendre le moindre bruit. Ce jour là, il avait vu un membre du personnel courir vers lui, en faisant des grands gestes. Il avait stoppé son camion mais la victime était déjà dessous, à hauteur des roues arrière.

A la demande des enquêteurs, [U] [O] précisait qu'il connaissait de vue la victime, qui s'approchait souvent de son camion lorsque celui-ci était stationné. Il ajoutait que depuis qu'il effectuait ses livraisons dans ce foyer, il avait été frappé par le fait que les résidents se promenaient librement dans la cour, sans surveillance, alors que des voitures, des camionnettes et des camions de livraison y circulaient, et que trouvant cela d'autant plus dangereux du fait des handicaps affectant ces personnes, il se montrait très vigilant.

La personne qui avait couru vers le camion, identifié comme étant [I] [C], était entendu quelques heures après l'accident. Il déclarait ceci :

- le camion de livraison, comme à son habitude, est entré en marche arrière, afin de pouvoir se positionner derrière la cuisine de l'établissement, il roulait à une allure normale,

- un résident, prénommé [C], est arrivé de la gauche, derrière le camion, il était de dos et ne voyait pas le camion qui reculait. [C] a un lourd handicap, entend et voit mal, il marche avec difficulté. L'arrière du camion l'a touché au niveau de l'épaule ce qui l'a fait chuter, [C] ne pouvant se relever seul. Le camion poursuivait sa manoeuvre. Il avait crié mais le chauffeur ne l'avait pas entendu 'avec le bruit du moteur' et il était allé jusqu'à la cabine. Il lui semblait que [C] se trouvait dans l'angle mort et que le chauffeur n'avait pu le voir,

- le chauffeur connaissait bien l'établissement et était un conducteur 'particulièrement attentif'.

Un autre préposé du centre, qui discutait avec [I] [C], même s'il n'avait pas vu le heurt, précisait que le camion reculait lentement.

[N] [S], psychologue référent de [M] [C] [A], confirmait les lourds handicaps de celui-ci, qui ne parlait pas, se déplaçait avec une extrême lenteur et déambulait fréquemment à l'extérieur des bâtiments. Il ajoutait qu'il lui était arrivé à deux reprises de le retrouver à terre, couché derrière un véhicule en stationnement.

Le directeur de l'établissement, [Z] [J], était entendu le jour de l'accident et, bien que récemment nommé à la tête de l'établissement, apportait des précisions quant à son mode de fonctionnement. Il donnait notamment les éléments d'information suivants :

- comme d'autres résidents, [M] [C] [A] circulait librement dans l'enceinte du foyer, ce qui faisait partie du projet institutionnel de l'établissement,

- il n'existe aucune règle particulière relative aux conditions de circulation et de livraison,

- toutes les livraisons s'effectuent en marche arrière pour les poids-lourds car ceux-ci ne peuvent faire demi-tour à l'intérieur de l'établissement.

Les services enquêteurs ont souligné que depuis l'accident, certaines mesures ont semble-t-il été mises en place par la direction, de telle sorte que le contenu des camions est déchargé à l'extérieur du foyer et acheminé dans la cour au moyen de transpalettes.

En dépit des allégations de l'APAJH 95 à ce titre, il n'est nullement établi qu'un salarié de l'établissement se tenait à la disposition des chauffeurs pour les guider dans leurs manoeuvres. Les déclarations du directeur de l'établissement, du chauffeur et de [I] [C] ne vont pas dans ce sens.

L'APAJH 95 a versé aux débats une attestation d'[I] [C], datée du 6 janvier 2012 qui affirme désormais que le chauffeur du camion avait gardé sa radio allumée, ce qui expliquait qu'il ne l'avait pas entendu crier. Cette attestation est contraire à la déposition faite par le témoin le jour même des faits devant les services enquêteurs. Faite à la demande de son employeur, elle sera tenue pour dépourvue de force probante.

L'APAJH 95 fait par ailleurs valoir qu'elle avait pris des mesures afin de garantir la sécurité de ses résidents, évoquant le digicode et la caméra de surveillance. Or, cette dernière ne filme que l'extérieur de l'établissement et il a été relevé précédemment que le code avait été donné au chauffeur.

L'APAJH 95 souligne ensuite que le centre a fait l'objet de visite de la commission communale de sécurité à l'issue de laquelle un avis favorable à la poursuite de son activité a été donnée. Mais le procès-verbal de la commission du 10 juin 2008 ne fait état d'aucun contrôle en rapport avec la circulation des véhicules au sein de l'établissement, ayant porté sur les installations électriques, de gaz et les risques incendie.

Sans remettre en cause le projet institutionnel de l'établissement qui entend respecter la liberté d'aller et de venir de ses résidents, il sera relevé que cette liberté n'interdit pas que soient prises des mesures en vue d'assurer également leur sécurité.

Au cas présent, la cour observe que les livraisons au moyen de poids-lourds se faisaient essentiellement le lundi matin, que ces véhicules ne pouvaient manoeuvrer dans la cour et pénétraient donc en marche arrière, sans assistance d'un préposé du foyer, que la victime était connue pour être régulièrement présente le matin des livraisons, pour n'avoir aucune conscience du danger et se coucher parfois au sol, à l'arrière de véhicules.

Il appartenait donc à l'APAJH 95 de prendre des mesures en vue d'interdire aux résidents d'être présents dans la cour lors des livraisons ou d'interdire aux camions d'y pénétrer.

La société Covea Fleet et la société GT Ile de France Nord font à raison valoir que le non-respect de cette obligation de sécurité est à l'origine de l'accident subi par [M] [C] [A] et qu'aucune faute ne peut être relevée à l'encontre du chauffeur qui aurait contribué à la survenance de l'accident.

L'assureur qui a indemnisé [M] [C] [A], représenté par sa tutrice, est fondé à demander la condamnation de l'APAJH 95 ainsi que de son assureur la MAIF à contribuer seules à la dette d'indemnisation et donc à la garantir des sommes qu'elle a été amenée ou sera amenée à verser à la victime de l'accident survenu le 7 décembre 2009, dont la provision de 10 000 euros déjà versée.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.

La société GT Ile de France ne démontre pas qu'elle pourrait être amenée à verser quelque somme que ce soit à la victime de l'accident dés lors que son assureur n'a pas contesté l'implication du véhicule et son obligation d'indemniser les conséquences dommageables de l'accident. Ses demandes seront en conséquence rejetées.

L'APAJH 95 sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct.

En application de l'article 700 du code de procédure civile il sera alloué à la société Covea Fleet ainsi qu'à [G] [U] veuve [A], es qualité, une indemnité de procédure de 3 000 euros, en remboursement de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt rendu par défaut,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Condamne l'APAJH 95 et la MAIF in solidum à garantir la société Covea Fleet des sommes qu'elle a été amenée ou sera amenée à verser à [G] [U] veuve [A] en sa qualité de tutrice de [M] [C] [A] en réparation des conséquences dommageables de l'accident survenu le 7 décembre 2009, dont la provision de 10 000 euros déjà versée,

Rejette les demandes formées par la société GT Ile de France Nord,

Condamne l'APAJH 95 à payer à la société Covea Fleet la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'APAJH 95 à payer à [G] [U] veuve [A], en qualité de tutrice de [M] [C] [A], la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'APAJH 95 aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 14/02765
Date de la décision : 03/03/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°14/02765 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-03;14.02765 ?
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