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15/12/2015 | FRANCE | N°14/04248

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 15 décembre 2015, 14/04248


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 DÉCEMBRE 2015



R.G. N° 14/04248



AFFAIRE :



[R] [T]



C/



SA FRANCE MEDIAS MONDE, anciennement dénommée AUDIOVISUEL EXTERIEUR DE LA FRANCE







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Septembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : Encadremen

t

N° RG : F 13/00113





Copies exécutoires délivrées à :



Me Jean-Luc PICARD



SCP COBLENCE ET ASSOCIES





Copies certifiées conformes délivrées à :



[R] [T]



SA FRANCE MEDIAS MONDE, anciennement dénommée AUDIOVISU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 DÉCEMBRE 2015

R.G. N° 14/04248

AFFAIRE :

[R] [T]

C/

SA FRANCE MEDIAS MONDE, anciennement dénommée AUDIOVISUEL EXTERIEUR DE LA FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Septembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : Encadrement

N° RG : F 13/00113

Copies exécutoires délivrées à :

Me Jean-Luc PICARD

SCP COBLENCE ET ASSOCIES

Copies certifiées conformes délivrées à :

[R] [T]

SA FRANCE MEDIAS MONDE, anciennement dénommée AUDIOVISUEL EXTERIEUR DE LA FRANCE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE DÉCEMBRE DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [R] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparante

Assistée de Me Jean-Luc PICARD, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

SA FRANCE MEDIAS MONDE, anciennement dénommée AUDIOVISUEL EXTERIEUR DE LA FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Hélène FONTANILLE de la SCP COBLENCE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BÉZIO, président,

Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,

Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [T] a collaboré avec la société FRANCE MEDIAS MONDE (venant aux droits de la société AEF) en qualité de journaliste à compter du 1er octobre 1990, puis par contrat de piges à compter du 29 juin 1998, selon un contrat à durée indéterminée, avec une reprise d'ancienneté de 2 ans 8 mois et 14 jours.

Par lettre du 20 février 2012, la société reconnaissait son ancienneté à compter du 10 septembre 1993.

Son dernier poste, qu'elle occupe toujours, est celui de responsable d'édition, correspondant à l'indice 1590 de l'avenant audiovisuel à la convention collective nationale de travail des journalistes en date du 9 juillet 1983.

Souhaitant voir reconnaître son ancienneté à compter du 1er octobre 1990, en raison des 140 contrats à durée déterminée contractés entre cette date et le 29 juin 1998, elle a saisi le Conseil de Prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT le 17 janvier 2013, pour réclamer la requalification de la relation contractuelle depuis le 1er octobre 1990 selon un contrat à durée indéterminée, avec les conséquences financières afférentes (indemnité de requalification, rappel de prime d'ancienneté).

Par jugement du 25 septembre 2014, dont Mme [T] a formé appel, le Conseil l'a déboutée de toutes ses demandes, jugeant que sa collaboration avec la société FRANCE MEDIAS MONDE n'était qu'occasionnelle, et que la prime d'ancienneté ne devait pas se calculer sur le salaire revalorisé ou SERVAT.

PRETENTIONS DES PARTIES

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Par écritures soutenues oralement à l'audience du 5 octobre 2015, les parties ont conclu ainsi qu'il suit :

Mme [T] sollicite l'infirmation du jugement, demandant :

- la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, rétroactivement à compter du 15 septembre 1990- estimant que la reconnaissance d'ancienneté à partir du 10 septembre 1993 ne vaut pas une telle requalification,

- la reconnaissance qu'elle relève de l'indice 1755, et d'une ancienneté de 23 ans soit un indice SERVAT de 2385,

- le calcul des primes d'ancienneté sur la base du salaire issu de l'accord SERVAT,

- la reconnaissance que la société FMM ne pouvait modifier la structure de son salaire, et en conséquence:

- la condamnation de la société FRANCE MEDIAS MONDE, à lui payer, avec le bénéfice de la capitalisation, les sommes suivantes:

- 89 137, 04 € à titre de rappel de salaires et 74287,09 € au titre du 13ième mois, outre la somme de 9656, 51 € au titre des congés payés afférents,

- 15 000 € à titre d'indemnité de requalification,

- 16 662,63 € à titre de rappel de prime d'ancienneté de 2008 à 2014 et 1388,55 € au titre du 13ième mois, outre 1805,12 € au titre des congés payés afférents,

- 35 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice de retraite,

- la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle demande également la remise de bulletins de salaire conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter de 30 jours suivant la signification de l'arrêt, et prie la Cour d'ordonner la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux dont les journalistes relèvent, et ce rétroactivement au 1er jour travaillé, et notamment de racheter auprès des organismes de retraite complémentaire les points correspondant aux rattrapages salariaux pour chacune des années non prescrites, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du 30 ième jour de la signification de l'arrêt.

La société FRANCE MEDIAS MONDE conclut à titre principal à la confirmation du jugement, sollicitant le débouté de Mme [T] en toutes ses autres demandes, outre la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle estime que l'action en requalification des contrats est :

- prescrite pour la période antérieure au 17 janvier 2008, et se trouve sans objet pour la période postérieure au 10 septembre 1993,

- et sans objet pour la période postérieure au 10 septembre 1993, son ancienneté ayant été reconnue à partir de cette date.

Elle soutient que la prime d'ancienneté doit se calculer sur la base des salaires minimaux résultant de la CCNTJ avenant audiovisuel du 9 juillet 1983. Elle conteste l'existence d'une modification de la structure de la rémunération, demande nouvelle, car la rémunération de Mme [T] n'a pas baissé mais a augmenté, d'où l'absence de préjudice.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à partir du 15 septembre 1990

La demande en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, rétroactivement à compter d'octobre 1990, prévue par l'article 1245-2 du code du travail, est une action personnelle relevant de la prescription stipulée dans l'article 2224 du code civil modifié par la loi du 17 juin 2008, laquelle a substitué à la prescription trentenaire une prescription quinquennale; en saisissant la Conseil le 17 janvier 2013, alors qu'à cette date son action- en cours depuis 23 ans- n'était pas prescrite sous l'empire de la loi ancienne, Mme [T] est recevable dans son action pour toute la période concernée.

La société FRANCE MEDIAS MONDE soutient que la reconnaissance en 2012 de l'ancienneté de Mme [T] reprise à compter du 10 septembre 2013, n'a aucune incidence sur son statut et n'implique pas de reconstitution de salaire, et que sa situation a été régularisée par cette reconnaissance, sans toutefois reconnaître l'existence d'un contrat à durée indéterminée depuis le début de la collaboration (invoquant l'absence du statut de journaliste avant septembre 1993 du fait de piges ponctuelles, qu'elle assimile à des CDD d'usage autorisés dans le secteur de l'audiovisuel) , alors que la demande de Mme [T] consiste à solliciter pour toute la période de la relation contractuelle une requalification de cette relation en un contrat à durée indéterminée, faute de respect par la société du formalisme requis par les dispositions relatives aux contrats à durée déterminée, indépendamment de la qualité de journaliste qu'elle reconnaît n'avoir que depuis 1992.

En application des articles L. 1242- 1, L. 1242- 2, L. 1242- 12 et L.1245-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée (CDD), qui ne peut avoir pour effet ou pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas déterminés par la loi, et doit être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

En l'espèce, il n'est pas contesté par la société FRANCE MEDIAS MONDE que Mme [T] a travaillé pour elle en effectuant des 'piges', entre le 1er octobre 1990 et le 10 septembre 1993, mais la société invoque le caractère irrégulier et à temps partiel de ce travail caractérisant un CDD d'usage, ne contestant pas le tableau récapitulatif des jours travaillés par année que Mme [T] présente en page 6 de ses conclusions et qui sont confirmées par la liste des certificats administratifs produit par la société en pièce 5.

Au vu de ce tableau, il apparaît que Mme [T] a travaillé peu de jours pendant cette période, soit 3 jours en 1990, 10 jours en 1991, 21 jours en 1992, et 36 jours (de février à juillet 1993), outre 40 jours supplémentaires du 10 septembre au 31 décembre 2013. Ce travail ponctuel n'a pas fait l'objet d'un contrat écrit, ce qui emporte donc requalification de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée à temps partiel rétroactivement à compter du 1er octobre 1990 (et non le 15 septembre 1990, en tenant compte du tableau susvisé qui ne décompte des jours travaillés qu'à compter d'octobre 1990).

Le fait que Mme [T] travaillait pour un autre employeur à partir de 1992 et jusqu'en 1997, selon sa fiche de carrière, n'a pas d'incidence sur cette requalification, un salarié pouvant cumuler plusieurs emplois à durée indéterminée ou déterminée.

Il est avéré qu'entre octobre 1990 et juin 1998, soit avant la conclusion d'un contrat à durée indéterminée entre les parties, Mme [T] a subi une précarité dans son emploi, ce qui lui a porté préjudice.

En application de l'article L.1245-2 du code du travail, la Cour lui allouera donc une indemnité de requalification, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, et qu'elle fixe, au vu de la durée de cette période de précarité, au montant de 4 000 €.

Sur la modification de la structure de la rémunération, le rappel de salaires (nouvelle demande)et le rappel de prime d'ancienneté

Sur la modification de la structure de la rémunération et le rappel de salaires

La grille de classification au sein de la société FRANCE MEDIAS MONDE repose sur une double grille:

- la grille conventionnelle, instaurée par l'avenant audiovisuel de la convention collective nationale de travail des journalistes en date du 9 juillet 1983, qui organise un système de classification et

- la grille SERVAT (du nom des différents accords d'entreprise conclus entre 1994 et 2008) qui octroie pour chaque coefficient fonction un nombre de points supplémentaires, par rapport à l'indice de la grille de la convention collective, en fonction de l'ancienneté, et ce afin de tenir compte de la stagnation de la valeur du point fixé par la convention collective au regard de l'évolution du coût de la vie.

En effet, la grille SERVAT met en place pour chaque fonction des salaires minimum selon une grille en annexe 2 de l'accord, tenant compte de l'ancienneté.

Lorsque le salaire de base d'un salarié est inférieur à l'indice SERVAT de sa fonction, il apparaît sur sa fiche de paie un 'supplément de reclassement' ou SR pour rattraper cette différence, afin que le salarié perçoive au moins le salaire minimum de la grille SERVAT.

Dans le cas contraire, ce SR n'apparaît pas sur le bulletin de salaire, ce qui a été le cas de Mme [T] au moment de sa promotion, qui s'est traduite par une augmentation de sa rémunération par changement d'indice; sur son bulletin de salaire à compter de 2003, son augmentation de salaire de 7,5% a été répartie entre son nouveau salaire de base et une indemnité différentielle ou ID1.

Mme [T] soutient que son employeur aurait, à compter de décembre 2003, de manière unilatérale modifié la structure de sa rémunération, en transformant le complément SERVAT, qui constitue un complément sur le salaire de base, en une prime indiciaire (ID1), au moment de son passage à l'indice 1480, et ce dans le but de minorer la prime d'ancienneté; elle précise que cette indemnité différentielle n'est prévue par aucun texte conventionnel, au niveau de la branche ou de l'entreprise.

La société FRANCE MEDIAS MONDE ne conteste pas le changement de présentation des bulletins de salaire, et fait valoir que Mme [T] n'a subi aucun préjudice: en décembre 2003 le salaire de Mme [T] a été augmenté, du fait du changement d'indice, en passant d'un salaire de base de 2812,94 € (indice fonctionnel de 1430 + SERVAT) à un salaire de base de 3024,10 € ( indice fonctionnel de 1480 + ID1), ce qui rendrait sa demande de rappel de salaires mal fondée.

Or Mme [T] ne démontre pas en quoi la modification alléguée de la structure de sa rémunération aurait une incidence sur le montant de la rémunération qui lui est due, et sa demande de rappel de salaire ne peut être en conséquence qu'écartée.

En revanche, la société a créé deux notions non contractuelles, le 'salaire de qualification', (SQ) et 'l'indemnité différentielle'(ID1), qu'elle a fait apparaître sur les bulletins de salaire, de sorte que Mme [T] est en droit d'obtenir des bulletins de salaire selon la présentation des bulletins établis antérieurement à décembre 2003.

Sur le rappel de prime d'ancienneté

Au vu des bulletins de salaire produits, avant et après décembre 2003, il apparaît que la prime d'ancienneté a toujours été calculée sur le salaire de base de la fonction (hors revalorisation SERVAT).

Pour déterminer le mode de calcul de la prime d'ancienneté, il ne faut pas se référer à l'usage (la pratique unilatérale de l'employeur en l'espèce) lequel est contesté, mais il convient d'analyser les dispositions conventionnelles, à savoir tant l'avenant ausiovisuel à la convention collective que les accords SERVAT:

* L'article 19-1 de l'avenant à la convention collective précise que le salaire de base minimum garanti est le montant du 'produit de l'indice d'entrée en fonction de journaliste dans la grille minimale garantie, ou s'il est plus élevé, de l'indice de l'échelon de l'ancienneté acquise, par la valeur indiciaire.'

Selon l'article 20-1 de l'avenant,' les salaires de base des journalistes employés dans l'entreprise sont majorés d'une prime d'ancienneté, calculée en fonction de l'ancienneté dans la profession, soit 5% pour 5 ans, 10% pour 10 ans, 15 % pour 15 ans, 20% pour 20 ans, 25% pour 25 ans.

Le taux de cette prime s'apprécie par rapport au salaire de base de la fonction, ou s'il est plus avantageux par rapport au salaire de base correspondant à l'indice minimum équivalent à l'ancienneté reconnue dans l'entreprise.'

* Selon les accords d'entreprise dits SERVAT: Entre 1994 et 2000, chacun des accords mentionne dans son article 1 que 'les modalités de calcul des promotions fonctionnelles et pécuniaires, ainsi que la prime d'ancienneté ne sont pas modifiées', ce qui sous- entendrait, selon la société FRANCE MEDIAS MONDE, que cette prime serait calculée sur la base des minima conventionnels.

Cependant, l'accord d'entreprise du 28 mai 2008, qui se substitue aux accords dit SERVAT, ne fait plus cette mention et n'évoque plus la prime d'ancienneté, puisqu'il a pour objet de fixer de nouvelles grilles de salaire à compter du 1er janvier 2008.

Le dernier accord d'entreprise du 9 février 2011, indique que ' chaque journaliste perçoit, en plus de son salaire de qualification, une prime d'ancienneté calculée en fonction de l'ancienneté dans la profession... le taux de cette prime s'apprécie par rapport au salaire de base de la fonction, ou s'il est plus avantageux par rapport au salaire de base correspondant à l'indice minimum équivalent à l'ancienneté reconnue dans l'entreprise', formule qui reprend in extenso les termes de l'article 20-1 susvisé de l'avenant à la convention collective; il est important de constater que l'accord ne dit pas que la prime d'ancienneté est calculée sur le 'salaire de qualification' (qui apparaît face à l'indice sur les bulletins de salaire), ce qui aurait eu le mérite de la clarté, alors que c'est cette pratique que la société a adoptée.

Par ailleurs, il n'existe pas de définition claire de ces deux termes,'salaire de base de la fonction' et 'salaire de base correspondant à l'indice minimum équivalent à l'ancienneté reconnue dans l'entreprise',tant dans l'avenant à la convention collective ( qui définit en son article 19-1 le salaire de base minimum garanti, en son article 23 le salaire de base réel- salaire de base plus prime d'ancienneté- et le salaire brut, mais non le salaire de base de la fonction et le salaire de base correspondant à l'indice minimum équivalent à l'ancienneté reconnue dans l'entreprise, sur lesquels est calculée la prime d'ancienneté d'après l'article 20), que dans les accords d'entreprise 'SERVAT' et les accords postérieurs à 2008, lesquels en outre ne définissent pas ce qu'est le 'salaire de qualification', nouvelle notion, base sur laquelle la société calcule la prime d'ancienneté, ni l'indemnité différentielle et le supplément de reclassement, notions qu'applique aussi la société sans aucune base conventionnelle.

En effet, c'est seulement dans le document non contractuel édité par la société FRANCE MEDIAS MONDE intitulé 'étude des systèmes salariaux FRANCE MEDIAS MONDE ' que ces trois notions sont définies; il y est également précisé en page 9 que la grille de salaire dite SERVAT assure une rémunération minimum par indice fonction, qui tient compte à la fois de l'ancienneté et de l'indice de la fonction, notion qui se rapproche de la notion susvisée de 'salaire de base correspondant à l'indice minimum équivalent à l'ancienneté reconnue dans l'entreprise' qui est une des références de l'avenant à la convention collective.

Dès lors, il apparaît que les dispositions des accords d'entreprise SERVAT et les accords postérieurs en 2008 et 2011 sont insuffisamment précises quant aux modalités de calcul de la prime d'ancienneté, et ne prévoient pas d'articulation sur ce point avec les dispositions conventionnelles antérieures, à savoir celles de l'avenant de la convention collective nationale, ce qui a conduit la société à créer des notions non contractuelles (le supplément de reclassement, l'indemnité différentielle et le salaire de qualification); il convient donc d'écarter ces trois notions non contractuelles et de calculer la prime d'ancienneté sur la base du salaire revalorisé dit SERVAT, d'autant que les modalités appliquées jusqu'à présent (calcul de cette prime sur le salaire de qualification, notion non contractuelle) ne correspondent pas à la manière simple et courante de calculer les primes d'ancienneté (fonction du salaire fixe de base brut, qui devrait apparaître sur les bulletins de salaire).

La société FRANCE MEDIAS ne peut donc opposer à Mme [T] un mode de calcul de sa prime d'ancienneté, qui n'apparaît ni intelligible ni conforme aux dispositions contractuelles.

Mme [T] était employée depuis octobre 1990 par la société FRANCE MEDIAS MONDE, mais n'avait une ancienneté en tant que journaliste professionnelle que depuis 1992, année à prendre en compte pour le calcul de l'ancienneté.

La requalification de la relation contractuelle entraîne l'application des dispositions conventionnelles sur l'évolution de carrière, le salaire garanti et la prime d'ancienneté.

En conséquence, la Cour fait entièrement droit à la demande de rappel de prime d'ancienneté depuis 2008, sur la base d'un ancienneté professionnelle remontant à 1992 (date à laquelle Mme [T] a obtenu le statut de journaliste), avec un mode de calcul fonction de la grille de salaire issue des accords SERVAT et des accords d'entreprise de 2008 et 2011.

La société FRANCE MEDIAS MONDE devra donc verser à sa salariée le sommes de 16 662,63 € à titre de rappel de prime d'ancienneté de 2008 à 2014 et celle de 1388,55 € au titre du 13ième mois, outre celle de 1805,12 € au titre des congés payés afférents.

Sur le préjudice relatif à la retraite et la demande de régularisation auprès des organismes sociaux

Les cotisations ayant été versées sur des salaires minorés des rappels de primes d'ancienneté, la société FRANCE MEDIAS MONDE devra régulariser le paiement des cotisations afférentes aux rappels de prime, auprès des organismes de retraite de base et complémentaire, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant la notification du présent arrêt.

La demande de dommages et intérêts d'un montant de 35 000 €, liée à la perte de points de retraite, n'étant pas justifiée par des calculs précis, sera rejetée.

Sur les autres demandes

Sera ordonnée la capitalisation des intérêts et la remise par la société de bulletins de salaire conformes au présent arrêt, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du présent arrêt.

La société FRANCE MEDIAS MONDE sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement du Conseil de Prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT en date du 25 septembre 2014, et statuant à nouveau ;

REQUALIFIE en contrat à durée indéterminée à temps partiel la relation contractuelle conclue à compter du 1er octobre 1990 entre la société FRANCE MEDIAS MONDE et Mme [T] ;

CONDAMNE la société FRANCE MEDIAS MONDE à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- 16 662,63 € brut au titre des rappels de prime d'ancienneté, pour les années 2008 à 2014, 1388,55 € au titre du 13ème mois, outre celle de 1805,12 € au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2013, date de l'accusé de réception de la convocation de la société devant le bureau de conciliation ;

- 4000 € à titre d'indemnité de requalification, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE à la société FRANCE MEDIAS MONDE de régulariser le paiement des cotisations afférentes aux rappels de prime auprès des organismes de retraite de base et complémentaire, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant la notification du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts ;

ORDONNE à la société de remettre à Mme [T] un bulletin de salaire conforme au présent arrêt sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du présent arrêt ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la société FRANCE MEDIAS MONDE à payer à Mme [T] à la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société FRANCE MEDIAS MONDE aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 14/04248
Date de la décision : 15/12/2015

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°14/04248 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-12-15;14.04248 ?
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