COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 DÉCEMBRE 2015
R.G. N° 14/03467
AFFAIRE :
SAS BUREAU VERITAS LABORATOIRES
SASU EUROFINS ANALYSES DE L'AIR PARIS
C/
[V] [O]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juin 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE
Section : Activités diverses
N° RG : 13/00137
Copies exécutoires délivrées à :
SCP JOSEPH AGUERA
SELARL C & G LAW
SELARL CABINET PELISSIER
Copies certifiées conformes délivrées à :
SAS BUREAU VERITAS LABORATOIRES
SASU EUROFINS ANALYSES DE L'AIR PARIS anciennement dénommée EUROFINS AIR PARIS
[V] [O]
le :
Copie Pôle Emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE DÉCEMBRE DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS BUREAU VERITAS LABORATOIRES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Maud WINTREPERT de la SCP JOSEPH AGUERA, avocat au barreau de LYON
SASU EUROFINS ANALYSES DE L'AIR PARIS anciennement dénommée EUROFINS AIR PARIS
[Adresse 2]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Comparante en la personne de M. [A] [P], chargé ressources humaines, en vertu d'un pouvoir de M. William BERTRAND, président, en date du 04 septembre 2015
Assistée de Me Catherine GAROUX de la SELARL C & G LAW, avocat au barreau de LYON
APPELANTES
****************
Monsieur [V] [O]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Comparant
Assisté de Me Véronique PELISSIER de la SELARL CABINET PELISSIER, avocat au barreau de PONTOISE
INTIME
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 15 septembre 2015, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Catherine BÉZIO, président,
Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,
Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE
EXPOSE DU LITIGE
Selon un contrat à durée déterminée du 2 avril 2010, M. [V] [O] a été engagé par la société CEP INDUSTRIE comme technicien de laboratoire, dans le laboratoire environnement-amiante ; par lettre du 27 septembre 2010, ce contrat a été transformé en contrat à dure indéterminée.
A compter du 1er juillet 2011, la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a repris son contrat de travail, suite à la cession du fonds de commerce de la Société CEP INDUSTRIE.
En février 2012, le projet de cession des services amiante et environnement de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES(BVL) à la société EUROFINS, qui a créé à cette fin les sociétés EUROFINS AMIANTE PARIS et EUROFINS AIR PARIS, est en préparation, le transfert des contrats de travail des 11 sur 16 salariés (cadres et non cadres) du service, dont M. [O] fait partie, se réalisera à compter du 16 avril 2012.
Le comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES est consulté le 21 février et le 13 mars 2012.
Le 14 avril 2012, 2 jours avant la cession, cette société écrit officiellement aux salariés que leur contrat sera transféré, en application de l'article L 1224-1 du code du travail, au sein du groupe EUROFINS à compter du 16 avril 2012 et elle leur joint un bulletin de paye arrêté au 15 avril 2015.
La société EUROFINS, par lettre à M. [O], datée du 14 avril 2012, informe ce dernier, comme les autres salariés concernés, qu'elle « envisage une modification de ses conditions de travail avec transfert du lieu de travail à compter du 10 mai 2012 à l'adresse [Adresse 2] ; il est précisé que les fonctions et la rémunération demeurent inchangées et qu'elle dispose « d'un délai allant jusqu'au 27 avril pour la fixer sur son acceptation, avec cette précision « à défaut de refus exprès de votre part dans ce délai, vous serez attendue sur ce nouveau site à compter du 10 mai 2012 ».
Après une visite des locaux des [Localité 1] effectuée avec d'autres salariés le 25 avril 2012, il informe la société EUROFINS qu'il refuse le poste situé aux [Localité 1]. Convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement, le 11 mai 2012, il est licencié pour motif personnel, le 30 mai 2012, en raison de ce refus, constitutif, selon son nouvel employeur, d'une inexécution de son contrat de travail.
Le 14 février 2013, M. [O] saisit le Conseil des Prud'hommes de CERGY PONTOISE, lequel par jugement du 13 juin 2014, dont les sociétés BUREAU VERITAS LABORATOIRES et EUROFINS ANALYSE DE L AIR PARIS ont interjeté appel, a :
- jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
- condamné in solidum les sociétés BUREAU VERITAS LABORATOIRES et EUROFINS AIR PARIS à payer à M. [O] la somme de 15 000 € à titre d'indemnité à ce titre et la somme de 2000€ en vertu des dispositions de l'article 700 code de procédure civile
- ordonné à la société EUROFINS AMIANTE PARIS de remettre à M. [O] les documents sociaux rectifiés conforme au jugement.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience du 15 septembre 2015, la Société BUREAU VERITAS LABORATOIRES sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et sa mise hors de cause, estimant n'avoir commis aucun manquement dans le cadre du transfert des deux entités économiques 'amiante' et 'environnement', n'étant pas obligée d'informer les salariés 'transférés' de la date, du motif et des conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert, la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 n'ayant pas fait l'objet d'une transposition en droit interne; cependant, elle précise avoir informé le comité d'entreprise lors de 2 réunions, les 21 février et 13 mars 2012, et avoir organisé une réunion de service et des entretiens individuels pour préciser le projet et rassurer les salariés.
Elle réfute toute manoeuvre ou entente avec la société EUROFINS A [Localité 2], et toute fraude tant au niveau des élections de la délégation unique du personnel en novembre 2011, que sur le choix des salariés transférés, précisant que tous les salariés affectés principalement aux secteurs amiante et environnement avaient été transférés.
Par ailleurs, elle estime ne pas être tenue in solidum avec la société EUROFINS AMIANTE PARIS pour des créances salariales nées après le transfert des deux entités économiques, intervenu en application des dispositions de l'article L1224-1 du code du travail.
Enfin, elle conclut pour les mêmes raisons au débouté de M. [O] en sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail et d'un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Elle demande la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience du 15 septembre 2015, la société EUROFINS AIR PARIS conclut à l'infirmation du jugement.
Elle conteste la collusion avec la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, et notamment le compte- rendu de la réunion du comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES en date du 13 mars 2012, lequel n'est ni signé ni contradictoirement établi avec elle.
Elle précise que la radiation de la mutuelle provient d'un dysfonctionnement informatique et a été régularisée rapidement et s'oppose à la demande d'heures supplémentaires formée par M. [O].
Par conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience du 15 septembre 2015, M. [O] sollicite l'augmentation du montant de l'indemnité allouée en première instance et réclame au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 25 000 € et celle de 6 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Elle sollicite en outre le paiement d'heures supplémentaires, dues par chacune des deux sociétés en cause ainsi que la remise par la société EUROFINS AIR PARIS des documents sociaux rectifiés , avec allocation de la somme de 5000 € en vertu des dispositions de l'article 700 code de procédure civile et capitalisation des intérêts.
Au soutien de l'absence de cause à son licenciement il fait valoir que les conditions de la cession partielle pour lui et les autres salariés concernés étaient floues lors du comité d'entreprise du 13 mars 2012 et jusqu'en juin 2012 après la cession, des propos contradictoires ou imprécis ayant été tenus, les laissant dans l'incertitude et l'angoisse pendant plusieurs mois, faute d'information claire tant sur les salariés concernés que le lieu et les conditions de travail à venir (horaires), faute de réel aménagement des nouveaux locaux aux [Localité 1] avec transfert du matériel (qui pour l'essentiel s'est retrouvé dans les locaux parisiens de la société EUROFINS AIR PARIS ou ont été déménagés sur un autre site à SAVERNE), sachant que la possibilité de licenciements économiques aurait été également évoquée.
Il soulève le fait que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a initié la cession en scindant artificiellement un service (amiante, environnement et air) en 3 pour justifier la cession de seulement deux activités (amiante et environnement) et que la société EUROFINS AIR PARIS a été créée uniquement pour la cause, sans intention de poursuivre d'activité mais aux fins, seulement, tout en prétendant accueillir en son sein les salariés de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, de conduire ces salariés à refuser le changement inacceptable qu'elle leur proposait et donc à être licenciés au motif apparent de ce refus.
L'ensemble de ces éléments prouveraient que la société EUROFINS AIR PARIS n'avait pas l'intention d'installer les activités 'amiante et environnement' reprises aux [Localité 1], et que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES était complice de cette manipulation, la cession opérée évitant aux deux sociétés le coût de licenciements économiques et la présence gênante de représentants du personnel inclus dans la cession (par l'obstacle à la candidature de Mme [L] , autre salariée licenciée venant du service amiante et environnement, élue lors des dernières élections des délégués du personnel).
La rupture de son contrat de travail résultant ainsi, selon lui, d'un licenciement économique, déguisé, d'un commun accord entre les deux sociétés, en licenciement pour motif personnel, elle s'estime fondée à solliciter, des deux sociétés, l'indemnisation de son licenciement sans cause.
Il invoque l'existence d'un préjudice moral lié à ces conditions troubles et déstabilisantes du transfert d'activité intervenu entre les deux sociétés et sollicite de ce chef l'allocation d'une indemnité de 6000 €.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le transfert des entités économiques amiante et environnement
Selon l'article L 1224- 1 du code du travail et la jurisprudence, la cession d'une entité économique autonome d'une société (en termes de moyens, de personnels et d'organisation de la production) emporte le transfert à la société cessionnaire de tous les contrats de travail en cours au jour de la cession.
L'article L. 1224- 2 du code du travail dispose que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification.
L'article L 2323- 19 du code du travail, enfin, énonce que le comité d'entreprise est informé et consulté sur les modifications de l'organisation économique ou juridique de l'entreprise, notamment en cas de cession, ainsi que sur les conséquences sociales du projet.
En l'espèce, la cession intervenait dans l'intérêt des deux sociétés, la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES estimant nécessaire, sur le plan stratégique, de vendre des activités (amiante et environnement) -pour lesquelles elle était moins concurrentielle que le groupe EUROFINS- pour lui permettre de se concentrer sur ses autres activités, tout en récupérant des capitaux pour y investir; la cession avait pour objectif de donner à EUROFINS la place de leader en France pour l'analyse Amiante et Environnement.
Il convient d'analyser les conditions de cette cession, sur le plan économique et social, afin de déterminer si le transfert d'une unité économique et sociale a bien eu lieu, et si ces conditions sont de nature à mettre en cause la responsabilité de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, ce que soutient M. [O] en invoquant la collusion frauduleuse de cette société avec la société EUROFINS.
Cette cession par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES des deux activités amiante et environnement à la société EUROFINS a été réalisée le 30 mars 2012, ce qui emportait à compter du 16 avril 2012 le transfert des contrats des salariés concernés (11 contrats au total, 6 du service amiante et 5 pour l'environnement) , aux sociétés EUROFINS AMIANTE PARIS et EUROFINS AIR PARIS, filiales spécialement dédiées à cet effet, d'EUROFINS.
Si M. [O] fait observer qu'une partie des salariés étaient polyvalents, pour avoir travaillé par le passé dans un autre service, cette polyvalence n'existait pas au moment de la cession de sorte que le critère de choix des salariés transférés dans le service amiante ne saurait prêter à critique.
Concernant l'activité environnement, qui comportait 8 salariés, seuls 5 ont été finalement transférés; les 3 salariés non transférés incluaient un salarié dont le contrat à durée déterminée échu le 13 avril 2012 est sorti des effectifs avant la cession et une salariée dont l'activité principale ne concernait pas l'activité environnement, ce qui ne pose pas difficulté.
En revanche, le responsable d'opérations Mr [X], qui a été dans un premier temps transféré, a été 'repris' par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, en accord avec le salarié et la société EUROFINS AMIANTE PARIS, selon une convention tripartite en date du 10 mai 2012 ; cet élément permet de remettre en cause l'existence d'un réel transfert de l'activité environnement, qui était privée de son responsable.
Il n'est d'ailleurs pas justifié par les pièces produites que les activités amiantes et environnement aient correspondu à des activités distinctes, l'une de l'autre, gérées de façon indépendante, alors qu'elles étaient matériellement réunies en un simple « service » , abritées dans des locaux communs.
Par ailleurs, concernant la poursuite de l'activité transférée, M. [O] remet en cause la réalité du transfert du matériel de ces deux services cédés (pourtant bien prévu dans le contrats de cession) dans un local qui aurait permis la poursuite des deux activités amiante et environnement et la poursuite d'activité alléguée par le BUREAU VERITAS LABORATOIRES.
La société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a, certes, apporté un soutien logistique à la société EUROFINS, par la mise à disposition de ses locaux (loués selon un contrat de bail) de SAINT OUEN L'AUMONE jusqu'au 30 juin 2012, selon un contrat de prestation en date du 13 avril 2012, dans l'attente que cette dernière trouve des locaux, pour que le transfert des deux activités se déroule effectivement.
L'activité des « salariés transférés », contrairement aux prétentions de M. [O] a bien cessé, il est vrai, dans les locaux de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES à [Localité 3] à compter de la remise de leurs clés et badge soit le 13 avril 2012, et les deux activités cédées n'ont pas perduré sur ce site (l'annonce de recrutement d'un technicien de laboratoire amiante faite en août 2011 ayant été suspendue en novembre 2011), étant établi que les salariés embauchés par la suite par ladite société l'étaient pour le service AIR ou METALLURGIE (au vu du Registre Unique du Personnel et des contrats de travail des nouveaux embauchés).
Toutefois, l'activité des salariés transférés dans les nouveaux locaux de la société EUROFINS aux [Localité 1] n'a pas pour autant été effective, en raison de l'absence d'aménagement de ces locaux, et de l'absence du matériel nécessaire avant le 9 mai et après le 4 juin 2012, le matériel ayant transité environ un mois dans les locaux, comme cela résulte de :
- Lors de la visite des locaux sur place le 25 avril 2012 , M. [O] comme les autres salariés a constaté qu'il n'y avait qu'une grande pièce remplie de cartons du sol au plafond et 2 paillasses supportant des ordinateurs, alors que les salariés ayant visité les locaux de la société EUROFINS AMIANTE à [Localité 2] ont vu des locaux parfaitement aménagés;
- l'attestation de Mr [X], qui déclare avoir assisté à deux déménagements de matériels, l'un le 9 mai 2012 vers les locaux des [Localité 1], mais indique que ces locaux étaient déjà occupés par des employés (10), et n'étaient pas préparés à accueillir le matériel de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES car il n'y avait que 3 postes de travail, -l'autre déménagement étant intervenu à partir de fin mai 2012, au cours duquel le matériel des [Localité 1] était transféré dans les locaux de la société EUROFINS à SAVERNE;
- Mr [O] s'est présenté le 10 mai 2012 dans les locaux des [Localité 1] et aucun travail ne lui a été fourni.
- Après la visite collective du 25 avril 2012 des locaux, aux [Localité 1], certains salariés, dont M. [O], vont refuser d'y travailler, compte tenu de l'absence d'aménagement des locaux, du changement des horaires de travail et de l'éloignement géographique, mais, selon leurs attestations, les salariés Mr [O] et Mme [C] qui se présenteront, ne se verront proposer aucun travail effectif .
Cette absence de poursuite effective des activités transférées se traduit également dans la « mise en sommeil » rapide des deux sociétés EUROFINS, spécialement créées à l'occasion et pour l'exécution du projet liant les deux sociétés.
La cession des activités amiante et environnement ne relève, dès lors, pas des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail.
*
Sur la responsabilité des société BUREAU VERITAS LABORATOIRES et EUROFINS AMIANTE ou AIR PARIS
Si la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a facilité la cession au bénéfice de la société EUROFINS, en revanche elle a été bien moins attentive à l'accompagnement de ses propres salariés, qui ont été obligés de réclamer des informations sur le sort de leur contrat de travail et sur leurs nouvelles conditions de travail, en envoyant une lettre datée du 28 février 2012 au directeur général de l'agence Mr [I].
En effet, les salariés concernés par la cession n'avaient eu aucune réponse lors de la réunion du 21 février 2012; les salariés ont également déploré, par lettre du 2 mars 2012, de ne pas avoir été invités à la réunion du 8 mars relative au transfert des deux services à la société EUROFINS, où seul un délégué du personnel était présent mais non concerné lui- même par le transfert.
Mr [I] leur a répondu, par lettre du 8 mars 2012, sur un ton rassurant, puisqu'il indiquait que les modalités des contrats de travail seraient inchangées.
Cette manière de procéder, excluant les salariés concernés d'une réunion importante, est d'autant plus surprenante quand on la confronte aux propos des dirigeants de la société EUROFINS lors de la réunion du comité d'entreprise le 13 mars 2012: ' la motivation du personnel influera énormément sur la définition du projet final', ' elle désire acheter une activité et des compétences et pas seulement un chiffre d'affaires', ce qui met en évidence le fossé entre le discours et la réalité.
Dans une autre lettre, le 6 mars 2012, les salariés concernés font part à Mr [I] de leur surprise au sujet de la consigne de ne plus analyser les échantillons à compter du 28 mars 2012, alors qu'il leur avait indiqué ne pas avoir connaissance de la date du transfert de l'activité; les salariés attiraient son attention sur le stress engendré par l'arrêt de l'activité et la méconnaissance des conditions de transfert; ils faisaient état des propos de Mr [I] tenus devant le responsable hiérarchique intermédiaire, à savoir la promesse de primes de départ si les salariés 'ne faisaient pas de vagues', ce qui alimentait la suspicion sur l'opération de cession.
Le sort du personnel travaillant dans ces deux secteurs objets de la cession, a été abordé lors des réunions du comité d'entreprise :
Il ressort du compte- rendu de la réunion du comité d'entreprise le 21 février 2012, que le directeur général de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES évoquait les difficultés liées à la localisation de l'activité amiante de la société EUROFINS, qui envisageait un transfert des activités vers leurs propres laboratoires à [Localité 2] gare de l'Est pour l'activité amiante et à [Localité 4] pour l'activité environnement, avec une possibilité de formation à l'amiante pour les salariés non mobiles.
Ces propos étaient de nature à rassurer le personnel.
Selon le compte-rendu de la réunion du comité d'entreprise le 13 mars 2012, la société EUROFINS vient exposer son histoire et son projet de reprise des deux activités: le problème principal est de trouver un local qui réponde aux contraintes techniques des deux activités et aux contraintes financières, sans exclure de trouver un site proche de ST OUEN L'AUMONE, la motivation du personnel étant déterminante pour la définition du projet final.
Aux questions posées par le comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES aux trois représentants de la société EUROFINS (dont Mr [W] responsable développement acquisition, substituant le directeur général de la branche environnement Mr [D], et le responsable du secteur amiante Mme [U]), il sera répondu au sujet de l'existence d'accord d'entreprise en cas de mobilité: 'le but est de trouver le meilleur projet pour conserver les salariés', mais aucune réponse ne sera donnée sur la question du nombre de postes à pourvoir dans chacun des secteurs cédés, et sur la possibilité de formation en cas de changement de poste, la réponse étant: 'le projet doit être d'abord défini'.
Lors du comité d'entreprise, qui s'est tenu en visio-conférence le 17 avril 2012, les membres du comité d'entreprise, qui venaient d'apprendre la décision de transfert des activités aux [Localité 1], expriment leur colère, se sentant floués par le discours de la société EUROFINS lors de la réunion du comité d'entreprise le 13 mars 2012, discours leur laissant croire que les conditions de travail des salariés 'cédés' seraient peu modifiées, notamment quant au lieu de travail.
La société EUROFINS AIR PARIS est mal fondée à contester la valeur probante du compte- rendu de la réunion du comité d'entreprise en date du 13 mars 2012, ce compte- rendu ayant été approuvé par le comité d'entreprise suivant en date du 17 avril 2012, et la société n'ayant pas porté plainte pour faux et usage de faux.
Par ailleurs la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES ne remet pas en cause ce compte- rendu du comité d'entreprise du 13 mars 2012, et le prend au contraire à son compte, pour accréditer sa thèse de la bonne information du comité d'entreprise.
S'il n'est pas établi, en l'absence de tout élément de preuve, que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES avait une connaissance précise du véritable projet de la société EUROFINS concernant le nouveau lieu des deux activités cédées, en revanche il est patent que la société EUROFINS, lors du comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES le 13 mars 2012, a tenu un discours tronqué et trompeur, sur les conditions réelles de la cession des activités, ce qui a permis de rassurer le comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, lequel, s'il a donné un avis négatif sur le projet de cession (estimant que les activités cédées pourraient être rentables avec de l'investissement, et que le projet de cession allait entraîner une perte de compétences humaines et beaucoup de changement pour les salariés), n'a pas déclenché de procédure d'alerte qui aurait retardé la vente; en effet, dans le compte- rendu du comité d'entreprise du 17 avril 2012, le comité d'entreprise s'exprime ainsi: ' sans les fausses informations de Mr [W], il est certain qu'une étude approfondie des conséquences sociales du projet aurait dû être menée et aucun avis n'aurait pu être rendu lors du CE du 13 mars 2012; notre impression est que les informations amenées par Mr [W] avaient pour but d'évincer le problème CE et d'éviter que le CE n'exerce son droit d'alerte et ainsi retarde la vente'.
En outre, il est avéré, au vu de l'arrêt de la présente cour en date du 19 mai 2015, versé aux débats, que Mme [L], autre salariée licenciée après la cession, a vu sa candidature comme suppléante dans le 2ième collège des délégués du personnel lors des élections du 24 novembre 2011, non prise en compte pour une raison inconnue, au sujet de laquelle la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES n'a apporté aucune explication valable.
C'est ainsi qu'après la mise à l'écart de la candidature de Mme [L], ne figure, parmi les candidats titulaires et suppléants lors de cette élection, aucun salarié travaillant dans les secteurs amiante et environnement, qui seront effectivement cédés par la suite à la société EUROFINS.
Ainsi, l'on peut déduire de l'ensemble de ces éléments que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, qui avait un intérêt à ne pas retarder la vente, a mis en place une stratégie pour éviter tout recours des salariés protégés et du comité d'entreprise concernant la cession; sa responsabilité peut être engagée, tant pour la déloyauté et l'insuffisance de l'information dispensée au comité d'entreprise, que par le manque de transparence des conditions du transfert de ses salariés qui se sont avérées plus importantes qu'annoncé par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, ce qui a provoqué le refus des salariés ( soit 10 ou 11 salariés finalement transférés) d'accepter ces modifications,7 ayant contesté leur licenciement par la société EUROFINS.
Les deux sociétés se sont en définitive liguées pour distiller une information trouble et inquiétante, voire mensongère, pour le personnel, à propos d'un projet, en réalité vide, voire fictif ; leur commun projet concernant, au moins, 10 salariés - dont il modifiait les contrats, comme il sera dit ci-après- aurait dû entraîner , pour l'une ou l'autre des sociétés, - en cas de refus par les intéressés des modifications envisagées- l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l' emploi auquel leur collusion leur a permis d'échapper.
*
Sur le licenciement de M. [O]
Le changement des modalités substantielles du contrat de travail, comme la rémunération, le poste, la répartition des horaires de travail, la durée du travail et le lieu de travail, dans certaines conditions , doivent recueillir l'accord exprès du salarié; à défaut, le refus de modification ne peut justifier un licenciement pour faute, l'imputabilité de la rupture étant mise à la charge de l'employeur.
La société EUROFINS AIR PARIS était parfaitement consciente de l'impact du changement de lieu de travail pour les salariés habitant en région parisienne, puisqu'elle produit un compte- rendu d'une réunion des délégués du personnel d'une des sociétés du groupe EUROFINS, la société EUROFINS ASCAL BATIMENT ILE DE FRANCE, en date du 13 décembre 2011 (pièce 32), dans lequel il est indiqué au sujet du transfert de son activité située à ARGENTEUIL dans un bâtiment plus grand à [Localité 2], où se situe déjà une autre activité du groupe : 'les principales conséquences du déménagement sur les conditions de travail des salariés touchent à l'adaptation des trajets du logement (domicile) au travail, l'emplacement des nouveaux locaux a toutefois été sélectionné de façon à minimiser cet impact, grâce à la proximité immédiate des principaux noeuds de communication franciliens'.
Elle ne peut si bien exprimer la problématique du présent dossier, dévoilant elle- même la mauvaise foi avec lequel elle a traité la situation des salariés 'cédés' par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES.
M. [O] travaillait lors de son licenciement , avant de refuser la modification de son lieu de travail, à [Localité 5] dans le nord de [Localité 2]; le nouveau lieu de travail que lui assignait la société EUROFINS AIR PARIS était situé aux [Localité 1] dans le sud de la capitale.
Afin de pouvoir déterminer si ce changement de lieu de travail constitue une modification du contrat de travail, il y a lieu d'évaluer la distance et le temps de trajets entre l'ancien et le nouveau lieu de travail.
Les temps de trajet (1h 13 en train et 1h09 en voiture) donnés par la société ne sont pas exacts, puisqu'ils ne prennent pas en compte les adresses exactes des lieux (qui sont situés dans des zones d'activités excentrées et non en centre ville, arrivée à MASSY VERRIERES au lieu des [Localité 1]) ni des heures de pointe.
M. [O] donne des éléments plus fiables pour le temps de trajet en transport en commun, soit 1h41 de la gare de CERGY PREFECTURE à la gare des [Localité 1].
Selon le site de la SNCF, les trajets en transport en commun de l'ancien au nouveau lieu de travail sont exactement les suivants :
- 2h09 pour le trajet le plus rapide, avec 3 changements (marche- bus- train- RER B- bus- marche),
- 2h44 pour le trajet avec moins de correspondances (marche- bus- RER C- bus- marche).
Les temps de trajets étant multipliés par deux pour la journée, ce qui donne plus de 4 h de trajet par jour.
Si le salarié prend sa voiture, il devrait faire 67 km aller, soit 134 km par jour, à des heures de pointes en région parisienne, ce qui occasionnerait un stress important, outre un coût en essence et entretien de véhicule; le temps de trajet peut être très variable selon le trafic et l'heure, et il est d'autant plus important aux heures de pointe (2h), entre le Nord et le Sud de la région parisienne, où le salarié serait contraint de circuler.
Au vu de ces éléments, il ne peut être considéré que le nouveau lieu de travail ne constituait pas une modification du contrat de travail de M. [O], au regard du nécessaire bouleversement qui serait apporté au rythme de la vie personnelle du salarié, par le changement que l'employeur prétendait ainsi lui imposer.
Le refus de M. [O] ne constitue nullement un manquement à ses obligations contractuelles et ne peut justifier le licenciement de celui-ci qui s'avère dès lors doublement sans cause, au regard, à la fois, de la collusion des deux sociétés -qui prive la rupture de toute cause réelle et sérieuse- et de la modification unilatérale du contrat de travail qui ne peut fonder le licenciement pour motif personnel prononcé contre le salarié.
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Sur ses demandes indemnitaires liées au licenciement sans cause réelle et sérieuse
Au vu de l' ancienneté récente dans l'entreprise du salarié et du montant de son salaire, la cour approuve les premiers juges d'avoir évalué à 15 000 € l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse due par les deux sociétés appelantes à M. [O], au titre de la perte de son contrat.
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Sur les autres demandes
La collusion dont ont fait preuve les deux sociétés appelantes - qui traduit une volonté de méconnaître les droits des salariés- et les modalités de l'organisation matérielle du « transfert des salariés », maintenus dans une ignorance de leur sort caractérisent une atteinte morale portée aux intéressés'; elle constitue un préjudice, distinct de celui réparé ci-dessus par l'indemnité versée au titre de la rupture du contrat detravail , que la cour évalue à 2000 € et qui sera à la charge des deux sociétés intimées.
La capitalisation des intérêts sur les sommes accordées à M. [O] sera ordonnée, comme dit au dispositif.
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Les deux sociétés seront également condamnées in solidum aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement aux organismes intéressés par la société EUROFINS AMIANTE PARIS, des indemnités de chômage versées à M. [O], à concurrence de six mois.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Statuant à nouveau de ce chef,
CONDAMNE « in solidum » la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES et la société EUROFINS ANALYSES DE L AIR PARIS à payer à M. [O] la somme de 2000 € à titre préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Y ajoutant,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
En application de l'article L. 1235- 4 du code du travail, ORDONNE le remboursement aux organismes intéressés, par la société EUROFINS ANALYSES DE L 'AIR PARIS, des indemnités de chômage versées à M. [O], à concurrence de six mois ,
CONDAMNE in solidum les deux sociétés susvisées à supporter les dépens d'appel et à payer à M. [O] la somme de 2000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépetibles exposés en cause d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,