COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 DÉCEMBRE 2015
R.G. N° 14/03465
AFFAIRE :
SAS BUREAU VERITAS LABORATOIRES
SASU EUROFINS ANALYSES D'AMIANTE PARIS
C/
[N] [Y]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juin 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE
Section : Activités diverses
N° RG : 13/00141
Copies exécutoires délivrées à :
SCP JOSEPH AGUERA
SELARL C & G LAW
SELARL CABINET PELISSIER
Copies certifiées conformes délivrées à :
SAS BUREAU VERITAS LABORATOIRES
SASU EUROFINS ANALYSES D'AMIANTE PARIS
[N] [Y]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE DÉCEMBRE DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS BUREAU VERITAS LABORATOIRES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Maud WINTREPERT de la SCP JOSEPH AGUERA, avocat au barreau de LYON
SASU EUROFINS ANALYSES D'AMIANTE PARIS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Comparante en la personne de M. [K] [A], chargé ressources humaines, en vertu d'un pouvoir de Mme [O] [Z], président, en date du 04 septembre 2015
Assistée de Me Catherine GAROUX de la SELARL C & G LAW, avocat au barreau de LYON
APPELANTES
****************
Madame [N] [Y]
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Comparante
Assistée de Me Véronique PELISSIER de la SELARL CABINET PELISSIER, avocat au barreau de PONTOISE
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 15 septembre 2015, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Catherine BÉZIO, président,
Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,
Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE
EXPOSE DU LITIGE
Selon un contrat à durée indéterminée en date du 24 août 1995, Mme [Y] a été engagée comme agent technique au sein du service amiante par la Société CONTROLE ET PREVENTION, avec reprise d'ancienneté au 22 mai 1995 pour tenir compte de son travail d'intérimaire depuis cette date.
Aux termes d'un nouveau contrat à durée indéterminée prenant effet le 1er janvier 1996, Mme [Y] a été mutée au sein de la société LABORATOIRES BOUDET ET DUSSAIX en qualité d'agent technique au sein du laboratoire Amiante Environnement, puis son contrat a été transféré à la société CEP INDUSTRIE à compter du 1er janvier 1998; elle travaille alors sur le site de St Ouen- l'Aumône (95).
A compter du 1er juillet 2011, la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a repris son contrat de travail, suite à l'absorption de la Société CEP INDUSTRIE.
En février 2012, le projet de cession des services amiante et environnement de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES(BVL) à la société EUROFINS AMIANTE PARIS est en préparation, le transfert des contrats de travail des 11 sur 16 salariés (cadres et non cadres) du service amiante, dont Mme [Y] fait partie, se réalisera à compter du 16 avril 2012.
Le comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES est consulté le 21 février et le 13 mars 2012.
Le 14 avril 2012, 2 jours avant la cession, il est annoncé officiellement aux salariés que le nouveau lieu de travail sera aux ULIS, et il leur est demandé s'ils acceptent les nouvelles conditions de travail par des lettres s'échelonnant entre le 17 avril et le 4 juin 2012 selon les salariés.
Entre-temps, le 6 avril 2012, Mme [Y], fragilisée par la situation d'attente de son devenir professionnel, est victime de ce qu'elle considère comme un accident du travail (une instance est en cours devant le TASS pour sa reconnaissance); le médecin du travail la met dès le 6 avril 2012 en état d'inaptitude temporaire, renouvelé le 9 juillet 2012 lors de la visite de reprise; lors de la 2ième visite le 27 juillet 2012, le médecin délivre un avis d'inaptitude partielle.
A la suite de son refus des propositions de reclassement de la société EUROFINS AMIANTE PARIS, Mme [Y] est convoquée pour un entretien préalable le 24 août 2012 et licenciée par lettre du 29 août 2012 pour inaptitude et refus de modification de ses conditions de travail, en l'espèce refus de mutation sur un nouveau lieu de travail.
Le 14 février 2013, elle saisit le Conseil des Prud'hommes de CERGY PONTOISE, lequel par jugement du 13 juin 2014, dont les sociétés BUREAU VERITAS LABORATOIRES et EUROFINS AMIANTE PARIS ont interjeté appel, a :
- jugé son licenciement nul, car fondé sur l'état de santé et le non respect de l'obligation de sécurité, tant avant qu'après le transfert du contrat de travail,
- condamné in solidum les sociétés BUREAU VERITAS LABORATOIRES et EUROFINS AMIANTE PARIS à payer à Mme [Y] les sommes de 55 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de 55 000 € au titre de son préjudice moral et 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné la société EUROFINS AMIANTE PARIS à lui payer, sur la base d'un salaire de référence de 2256,79 €, la somme de 4513,58 € à titre de rappel d'indemnité de préavis et celle de 451,35 € au titre des congés payés afférents, et à lui remettre les documents sociaux rectifiés;
- débouté Mme [Y] de ses demandes d'indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude, et de rappels d'heures supplémentaires.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience du 15 septembre 2015, la Société BUREAU VERITAS LABORATOIRES sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et sa mise hors de cause, estimant n'avoir commis aucun manquement dans le cadre du transfert des deux entités économiques 'amiante' et 'environnement', n'étant pas obligée d'informer les salariés 'transférés' de la date, du motif et des conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert, la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 n'ayant pas fait l'objet d'une transposition en droit interne; cependant, elle précise avoir informé le comité d'entreprise lors de 2 réunions, les 21 février et 13 mars 2012, et avoir organisé une réunion de service et des entretiens individuels pour préciser le projet et rassurer les salariés.
Elle réfute toute manoeuvre ou entente avec la société EUROFINS AMIANTE PARIS, et toute fraude tant au niveau des élections de la délégation unique du personnel en novembre 2011, que sur le choix des salariés transférés, précisant que tous les salariés affectés principalement aux secteurs amiante et environnement avaient été transférés.
Par ailleurs, elle estime ne pas être tenue in solidum avec la société EUROFINS AMIANTE PARIS pour des créances salariales nées après le transfert des deux entités économiques, et notamment les indemnités de rupture qui incombent le cas échéant au nouvel employeur.
De même, elle estime que le Conseil a prononcé à tort la nullité du licenciement, en faisant le lien entre le non respect de l'obligation de sécurité (par un harcèlement moral au cours de l'opération de cession) et l'inaptitude, alors que la Caisse de Sécurité Sociale n'a pas reconnu les faits du 6 avril 2012 comme un accident du travail, et que la société estime avoir informé suffisamment ses salariés avant la cession.
Enfin, elle conclut pour les mêmes raisons au débouté de Mme [Y] en sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail et d'un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Elle demande la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience du 15 septembre 2015, la société EUROFINS AMIANTE PARIS conclut à la confirmation du jugement quant au rejet de la demande d'indemnité spéciale de licenciement et de celle relative aux heures supplémentaires, mais à son infirmation pour le surplus, sollicitant la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle réfute l'existence d'un harcèlement moral (s'agissant seulement d'une problématique de changement de locaux) et de l'accident du travail (tentative de suicide non prouvée, de même que le lien entre la cession et la dépression de la salariée), la CPAM ayant conclu à un refus de prise en charge de Mme [Y], ce qui rend sans fondement la demande de nullité du licenciement; elle fait valoir qu'en tout état de cause elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité, puisque Mme [Y] n'a jamais travaillé pour elle, étant en arrêt- maladie.
Elle prétend avoir respecté son obligation de reclassement, en faisant de nombreuses offres correspondant aux compétences de Mme [Y], et estime que cette dernière ne donne aucun élément sur son préjudice, ayant par ailleurs retrouvé rapidement un travail.
Elle conteste la collusion avec la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, et notamment le compte-rendu de la réunion du comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES en date du 13 mars 2012, lequel n'est ni signé ni contradictoirement établi avec elle.
Elle précise que la radiation de la mutuelle provient d'un dysfonctionnement informatique et a été régularisée rapidement.
Par conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience du 15 septembre 2015, Mme [Y] conclut à titre principal à la nullité de son licenciement pour inaptitude résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, constitutif de harcèlement moral, vu le contexte anxiogène dans lequel s'est déroulé la cession, et à titre subsidiaire à l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, en invoquant le caractère non sérieux des propositions de reclassement de la société EUROFINS AMIANTE PARIS et l'absence de réel transfert d'une entité économique autonome lors de la cession partielle,
* sollicitant à ces deux titres la condamnation in solidum des deux sociétés à lui payer les sommes suivantes :
- 81 250 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 81 250 € de dommages et intérêts pour son préjudice moral, infirmant le jugement en ce qui concerne seulement le quantum accordé;
- 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* sollicitant la condamnation de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES à lui payer au titre des heures supplémentaires la somme de 590,69 €, outre celle de 59, 06 € au titre des congés payés afférents, avec infirmation du jugement;
* sollicitant la condamnation de la société EUROFINS AMIANTE PARIS à lui payer:
- au titre de l'indemnité de préavis la somme de 4513,58 €, outre celle de 451,35 € au titre des congés payés afférents, avec confirmation du jugement;
- au titre de l'indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude la somme de 11 000,15 , infirmant ainsi le jugement.
Elle sollicite la capitalisation des intérêts et la remise par la société EUROFINS AMIANTE PARIS d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi.
Elle fait valoir que les conditions de la cession partielle pour elle et les autres salariés concernés étaient floues lors du comité d'entreprise du 13 mars 2012 et jusqu'en juin 2012 après la cession, des propos contradictoires ou imprécis ayant été tenus, les laissant dans l'incertitude et l'angoisse pendant environ 2 mois, faute d'information claire tant sur les salariés concernés que le lieu et les conditions de travail à venir (horaires), faute de réel aménagement des nouveaux locaux aux ULIS avec transfert du matériel (qui pour l'essentiel s'est retrouvé dans les locaux parisiens de la société EUROFINS AMIANTE PARIS ou ont été déménagé sur un autre site à SAVERNE), sachant que la possibilité de licenciements économiques aurait été également évoquée; en ce qui la concerne, elle estime que ce climat a été le déclencheur de son accident du travail.
Elle soulève le fait que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a initié la cession en coupant un service (amiante, environnement et air) en 3 pour justifier la cession de seulement deux activivés (amiante et environnement), et que la société EUROFINS AMIANTE PARIS a été créée uniquement pour la cause, sans intention de poursuivre d'activité, faisant en sorte que les salariés transférés n'acceptent pas la modification de leur contrat de travail.
L'ensemble de ces éléments prouveraient que la société EUROFINS AMIANTE PARIS n'avait pas l'intention d'installer les activités 'amiante et environnement' reprises aux ULIS, et que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES était complice de cette manipulation, la cession opérée évitant aux deux sociétés le coût de licenciements économiques et la présence gênante de représentants du personnel inclus dans la cession (par l'obstacle à la candidature de Mme [R] , autre salariée licenciée venant du service amiante et environnement, lors des dernières élections des délégués du personnel).
Au regard de son inaptitude partielle, Mme [Y] soutient que les propositions de nouveau poste par la société EUROFINS AMIANTE PARIS n'étaient pas acceptables, car 12 des 14 postes ne correspondaient pas aux préconisations du médecin du travail précisant qu'elle devait rester dans le domaine de l'amiante, et que les deux autres postes proposés étaient trop éloignés, outre que les salaires proposés étaient tous inférieurs à son salaire.
Enfin, elle ajoute avoir été radiée à tort de sa mutuelle complémentaire MALAKOFF à compter du 1er mai 2012, alors que des cotisations étaient prélevées par la société EUROFINS AMIANTE PARIS, ce qui a engendré des retards de remboursements.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les fondements de l'absence de transfert réel de son contrat de travail (de par l'absence de transfert d'une entité autonome), de la mauvaise information des salariés et du non respect de l'obligation de sécurité, Mme [Y] met en cause tant la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES que la société EUROFINS AMIANTE PARIS, qui auraient chacune contribué, au regard des conditions et suites de la cession, à son mal- être au travail, lequel aurait entraîné son accident du travail, lequel serait à l'origine de son inaptitude et son licenciement.
Sur la responsabilité conjointe des sociétés BUREAU VERITAS LABORATOIRES que la société EUROFINS AMIANTE PARIS
Sur le transfert des entités économiques amiante et environnement et la responsabilité de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES dans le licenciement
Selon l'article L 1224- 1 du code du travail et la jurisprudence (cass ass plénière 16 mars 1990, soc 12 décembre 1990) la cession d'une entité économique autonome (en termes de moyens, de personnels et d'organisation de la production) d'une société emporte le transfert à la société cessionnaire de tous les contrats de travail en cours au jour de la cession.
L'article L. 1224- 2 du code du travail stipule que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification.
L'article L 2323- 19 du code du travail dispose que le comité d'entreprise est informé et consulté sur les modifications de l'organisation économique ou juridique de l'entreprise, notamment en cas de cession, et que l'employeur indique les motifs des modifications projetées et consulte le comité d'entreprise sur les mesures envisagées à l'égard des salariés lorsque ces modifications comportent des conséquences pour ceux- ci.
En l'espèce, la cession intervenait dans l'intérêt des deux sociétés, la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES estimant nécessaire sur le plan stratégique de vendre des activités (amiante et environnement) pour lesquelles elle était moins concurrentielle que la société EUROFINS AMIANTE PARIS, pour lui permettre de se concentrer sur ses autres activités, tout en récupérant des capitaux pour y investir; la cession avait pour objectif de donner à la société EUROFINS AMIANTE PARIS la place de leader en France pour l'analyse Amiante et Environnement.
Il convient d'analyser les conditions de cette cession, sur le plan économique et social, afin de déterminer si le transfert d'une unité économique et sociale a bien eu lieu, et si ces conditions sont de nature à mettre en cause la responsabilité de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, ce que soutient Mme [Y] en invoquant la collusion frauduleuse de cette société avec la société EUROFINS AMIANTE PARIS.
Cette cession par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES des deux activités amiante et environnement à la société EUROFINS AMIANTE PARIS a été réalisée le 30 mars 2012, ce qui emportait à compter du 16 avril 2012 le transfert à la société EUROFINS AMIANTE PARIS des contrats de travail des salariés de ces activités, dont celui de Mme [Y] travaillant dans l'activité amiante composée de 10 personnes.
En définitive seuls 6 salariés ont été 'transférés'; parmi les 4 autres, trois ne travaillaient pas principalement dans l'activité amiante et une travaillait selon un contrat à durée déterminée échu le 16 mars 2012.
Si Mme [Y] fait observer qu'une partie des salariés étaient polyvalents, comme elle- même et deux autres salariées, Mesdames [L] et [W], pour avoir déjà travaillé par le passé dans un autre service, cette polyvalence n'existait pas au moment de la cession puisqu'elles ne travaillaient que dans le service environnement, de sorte que le critère de choix des salariés transférés dans le service amiante ne saurait prêter à critique.
Concernant l'activité environnement, qui comportait 8 salariés, seuls 5 ont été finalement transférés; les 3 salariés non transférés incluait un salarié dont le contrat à durée déterminée échu le 13 avril 2012 est sorti des effectifs avant la cession et une salariée dont l'activité principale ne concernait pas l'activité environnement, ce qui ne pose pas difficulté.
En revanche, le responsable d'opérations Mr [E], qui a été dans un premier temps transféré, a été 'repris' par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, en accord avec le salarié et la société EUROFINS AMIANTE PARIS, selon une convention tripartite en date du 10 mai 2012, dont les motifs ne sont pas explicités par les deux sociétés, lesquels ne précisent pas qui devenait alors le responsable du service; cet élément permet de remettre en cause l'existence d'un réel transfert de l'activité environnement, qui était privée de son responsable. (pièce 24 de BVL).
Par ailleurs, Mme [Y], remet en cause la réalité du transfert du matériel de ces deux services cédés (pourtant bien prévu dans le contrats de cession) dans un local qui aurait permis la poursuite des deux activités amiante et environnement.
Concernant la poursuite de l'activité, la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a apporté un soutien logistique à la société EUROFINS AMIANTE PARIS, en mettant à sa disposition ses locaux (loués selon un contrat de bail) de SAINT OUEN L 'AUMONE jusqu'au 30 juin 2012, selon un contrat de prestation en date du 13 avril 2012, dans l'attente que cette dernière trouve des locaux, pour que le transfert des deux activités se déroule dans de bonnes conditions sur le plan technique et économique.
Contrairement aux affirmations de Mme [Y], l'activité des salariés transférés a bien cessé dans les locaux de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES à SAINT OUEN L 'AUMONE à compter de la remise de leurs clés et badge soit le 13 avril 2012, et les deux activités cédées n'ont pas perduré sur ce site (l'annonce de recrutement d'un technicien de laboratoire amiante faite en août 2011 ayant été suspendue en novembre 2011), étant établi que les salariés embauchés par la suite par ladite société l'étaient pour le service AIR ou METALLURGIE (au vu du Registre Unique du Personnel et des contrats de travail des nouveaux embauchés).
Toutefois, l'activité des salariés transférés dans les nouveaux locaux de la société EUROFINS AMIANTE PARIS aux ULIS n'a pas pour autant été effective, en raison de l'absence d'aménagement de ces locaux, mais aussi de l'absence du matériel nécessaire avant le 9 mai et après le 4 juin 2012, le matériel ayant transité environ un mois dans les locaux, comme cela résulte de :
- Lors de la visite des locaux, à laquelle Mme [Y] n'a pas participé car en arrêt- maladie, les autres salariés ont constaté qu'il n'y avait qu'une grande pièce remplie de cartons du sol au plafond et 2 paillasses supportant des ordinateurs, alors que les salariés ayant visité les locaux de la société EUROFINS AMIANTE à PARIS ont vu des locaux parfaitement aménagés;
- l'attestation de Mr [E], qui déclare avoir assisté à deux déménagements de matériels, l'un le 9 mai 2012 vers les locaux des ULIS, mais il indique que ces locaux étaient déjà occupés par des employés (10), et n'étaient pas préparés à accueillir le matériel de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES car il n'y avait que 3 postes de travail, l'autre déménagement était intervenu à partir de fin mai 2012, au cours duquel le matériel des ULIS était transféré dans les locaux de la société EUROFINS à SAVERNE;
- Mr [T], un des salariés transféré, s'est présenté le 10 mai 2012 dans les locaux des ULIS et aucun travail ne lui a été fourni.
- Mme [M], qui s'y est présentée le 4 juin 2012, a passé sa journée seule dans une salle de réunion pour suivre une formation sur les risques de l'amiante, et a constaté que le matériel venu de SAINT OUEN L 'AUMONE était toujours aux ULIS.
- Après une visite collective des locaux des Ulis par les salariés transférés, effectuée le 25 avril 2012, certains salariés vont refuser d'y travailler, vu l'absence d'aménagement des locaux, le changement des horaires de travail et l'éloignement géographique, mais Mr [T] et Mme [M] se présenteront sur ce site sans qu'un travail effectif leur soit proposé.
Les conditions de la cession ne respectent donc pas les prescriptions de l'article L 1224- 1 du code du travail quant au transfert d'une entité économique, en l'absence de transfert d'un salarié du service cédé (Mr [E]) , et faute de poursuite des activités cédées, en l'absence de matériel et de locaux aménagés.
°
Sur l'information des salariés transférés
Si la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES a facilité la cession au bénéfice de la société EUROFINS, en revanche elle a été bien moins attentive à l'accompagnement de ses propres salariés, qui ont été obligés de réclamer des informations sur le sort de leur contrat de travail et sur leurs nouvelles conditions de travail, en envoyant une lettre datée du 28 février 2012 au directeur général de l'agence Mr [G].
En effet, les salariés concernés par la cession, incluant Mme [Y], n'avaient eu aucune réponse lors de la réunion du 21 février 2012; les salariés ont également déploré, par lettre du 2 mars 2012, de ne pas avoir été invités à la réunion du 8 mars relative au transfert des deux services à la société EUROFINS AMIANTE PARIS, où seul un délégué du personnel était présent mais non concerné lui- même par le transfert.
Mr [G] leur a répondu, par lettre du 8 mars 2012, sur un ton rassurant, puisqu'il indiquait que les modalités des contrats de travail seraient inchangées.
Cette manière de procéder, excluant les salariés concernés d'une réunion importante, est d'autant plus surprenante quand on la confronte aux propos des dirigeants de la société EUROFINS AMIANTE PARIS lors de la réunion du comité d'entreprise le 13 mars 2012: ' la motivation du personnel influera énormément sur la définition du projet final', ' elle désire acheter une activité et des compétences et pas seulement un chiffre d'affaires', ce qui met en évidence le fossé entre le discours et la réalité.
Dans une autre lettre, le 6 mars 2012, les salariés concernés font part à Mr [G] de leur surprise au sujet de la consigne de ne plus analyser les échantillons à compter du 28 mars 2012, alors qu'il leur avait indiqué ne pas avoir connaissance de la date du transfert de l'activité; les salariés attiraient son attention sur le stress engendré par l'arrêt de l'activité et la méconnaissance des conditions de transfert; ils faisaient état des propos de Mr [G] tenus devant le responsable hiérarchique intermédiaire, à savoir la promesse de primes de départ si les salariés 'ne faisaient pas de vagues', ce qui alimentait la suspicion sur l'opération de cession.
Le sort du personnel travaillant dans ces deux secteurs objets de la cession, a été abordé lors des réunions du comité d'entreprise :
Il ressort du compte- rendu de la réunion du comité d'entreprise le 21 février 2012, que le directeur général de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES évoquait les difficultés liées à la localisation de l'activité amiante de la société EUROFINS AMIANTE PARIS, qui envisageait un transfert des activités vers leurs propres laboratoires à [Localité 1] gare de l'Est pour l'activité amiante et à [Localité 2] pour l'activité environnement, avec une possibilité de formation à l'amiante pour les salariés non mobiles.
Ces propos étaient de nature à rassurer le personnel.
Selon le compte- rendu de la réunion du comité d'entreprise le 13 mars 2012, la société EUROFINS AMIANTE PARIS vient exposer son histoire et son projet de reprise des deux activités: le problème principal est de trouver un local qui réponde aux contraintes techniques des deux activités et aux contraintes financières, sans exclure de trouver un site proche de [Localité 3], la motivation du personnel étant déterminante pour la définition du projet final.
Aux questions posées par le comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES aux trois représentants de la société EUROFINS AMIANTE PARIS (dont Mr [D] responsable développement acquisition, substituant le directeur général de la branche environnement Mr [I], et le responsable du secteur amiante Mme [Q]), il sera répondu au sujet de l'existence d'accord d'entreprise en cas de mobilité: 'le but est de trouver le meilleur projet pour conserver les salariés', mais aucune réponse ne sera donnée sur la question du nombre de postes à pourvoir dans chacun des secteurs cédés, et sur la possibilité de formation en cas de changement de poste, la réponse étant: 'le projet doit être d'abord défini'.
Lors du comité d'entreprise, qui s'est tenu en visio- conférence le 17 avril 2012, les membres du comité d'entreprise, qui venaient d'apprendre la décision de transfert des activités aux ULIS, expriment leur colère, se sentant floués par le discours de la société EUROFINS AMIANTE PARIS lors de la réunion du comité d'entreprise le 13 mars 2012, discours leur laissant croire que les conditions de travail des salariés 'cédés' seraient peu modifiées, notamment quant au lieu de travail.
La société EUROFINS AMIANTE PARIS est mal fondée à contester la valeur probante du compte- rendu de la réunion du comité d'entreprise en date du 13 mars 2012, ce compte- rendu ayant été approuvé par le comité d'entreprise suivant en date du 17 avril 2012, et la société n'ayant pas porté plainte pour faux et usage de faux.
Par ailleurs la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES ne remet pas en cause ce compte- rendu du comité d'entreprise du 13 mars 2012, et le prend au contraire à son compte, pour accréditer sa thèse de la bonne information du comité d'entreprise.
S'il n'est pas établi, en l'absence de tout élément de preuve, que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES avait une connaissance précise du véritable projet de la société EUROFINS AMIANTE PARIS concernant le nouveau lieu des deux activités cédées, en revanche il est patent que la société EUROFINS AMIANTE PARIS, lors du comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES le 13 mars 2012, a tenu un discours tronqué et trompeur, sur les conditions réelles de la cession des activités, ce qui a permis de rassurer le comité d'entreprise de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, lequel, s'il a donné un avis négatif sur le projet de cession (estimant que les activités cédées pourraient être rentables avec de l'investissement, et que le projet de cession allait entraîner une perte de compétences humaines et beaucoup de changement pour les salariés), n'a pas déclenché de procédure d'alerte qui aurait retardé la vente; en effet, dans le compte- rendu du comité d'entreprise du 17 avril 2012, le comité d'entreprise s'exprime ainsi: ' sans les fausses informations de Mr [D], il est certain qu'une étude approfondie des conséquences sociales du projet aurait dû être menée et aucun avis n'aurait pu être rendu lors du CE du 13 mars 2012; notre impression est que les informations amenées par Mr [D] avaient pour but d'évincer le problème CE et d'éviter que le CE n'exerce son droit d'alerte et ainsi retarde la vente'.
En outre, il est avéré, au vu de l'arrêt de la présente Cour en date du 19 mai 2015 et versé aux débats, que Mme [R], autre salariée licenciée après la cession, a vu sa candidature comme suppléante dans le 2ième collège des délégués du personnel lors des élections du 24 novembre 2011, non prise en compte pour une raison inconnue, au sujet de laquelle la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES n'a apporté aucune explication valable; en outre, parmi les 4 candidats suppléants est mentionné Mr [X] qui se trouve aussi candidat titulaire, ce qui constitue une irrégularité évidente, alors que la candidature de Mme [R] comme suppléante pouvait être retenue à sa place.
C'est ainsi qu'après la mise à l'écart de la candidature de Mme [R], ne figure, parmi les candidats titulaires et suppléants lors de cette élection, aucun salarié travaillant dans les secteurs amiante et environnement, qui seront effectivement cédés par la suite à la société EUROFINS AMIANTE PARIS.
Si Mme [R], qui n'a formé aucun recours au sujet de cette irrégularité, avait été élue, elle aurait bénéficié du statut protecteur, qui aurait nécessité l'autorisation de la DIRECTE, ce qui aurait retardé ou modifié les conditions de la cession.
Ainsi, l'on peut déduire de l'ensemble de ces éléments que la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, qui avait un intérêt à ne pas retarder la vente, a mis en place une stratégie pour éviter tout recours des salariés protégés et du comité d'entreprise concernant la cession; sa responsabilité peut être engagée, tant pour manquement à son obligation d'information loyale du comité d'entreprise, que pour manquement à son obligation de sécurité à l'égard de ses propres salariés, qui ont été déstabilisés par un processus de cession manquant de transparence et de nature à engendrer des risques psycho- sociaux; les modifications de leur contrat de travail se sont avérées plus importantes qu'annoncé par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, ce qui a provoqué le refus des salariés ( soit 10 ou 11 salariés finalement transférés) d'accepter ces modifications, 7 ayant contesté leur licenciement par la société EUROFINS, Mme [Y] inclue.
Les deux sociétés se sont en définitive liguées pour distiller une information trouble et inquiétante, voire mensongère, pour le personnel, à propos d'un projet, en réalité vide, voire fictif'; leur commun projet concernant, au moins, 10 salariés -dont il modifiait les contrats, comme il sera dit ci-après- aurait dû entraîner , pour l'une ou l'autre des sociétés, -en cas de refus par les intéressés des modifications envisagées- l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l' emploi auquel leur collusion leur a permis d'échapper.
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Sur le non respect de l'obligation de sécurité et le harcèlement moral en lien avec l'accident de travail de Mme [Y]
L'article L 4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Selon l'article L 1152-1 et 2 du code du travail, aucun salarié ne soit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L 1154-1 du code du travail, il appartient au salarié de rapporter la preuve des faits qui permettent de présumer le harcèlement, et l'employeur doit rapporter ensuite la preuve que ces faits ne constituent pas du harcèlement.
La preuve du harcèlement moral, qui peut aussi résulter du non respect de l'obligation de sécurité, justifie la rupture du contrat de travail et produit les effets d'un licenciement nul.
Les circonstances anxiogènes de la cession à l'égard des salariés transférés, qui viennent d'être décrites plus haut- à savoir le caractère imprécis et évolutif des informations données, tant avant qu'après la cession, et les informations tronquées données au comité d'entreprise qui les a relayées auprès des salariés, plaçaient le personnel et notamment Mme [Y] dans une situation de profonde incertitude quant à leur avenir professionnel, et constituent des faits répétés constitutifs de harcèlement moral, qui ont eu sur la santé de Mme [Y] des conséquences plus graves que pour les autres salariés.
En effet, le 3 avril 2012 une réunion est organisée dans les locaux de la société BVL par Mme [Z] et Mme [K], respectivement responsable de projet et directrice des ressources humaines de la société EUROFINS AMIANTE PARIS, où il est finalement précisé aux salariés que, dès l'origine du projet de cession, le déménagement aux ULIS était prévu, mais les salariés ne savent toujours pas lesquels d'entre eux vont être transférés et dans quel lieu.
Le 6 avril la direction de la société EUROFINS AMIANTE PARIS vient faire l'inventaire du matériel sous les yeux de Mme [Y], qui apprend le même jour que les cadres du service et le personnel sous CDD resteront dans la société BVL, et qu'elle et d'autres salariés transférés à la société EUROFINS AMIANTE PARIS, devront aller travailler aux ULIS à 2 heures de transport de St Ouen.
Au moment de quitter son travail le 6 avril, Mme [Y], nerveusement sous pression, pleure, en criant 'nous ne sommes pas des moutons' et abaisse les disjoncteurs du couloir amenant au laboratoire; constatant son état nerveux alarmant, la chef de service Mme [V] la conduit chez le médecin du travail, lequel lui délivre sur le champ un certificat d'inaptitude temporaire; Mme [Y], en sortant du bureau du médecin du travail, crie: 'vous aurez mon suicide sur la conscience', et se précipite au milieu de la route devant un camion qui a pu s'arrêter; Mme [Y] est conduite aux urgences de l'hôpital de [Localité 4] par les pompiers; le déroulement de ces faits n'est pas contesté par la société BVL, qui remet seulement en cause la tentative de suicide et le caractère d'accident du travail de ces faits.
Or, il ressort de la déclaration d'accident rédigée par le service des Ressources Humaines de la société BVL et datée du 6 avril 2012, que Mme [Y] a eu une réaction incontrôlée et incontrôlable, alors qu'elle était sur son lieu de travail mais en pause; il est mentionné qu'elle n'a pas de lésions apparentes et qu'elle a été conduite à l'hôpital; la société soutient qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les faits et le travail, alors que tout indique au vu de la chronologie des faits, que l'état de stress de Mme [Y] était au contraire en lien évident avec les tensions subies dans le cadre de son travail, et en particulier dans le contexte d'incertitude sur son sort lié à la cession imminente, comme cela a été indiqué plus haut, et ce indépendamment du fait qu'il soit prouvé qu'elle ait voulu effectivement se suicider en se jetant sous les roues d'un camion; le fait que le médecin du travail Mme [N] ait estimé urgent de la déclarer sur le champ inapte temporairement, est un élément suffisant pour attester de l'état de santé dégradé de Mme [Y], et du lien avec son travail; cela sera confirmé par la suite, tant par son médecin traitant, lequel mentionne dans un certificat médical du 12 avril 2012 qu'elle a des crises d'angoisse aigue avec retentissement comportemental, que par l'avis d'inaptitude renouvelé le 9 juillet 2012 par le médecin du travail mentionnant qu'une reprise du travail serait possible à condition que les conditions de travail et le lieu soient précisément définis afin d'éviter toute situation stressante; par la suite, Mme [Y], qui avait commencé à consulter une psychologue dès le 29 avril 2012, a été reçue par le docteur [H], psychiatre, le 21 mai 2012, qui indique dans sa lettre du 11 juin 2012 que Mme [Y] 'présente une sémiologie anxio- dépressive réactionnelle à un contexte professionnel marqué par une tension très importante ayant occasionné dans un premier temps un état d'agitation avec potentiel non négligeable de passage à l'acte suicidaire'; Mme [Y] sera également suivie par le docteur [J] de l'Unité de pathologie professionnelle de l'hôpital [Établissement 1] le 30 août 2012.
Par ailleurs, Mme [Y], qui n'avait pas pu effectuer comme les autres salariés la visite du site des Ulis le 25 avril étant en arrêt- maladie, a eu l'écho de cette visite et de ses suites peu fructueuses, ce qui a contribué à son angoisse.
Il existe donc un lien certain entre les circonstances de la cession, l'information insuffisante des salariés sur leur sort, et la réaction de Mme [Y] sur son lieu de travail avant la cession, laquelle a abouti postérieurement à la cession à son inaptitude temporaire (1er avis) puis définitive mais partielle (2ième avis du 24 juillet 2012 ), et enfin à son licenciement pour inaptitude.
La société cédante BUREAU VERITAS LABORATOIRES et la société cessionnaire EUROFINS AMIANTE PARIS ont chacune contribué aux circonstances anxiogènes de la cession et manqué ainsi à leur obligation de sécurité avant et après la cession, par leur attitude fautive que la Cour assimile à du harcèlement moral et qui a eu pour effet de dégrader l'état de santé de Mme [Y] et d'entraîner son inaptitude.
En conséquence, la Cour prononcera la nullité du licenciement de Mme [Y], confirmant ainsi le jugement, tout en précisant que cette nullité est fondée sur le harcèlement moral et le non respect de l'obligation de sécurité, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la demande subsidiaire au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse pour non respect de l'obligation de reclassement.
Le montant de la demande d'indemnités de Mme [Y] correspondant à 36 mois de salaire apparaît excessif, même en prenant en compte le contexte de son licenciement, eu égard à son salaire, son ancienneté de 17 ans, et au fait qu'elle a retrouvé un emploi en octobre 2012 (en changeant de type de travail), et sera donc limité à la somme de 55 000€, comme l'a justement décidé le Conseil, que la Cour approuve sauf à préciser qu'il s'agit d'indemnités et non de dommages et intérêts.
La société BUREAU VERITAS LABORATOIRES et la société EUROFINS AMIANTE PARIS seront condamnées in solidum au paiement de cette somme.
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Sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi avant et après la cession
Mme [Y] estime avoir subi des conditions de travail dégradées pendant plusieurs mois tout au long du processus de cession, entre février et mai 2012, préjudice distinct de son licenciement intervenu postérieurement.
Avant la cession, soit par lettre du 12 avril 2012, les salariés de l'équipe amiante et environnement, auxquels on avait demandé de rendre leurs clés et badges BUREAU VERITAS le 13 avril, ont questionné Mr [G], directeur général de la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES, pour obtenir la liste officielle des salariés concernés par la cession; c'est dire que les salariés, Mme [Y] inclue, ont été dans l'expectative et le doute sur leur sort jusqu'au dernier moment, ce qui a nécessairement généré de l'anxiété et leur a causé un préjudice moral.
Comme cela a été exposé plus haut, il peut être reproché à la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES des négligences fautives, un manque de réactivité vis à vis des légitimes préoccupations des salariés entre février et le 15 avril 2012, en n'exigeant pas de la société EUROFINS AMIANTE PARIS des réponses plus précises sur les modalités de transfert des deux activités, sur le nombre et le nom des salariés concernés, ayant entendu les réponses évasives de la société lors du comité d'entreprise du 13 mars 2012, une semaine avant l'acte de cession du 30 mars 2012.
De son côté la société EUROFINS AMIANTE PARIS a participé au stress des salariés, en tenant un discours trompeur et en faisant croire aux salariés, Mme [Y] inclue, qu'ils pourraient continuer à travailler dans des locaux proches de [Localité 3], alors qu'elle organisait par la suite un déménagement partiel du matériel aux Ulis sans véritable accueil et possibilité de travail des salariés sur place.
Au vu de ces éléments, les sociétés BUREAU VERITAS LABORATOIRES et EUROFINS AMIANTE PARIS seront condamnées in solidum à payer à Mme [Y] la somme de 5000 € au titre de son préjudice moral.
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Sur les demandes indemnitaires liées à la nullité du licenciement et à l'inaptitude
Le Conseil sera confirmé, en ce qu'il a fait droit à la demande d'indemnité de préavis à la charge de la société EUROFINS AMIANTE PARIS, mais infirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude.
En effet, s'agissant d'un licenciement pour inaptitude, Mme [Y] doit percevoir cette indemnité, sauf à ce que l'employeur l'ayant licenciée pour inaptitude, à savoir la société EUROFINS AMIANTE PARIS, établisse que le refus des postes proposés à titre de reclassement était abusif, aux termes de l'article L 1226-14 du code du travail.
Le médecin du travail a déclaré Mme [Y] inapte définitivement au poste de technicienne, mais apte au poste d'analyste en amiante, sans modification du domaine, ce qui serait trop stressant pour elle.
Sur les 14 postes proposés, 12 se situaient à [Localité 2] (et un seul dans le domaine de l'amiante) et 2 aux Ulis, mais ces deux derniers postes dans d'autres domaines que l'amiante (à savoir l'eau et la radioactivité), de sorte que ces propositions ne correspondaient pas aux préconisations du médecin du travail et se situaient loin de l'ancien lieu de travail de Mme [Y] ([Localité 5] avec un trajet de 2h aller, et [Localité 2] à 475 km de [Localité 3]), dont le refus ne peut donc être considéré comme abusif.
En conséquence, la société EUROFINS AMIANTE PARIS sera condamnée à lui payer la somme de 11 000,15 € à titre d'indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude, avec intérêts au aux légal à compter de la date de réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 8 avril 2013.
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Sur les heures supplémentaires dues par la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES
Le Conseil a débouté Mme [Y] de cette demande, au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve d'avoir effectué des heures supplémentaires, ce que soutient la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES.
Le décompte établi par l'employeur et produit par la salariée en pièce 70 fait état d'un crédit d'heures à reporter, soit 34,07 heures, qui se retrouve inscrit dans le tableau après le 6 avril, date à partir de laquelle elle a été en arrêt maladie; la société ne fournit aucune explication sur l'interprétation qui doit être faite de ce tableau, néanmoins ce document émane d'elle qui est tenue, par ailleurs, de s'assurer de la comptabilisation du temps de travail des salariés.
Les éléments dont se prévaut Madame [Y] pour étayer sa demande n'étant ainsi nullement contredits par la société, la demande de l'intéressée doit être accueillie, à concurrence de 590,69 €, outre les congés payés de 59,06 €';
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V. Sur les demandes accessoires
La capitalisation des intérêts sur les indemnités dues sera ordonnée, et la société EUROFINS AMIANTE PARIS devra remettre à Mme [Y] les documents sociaux (une attestation pôle emploi, un bulletin de salaire récapitulatif...) conformes au présent arrêt.
En raison de leur commune responsabilité des sociétés BUREAU VERITAS LABORATOIRES et EUROFINS AMIANTE PARIS, ces dernières seront condamnées in solidum à payer à Mme [Y] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de celle de 3000 € allouée en première instance.
Ces sociétés seront également condamnée in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement du Conseil des Prud'hommes de Cergy - Pontoise en date du 13 juin 2014, en ce que le Conseil a jugé nul lelicenciement de Madame [Y] et a alloué à celle-ci la somme de 55 000 € à ce titre, outre celle de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre l'indemnité de préavis pour les montants susvisés, mais L'INFIRME pour le surplus ;
Et statuant à nouveau :
CONDAMNE la socité BUREAU VERITAS LABORATOIRES à payer à Madame [Y] la somme de 590,69 € à titre de rappel sur heures supplémentaires , outre les congés payés afférents de 59,06 € avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;
CONDAMNE la société EUROFINS AMIANTE PARIS à payer à Mme [Y] la somme de 11 000,15 € à titre d'indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2013 ;
ORDONNE à la société EUROFINS AMIANTE PARIS de remettre à Mme [Y] les documents sociaux (une attestation pôle emploi, un bulletin de salaire récapitulatif ...) conformes au présent arrêt ;
CONDAMNE in solidum les sociétés EUROFINS AMIANTE PARIS et BUREAU VERITAS LABORATOIRES à payer à Mme [Y] la somme de 55 000 € à titre d'indemnités au titre de la nullité du licenciement, et celle de 5000 € à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt :
CONDAMNE in solidum les sociétés EUROFINS AMIANTE PARIS et BUREAU VERITAS LABORATOIRES à payer à Mme [Y] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de la somme allouée en première instance ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE in solidum la société EUROFINS AMIANTE PARIS et la société BUREAU VERITAS LABORATOIRES aux dépens de première instance et d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,