La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/11/2015 | FRANCE | N°14/03890

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 03 novembre 2015, 14/03890


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 97Z



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 03 NOVEMBRE 2015



R.G. N° 14/03890



AFFAIRE :



[O] [N]



C/



SELAS PWC AVOCATS



SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE





Décision déférée à la cour : Décision rendue le 24 Juillet 2014 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE





Copies exécutoires délivrées à :



Me

David METIN



SCP BARTHELEMY ET ASSOCIES



Me Anaïs VISSCHER



Copies certifiées conformes délivrées à :



[O] [N]



SELAS PWC AVOCATS



Au Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE



Au Ministère Public



le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM D...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 97Z

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 NOVEMBRE 2015

R.G. N° 14/03890

AFFAIRE :

[O] [N]

C/

SELAS PWC AVOCATS

SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE

Décision déférée à la cour : Décision rendue le 24 Juillet 2014 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE

Copies exécutoires délivrées à :

Me David METIN

SCP BARTHELEMY ET ASSOCIES

Me Anaïs VISSCHER

Copies certifiées conformes délivrées à :

[O] [N]

SELAS PWC AVOCATS

Au Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE

Au Ministère Public

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [O] [N]

[Adresse 2]

[Adresse 5]

Comparant

Assisté de Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES

APPELANT

****************

SELAS PWC AVOCATS

[Adresse 3]

Crystal Park

[Adresse 6]

Représentée par Me Hugues LAPALUS de la SCP BARTHELEMY ET ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMEE

****************

SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 4]

Représenté par Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, substituant Me Anaïs VISSCHER, avocat au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Septembre 2015, les parties ne s'y étant préalablement pas opposées, devant la cour composée de :

Madame Catherine BÉZIO, président,

Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,

Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE

EXPOSE DU LITIGE

Mr [N] a été recruté le 4 juin 2007 au grade de collaborateur 3- 2ème année par le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers (PWC), dans le cadre d'un contrat de collaboration libérale, moyennant une rétrocession mensuelle d'honoraires de 5835 € hors taxe.

Il évoluait en dernier lieu au grade de senior manager depuis le 1er octobre 2011.

N'étant pas satisfait de cette collaboration qui ne lui permettait pas, selon lui, de développer sa clientèle personnelle, il saisissait, avec le Syndicat des Avocats de France (SAF) intervenant volontaire, le Bâtonnier des Hauts- de- Seine, lequel par décision du 24 juillet 2014, dont il a formé appel, les déboutait de leur demande en requalification de son contrat de collaboration en contrat de travail, et de sa demande d'indemnisation pour son préjudice moral.

Par lettre du 28 juillet 2014, Mr [N] a pris acte de la rupture des relations contractuelles avec le cabinet LANDWELL et ASSOCIES.

A ce jour il a quitté le cabinet d'avocat depuis le 31 juillet 2014 et n'est plus avocat.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience du 8 septembre 2015, Mr [N] sollicite l'infirmation de la décision susvisée, sollicitant la requalification de son contrat de collaboration en contrat de travail et la condamnation de la société SELAS PwC à lui payer les sommes suivantes :

- 45 131 € de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, de novembre 2010 à juin 2013 et 4513 € au titre des congés payés afférents,

- 68 910 € brut au titre de l'indemnité de travail dissimulé,

- 150 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil.

Par ailleurs, il demande à la Cour de juger que sa prise d'acte de rupture des relations contractuelles doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui l'amène à solliciter la condamnation de la société SELAS PwC à lui payer les sommes suivantes :

- 16 270 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 34 455 € à titre d'indemnité de préavis, et 3445 € au titre des congés payés afférents,

- 69 000 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour inexécution du contrat de travail de bonne foi,

- 7188 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

avec capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil, report du point de départ des intérêts au 28 janvier 2014, la date de convocation devant le Bâtonnier, et remise de l'attestation pôle emploi, du certificat de travail et des bulletins de salaires conformes à l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard dans les 30 jours de la notification de l'arrêt, dont il demande à la Cour de se réserver la liquidation.

Il fait valoir qu'il se trouvait dans l'impossibilité de développer sa clientèle personnelle, vu sa charge de travail, ses horaires de travail lourds et le peu de temps (10 jours/an) dont il disposait, cumulant les contraintes du statut de salarié (subordination, obligation de présence, obligation d'assister à des formations, nombreuses consignes de travail) sans bénéficier de ses avantages, et le poussant à rompre les relations contractuelles, pour non respect des règles régissant la profession d'avocat et des règles contractuelles (non respect des durées maximales de travail, non paiement des heures supplémentaires, pression d'une des associées, perte de confiance).

Il a dû assumer les charges liées au statut de professionnel libérale (cotisations sociales qu'il chiffre à 100 558 € de 2007 à 2013, TVA qu'il chiffre à 103 709 € de décembre 2010 à décembre 2013).

Il précise qu'à deux reprises il s'est vu opposer une refus de promotion au grade de directeur, alors qu'il donnait toute satisfaction, notamment en rapport à ses objectifs et à ses qualités professionnelles reconnues suite à des tests psychologiques d'un cabinet extérieur.

Il a subi une baisse incompréhensible de son bonus en 2012/2013, et ce de manière discriminatoire par rapport à ses collègues.

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience du 8 septembre 2015, le Syndicat des Avocats de France (SAF) intervenant volontaire, soutient les demandes formées par Mr [N], lequel a subi des préjudices de la part de la société SELAS PwC, laquelle a porté atteinte à l'intérêt collectif de la profession d'avocat, en violant les règles de la collaboration libérale, en ne permettant pas à Mr [N] de développer sa clientèle personnelle, critère distinguant le contrat de collaborateur libéral de celui d'avocat salarié.

Il demande donc l'infirmation de la décision du Bâtonnier et la condamnation de la société SELAS PwC à lui payer la somme de 1800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience du 8 septembre 2015, la société SELAS PwC sollicite la confirmation de la décision susvisée, demandant la condamnation de Mr [N] à lui payer la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que l'action du SAF est recevable mais mal fondée comme les demandes de Mr [N].

Elle conteste l'existence d'une relation salariée, invoquant le fait qu'elle avait proposé à Mr [N] de changer de statut en devenant salarié, mais ce dernier avait refusé, préférant une collaboration libérale; concernant le développement de la clientèle propre, elle estime qu'il suffit qu'il ait été possible, et qu'en tout état de cause il n'est pas démontré que ce développement ait été impossible.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de requalification de la relation contractuelle

Il appartient au juge de qualifier la relation contractuelle entre les parties, en recherchant au delà de la forme des contrats quelle a été l'intention des parties et la réalité des relations contractuelles au cours de l'exécution du contrat.

La charge de la preuve repose sur celui qui invoque l'existence d'un contrat de travail.

Selon l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971, modifié par les lois du 31 décembre 1990 et du 2 août 2005, l'avocat peut exercer sa profession, soit en qualité de salarié, soit en qualité de collaborateur non salarié; il ressort de la jurisprudence de la Cour de Cassation produite par l'appelant (décisions de 1999, 2000 et 2009) que l'avocat est salarié lorsqu'il est démontré l'existence d'un lien de subordination, caractérisé par un faisceau d'indices, tels que l'organisation du travail dans un service hiérarchisé et les conditions de travail, limitant de fait à la fois la liberté d'organisation de l'avocat et la possibilité de constituer une clientèle propre.

Il doit donc être recherché si Mr [N] rapporte la preuve qu'il était dans l'impossibilité technique, temporelle et matérielle de développer une clientèle personnelle, du fait de l'organisation de ses conditions de travail dans le cabinet d'avocats de la société SELAS PwC.

Il n'est pas contesté que Mr [N] avait à sa disposition, sans contribution financière, les moyens matériels de la société, tels que bureau, salle de réunion, secrétariat, matériel informatique, pour développer sa clientèle.

En revanche, il invoque l'absence de temps pour la développer, en raison d'une importante charge de travail.

Il est prévu dans le contrat de collaboration que Mr [N] que ce dernier dispose d'un jour par mois, sans cumul, pour développer sa clientèle, sauf en juillet et août, ce qui lui laisse seulement 10 jours par an, jours qu'il conteste avoir effectivement utilisés, en affirmant que ces jours correspondaient à la mention 'développement BNC', inscrite par lui une seule fois en novembre 2007, alors qu'il n'explicite pas l'abréviation BNC.

De son côté la société SELAS PwC soutient que Mr [N] a effectivement bien disposé sous le faux intitulé 'RTT' des jours pour développer sa clientèle; en suivant cet argument, l'on constate que ces 10 jours ont été pris entre 2008 et 2012, mais non en 2013 (seulement 5 jours au lieu de 10 jours), et en 2014 ( seulement 2,5 jours au lieu de 5 jours de janvier à mai), au vu des autorisations d'absence produites par la société, ce qui constitue déjà un non respect contractuel.

De prime abord ces 10 jours théoriques, pris effectivement qu'à hauteur de la moitié en 2013 et 2014, apparaissent en tout état de cause insuffisants pour développer une clientèle propre, et de fait il est établi que Mr [N] n'a pas réussi à la développer, n'ayant traité que deux dossiers - au surplus concernant sa famille - en l'espace de 6 ans ; l'impossibilité de développer sa clientèle ne tient donc pas à la manière de travailler de Mr [N], ni à son manque d'implication, puisqu'il ressort de ses évaluations 2011 à 2013 qu'il donnait satisfaction :

- En février 2012, il est indiqué dans le commentaire général de son évaluation qu'il démontre un haut niveau de compétences avec un potentiel d'évolution à travailler, notamment dans le domaine du 'leadership' ;

- En septembre 2013, son évaluation montrait qu'il avait atteint ses objectifs, mais sa hiérarchie estimait qu'il n'avait pas suffisamment évolué en 'leadership' et qu'il ne pouvait donc accéder au grade de directeur qu'il demandait, alors qu'il avait géré un dossier difficile comme un directeur ;

- Fin 2013, son évaluation dite de mi- année était excellente, avec un taux d'occupation élevé et une forte activité sur le développement, ce qui montrait qu'il se donnait les moyens d'accéder au grade de directeur (un des 2 derniers échelons dans le cabinet) ;

Cette impossibilité de développer une clientèle propre apparaît en revanche à mettre en lien avec ses conditions de travail au sein du cabinet d'avocats, et notamment avec le nombre d'heures de travail et l'intensité du travail exigé.

Au vu des nombreux mails produits par Mr [N] entre 2010 et 2014, qui attestent qu'il était souvent en action de travail à des heures très matinales (avant 8h) ou tardives (après 20h) et parfois les dimanches ou même pendant ses arrêts- maladies, il apparaît que la société SELAS PwC attendait de lui une grande disponibilité pour travailler sur les dossiers du cabinet, lui laissant peu de temps pour développer sa clientèle et se reposer.

Le système de comptabilisation des heures de travail tient compte des heures chargeables (celles qui sont facturées au client) et des heures non chargeables (non facturées mais réellement effectuées), lesquelles représentent, selon la société 10 % des heures chargeables, et selon Mr [N] 15 %.

Les heures de travail de ce dernier correspondaient donc a minima aux heures chargeables (au minimum 40 h par semaine doivent être mentionnées sur les 'time- sheets' ), lesquelles dépassaient déjà la durée légale de travail hebdomadaire de 35h ; en outre en comptabilisant toutes les heures de travail effectuées (heures chargeables et non chargeables), le temps de travail légal annuel (1607 h) était largement dépassé entre 2007 et 2013, comme cela apparaît dans la pièce 6 produite par la société :

2007/2008 : 1692 h

2008/2009 : 2072 h

2009/2010 : 2114 h

2010/2011 : 2107 h

2011/2012 : 1711 h.

2012/2013 : 1772 h.

2013/2014 : 1174 h.

Rapporté au mois et hors congés payés, le temps de travail effectif de Mr [N] était le plus souvent compris entre 160h et 200h par mois.

Par ailleurs, en répertoriant le nombre de jours de congés payés pris par Mr [N], hors RTT (qui ne sont pas à comptabiliser selon la société) , au vu des autorisations d'absence produites par la société, l'on constate qu'il a pris 21 jours en 2008, 27 jours en 2009, 25 jours en 2010, 26,5 jours en 2011, 17 jours en 2012, 27 jours en 2013 et 1 jour du 1er janvier au 2 mai 2014 (soit rapporté à l'année 3 jours), soit en moyenne 21 jours de congés par an, ce qui est inférieur à la durée légale des congés pour des salariés (25 jours hors RTT) et qui est mentionnée dans son contrat de collaboration.

Enfin, les directives constamment adressées par la société SELAS PwC à ses salariés et collaborateurs (y compris Mr [N]) au sujet du contrôle de leur temps de travail et de l'établissement de factures en urgence , via des mails produits (pièces 9 et 14) par Mr [N], témoignent de la soumission de Mr [N] à un rythme de travail intensif imposé par la société, et de la pression de plus en plus forte exercée sur lui et d'autres avocats du cabinet au fur et à mesure des années, comme cela ressort notamment :

- dans les mail des 16 octobre 2009 et 17 décembre 2010, il lui est demandé de saisir son temps de travail pour la quinzaine ;

- dans le mail du 12 octobre 2011, où il est impérativement demandé de comptabiliser les heures de travail chaque semaine, afin de savoir quelle personne est sous- utilisée par rapport à d'autres débordées, afin de mieux affecter la charge de travail ;

- dans le mail du 20 octobre 2013, où il est demandé de saisir de manière quotidienne les heures de travail et leur affectation à chaque mission, et de s'occuper instamment de la facturation et de la relance des impayés ;

- dans le mail du 23 novembre 2013, où cela est à nouveau rappelé, avec une insistance sur le descriptif du travail effectué, en vue de la facturation ;

- dans le mail du 12 décembre 2013, il est encore demandé une saisine quotidienne du temps de travail et des 'time- sheets', sous peine de sanctions, avec l'annonce d'un contrôle le 16 décembre.

Dans plus de 200 mails envoyés à Mr [N] entre 2010 et 2013 par sa ligne hiérarchique et le département Gestionnaire Finances, il lui est demandé d'avancer dans la facturation ou d'établir des factures, et éventuellement de relancer les clients qui n'ont pas payé, ce qui montre qu'il devait consacrer beaucoup de temps à cette facturation.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que non seulement le temps de travail de Mr [N] était journellement contrôlé, mais il lui fallait rendre compte de chaque heure de travail dans des 'time-sheets' ; son temps était consacré essentiellement aux affaires du cabinet et à la facturation de ses affaires, mais aussi à l'enregistrement de ses heures de travail, à la formation et aux réunions obligatoires, au vu des directives susvisées, ce qui ne lui laissait aucun temps pour développer sa clientèle, d'autant qu'au surplus il n'a même pas disposé de 10 jours par an, comme cela était contractuellement prévu.

En conséquence, le contrat de collaboration sera requalifié en contrat de travail à compter du 4 juin 2007.

Sur la demande de paiement d'heures supplémentaires et l'indemnité de travail dissimulé

* Sur les heures supplémentaires

L'article L 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige sur l'existence ou le nombre des heures de travail, le juge statue au vu des éléments apportés par l'employeur et le salarié.

Au regard du système de comptabilisation des heures de travail, détaillé ci- dessus, qui distingue les heures chargeables (celles qui sont facturées au client) et les heures non chargeables (non facturées mais réellement effectuées), le temps de travail effectif représente de manière incontestable au moins 10 % des heures chargeables (ce qui est admis par le cabinet au vu des pièces produites), heures mentionnées sur les 'time- sheets' et également non susceptibles de contestation.

Au vu des pièces produites et des calculs faits par Mr [N] sur la base de 15 % des heures 'chargeables', il sera donc fait partiellement droit à ses demandes de rappels de salaire, en tenant seulement compte de ces 10 %, d'où le calcul suivant :

10% représentant 2/3 de 15%, il convient de déduire 1/3 des demandes.

45 131,17 : 3 = 15 043,72

45 131,17 - 15 043,72 = 30 087,45 €.

La société SELAS PricewaterhouseCoopers sera condamnée à lui payer la somme de 30 087,45 € au titre des rappels de salaire, outre celle de 3008,74 € au titre des congés payés afférents.

Ces sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'audience de conciliation intervenue entre Mr [N] et le cabinet LANDWELL et ASSOCIES- devenu la société SELAS PricewaterhouseCoopers, dans le cadre de la procédure devant Mr le Bâtonnier des Hauts- de- Seine, soit le 6 mars 2014, date certaine (à défaut de connaître la date de réception de sa convocation par le cabinet) à laquelle les parties ont pu pour la première fois échanger de manière contradictoire leurs arguments.

* Sur le travail dissimulé

L'allocation de l'indemnité de 6 mois de salaire pour travail dissimulé prévue par les articles L 8223-1 et 8221-5 du code du travail, suppose que soit établie à la charge de l'employeur l'intention de dissimuler un emploi salarié ou une partie de l'activité d'un salarié, intention qui en l'espèce n'apparaît pas prouvée par Mr [N] ; en effet, au cours de ses relations contractuelles, le cabinet LANDWELL et ASSOCIES lui avait proposé de devenir salarié, ce qu'il avait refusé.

Mr [N] sera donc débouté de ce chef.

Sur la demande en dommages et intérêts pour le préjudice financier

Mr [N], qui demande la somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil, a exposé des charges importantes inhérentes au statut de profession libérale, sans bénéficier des avantages liés à ce statut, comme la constitution d'une clientèle propre.

Les charges qu'il a payées, à savoir les cotisations à la CNBF, au RSI, à l'URSSAF, et les cotisations ordinales, s'élèvent à 100 558 € de 2007 à 2013, outre la TVA, laquelle se monte à 103 709 € entre décembre 2010 et décembre 2013.

Pour apprécier ce préjudice financier, qui est réel, de manière plus fine, la Cour doit pouvoir comparer la moyenne nette des salaires des avocats salariés du cabinet occupant un poste comparable à celui de Mr [N], avec le montant de la rémunération de ce dernier, déduction faite des charges qu'il a indûment assumées; en l'absence de ces éléments, la Cour ne peut que partiellement faire droit à sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 50 000 €.

Sur la demande de prise d'acte de rupture

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Il convient en l'espèce de vérifier si les griefs invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur, y compris ceux non contenus dans la lettre de prise d'acte, trouvent leur origine dans un différend antérieur ou contemporain à la rupture, sans qu'il y ait besoin d'une mise en demeure préalable adressée par le salarié à l'employeur; cependant, il faut que le salarié ait fait état auprès de son employeur des manquements de ce dernier, soit avant sa démission soit de manière concomitante.

En l'espèce, le 28 juillet 2014, Mr [N] a adressé au cabinet LANDWELL et ASSOCIES une lettre de prise d'acte de rupture, prenant effet au 31 juillet 2014, en invoquant les graves manquements de ce dernier, qu'il avait dénoncés et développés dans ses conclusions devant le Bâtonnier.

Les manquements ont donc été dénoncés devant l'instance arbitrale du bâtonnier avant cette lettre.

Mr [N] invoque plusieurs manquements de son employeur :

- l'impossibilité de constituer une clientèle, élément déjà établi du fait de la requalification de la relation contractuelle ;

- le non respect de la durée quotidienne de repos et de la durée maximale de travail, éléments partiellement établis au vu du nombre d'heures supplémentaires dans la semaine (a minima le temps de travail du lundi au vendredi était de 44h, soit 40 h déclarées sur les 'time-sheets' plus 10 % non 'chargées', sans compter le temps de travail des fins de semaine);

- le non paiement des heures supplémentaires, et les conditions de travail difficiles (pression sur les délais), éléments retenus plus haut par la Cour.

Au vu des éléments développés plus haut dans le cadre de la requalification de la relation contractuelle, les graves manquements du cabinet LANDWELL et ASSOCIES apparaissent établis et empêchaient la poursuite de la relation contractuelle, de sorte que cette rupture intervenue par la faute du cabinet produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les indemnités dues

Il convient de retenir comme salaire de base brut de référence la somme de 11 485,08 €/mois, au vu des calculs contenus dans les conclusions de Mr [N], ce qui lui donne droit aux indemnités légales suivantes :

- la somme de 16 270 € à titre d'indemnité légale de licenciement (1/5 de mois par année d'ancienneté), au vu de son ancienneté de 7 ans 1 mois,

- la somme de 34 455 € d'indemnité de préavis, outre celle de 3445,50 € au titre des congés payés afférents, selon l'article 9.1 de la convention collective nationale des cabinets d'avocats.

Les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2014.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application des articles L1235- 3 et L1235- 5 du code du travail, il est alloué au salarié ayant plus de 2 ans d'ancienneté dans une entreprise d'au moins 11 salariés, une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois (somme correspondant à 68 910,48 € en l'espèce).

Au regard de l'ancienneté de Mr [N] (7 ans), et au fait qu'il sollicite une somme de 69 000 €, quasiment équivalente à 6 mois de salaires, la Cour fera intégralement droit à sa demande.

Sur la demande en dommages et intérêts au titre du préjudice moral

Sur le fondement de l'article 1134 du code civil et de l'article L 1222-1 du code du travail, Mr [N] invoque le non respect de l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi ; il estime avoir subi un préjudice moral spécial, du fait de la pression permanente de son employeur mais aussi de la part d'une collaboratrice du cabinet courant 2010, et conteste le refus de sa demande de promotion comme directeur, et reproche enfin au cabinet de lui avoir fait subir une inégalité de traitement en lui versant un bonus anormalement faible en 2012/2013, alors qu'il avait rempli ses objectifs.

La Cour ne peut s'immiscer dans le pouvoir de direction de l'employeur en ce qui concerne la promotion ou non d'un salarié, qui ne dépend par seulement des qualités de ce dernier mais de l'ensemble de l'organisation du cabinet.

Il n'est démontré que le cabinet LANDWELL et ASSOCIES est resté passif face aux difficultés relationnelles s'étant développées entre septembre 2009 et février 2010 entre Mr [N] et Mme [C], autre associée du cabinet et manager; en effet, le 1er mars 2010 Mr [N] a averti sa hiérarchie (Mr [G] puis Mme [I]) par mail, et ces derniers ont organisé une réunion le 22 mars 2010, où tous les griefs que Mr [N] avait à l'égard de sa collègue Mme [C] ont été entendus et listés dans le compte-rendu en pièce 47 ; à la suite de cette réunion, Mme [I] a pris la décision de ne plus les faire travailler ensemble sur le dossier Orangina, comme Mr [N] l'avait demandé; en outre, ce dernier avait remercié par mail Mr [G] de son écoute le 1er mars 2010.

En revanche, l'existence d'une pression permanente de l'employeur a été établie plus haut, ce qui a entraîné pour Mr [N] des conditions de travail difficiles ayant généré un préjudice moral.

Il ressort également des pièces produites et des conclusions de Mr [N], non contestées sur ce point par le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, qu'il n'a pas perçu le montant du bonus attendu pour l'année 2012/2013, ce qu'il ressent comme une discrimination: il avait perçu en moyenne un bonus de 16 936 € les trois années précédentes (avec chaque année la fixation préalable d'un bonus cible), alors que sans explication il n'avait perçu que la somme de 2650 € pour l'année 2012/2013, contrairement à ses collègues qui ont perçu un bonus plus important ; or, il est établi qu'il avait atteint ses objectifs, et qu'aucun bonus cible n'avait été fixé cette année- là.

Au vu de ces éléments, et à défaut de fixation préalable d'un bonus cible, il apparaît que Mr [N] aurait dû bénéficier d'un bonus équivalent à la moyenne des bonus des années précédentes, de sorte que son préjudice financier équivaut à 14 286 € (16 936 - 2650).

Cette évaluation permet à la Cour de fixer son préjudice moral global à la somme de 20 000 €, tant au titre des conditions de travail que de la perte d'une partie de son bonus ayant engendré une discrimination.

Sur les demandes du Syndicat des Avocats de France

La recevabilité de l'intervention volontaire du SAF n'est pas contestée, étant précisé qu'un syndicat professionnel comme le SAF peut exercer tous les droits reconnus aux personnes exerçant la profession dont il défend les intérêts collectifs.

En l'espèce, le SAF, dûment mandaté par une délibération de son conseil syndical en date du 23 mai 2014, est fondé à agir aux côtés de Mr [N], afin de défendre les intérêts matériels et moraux des avocats, qui sont atteints dans le cadre de la présente affaire dans la mesure où cet avocat est empêché de développer sa clientèle personnelle, alors que l'esprit du contrat de collaboration libérale - compagnonage entre un jeune avocat et un autre expérimenté en vue de développer une clientèle propre - ne se retrouve pas dans les relations contractuelles entre Mr [N] et le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers.

L'intervention du SAF, fondée sur l'abus du statut de collaborateur non salarié par ledit cabinet au préjudice de Mr [N], justifie que soit alloué au SAF la somme de 1800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il en résulte qu'il convient d'infirmer intégralement la décision du Bâtonnier.

Sur les demandes accessoires

Le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers, devra remettre à Mr [N] l'attestation pôle emploi, le certificat de travail et les bulletins de salaires conformes au présent arrêt, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant la notification de l'arrêt, dont la Cour se réserve le cas échéant la liquidation.

Il est fait droit à la demande de capitalisation des intérêts, en application de l'article 1154 du code civil.

La somme de 7188 € sera allouée à Mr [N] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge du cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME la décision du Bâtonnier des Hauts-de-Seine en date du 24 juillet 2014 ;

Et statuant à nouveau :

REQUALIFIE en contrat de travail le contrat de collaboration entre le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers et Mr [N], pour la période du 4 juin 2007 au 31 juillet 2014 ;

DIT que la prise d'acte de rupture emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers à payer à Mr [N] les sommes suivantes :

- 30 087,45 € au titre du rappel de salaire pour les heures supplémentaires, et celle de 3008,74 € au titre des congés payés afférents,

- 16 270 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 34 455 € à titre d'indemnité de préavis, outre celle de 3445,50 € au titre des congés payés afférents,

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2014 ;

- 69 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier pendant la relation contractuelle,

- 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral pendant la relation contractuelle,

- 7188 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts, en application de l'article 1154 du code civil ;

DIT que le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers, devra remettre à Mr [N] l'attestation pôle emploi, le certificat de travail et les bulletins de salaires conformes au présent arrêt, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant la notification de l'arrêt, dont la Cour se réserve la liquidation ;

DÉCLARE recevable et fondée l'action du Syndicat des Avocats de France et condamne le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers, à lui payer la somme de 1800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE le cabinet LANDWELL et ASSOCIES, devenue société SELAS PricewaterhouseCoopers aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 14/03890
Date de la décision : 03/11/2015

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°14/03890 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-11-03;14.03890 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award