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17/09/2015 | FRANCE | N°13/03648

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 17 septembre 2015, 13/03648


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80C



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 SEPTEMBRE 2015



R.G. N° 13/03648



AFFAIRE :



SB/CA



[P] [B] [E]





C/

SAS MANROLAND FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Juillet 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

Section : Encadrement

N° RG : 12/00

188





Copies exécutoires délivrées à :



Me Nathalie ROBINAT

la AARPI KATZ MENARD BERRIER AVOCATS





Copies certifiées conformes délivrées à :



[P] [B] [E]



SAS MANROLAND FRANCE







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE D...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 SEPTEMBRE 2015

R.G. N° 13/03648

AFFAIRE :

SB/CA

[P] [B] [E]

C/

SAS MANROLAND FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Juillet 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

Section : Encadrement

N° RG : 12/00188

Copies exécutoires délivrées à :

Me Nathalie ROBINAT

la AARPI KATZ MENARD BERRIER AVOCATS

Copies certifiées conformes délivrées à :

[P] [B] [E]

SAS MANROLAND FRANCE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [B] [E]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Nathalie ROBINAT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 140

APPELANT

****************

SAS MANROLAND FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Harold BERRIER de l'AARPI KATZ MENARD BERRIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1423, Mme [V] [A] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir spécial

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie BOSI, Président chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie BOSI, Président,

Madame Christel LANGLOIS, Conseiller,

Madame Marie-Christine PLANTIN, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

La Société SOMAGRA ' ultérieurement renommée MANROLAND FRANCE- exerce une activité de commercialisation de matériel afférent à l'imprimerie et aux arts graphiques (presses, outillage').

Par contrat de travail à durée indéterminée du 25 avril 1995, M. [X] [E] a été engagé par la société SOMAGRA en qualité de commercial conseil 'pour les machines et matériels de la gamme impression feuilles, finition et préparation, sur le secteur est, ' position 2, coefficient 100 de la convention collective des cadres de la métallurgie.

Par avenant n°1 au contrat de travail du 2 janvier 2007, M. [E] a été promu directeur des ventes du département offset feuilles/finition, avec le statut de cadre, position 2 et coefficient 100 ainsi que membre du comité de direction. Le contrat précise que dans le cadre de ses fonctions, il rapporte directement à M [W] [Q], directeur général.

Aux termes de cet avenant, la rémunération de M [E] est constituée d'un salaire mensuel forfaitaire brut de 6.766 € (tous éléments confondus), d'une gratification de fin d'année correspondant à un treizième mois et d'un bonus annuel basé sur les résultats de la société et sur l'accomplissement de ses objectifs personnels, ce bonus pouvant aller de 0 à 30 % de la rémunération fixe annuelle. M [E] a également droit au remboursement des frais de déplacement qu'il a engagés pour les besoins de la fonction sur justificatifs. Il doit à ce titre transmettre des relevés hebdomadaires comprenant les indemnités kilométriques relatives à l'utilisation de son véhicule personnel.

Par avenant n°2 du 10 mars 2008, prenant effet au 1er janvier 2008, M [E] a été promu directeur des ventes du département offset feuilles, avec le statut de cadre, position III A, coefficient 135. Il est resté membre du comité de direction. Les autres dispositions contractuelles sont restées inchangées.

Par la suite, M [E] a reproché à son employeur d'avoir progressivement vidé ses fonctions de leur contenu, et ce, à partir du mois de mars 2009, de ne plus le faire participer au comité de direction et de ne pas lui avoir remboursé régulièrement ses frais de déplacement.

Par requête enregistrée au greffe du conseil de prud'hommes de MONTMORENCY le 14 février 2012, M [E] a fait convoquer la société MANROLAND FRANCE, en vue d'obtenir sous astreinte sa réintégration dans ses fonctions de directeur des ventes du département offset feuilles ainsi que la condamnation de la société à lui payer avec exécution provisoire les sommes suivantes:

- 70.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de son déclassement de fait,

- 62.989,92 € nets au titre de l'indemnité de déplacements pour les années 2007 à 2011,

- 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- les intérêts capitalisés en application de l'article 1154 du code civil.

Les parties ne s'étant pas rapprochées lors de l'audience de conciliation du 21 mars 2012, l'affaire a été renvoyée une première fois à l'audience du bureau de jugement du 24 octobre 2012.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 1er juin 2012, M [E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

La position de M [E] a par la suite évolué devant le conseil de prud'hommes.

Par jugement du 10 juillet 2013, le conseil de prud'hommes a débouté M [E] de l'ensemble de ses demandes ainsi que la société MANROLAND FRANCE SAS qui avait formé des demandes reconventionnelles.

M [E] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Devant la Cour, par conclusions écrites, développées oralement par son avocat, M [E] reprend les réclamations qu'il avait présentées en dernier lieu en première instance sauf celle relative aux frais irrépétibles de procédure qu'il augmente.

Il demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de MONTMORENCY en date

du 10 juillet 2013,

et statuant à nouveau :

- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 7.403,50 €,

- juger que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société MANROLAND France SAS à lui verser les sommes suivantes :

* 44.421 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 4.442,10 € à titre de congés payés y afférents,

* 3.701,75 € à titre de 13ème mois sur préavis,

* 370,17 € à titre de congés payés sur 13ème mois,

* 74.590,25 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 66.437,70 € bruts au titre de son bonus pour les années 2008 à 2011,

* 6.643,77 € au titre des congés payés y afférents,

* 5.536,47 € au titre de 1'incidence du 13ème mois,

* 553,64 € au titre des congés payés y afférents,

* 61.081,76 € nets au titre de l'indemnité de déplacements pour la période de mars 2007 à décembre 2011 inclus,

* 200.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause rée11e et sérieuse,

* 894,30 € à titre de dommages et intérêts pour la prévoyance,

- dire que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de

la saisine du conseil de prud'hommes le 15 février 2015 ou à tout le moins à la prise d'acte

de M [E] en date du 1er juin 2012,

- dire que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,

- ordonner la remise des documents sociaux conformes à la décision sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à l'issue d'un délai de 8 jours suivant la notification de la décision,

- condamner la société Manroland France SAS au versement d'une indemnité pour frais irrépétibles de procédure de 4.000 € ainsi qu'aux dépens.

Devant la Cour, par conclusions écrites, développées oralement par son avocat, la société MANROLAND FRANCE demande de :

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. [E] doit produire les effets d'une démission,

- en conséquence, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [E] de

toutes ses demandes ;

- y ajoutant, condamner M. [E] à payer à la Société à titre reconventionnel les sommes suivantes :

*44.421 euros à titre d'indemnité compensatrice de

préavis,

* 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de

procédure civile,

- condamner M. [E] aux entiers dépens.

*

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

SUR CE,

SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :

Considérant que lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission, étant observé que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas les limites du litige et qu'il convient d'examiner les manquements de l'employeur invoqués par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit ;

Considérant que dans sa lettre du 1er juin 2012, M [E] reproche à son employeur :

- de 'ne pas respecter les dispositions législatives et contractuelles relatives au remboursement de ses frais de déplacement puisqu'il limite arbitrairement ce remboursement, depuis plusieurs années, à la somme de 0,30 euros par kilomètre' ce qui lui provoque une perte salariale de plus de 60.000 euros ;

- depuis une réunion de l'ensemble des commerciaux en date du mois de mars 2009 de lui retirer une à une ses fonctions et prérogatives de directeur des ventes ainsi que sa participation au comité de direction de sorte que son poste s'est réduit à celui de simple commercial et qu'il en a souffert psychologiquement au point d'être mis en arrêt de travail par son médecin ;

- d'avoir refusé de résoudre ces difficultés en maintenant contre son avis le statu quo existant;

Qu'il affirme que ces faits constituent des manquements graves dans l'exécution du contrat de travail et rendent impossible la poursuite de celui-ci ;

Considérant que, s'agissant du remboursement partiel des frais de déplacement, le contrat de travail de M [E] stipule que les frais sont remboursés mensuellement sur justificatifs transmis par relevés hebdomadaires ; qu'il précise que l'indemnité kilométrique est calculée au 1er janvier 1995 sur la base de '1,94 F' du kilomètre ;

Considérant que depuis le passage à l'euro l'employeur indique que l'indemnité kilométrique est calculé sur la base de 30 centimes d'euro le kilomètre ;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal du comité d'entreprise du 28 janvier 2005 que la réévaluation des indemnités kilométriques a été refusée, 'la direction poursuivant la politique des voitures de sociétés' ;

Que la société MANROLAND France affirme qu'elle a d'ailleurs proposé un véhicule de fonction à M [E] qu'il a refusé ;

Considérant par ailleurs qu'il n'est pas établi que M [E] a demandé à son employeur de revoir le calcul de ses indemnités kilométriques avant la saisine du conseil de prud'hommes et la lettre de prise d'acte de rupture de son contrat de travail du 1er juin 2012 ;

Considérant que les dispositions contractuelles liant les parties n'ont pas été modifiées ;

Que l'augmentation de l'indemnité kilométrique n'a pas fait l'objet d'un accord entre elles ;

Considérant que dans ces conditions, le mode de calcul des indemnités kilométriques ne constitue pas un grief suffisant pour justifier la prise d'acte de cette rupture;

*

Considérant que M [E] ajoute en dernier lieu un nouveau grief tiré du défaut de paiement du bonus prévu par l'avenant à son contrat de travail du 2 janvier 2007 pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010 ;

Qu'il soutient que les sommes de 27 441 euros et de 11 716 euros qui lui ont été payées pour les années 2006 et 2007 correspondent en réalité aux arriérés sur commissions que la société lui devait pour une période antérieure à sa promotion en tant que directeur des ventes et qu'elle ne lui a pas fixé d'objectif à atteindre rendant ainsi impossible l'octroi d'un bonus ;

Considérant que la société MANROLAND conteste ces faits ;

Considérant que l'avenant au contrat de travail précité ouvre la possibilité du paiement d'un bonus pouvant aller jusqu'à 30% de la rémunération fixe annuelle de M [E] en fonction des résultats de la société et de l'accomplissement des objectifs qui lui ont été fixés personnellement ;

Considérant que les bulletins de salaire versés aux débats par M [E] font clairement apparaître le versement de sommes sous l'intitulé 'bonus annuel agent' :

- 6 000 euros en avril 2007

- 6 000 euros en mai 2007

- 6 000 euros en juin 2007

- 6 000 euros en juillet 2007

- 6 000 euros en août 2007

- 30.000 euros en juin 2008

- 10 000 euros en février 2009

- 15 000 euros en mai 2009

- 11 803 euros en août 2009

- 22 441 euros en février 2010

- 11 716 euros en août 2010

Considérant que M [E] n'a formulé aucune réclamation pendant toute la période de sa collaboration sur le non-paiement d'un bonus ;

Qu'il n'est pas établi que les sommes ci-dessus rappelées correspondaient à autre chose qu'au paiement du bonus annuel pour les années 2007 à 2010 ;

Que le manquement allégué à l'appui de la prise d'acte n'est donc pas caractérisé ;

*

Considérant que, s'agissant de la rétrogradation de fait, le contrat de travail de M [E] prévoit qu'il doit :

- participer activement au comité de direction de la société MANROLAND France ;

- mettre en oeuvre et réaliser la politique commerciale définie avec la direction générale ;

- augmenter le chiffre d'affaires et les marges commerciales ;

- analyser les résultats et prendre les mesures correctrices nécessaires ;

- animer, organiser, coordonner, gérer et contrôler l'activité et le suivi de l'équipe

commerciale afin d'optimiser les résultats ;

- intervenir personnellement dans les négociations avec certains clients sensibles ;

- être particulièrement attentif aux évolutions de marché et aux offres de la concurrence, afin

d'adapter en permanence la stratégie de l'entreprise ;

Considérant que M [E] est placé sous l'autorité directe de M [Q], directeur général à cette période ;

Considérant que malgré les dénégations de la société MANROLAND France et au-delà des pièces qu'elle communique, il résulte clairement des attestations circonstanciées de M [W] [Q], de M [N] [Z] et de M [S] [F] que M [E] a été de fait rétrogradé par son employeur ;

Qu'il ressort ainsi de l'attestation de M [Q] qu'en sa présence ainsi qu'en la présence de la directrice des ressources humaines et du directeur administratif et financier, M [E] a été informé verbalement le 12 mars 2009 de la réorganisation souhaitée par la maison mère dans le cadre de l'intégration progressive des filiales du groupe MANROLAND AG ; qu'au cours de 'la réunion des 17 et 18 mars 2009", un nouvel organigramme a été présenté à 'l'ensemble de la force de vente' ; que les responsabilités de M [E] ont été modifiées puisqu'il s'est retrouvé placé sous l'autorité de M [D], chef de produit, rapportant lui-même directement au directeur général ; que dans le cadre de la stratégie exigée par la maison mère, M [E] ne participait plus au comité de direction et n'encadrait plus d'équipe de vente; qu'aucun écrit n'a officialisé ce changement, le salaire de M [E] demeurant par ailleurs inchangé ;

Que dans son attestation M [Z] précise que la direction de la société a informé les salariés des changements d'organisation lors de 'la réunion des 16 et 17 mars 2009" ; que sans fournir d'explication, elle a changé la position hiérarchique de M [E] qui a été placé sous l'autorité de M [D] alors chef de produit et sans aucune expérience de la vente; que M [E] comme M [F] devenaient des référents et devaient, suivant la décision de M [D], apporter aux commerciaux leur aide technique sur les dossiers ; que dans les jours suivants la réunion de vente, M [D] a intimé l'ordre à M [Z] de ne plus avoir de contact direct avec M [E] sur les dossiers, lui seul étant responsable de la gestion de l'équipe; que M [D] a animé les réunions suivantes ; que M [E], qui était précédemment son supérieur hiérarchique, est devenu l'un de ses collègues rendant compte de son activité au même titre que le reste des commerciaux;

Que M [F] atteste que M [E] en tant que directeur des ventes avait la charge de toute l'équipe de vente ; qu'à la suite de la réunion du 17 mars 2009, M [D] a remplacé M [E] qui a été démis de ses fonctions et qui est devenu référent au soutien des commerciaux sous l'autorité du premier ; qu'il ajoute que cette réorganisation leur a été imposée sans explication claire de la direction de l'entreprise ;

Considérant que si MM [Q], [Z] et [F] ont quitté l'entreprise, leurs témoignages ne sont pas suspects de partialité ; qu'ils sont en effet confortés par les éléments suivants :

- un procès-verbal du comité d'entreprise du 25 janvier 2012 suivant lequel, la direction de la société n'a pas cité M [E] comme participant à 'l'OTF' (opérating team France) qui a remplacé le comité de direction ;

- une note du directeur général, M [Q], en date du 3 février 2006 destiné à M [T] décrivant l'organisation interne et désignant M [E] et Mme [U] comme ses collaborateurs directs ;

- un procès-verbal de constat d'huissier en date du 4 juillet 2011 qui constate que sur le site internet de la société MANROLAND, M [E] possède la qualification de 'responsable de vente régional presses à feuilles et finitions' pour les départements 54, 57, 71 et 89 ;

- un procès verbal de constat d'huissier du 23 octobre 2012 qui constate que sur le site internet de la société MANROLAND, M [E] est désigné comme responsable de vente régional presses à feuilles et finitions pour les départements 54 et 59 tandis qu'à la date du 17 janvier 2011, M [D] est désigné comme directeur des ventes offset feuilles schéma de MANROLAND France ; que dans un article de référence MANROLAND 2008, M [D], nommé Directeur des ventes offset feuilles, est décrit comme apportant une énergie nouvelle dans le département Offset feuilles qu'il dirige désormais avec une équipe de 5 conseillers commerciaux responsables pour les investissements en presses à feuilles et en finition ;

- des courriels de M [D] donnant des instructions à M [E] les 22 avril 2009, 23 juillet 2009, 20 décembre 2011, 17 février 2012,

- un courriel de [R] [C], responsable des ventes régional du nord, du 17 avril 2009 qui demande à M [D] de lui préciser qui entre M [E] et M [F] intervient comme référent pour un projet ; que M [D] lui répond en désignant M [E] ;

- un courriel du 14 octobre 2010 dans lequel M [D] explique à M [E] qu'il s'est montré maladroit en le faisant sortir d'un bureau pour discuter avec un interlocuteur de la fixation d'un prix ;

- un courriel d'un client du 13 septembre 2011 s'étonnant de la demande de rendez-vous de M [E] pour configurer une machine car M [D] lui a déjà précisé qu'il était lui-même son interlocuteur sur ce projet ;

Considérant que si la société fait valoir que M [E] ne pouvait plus participer aux réunions de direction parce qu'il ne parlait pas anglais et que ces réunions se déroulaient dans cette langue, il n'en demeure pas moins que les fonctions de direction de M [E] ont été modifiées de façon substantielles puisque ses prérogatives ont été réduites ; qu'il n'a plus été l'un des collaborateurs directs du directeur général, qu'il ne définissait plus la politique commerciale avec la direction générale, que M [D], qui avait le titre de directeur des ventes, lui confiait des missions, et qu'il ne pouvait plus intervenir personnellement auprès de certains clients ; qu'il était devenu en fait responsable des ventes régional et référent des commerciaux ;

Considérant que la société MANROLAND se prévaut du caractère ancien du manquement en affirmant que M [E] a attendu 3 ans avant de réagir à l'annonce de la modification de ses fonctions qu'il a datée au 12 mars 2009 ; qu'elle en déduit que le grief invoqué n'a pas fait obstacle à l'exécution du contrat de travail ;

Considérant toutefois que la société MANROLAND était informée du fait que M [E] refusait sa situation avant la saisine du conseil de prud'hommes ; qu'elle rappelle dans un courrier du 23 septembre 2011 que le salarié lui a fait part de ses récriminations et qu'elle rattache les nombreux malentendus et la source de son mal être et de sa démotivation depuis 2 ans à un manque de communication entre sa précédente hiérarchie et lui-même ;

Que l'état de santé détérioré de M [E] depuis 2009 n'est pas étranger à la façon dont il a réagi face à ses difficultés ;

Que la psychologue qui suit M [E] ainsi que le médecin traitant de celui-ci affirment en juillet 2011 qu'il est soigné depuis 2009 pour des difficultés psychologiques en lien avec son activité professionnelle ;

Que la psychologue précise plus particulièrement que tout au long des séances, le patient lui a fait part de ses difficultés liées à son exercice professionnel ; qu'il a manifesté à plusieurs reprises son incompréhension sur son changement de situation professionnelle ; qu'il exprime un sentiment de dévalorisation et de dépréciation qui a engendré une dépression réactionnelle ; qu'il présente des symptômes caractéristiques d'un trouble dépressif majeur ;

Considérant que le 24 février 2012, la société a adressé à M [E] un courrier remettant en cause son comportement :

« Nous ne comprenons pas votre comportement désinvolte, et déplorons ce manque de

professionnalisme au regard de votre fonction et de votre position...

Ce commentaire à la tonalité négative témoigne d 'une mauvaise volonté avérée de vous

impliquer dans notre Post-Press/finition ainsi que votre réticence à participer activement à

la nécessaire redéfinition de la répartition géographique des secteurs de vente, à la suite du

départ du Responsable des ventes de la région Nord... Ces agissements sont inacceptables,

indignes d'un cadre ... Nous vous demandons donc expressément de vous ressaisir et

d 'honorer rapidement et durablement l'ensemble de vos obligations contractuelles... à

défaut de quoi nous serions contraint de tirer au plan disciplinaire toutes les conclusions de

vos manquements. ''

Considérant que M [E] a été de nouveau mis en arrêt de travail du 28 février 2012 au 1er juin 2012 pour syndrome anxio dépressif ;

Que le médecin mandaté pour contrôler le bien fondé de l'arrêt de travail a confirmé son intérêt;

Considérant que M [E] a divorcé en 2011 ; qu'il fait valoir en réponse à l'attestation de M [O] citée par l'employeur que les problèmes familiaux qu'il avait rencontrés sont la conséquence de la modification de son comportement, elle-même due à ses difficultés professionnelles ;

Que dans son rapport d'examen psychiatrique du 27 mai 2012, le Docteur [H] rappelle que M [E] dit 'avoir recours à un antidépresseur depuis l'évolution d'une situation conjugopathique s'étant caractérisée par une procédure de divorce intervenue à son initiative' et bénéficier d'une prise en charge au centre médico-psychologique de [Localité 3] dans ce contexte psychopathologique réactionnel ; que le médecin psychiatre ne réduit toutefois pas la cause des troubles aux difficultés familiales ; qu'il reprend abondamment les propos de M [E]

sur ses difficultés professionnelles ; qu'il conclut que l'état de santé du patient demeure sensiblement perturbé et compromis par le développement toujours évolutif et actif de ces troubles dysthymiques de nature dépressive et anxieuse ; qu'il estime que l'éventualité d'une reprise d'activité professionnelle n'est pas envisageable à cette date ;

Considérant en tout état de cause, qu'il ressort des certificats médicaux et comptes rendus d'examens médicaux versés aux débats que M [E] vit sa situation de travail comme délétère ; qu'il manifeste un émoussement de l'élan vital et que son état de santé psychique s'est amélioré depuis lorsqu'il a quitté l'entreprise ;

Considérant en conséquence que le manquement lié à la rétrogradation de fait qui est reproché à l'employeur est établi ;

Que ce manquement grave et répété a eu un impact sur la santé du salarié ;

Qu'il justifie à lui seul la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ;

Que cette prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Que le jugement déféré sera infirmé de ce chef ;

SUR LES CONSEQUENCES PECUNIAIRES DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

1/ Considérant que M [E] était âgé de près de 55 ans à la date de la rupture du contrat de travail pour être né le [Date naissance 1] 1957 ; que son ancienneté était supérieure à 5 ans ; qu'en application de l'article 27 de la convention collective applicable à la relation contractuelle, il bénéficiait d'un préavis de 6 mois ;

Considérant que sur la base d'un salaire mensuel de 7 403,50 euros bruts, il est fondé à réclamer à la société MANROLAND France le paiement de la somme de 44. 421 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 4.442,10 euros bruts au titre des congés payés incidents ;

Considérant que la société, qui ne conteste pas le calcul du salarié, sera déboutée en sa demande renconventionnelle en paiement des sommes de 44 421 euros bruts et de 4 442,10 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés incidents, la prise d'acte n'ayant pas été analysée en une démission du salarié ;

2/ Considérant qu'en exécution du contrat de travail, M [E] a droit au paiement d'un treizième mois ;

Considérant qu'il réclame de ce chef la somme de 3 701,75 euros outre celle de 370,17 euros au titre d'un rappel de 13ème mois sur préavis et des congés payés incidents ;

Considérant que la société fait valoir avec pertinence que la lecture des bulletins de paie du mois de décembre montre que le 13 ème mois est calculé sur le seul salaire de base ;

Considérant qu'en 2012, le salaire de base mensuel est de 6 834 euros ; que le rappel de 13ème mois pro rata temporis est de 3 417 euros bruts et les congés payés afférents de 341,70 euros bruts ;

Qu'il sera fait droit à la demande de M [E] dans ces limites ;

3/ Considérant qu'en application de l'article 29 de la convention collective, M [E] le calcul de l'indemnité de licenciement, de l'ancienneté et des conditions d'âge sont appréciés à la date de fin du préavis exécuté ou non ;

Considérant qu'à cette date, M [E] avait plus de 55 ans ; que son ancienneté était de 17 ans et 7 mois ; qu'au regard de son salaire de référence de 7 403,50 euros, il a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement de 74 590,25 euros (soit [(1/5 x 7403,50 euros x 7 ans) +(3/5x7403,50 euros x 10 ans) + (3/5x7403,50 euros x 7 mois /12)] x 30% (à titre de majoration);

4/ Considérant qu'au vu de l'ancienneté de M [E] dans l'entreprise, des circonstances de son départ, de son âge au moment de la rupture de son contrat de travail ainsi que de la baisse de ses revenus inhérente à l'exploitation du fonds de commerce de vente d'articles de journaux et de tabac qu'il a racheté en juin 2012 que la cour est en mesure d'évaluer à la somme de 99 954 euros le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

SUR LES AUTRES DEMANDES PECUNIAIRES

1/ Considérant qu'au titre des rappels de bonus, M [E] demande le paiement des sommes de :

- 66 437,70 euros au titre des bonus pour les années 2007 à 2011 ;

- 6 643,77 euros au titre des congés payés incidents ;

- 5 536,47 euros au titre de l'incidence du 13ème mois ;

- 553,64 euros au titre des congés payés incidents ;

Considérant qu'il convient de relever que l'appelant ne tient pas compte des paiements qui figurent sur ses bulletins de paie comme étant des bonus ;

Considérant au surplus que M [E] omet de prendre en compte le résultat de l'entreprise alors qu'il est mentionné dans l'avenant n°1 du contrat de travail comme étant l'un des critères de détermination du montant des bonus ;

Considérant dès lors que les demandes en paiement seront rejetées ;

2/ Considérant que M [E] demande le paiement de la somme de 894,30 euros à titre de dommages et intérêts pour réparer le préjudice matériel qu'il a subi du fait de la cessation de la prise en charge de la mutuelle ;

Considérant toutefois qu'il ne justifie pas du remboursement de la somme de 894,30 euros à la MMP ;

Qu'en outre ayant entrepris une activité professionnelle en nom propre après la rupture de son contrat de travail, il n'a pas été indemnisé par l'assurance -chômage et ne saurait bénéficier des garanties des couvertures complémentaires santé appliquée dans son ancienne entreprise sur le fondement de l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 ;

Que la demande en paiement sera rejetée ;

3/ Considérant que M [E] demande le paiement de la somme de 61 081,76 euros nets à titre de reliquat sur l'indemnité de déplacement en fondant sa réclamation sur les indemnités kilométriques publiées au bulletin officiel des impôts ;

Considérant toutefois que pour les mêmes motifs que ceux retenus pour écarter le manquement lié au non paiement des indemnités kilométriques revalorisées, la présente demande sera rejetée ;

SUR LES INTERETS MORATOIRES

Considérant que les créances salariales et assimilées sont productives d'un intérêt au taux légal à compter de la remise à l'employeur de sa convocation à l'audience de conciliation du conseil de prud'hommes soit en l'espèce le 16 février 2012 ;

Considérant que les créances indemnitaires sont productives d'un intérêt au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

SUR LA REMISE DES DOCUMENTS DE RUPTURE

Considérant que la société MANROLAND devra dans les termes du présent dispositif remettre à M [E] des documents de rupture conformes à la présente décision ;

Considérant que le prononcé d'une astreinte n'est pas nécessaire ;

SUR LES FRAIS IRREPETIBLES DE PROCEDURE ET LES DEPENS

Considérant que l'équité commande seulement d'indemniser M [E] des frais irrépétibles de procédure qu'il a exposés pour la première instance et l'appel à concurrence de 3.000 euros;

Que la société MANROLAND qui succombe pour l'essentiel à l'action sera condamnée au paiement de cette somme ;

Qu'elle sera par ailleurs déboutée en sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure et condamnée aux entiers dépens ;

Que le jugement déféré sera infirmé de ces chefs et qu'il y sera ajouté sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés,

Dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M [X] [E] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société MANROLAND France SAS à payer à M [X] [E] les sommes suivantes :

- 44. 421 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 4.442,10 euros bruts au titre des congés payés incidents,

- 3 417 euros bruts à titre de rappel sur 13ème mois,

- 341,70 euros bruts au titre des congés payés incidents,

- 74. 590,25 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 99 954 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que les créances salariales et assimilées seront productives d'un intérêt au taux légal à compter de la remise à l'employeur de sa convocation à l'audience de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 16 février 2012 ;

Dit que les créances indemnitaires seront productives d'un intérêt au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

Enjoint à la société MANROLAND France SAS de remettre à M [X] [E] dans le mois suivant la signification du présent arrêt une attestation Pôle Emploi, un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et un solde de tous comptes conformes à la présente décision;

Déboute la société MANROLAND France de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,

Confirme pour le surplus le jugement de débouter entrepris,

Y ajoutant,

Condamne la société MANROLAND France SAS à payer à M [M] [E] la somme de 3.000 euros pour ses frais irrépétibles de procédure de première instance et d'appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société MANROLAND France SAS aux entiers dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2 ème alinéa de l'art 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Sylvie BOSI, Président, et par Madame Claudine AUBERT, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 13/03648
Date de la décision : 17/09/2015

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°13/03648 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-09-17;13.03648 ?
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