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08/09/2015 | FRANCE | N°14/01991

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 08 septembre 2015, 14/01991


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 SEPTEMBRE 2015



R.G. N° 14/01991



AFFAIRE :



[R] [N]



C/



SA MEDICA FRANCE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Avril 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : Activités diverses

N° RG : 12/01820





Copi

es exécutoires délivrées à :



SDE DADI AVOCAT



SCP ABEILLE-RIBEIL-FERRE





Copies certifiées conformes délivrées à :



[R] [N]



SA MEDICA FRANCE



le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUINZE,
...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 SEPTEMBRE 2015

R.G. N° 14/01991

AFFAIRE :

[R] [N]

C/

SA MEDICA FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Avril 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : Activités diverses

N° RG : 12/01820

Copies exécutoires délivrées à :

SDE DADI AVOCAT

SCP ABEILLE-RIBEIL-FERRE

Copies certifiées conformes délivrées à :

[R] [N]

SA MEDICA FRANCE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparant en personne

Assisté de Me Ghislain DADI de la SDE DADI AVOCAT, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

SA MEDICA FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Denis FERRE de la SCP ABEILLE-RIBEIL-FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mai 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, Conseiller chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BÉZIO, président

Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,

Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,

EXPOSE DU LITIGE

Le 15 février 2010, Mr [N] a été engagé par la SA MEDICA FRANCE (exploitant une maison de retraite médicalisée spécialisée dans la maladie d'Alzheimer, employant plus de 11 salariés), en qualité d'infirmier, selon un contrat de travail à durée indéterminée.

Par lettre du 10 octobre 2012, la SA MEDICA FRANCE le convoquait à un entretien préalable qui se tenait le 22 octobre, puis par lettre recommandée du 25 octobre 2012, elle lui signifiait son licenciement pour faute grave, motivé principalement par le non signalement immédiat à sa hiérarchie le 28 septembre 2012 d'une chute d'une personne âgée (Mme B), qui a entraîné une fracture du col du fémur, engageant son pronostic vital, la patiente étant décédée le [Date décès 1] 2012.

Le 13 novembre 2012 Mr [N] saisissait le conseil des prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT pour voir juger que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 8 avril 2014, dont Mr [N] a formé appel, le conseil le déboutait de ses demandes.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions remises et soutenues oralement par les parties à l'audience du 18 mai 2015, Mr [N] conclut à la réformation du jugement, contestant la faute grave, et sollicite à titre principal la condamnation de la SA MEDICA FRANCE à lui payer les sommes suivantes :

- 5 616,54 € brut d'indemnité de préavis, et 561,65 € au titre des congés payés afférents, sur la base d'un salaire mensuel brut de 2808,27 €,

- 1493,99 € indemnité légale de licenciement (article R 1234-2),

- 100 000 € de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

et les sommes de 545,80 € au titre des frais engagés en appel, outre celle de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire il conclut à l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Il fait valoir qu'il n'a jamais reçu d'avertissement en plus de 30 ans de carrière et qu'il se trouvait souvent seul infirmier pour 70 patients.

Il conteste les faits reprochés, précisant qu'il ne lui appartenait pas de faire un constat de chute, mais à l'aide soignante Mme [U], lui-même n'en ayant pas été témoin, et ayant seulement aidé celle-ci à relever la patiente, après avoir constaté l'absence de gravité apparente de la chute ; il précise avoir informé de cette chute le docteur [C] le 2 octobre, soit 4 jours après la chute, après que des soignants ont signalé la présence d'un hématome sous-cutané.

Il conteste avoir dit à Mme [U] de ne pas faire de constat de chute.

Il soulève l'irrégularité de l'attestation de Mme [S], qui ne comporte pas la mention des dispositions légales.

Il précise à l'audience qu'il a retrouvé du travail un mois après son licenciement, mais avec un salaire inférieur.

Par conclusions remises et soutenues oralement par les parties à l'audience du 18 mai 2015, la SA MEDICA FRANCE conclut au débouté de Mr [N] en toutes ses demandes et à la confirmation du jugement, sollicitant la somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle estime que les griefs invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, à savoir :

- le défaut de signalement immédiat d'une information essentielle, la chute,

- le non respect de ses obligations d'infirmier, son rôle de coordination avec le médecin et d'encadrement des aides-soignants, en vérifiant que Mme [U] avait fait un rapport sur la chute.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article L1235-1 du code du travail stipule que le juge doit apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, au vu des éléments fournis par les parties.

En l'espèce, il est reproché à Mr [N] d'avoir conseillé le 28 septembre 2012 à Mme [U], sa collègue aide médico-psychologique, de ne pas faire d'emblée un rapport de chute concernant la patiente Mme B, et d'avoir même sciemment dissimulé à l'équipe de soins cette chute d'une personne âgée vulnérable et placée sous tutelle, ce qui constituerait une faute grave et un acte de maltraitance.

Ces griefs sont suffisamment précis dans le temps (entre le 28 septembre et le 8 octobre 2012) et doivent être examinés, au regard des responsabilités respectives de Mr [N] et de Mme [U], puisque ce dernier tend à s'exonérer de toute responsabilité, en arguant du fait qu'il ne lui appartenait pas de rédiger le rapport de chute, n'ayant pas assisté à cette chute.

En tant qu'infirmier, avec au surplus une expérience de 30 ans, il appartenait à Mr [N], comme le prévoit l'article R 4311-1 du code de la santé publique, issu du décret du 29 juillet 2004 codifiant la profession d'infirmier, de "concourir à la mise en place de méthodes et au recueil d'informations utiles aux autres professionnels, et notamment aux médecins pour poser leur diagnostic" ; l'article R 4311-5 indique que lorsque l'infirmier "travaille dans un établissement à caractère sanitaire et médico-social, il assure les soins avec la collaboration des aides- soignants et aides médico-psychologiques qu'il encadre".

Il n'est donc pas contestable que Mr [N] avait autorité sur Mme [U] et devait l'encadrer ; c'est ainsi que cette dernière a suivi ses indications, en ne rédigeant pas de rapport de chute, comme elle le dit dans la pièce 5 sous la forme d'une attestation.

La chronologie des faits s'est déroulée comme suit :

- Le 28 septembre Mme [U], aide-médico-psychologique (AMP), appelle Mr [N] pour lui demander de venir l'aider à relever Mme B, qui venait de chuter de son lit alors que Mme [U] faisait sa toilette, cette chute étant intervenue car la barrière de lit était abaissée et Mme [U] éloignée quelques secondes du lit ;

- Mr [N] examinait sur le champ Mme B et constatait que ses jambes étaient mobiles, sans rotation externe de la jambe gauche ni hématomes ni perte de conscience ;

- Mme [S], infirmière coordinatrice, n'a pas rédigé d'attestation (l'irrecevabilité alléguée n'étant donc pas pertinente), mais indique dans une lettre adressée au directeur de la maison de retraite le 9 octobre, les éléments suivants :

* le 2 octobre lors de la réunion de transmission, il a été signalé, par d'autres personnels de soins que les protagonistes, que Mme B présentait un hématome à la hanche droite ; interrogé sur une chute éventuelle pouvant expliquer cet hématome, Mr [N] n'a rien signalé ;

* une radio effectuée le 2 octobre révélait une fracture de la hanche de Mme B datant de quelques jours mais cette dernière ne pouvait être opérée vu son état de santé précaire ;

* le 3 octobre Mme [S] demandait à Mme [U] si une chute était intervenue et cette dernière répondait par la négative ;

* suite à l'appel de Mme [U] signalant le 8 octobre que Mme B avait effectivement chuté le 28 septembre, Mr [N], entendu le 8 octobre, en présence de Mme [S] et du directeur, reconnaît avoir eu connaissance d'une "glissade" et dit à Mme [U] de ne pas le signaler mais de surveiller ; dans ses conclusions, il donne une autre version : "constatant que Mme B ne présentait aucune anomalie à l'examen, il a demandé à Mme [U] de privilégier les soins et de reporter à plus tard la rédaction du constat de chute" ;

- Mme [U], qui aurait dû établir un rapport de chute, ne l'a pas fait, précisant que Mr [N] lui aurait dit : "tu dis elle a glissé" et de ne pas faire de rapport de chute ; elle n'a informé la direction de cette chute que le 8 octobre.

Mr [N] prétend, sans que cela soit contesté par son employeur, avoir prévenu le 2 octobre le médecin traitant de Mme B au sujet de l'état de santé de cette dernière et pris le même jour rendez-vous avec le service de radiologie ; il a ensuite informé le docteur [C], médecin coordinateur du service, de l'état de Mme B.

En revanche, il n'a pas informé ces deux médecins de la chute de Mme B, ce qui aurait suscité une surveillance accrue, un examen clinique par le médecin coordinateur et le passage d'une radio plus tôt que 4 jours après la chute en cas de doute sur le diagnostic.

En effet, le diagnostic d'une fracture "engrénée" du col du fémur est plus difficile à faire que pour une fracture "classique", les douleurs et les difficultés de rotation de la hanche étant moindres ; c'est ainsi que le docteur [C], dans sa lettre du 27 mai 2014, explique qu'après signalement de Mr [N] il a examiné Mme B (le 2 octobre) et, suspectant une fracture "engrénée" du col du fémur, a demandé une radio.

Il est donc établi qu'entre le 28 septembre, date de la chute de la patiente, et le 8 octobre, aucune information sur cette chute n'a été transmise à l'équipe soignante, tant par Mme [U] que Mr [N], contrairement au protocole habituel, ce qui constitue une faute professionnelle, dans la mesure où l'infirmier jour un rôle essentiel dans le relais des informations à l'équipe soignante pour assurer une meilleure réactivité dans les soins et la prévention de la dégradation de l'état de santé des patients.

Si à compter du 2 octobre Mr [N] a été diligent, après le constat d'hématomes sur la patiente, en avertissant les médecins, il a persisté à dissimuler la chute devant l'équipe soignante, ce qui a faussé le diagnostic sur les causes de la fracture, engendrant des questionnements de l'équipe soignante qui n'a finalement eu l'information que le 8 octobre et de la part de Mme [U].

Mme [U] a été sanctionnée par un avertissement, pour ne pas avoir rédigé de rapport de chute et de ne pas avoir alerté l'équipe de soins de cette chute.

La direction de la maison de retraite médicalisée a justement considéré, qu'en raison du niveau de qualification moindre de Mme [U] et du rôle d'encadrement de Mr [N] à son égard, il était de la responsabilité de ce dernier de s'assurer de la rédaction par Mme [U] d'un rapport de chute dans les meilleurs délais, et d'assurer lui-même la transmission verbale de cet événement à l'équipe soignante lors des réunions quotidiennes, les chutes n'étant pas anodines s'agissant d'une cause fréquente de fracture du col du fémur chez des personnes âgées, ce que ne pouvait ignorer Mr [N] au regard de son expérience.

En outre, la patiente Mme B ne possédant pas toutes ses facultés mentales, était dans une position de vulnérabilité, et déjà en situation de dépendance (ne pouvait faire sa toilette) et avait plus de difficultés à exprimer son ressenti (en cas de douleurs ou gêne) qu'une autre personne, ce qui justifiait d'autant plus une communication complète à l'équipe soignante sur toute chute la concernant.

Sans qu'il y ait cependant lieu de parler de maltraitance de la part de Mr [N], qui suppose une intention de nuire qui n'est pas établie, et sans nier ses qualités psycho-thérapeutiques reconnues antérieurement aux faits (selon deux attestations produites), Mr [N] ne peut s'exonérer de ses négligences et de ses mensonges, en invoquant le fait qu'il était souvent en journée le seul infirmier pour l'établissement comptant environ 70 patients et que l'établissement d'un rapport de chute prenait du temps (pour lui ou sa collègue Mme [U]), alors qu'il aurait suffit qu'il rapporte oralement la chute de Mme B dans le cadre d'une réunion de l'équipe soignante le lendemain de la chute.

Aucun texte ne fait de lien obligatoire entre une mise à pied préalable et un licenciement pour faute grave, de sorte que le fait que Mr [N] n'ait pas été mis à pied à titre préalable n'empêche par l'employeur de le licencier pour faute grave.

En considération de l'ensemble de ces éléments, la société MEDICA FRANCE a valablement licencié Mr [N] pour faute grave, comme l'a justement apprécié le conseil des prud'hommes dont le jugement sera confirmé.

Mr [N] sera donc débouté de l'ensemble de ses demandes.

L'équité commande, vu les revenus modestes de Mr [N], de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mr [N] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil des prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT en date du 8 avril 2014 ;

DIT n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mr [N] aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 14/01991
Date de la décision : 08/09/2015

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°14/01991 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-09-08;14.01991 ?
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