COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88H
5e Chambre
OF
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 SEPTEMBRE 2015
R.G. N° 13/04313
AFFAIRE :
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE DES TRAVAILLEURS SALARIES
C/
[F] [U]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Septembre 2013 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES
N° RG : 12-00917
Copies exécutoires délivrées à :
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE DES TRAVAILLEURS SALARIES
Bernadette ZHU-ISNARD
Copies certifiées conformes délivrées à :
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE DES TRAVAILLEURS SALARIES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Mme [G] [J] en vertu d'un pouvoir spécial en date du 08 juin 2015
APPELANTE
****************
Madame [F] [U]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparante en personne
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Juin 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Olivier FOURMY, Président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Mme Mariella LUXARDO, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jérémy GRAVIER,
Par jugement en date du 10 septembre 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts de Seine (ci-après, le TASS) a notamment:
. déclaré le recours formé par Mme [F] [U] recevable et bien fondé ;
. infirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) ayant refusé d'admettre Mme [U] au bénéfice de la retraite progressive ;
. dit qu'elle devait l'être sur la base d'un travail à temps partiel supérieur à 60% et inférieur à 80% ;
. enjoint la caisse de verser à Mme [U] la fraction de pension de vieillesse dans les conditions prévues au 1°) de l'article R. 351-42 du code de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2012.
La CNAV a régulièrement a relevé appel de cette décision.
Vu les conclusions déposées en date du 02 juin 2015 pour la CNAV, ainsi que les pièces y afférentes, et les pièces déposées par Mme [F] [U] le 11 juin 2015, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 11 juin 2015,
FAITS ET PROCÉDURE,
A titre préliminaire, il convient d'observer qu'à la même audience, ont été examinés les dossiers de Mme [U] et de M. [X] [B], qui posent des questions de droit similaires. En accord avec les parties, les pièces soumises dans un dossier doivent être considérées, pour autant qu'elles soient pertinentes, comme soumises dans l'autre dossier.
Cela étant précisé, les faits et la procédure peuvent être présentés de la manière suivante :
Mme [F] [U] est née le [Date naissance 1] 1951.
Elle est interprète diplômée.
Le 28 décembre 1998, elle a signé avec la société Egide un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.
Le 21 novembre 2000, par application de la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction du temps de travail, Mme [U] a signé un avenant à son contrat de travail, qui prévoit qu'elle occupe un emploi d'interprète-accompagnateur, catégorie cadre (niveau 6, responsable fonctionnel 2) et qu'elle effectuera 133 journées de travail par an, en trois périodes : 1er janvier au 31 janvier 2001 ; 1er mars au 15 juillet 2001 ; 1er septembre au 30 novembre 2001.
Le 28 novembre 2011, Mme [U] a déposé auprès de la caisse nationale d'assurance vieillesse une demande de retraite progressive, à compter du 1er janvier 2012.
Le 22 décembre 2011, la CNAV a adressé à Mme [U] une lettre lui indiquant que le contrat de travail doit mentionner les horaires de travail à temps partiel et que seule une durée de travail à temps partiel exprimée en heure est recevable.
Le 17 janvier 2012, la caisse a rejeté la demande, au motif que le contrat de travail 'en jour' n'est pas un document valable.
Mme [U] a saisi la CRA en faisant notamment valoir que d'autres collègues avaient bénéficié de la retraite progressive.
Par décision prise en séance du 05 avril 2012, la CRA a rejeté la demande de Mme [U].
C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision du TASS.
Devant la cour, la caisse fait notamment valoir que, pour pouvoir être pris en compte en tant que travail à temps partiel, le contrat de travail doit indiquer la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, ainsi que la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.
La caisse rappelle que le dispositif de la retraite progressive a été introduit par la loi 88-16 du 05 janvier 1988 qui offre la possibilité aux personnes qui le désirent d'exercer une activité réduite tout en bénéficiant d'une part de leur pension de retraite (la loi a été modifiée par une loi du 21 août 2003).
Le salarié concerné doit exercer une activité salariée à temps partiel relevant de l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale. L'assuré doit justifier d'une durée de travail d'au moins 20% inférieure à la durée légale ou conventionnelle du travail applicable à l'entreprise ou à la profession (pas de limite minimale à l'époque des faits).
Selon la caisse, les textes prévoient que la durée légale du travail est « obligatoirement exprimée en heures, réparties sur la semaine ou le mois » (en gras dans l'original des conclusions). Elle ne comprend pas les heures d'équivalence et les heures complémentaires.
Aux termes de l'article R. 351-40 du code de la sécurité sociale, l'assuré doit produire une attestation de l'employeur qui mentionne la durée de travail à temps complet applicable à l'employeur et un contrat de travail à temps partiel en cours d'exécution. Le demandeur établit en plus une déclaration sur l'honneur attestant qu'il n'exerce pas d'autre activité.
Pour la caisse, Mme [U] a conclu avec son employeur une convention de forfait en jours sur l'année sur la base de 133 jours. Or, une telle convention est régie non pas par les dispositions du code du travail relatives au travail à temps partiel mais par un autre chapitre, intitulé 'Conventions de forfait'. Selon la caisse, « il s'agit bien de deux contrats juridiques différents et distincts, dont un n'est pas visé par les dispositions de l'article L. 351-15 » de ce code. Outre que le forfait-jour ne peut concerner que les cadres, la « logique » de ce système « repose (') sur l'absence de comptabilisation en heures et sur le décompte en jours de la durée du travail » (souligné dans l'original des conclusions).
La caisse souligne que la « différence de régime instaurée entre, d'une part, les salariés exerçant à temps partiel et, d'autre part, les salariés soumis à un forfait jours, procède tout simplement d'une différence de situation objective existant entre ces deux catégories de salariés, comme l'exige la jurisprudence constitutionnelle » (en gras dans l'original des conclusions).
Enfin, la caisse produit un arrêt de la cour d'appel de céans, en date du 05 mars 2015 (RG 13/03211), dont il résulte que la cour a considéré qu'une convention de forfait jours pouvait être conclue pour un nombre de jours inférieur au plafond prévu par les articles L. 3121-39 et L. 3121-44 du code du travail mais que cette situation contractuelle ne relevait pas d'un contrat de travail à temps partiel au sens de l'article L. 3123-1 du code du travail.
Mme [U] fait valoir, pour sa part, que la nature même de son métier (interprète pour le Ministère des Affaires étrangères) excluait que son contrat de travail puisse déterminer un nombre d'heures de travail par jour ou même par semaine ou par mois ; que de nombreux cadres dans sa situation ont obtenu le bénéfice de la retraite progressive ; que les évolutions récentes montrent que les cadres ayant réduit leur temps de travail peuvent bénéficier d'allocation comme l'allocation parentale d'éducation, même s'ils sont 'au forfait' (décret du 27 juin 2003).
SUR CE,
Sur la demande de retraite progressive
Aux termes de l'article L. 351-15 du code de la sécurité sociale (dans sa version applicable du 11 novembre 2010 au 22 janvier 2014, applicable à l'espèce) :
L'assuré qui exerce une activité à temps partiel au sens de l'article L. 3123-1 du code du travail peut demander la liquidation de sa pension de vieillesse et le service d'une fraction de celle-ci à condition :
1° D'avoir atteint l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 ;
2° De justifier d'une durée d'assurance et de périodes reconnues équivalentes dans un ou plusieurs des régimes d'assurance vieillesse dont relèvent respectivement les salariés du régime général, les salariés agricoles et les personnes non salariées des professions artisanales, industrielles et commerciales, des professions libérales et des professions agricoles fixée à 150 trimestres.
Cette demande entraîne la liquidation provisoire et le service de la même fraction de pension dans chacun des régimes mentionnés au 2°.
La fraction de pension qui est servie varie dans des conditions fixées par voie réglementaire en fonction de la durée du travail à temps partiel ; en cas de modification de son temps de travail, l'assuré peut obtenir la modification de cette fraction de pension au terme d'un délai déterminé.
L'assuré est informé des conditions d'application de l'article L. 241-3-1.
L'article R. 351-40 du code de la sécurité sociale précise que :
L'assuré qui demande la liquidation de sa pension de vieillesse et le service d'une fraction de celle-ci en application de l'article L. 351-15 produit à l'appui de sa demande :
1° Le contrat de travail à temps partiel, établi conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 212-4-3 du code du travail, en cours d'exécution à la date d'entrée en jouissance de la pension de vieillesse ;
2° Une déclaration sur l'honneur attestant qu'il n'exerce plus aucune autre activité professionnelle que celle qui fait l'objet du contrat de travail mentionné au 1°, accompagnée, lorsqu'il exerçait une ou plusieurs activités non salariées, des attestations ou certificats suivants :
a) Un certificat de radiation du registre du commerce et des sociétés, du répertoire des métiers ou du registre des entreprises des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, ou un certificat de cessation d'activité du chef d'entreprise délivré par la chambre des métiers ;
b) Une attestation de radiation du tableau de l'ordre professionnel dont il relevait ;
c) Une attestation de radiation des rôles de la taxe professionnelle ;
d) Une attestation de radiation du répertoire national des agents commerciaux ;
e) Une attestation de cessation d'activité délivrée par la caisse de mutualité sociale agricole à laquelle il était affilié en qualité de personne non salariée des professions agricoles.
3° Une attestation de l'employeur faisant apparaître la durée du travail à temps complet applicable à l'entreprise.
Un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale fixe le modèle de la déclaration sur l'honneur prévue au 2° du premier alinéa et de l'attestation de l'employeur au 3° du même alinéa.
Il convient par ailleurs de se référer aux dispositions utiles du code du travail.
L'article L. 3121-10 de ce code indique que la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine civile. La semaine civile est entendue au sens des dispositions de l'article L. 3122-1.
Cet article dispose que « (s)auf stipulations contraires d'un accord d'entreprise ou d'établissement, la semaine civile débute le lundi à 0 heure et se termine le dimanche à 24 heures ».
L'article L. 3123-1 du code du travail précise ce qu'est un salarié à temps partiel :
Est considéré comme salarié à temps partiel le salarié dont la durée du travail est inférieure :
1° A la durée légale du travail ou, lorsque cette durée est inférieure à la durée légale, à la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou à la durée du travail applicable dans l'établissement ;
2° A la durée mensuelle résultant de l'application, sur cette période, de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou de la durée du travail applicable dans l'établissement ;
3° A la durée de travail annuelle résultant de l'application sur cette période de la durée légale du travail, soit 1 607 heures, ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou de la durée du travail applicable dans l'établissement.
et l'article L. 3123-14 relève que le « contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit » qui mentionne :
1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif de travail conclu en application de l'article L. 3122-2, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;
2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;
3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;
4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.
L'article L. 3121-44 quant à lui, précise que le « nombre de jours travaillés dans l'année fixé par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 ne peut excéder deux cent dix-huit jours ».
Il n'est pas contesté que Mme [U] remplit les conditions posées par l'article L. 351-15 du code de la sécurité sociale.
Le débat porte exclusivement sur l'interprétation qu'il convient de donner à la notion de 'contrat de travail à temps partiel' au regard de la législation sur la retraite progressive.
Dans le cas de Mme [U], il convient de relever que l'association Egide (devenue, depuis le 1er mai 20123, Campus France, Agence française pour la promotion de l'enseignement supérieur, l'accueil et la mobilité internationale, qui est un établissement public industriel et commercial) travaillait essentiellement pour les administrations publiques, tout spécialement le Ministère des Affaires étrangères, en constituant ainsi une sorte de démembrement ; que l'attestation délivrée par son employeur précise que Mme [U] effectuera 133 journées de travail pour l'année 2001 et que la « nature de l'activité d'ÉGIDE ne permettant pas de fixer avec précision dans l'année les périodes de travail la répartition des heures au sein de celle-ci, il est convenu qu'ÉGIDE peut faire appel à Madame [F] [P], à l'intérieur des périodes » ci-dessus évoquées ; que Mme [U] a été rémunérée, suite à cet avenant, sur la base d'un forfait de journée d'intervention (calculé conformément à l'accord d'entreprise du 24 octobre 2000), majoré de l'indemnité de congés payés ; que la garantie de salaire annuel dont elle bénéficiait correspondait « au nombre de journées de travail prévu » aux périodes envisagées.
Ainsi que l'a rappelé le tribunal des affaires de sécurité sociale, le « dispositif de retraite progressive (') a été introduit bien avant celui relatif aux conventions de forfait jours, issus des lois relatives à la réduction négociée du temps de travail, dites '[O]' I et II ».
La cour souligne que les lois '[O]' n'ont eu ni pour but ni pour effet de remettre en cause le dispositif de retraite progressive.
Dans le cas d'espèce, il résulte sans ambiguïté aucune que le contrat et l'avenant signé par Mme [U] ont eu pour effet qu'elle accomplisse un temps de travail correspondant à (133/217=) 61% d'un travail à temps plein.
Il est également constant qu'il résulte de l'avenant en cause que la rémunération de Mme [U] était diminuée à due proportion.
Ainsi, il n'existe aucun doute que Mme [U] effectuait un travail à temps partiel non seulement au sens général du terme mais également au sens de l'article L. 3123-1 du code du travail.
La cour souligne qu'il serait, au surplus, inique que Mme [U] ne puisse bénéficier de la retraite progressive au motif qu'une entité démembrée de l'administration publique n'aurait pas respecté scrupuleusement les règles du contrat à temps partiel.
La cour confirmera donc en toutes ses dispositions la décision entreprise.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, et par décision contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Monsieur Jérémy Gravier, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,