COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
19ème chambre
ARRET N° 344/2015
contradictoire
DU 11 JUIN 2015
R.G. N° 13/01975
AFFAIRE :
[K] [D]
C/
SAS IPSEN PHARMA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 28 Mars 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : Encadrement
N° RG : 11/01175
Copies exécutoires délivrées à :
Me Xavier BOULIER
la SELARL LUSIS AVOCATS
Copies certifiées conformes délivrées à :
[K] [D]
SAS IPSEN PHARMA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE JUIN DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [K] [D]
[Adresse 2]
[Adresse 1]
comparante en personne, assistée de Me Xavier BOULIER, avocat au barreau de CAEN
APPELANTE
****************
SAS IPSEN PHARMA
[Adresse 3]
[Adresse 4]
représentée par Me Adeline LARVARON de la SELARL LUSIS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0081, substituée par Me Séverine FAU, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Mars 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :
Madame Aude RACHOU, Président,
Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller,
Madame Marie-Christine HERVIER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
L'arrêt a été mis en délibéré par mise à disposition au greffe au jeudi 28 mai 2015 puis prorogé au jeudi 11 juin 2015
EXPOSE DU LITIGE
Madame [K] [D] a été engagée le 15 novembre 2004 par la SAS BEAUFOUR IPSEN PHARMA (ci-après SAS IPSEN PHARMA) qui appartient au groupe IPSEN d'abord en qualité de visiteuse médicale puis elle a été nommée à compter du 1er avril 2007 directrice régionale de la Région Basse-Normandie, statut cadre, groupe 7, niveau A de la convention collective de l'industrie pharmaceutique.
La société emploie habituellement plus de 11 salariés.
Convoquée par lettre recommandée du 9 juillet 2010 à un entretien préalable à 'une mesure de licenciement pour motif disciplinaire pouvant aller jusqu'à la faute grave' fixé au 20 juillet 2010, madame [D] a été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre du 17 août 2010 adressée sous la même forme.
Contestant son licenciement, madame [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, section Encadrement, le 1er juillet 2011, qui, par jugement du 28 mars 2013, a dit que licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration adressée au greffe le 16 avril 2013, madame [D] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
L'affaire a été renvoyée de l'audience du 10 juin 2014 à celle du 25 mars 2015.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, madame [K] [D] demande à la cour, infirmant le jugement, de :
à titre principal,
- prononcer la nullité du licenciement pour harcèlement moral,
- ordonner sa réintégration dans ses fonctions de Directrice Régionale dans des conditions garantissant la préservation de sa santé physique et psychologique,
- condamner la SAS IPSEN PHARMA à lui verser le montant des salaires perdus entre son licenciement et sa réintégration, sous déduction des allocations perçues par le Pôle emploi,
- ordonner à la société de verser aux débats les décomptes d'intéressement et de participation versés durant son absence (décompte à parfaire en fonction de la date de réintégration),
- condamner la société à lui verser une indemnité au titre de l'épargne salariale perdue entre son licenciement et sa réintégration (décompte à parfaire en fonction des documents à fournir par la société),
- condamner la société à l'indemniser du préjudice psychologique subi du chef du harcèlement moral et de la perte de son emploi estimé à 55 584 euros,
- ordonner la production sous astreinte de 75 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir des bulletins de salaire rectifiés,
- 'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions',
- condamner la société au paiement d'une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens y inclus les frais d'exécution forcée de la décision à intervenir.
à titre subsidiaire,
- à défaut de réintégration possible dans des conditions préservant sa santé,
- condamner la société à l'indemniser au titre du caractère illicite du licenciement ainsi qu'au titre du préjudice psychologique subi du chef du harcèlement moral et de la perte injustifiée de son emploi estimée à 222 336 euros,
- ordonner la production sous astreinte de 75 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir de l'attestation Pôle emploi rectifiée,
- 'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions',
- condamner la société au paiement d'une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
à titre infiniment subsidiaire,
- constater l'absence de caractère réel et sérieux des motifs invoqués dans la lettre de licenciement,
- condamner la société à l'indemniser au titre du caractère abusif du licenciement ainsi qu'au titre du préjudice psychologique subi du chef du harcèlement moral et de la perte injustifiée de son emploi estimée à 222 336 euros,
- ordonner la production sous astreinte de 75 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir de l'attestation Pôle emploi rectifiée,
- 'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions',
- condamner la société au paiement d'une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la SAS IPSEN PHARMA demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner madame [D] à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux éventuels dépens.
Vu la lettre de licenciement,
SUR QUOI LA COUR,
Considérant qu'il convient d'abord d'examiner la réalité du harcèlement moral dont madame [D] s'estime victime dans la mesure où elle excipe à titre principal de la nullité de son licenciement pour cette cause et en fait en tout état de cause un élément de majoration de son préjudice puis le cas échéant le bien fondé des motifs d'insuffisance professionnelle invoqués à l'appui du licenciement en vérifiant comme le demande la salariée que ceux-ci sont bien la cause exacte du licenciement ;
Considérant, sur le harcèlement moral, qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Qu'en application de l'article L. 1154-1, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Qu'en application de l'article L. 1152-3 toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ;
Considérant que madame [D] reproche à l'employeur d'avoir mis en place une méthode de management ayant eu pour effet de dégrader sa santé physique et mentale en invoquant :
- un climat général de malaise au sein de la société en s'appuyant sur les procès-verbaux de réunion du CHSCT datés des 7 décembre 2010, 7 janvier et 3 février 2011 faisant état de la souffrance au travail des visiteurs médicaux et des directeurs régionaux au sein de la société, de la pression quotidienne sur les objectifs et ciblages, du cas similaire d'une salariée de la région Sud ayant dénoncé le harcèlement moral à l'encontre de son directeur régional en relevant que la direction a conclu à l'absence de harcèlement moral et enfin du suicide d'un salarié ;
- sa nomination par l'employeur en toute connaissance de cause de ses faiblesses en matière de mananagement mais aussi des mauvais résultats de la région normande en faisant état d'un 'assessment' mené par un cabinet spécialisé en janvier 2007 dressant la liste de ses points d'amélioration, du plan d'action régional 2007 s'appliquant à son prédécesseur classant 2 régions sur 4 en 'bottom'(c'est à dire au niveau le plus bas) et à son propre plan 2008 ainsi que de ses demandes répétées de formation ; qu'elle illustre les pressions exercées sur elle par sa hiérachie en particulier son supérieur hiérarchique direct monsieur [S] [R] pour améliorer les performances par les nombreux mails adressés dès le 13 avril 2007, moins de 15 jours après sa nomination ainsi que par la liste des appels téléphoniques tardifs (liste de 108 appels entre 19 et 21 heures) ; que la salariée se plaint de sa très mauvaise évaluation 'E'(la note la plus basse) reçue en 2009 ;
- l'attitude de deux des visiteuses médicales mesdames [B] et [J] qui l'ont faussement accusée de harcèlement moral ; qu'elle se plaint de n'avoir pas reçu le soutien de sa hiérarchie en faisant état de leurs échanges de mail et de l'enquête qualifiée de partiale du CHSCT car menée par entretien téléphonique ; qu'elle produit deux attestations et un compte rendu téléphonique établi par ses soins émanant de membres de son ancienne équipe indiquant n'avoir eu aucun problème avec elle et que la direction avait fait pression sur eux pour témoigner contre elle ;
- la dégradation de son état de santé qu'elle établit par la production de pièces médicales sur sa prise en charge par un psychologue, des arrêts de travail et ordonnances de son médecin traitant en avril 2008, mars 2009 et juillet 2010 ainsi que les relevés de soins médicaux ;
Considérant que les faits ainsi établis par madame [D], pris dans leur ensemble, permettant de présumer l'existence de harcèlement moral au sens ci-dessus, il incombe à la société IPSEN PHARMA de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Que la société réplique qu'elle avait bien conscience des difficultés de madame [D] dans le domaine du management révélées par les tests opérés mais qu'en accord avec la salariée elle avait décidé de lui dispenser des formations qui n'ont pas atteint les résultats escomptés au vu des alertes de membres de son équipe ;
Que l'employeur justifie des formations destinées aux managers auxquelles a participé l'appelante comme par exemple le stage intitulé 'anticiper et gérer les conflits' en mars 2010 tout comme les mails de monsieur [R] faisant le point avec elle ; qu'elle souligne les remerciements exprimés en retour par madame [D] ;
Que la société produit surtout les courriers et courriels de mesdames [B] et [J] se plaignant en 2010 de l'attitude autoritaire de madame [D] et de leur souffrance au travail et qui sont accompagnés d'alertes formelles de la médecine du travail du 29 juin 2010 l'informant d'appels télépnonique de madame [B] en pleurs et de sa décision de rendre un avis d'inaptitude temporaire à l'égard de madame [J] après l'avoir examinée à deux reprises ; que cet avis d'un praticien habilité à faire le lien entre les conditions de travail des salariés et leur état de santé ne peut être contre-balancé par l'appréciation que portait madame [D] sur le fait que ces deux visiteuses médicales n'étaient pas de 'bonnes professionnelles' ni par l'attestation de madame [E] qui témoigne du manque de respect de ses collègues envers sa responsable hiérarchique sans désigner quiconque ;
Que les propos de ces deux visiteuses médicales sont confortés par les déclarations d'autres membres de l'équipe qui ont certes été entendus par téléphone par le secrétaire du CHSCT et la directrice des ressources humaines mais qui ont validé par écrit le compte-rendu qui en a été fait et qui pour certains y ont porté des corrections ce qui affaiblit l'argument sur les pressions alléguées par madame [D] ; que plusieurs d'entre eux se sont ainsi plaints d'être traités de 'nuls' et ont éclaté en sanglots au cours de l'entretien ;
Que ces déclarations sur le mode de management autoritaire et non participatif de madame [D] sont corroborées par les entretiens d'évaluation successifs de la salariée l'invitant à adapter ses méthodes de management ;
Que, s'agissant de la dégradation de son état de santé, la cour constate que le médecin traitant de madame [D] ne fait que reprendre les dires de sa patiente sur l'origine professionnelle de sa souffrance sans avoir été en capacité de les confronter à son environnement de travail ;
Qu'en définitive, si madame [D] présente des signes incontestables d'altération de son état de santé, la société IPSEN PHARMA prouve que les agissements invoqués par la salariée ne sont pas pour autant constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre puisqu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que faute d'être corroborés par de tels agissements, les avis médicaux imputant l'altération de l'état de santé de madame [D] à ses conditions de travail ne suffisent pas à caractériser le harcèlement invoqué ;
Que les faits de harcèlement moral à l'encontre de madame [D] ne sont pas caractérisés ce qui entraîne le débouté de ses demandes de nullité du licenciement, de réintégration sous astreinte, de paiement de rappel de salaire, d'indemnité compensatrice au titre de l'épargne salariale ainsi que de production de documents afférents à l'intéressement ;
Considérant, sur le licenciement, que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche à madame [D] d'avoir un comportement à l'origine de 'manifestations de troubles liés aux risques psycho-sociaux pour un nombre important de collaborateurs de l'équipe' pour :
- avoir un style de management directif avec un leadership autoritaire,
- faire preuve d'un manque de cohérence et d'honnêteté,
- être animée d'une volonté de démotiver les équipes,
- faire preuve d'un manque de respect de la personne, usant d'un langage insultant et dégradant,
- avoir une mauvaise communication avec son équipe dévalorisante et dénigrante ;
Que contrairement à ce qu'écrit la salariée, l'employeur n'invoque pas 'les mauvais résultats de sa région' à l'appui du licenciement mais exclusivement son mode de management ;
Que certains de ces griefs et éléments de preuve ont déjà été examinés pour caractériser l'absence de harcèlement moral à l'encontre de madame [D] ; qu'ainsi la salariée est mal fondée à invoquer le système de gouvernance de la société et sa propre souffrance au travail, non caractérisée, pour excuser son propre style de management ;
Que l'avenant à son contrat de travail confiait à madame [D] les missions suivantes :
- mettre en oeuvre la stratégie commerciale de l'entreprise afin de développer la région dont elle avait la charge,
- animer et développer une équipe de visiteurs médicaux dans le cadre de la réglementation,
- coordonner le programme d'animation ainsi que les relations avec les professionnels de santé,
- transmettre au siège les observations recueillies auprès des professionnels de santé et des salariés de son équipe ;
Que la société qui est tenue d'une obligation de sécurité et de résultat envers ses salariés a été saisie par plusieurs d'entre eux qui ont dénoncé des méthodes de management de madame [D] notamment l'usage de propos ou de courriels insultants les traitant de 'pauvres connes'; que la société a été saisie officiellement par la médecine du travail qui a déclaré l'une des salariées inapte temporaire à son poste ;
Que madame [D] avoue quelques maladresses au nombre desquelles un horoscope satirique que la cour juge dévalorisant ;
Qu'il est ainsi démontré que le licenciement de madame [D] trouve sa cause réelle et sérieuse dans les insuffisances de son management ;
Que la discussion que la salariée élève sur le caractère disciplinaire du licenciement est inopérante puisque le prononcé d'une mise à pied à titre conservatoire n'implique pas nécessairement que le licenciement ait une telle cause ; qu'il importe peu que la société lui ait adressé une convocation à entretien préalable mentionnant une possibilité de licenciement et abandonné cette voie ensuite en lui rémunérant sa période de mise à pied ;
Qu'il est démontré que ce sont bien les insuffisances professionnelles de madame [D] qui sont le motif véritable de son licenciement ;
Que le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle était bien fondé et a débouté la salariée de ses demandes découlant de la rupture ;
Considérant, sur l'exécution provisoire, que le présent arrêt n'étant pas susceptible de recours suspensif, la demande est sans objet ;
Considérant, sur les dépens et les frais irrépétibles, qu'il est équitable de ne pas condamner madame [D] qui succombe en son appel, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'elle sera condamnée aux dépens qui n'incluent pas les frais d'exécution forcée ;
PAR CES MOTIFS
STATUANT PUBLIQUEMENT ET CONTRADICTOIREMENT,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
DEBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
DIT n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE madame [K] [D] aux dépens d'appel.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par madame Aude RACHOU, Président et par monsieur Mohamed EL GOUZI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,