COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 JUIN 2015
R.G. N° 14/03694
AFFAIRE :
[F] [N]
L'UNION LOCALE CGT AGGLOMERATION DE CERGY PONTOISE ET SES ENVIRONS
C/
SASU STEF LOGISTIQUE CERGY
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 01 Juillet 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de CERGY PONTOISE
Section : Référé
N° RG : 14/00055
Copies exécutoires délivrées à :
AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI
SELARL LUSIS AVOCATS
Copies certifiées conformes délivrées à :
[F] [N]
L'UNION LOCALE CGT AGGLOMERATION DE CERGY PONTOISE ET SES ENVIRONS
SASU STEF LOGISTIQUE CERGY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX JUIN DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [F] [N]
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Comparant
Assisté de Me Valérie LANES de l'AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI, avocat au barreau de PARIS
L'UNION LOCALE CGT AGGLOMERATION DE CERGY PONTOISE ET SES ENVIRONS
[Adresse 6]
[Adresse 5]
Représentée par Me Valérie LANES de l'AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI, avocat au barreau de PARIS
APPELANTS
****************
SASU STEF LOGISTIQUE CERGY
[Adresse 1]
[Adresse 4]
Représentée par Me Frédéric LECLERCQ de la SELARL LUSIS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Mars 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BÉZIO, président, et Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller, chargées d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Madame Catherine BÉZIO, président,
Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,
Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,
FAITS ET PROCÉDURE
Statuant sur l'appel formé par M. [F] [N] contre l'ordonnance de référé en date du 1 er juillet 2014 par laquelle le conseil de prud'hommes de Pontoise, en sa formation de départage, a débouté M. [N] de toutes ses demandes et a condamné celui-ci aux dépens ;
Vu les conclusions remises et soutenues à l'audience du 24 mars 2015 par M. [N] qui sollicite la réformation de l'ordonnance entreprise et demande que la cour, constatant la nullité de son licenciement :
- ordonne sa réintégration sous astreinte
- condamne la société STEF LOGISTIQUE CERGY à lui verser la somme provisionnelle de 25 194,23 € , à titre de rappel de salaire depuis la notification de la mise à pied conservatoire jusqu' à sa réintégration effective, la somme de 15 000 € d'indemnité provisionnelle à valoir sur le préjudice subi du fait de son licenciement nul et 500 € de provision, au titre de la prime exceptionnelle de 2013,
- outre 1500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure ;
Vu les écritures développées à la barre par le syndicat UNION LOCALE CGT AGGLOMERATION DE CERGY-PONTOISE ET DE SES ENVIRONS (ci-après le syndicat CGT) qui réclame le paiement d'une indemnité provisionnelle de 1000 € et l'allocation de la somme de 500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure ;
Vu les conclusions de la société STEF LOGISTIQUE CERGY tendant à la confirmation de l'ordonnance déférée et à la condamnation de l'appelant à lui verser la somme de 1500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure ;
SUR CE LA COUR
Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que la société STEF LOGISTIQUE CERGY, qui emploie environ 70 salariés, a pour activité la logistique et l'organisation du transport de marchandises périssables sous température dirigée ; qu'elle a pour seul client la société PICARD pour laquelle elle effectue notamment des livraisons ;
Qu'au regard de ses résultats déficitaires la société STEF LOGISTIQUE CERGY n'a versé à ses salariés aucune somme au titre de la participation pour l'année 2012 ; qu'elle leur a réglé, en juillet 2013, la somme de 280 € à titre d'avance sur la prime de Noël, puis, à la fin de l'année, la somme de 259 € qui, selon elle, correspondait, largement, à elle seule, à la prime de Noël d'un montant en définitive de 249 € ;
Que la société STEF LOGISTIQUE CERGY estimait qu'elle s'était, ainsi, acquittée d'une prime supérieure à celle qu'elle devait et compensait, par là-même, l'absence de versement de participation ;
Que certains salariés persistant à réclamer une somme de 280 € au titre de la prime de Noël, un mouvement de grève a été déclenché dans l'entreprise le 31 janvier 2014, avec le soutien de la CGT, afin d'obtenir une prime de Noël de 700 €, une renégociation des accords sur la participation, notamment, et une amélioration des conditions de travail et d'hygiène ;
Qu'entre le 31 janvier et le 3 février 2014, la société STEF LOGISTIQUE CERGY a fait dresser plusieurs constats d'huissier, de sa propre initiative, puis obtenu, le 3 janvier 2014, une ordonnance sur requête du président du tribunal de grande instance de Pontoise, ordonnant à toute personne faisant obstacle à la libre circulation des marchandises - notamment en bloquant les accès au site de la société - de cesser sans délai son action en cours ou à venir et a commis la SCP PARIS, [R] et [C], huissiers de justice à Argenteuil, pour notifier l'ordonnance à toute partie empêchant la libre circulation des marchandises transportées ;
Que le 6 février 2014, -sur requête du 4 février et autorisation du 5 février - la société STEF LOGISTIQUE CERGY assignait en référé d'heure à heure 25 de ses salariés empêchant, selon elle, cette circulation ; qu'elle s'est désistée de cette instance, conformément à l'ordonnance rendue le 7 février suivant, au motif, précise-t-elle, que lors de la délivrance de l'assignation, les intéressés avaient cessé le blocage du site ;
Que par lettres des 10 et 13 février 2013, la société a engagé une procédure disciplinaire envers les salariés qui s'étaient opposés à la libre circulation des marchandises, et a mis à pied des intéressés dont M. [N] ;
Qu' à l'issue de la procédure, le 1er mars 2014, elle procédait au licenciement pour faute lourde de 11 salariés, dont M. [N], et prononçait, contre trois autres, une mise à pied disciplinaire ;
Que le 18 mars suivant, M. [N], comme les divers salariés sanctionnés - assistés du syndicat CGT, intervenant à leur côté - saisissait, en référé, le conseil de prud'hommes auquel il demandait d'ordonner :
- la nullité du licenciement dont il a fait l'objet avec réintégration, sous astreinte,
- la condamnation provisionnelle de la société STEF LOGISTIQUE CERGY à lui verser la somme de 6000 € au titre des salaires non perçus, depuis sa mise à pied conservatoire jusqu' à sa réintégration,
- la condamnation de la société STEF LOGISTIQUE CERGY à lui verser une indemnité provisionnelle de 4000 €au titre du préjudice résultant de la nullité de son licenciement ;
Que par l'ordonnance dont appel, le conseil de prud'hommes a rejeté ces demandes ainsi qu'il a été rappelé en tête du présent arrêt ;
*
Considérant que la lettre de licenciement, notifiée à M. [N] est ainsi conçue :
'Le 31 janvier 2014, avec d'autres salariés de la société, vous avez entravé le fonctionnement de l'entreprise en bloquant de manière illicite les accès et en empêchant toute entrée et sortie de marchandises (...) en date du 3 février 2014, le président du tribunal de grande instance de Pontoise a ordonné à toute personne qui faisait obstacle à la libre circulation des marchandises sortant et entrant du site exploité par la société , de cesser sans délai toute action en cours et à venir (...)
Ainsi dès le 3 février 2014 à 20 h 15 (...)l'ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance (a) été signifiée aux salariés présents sur le site qui participaient à ce mouvement(...) Pour autant vous avez refusé de lever ce blocage en refusant les entrées et sorties de camions transportant de la marchandise (...)vous avez poursuivi ce mouvement jusqu'au 6 février 2014 (....)vous avez débloqué le site le 6 février .
Il ne fait aucun doute que vous avez donc refusé d'obtempérer à une ordonnance du juge en poursuivant un mouvement qui a :
- porté atteinte à la libre circulation des personnes-porté atteinte à la liberté du travail en rendant impossible le travail des salariés non grévistes
- porté atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété
- désorganisé l'entreprise de façon incontestable puisque le site a été paralysé du 31 janvier jusqu' au 6 février.
(...)'
Considérant que les premiers juges ont estimé que la preuve de la faute lourde reprochée au salarié - seule, susceptible de justifier le licenciement d'un salarié gréviste - est établie et ressort des divers constats d'huissier susvisés ;
*
Considérant qu'il n'est pas discuté que, pour que la faute lourde, seule imputable à un salarié gréviste, soit établie, il incombe à la société STEF LOGISTIQUE CERGY d'apporter la preuve que le salarié s'est livré à un comportement entravant la liberté du travail ou la circulation des marchandises de l'entreprise, comme elle le prétend; que doit, en outre, être caractérisée une participation personnelle et directe du salarié à cette entrave ;
Considérant qu'il n'est pas contestable, ainsi que l'a relevé le conseil de prud'hommes, d'une part, que sont survenus, entre le 31 janvier et le 4 février 2014, des actes de 'blocage', empêchant la sortie des véhicules à l'extérieur des locaux de la société STEF LOGISTIQUE CERGY et, d'autre part, que M. [N] figurait bien parmi les salariés grévistes, présents sur les lieux; qu'encore faut-il que soit caractérisée une participation personnelle et directe de l'appelant, à ces actes de blocage ;
Considérant que, selon la société STEF LOGISTIQUE CERGY, la preuve de la participation active de M. [N] aux blocages constatés par l'huissier de justice résulte des mentions portées dans les constats d'huissier entre le 31 janvier et le 4 février 2014 ;
Or considérant que la lecture des divers constats d'huissier produits aux débats révèle que les salariés décrits par les procès-verbaux, comme auteurs de blocage, sont désignés dans ces procès-verbaux, par des termes génériques et anonymes, tels que 'les grévistes' ou 'Le groupe' qui ne permettent pas d'identifier les intéressés; que, de plus, lorsque l'huissier procède à la désignation nominative de certains grévistes, ce sont les agissements prêtés à ces derniers qui sont insuffisamment précis, soit, qu'ils ne sont pas exactement décrits , soit qu'ils ne sont pas précisément attribués aux salariés dénommés ;
Que, s'agissant de M. [N], le constat du 31 janvier 2014 mentionne que ce jour là à 22 h 17 un camion s'est présenté à proximité du portail pour sortir du site et que M. [N] 'est venu se coller à la calandre pour empêcher le camion d'avancer' avant de poursuivre: 'le conducteur a décidé de faire marche arrière' ; que l'huissier constatant s'est alors transporté à l'extérieur de l'entreprise 'à la demande de la requérante, afin de relever les numéros d'immatriculation des véhicules stationnés dans la rue' ;
Qu'il ne résulte pas de la scène ainsi décrite que M. [N] a empêché le camion de sortir de l'entreprise, puisque le constat demeure inachevé, quant à la manoeuvre et au sort du camion litigieux, aucun élément ne permettant, en définitive, de savoir si le camion litigieux est bien demeuré dans les locaux de la société et, dans l'affirmative, si ce stationnement était dû au fait de M. [N] ;
Que de même, et contrairement à l'appréciation des premiers juges, la cour n'estime pas probante l'indication figurant, dans plusieurs constats, que les grévistes dont le nom est rapporté - identifiés par l'huissier à partir de photographies, fournies par le directeur du site - 'présents sur le piquet de grève, se sont alignés devant l'entrée' ; qu'en effet, ces constatations n'induisent aucune participation active et individuelle de M. [N] à l'entrave dont se prévaut la société STEF LOGISTIQUE CERGY ;
Considérant qu'en l'état d'éléments de preuve, aussi vagues et imprécis, la contestation de M. [N] apparaît non discutable et le licenciement illicite de l'intéressé doit, dès lors, entraîner la réintégration de M. [N] ;
Considérant qu'en outre, il convient de condamner la société STEF LOGISTIQUE CERGY à payer à M. [N] la somme provisionnelle requise et justifiée, au titre du rappel de salaire, depuis la mise à pied conservatoire illicite jusqu'à la réintégration, et une indemnité provisionnelle de 500 euros à valoir sur le préjudice lié à la nullité du licenciement ;
*
Considérant que doit, en revanche, être écartée la réclamation formée en cause d'appel par M. [N] au titre de la 'prime exceptionnelle de 2013' ;
Qu'en effet, M. [N] fonde cette demande sur la prétendue inégalité de traitement en vertu de laquelle un salarié, M. [E], aurait perçu cette prime, contrairement à lui et à tous les autres salariés grévistes ;
Que la perception par cet unique salarié d'une prime qualifiée de surcroît 'd'exceptionnelle' ne suffit pas à établir devant le juge des référés que M. [N] aurait incontestablement subi un traitement discriminatoire ; qu'il appartient au juge du fond de connaître de ce litige opposant les parties ;
*
Considérant que le syndicat CGT qui a en charge la défense des intérêts collectifs des salariés, que ceux-ci ont été atteints par la violation des dispositions relatives au droit de grève, imputable comme dit précédemment à la société STEF LOGISTIQUE CERGY ; que ce syndicat est en droit de solliciter une indemnité provisionnelle que la cour évalue à 250 € ;
*
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la cour allouera, enfin, la somme de 400 € à M. [N] et la somme de 100 € au syndicat CGT ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau,
ORDONNE à la société STEF LOGISTIQUE CERGY de réintégrer M. [N] à son poste ou, à défaut, tout poste équivalant sous astreinte de 100 € par jour de retard, 15 jours après la notification du présent arrêt ;
CONDAMNE la société STEF LOGISTIQUE CERGY à payer à M. [N] les sommes provisionnelles de 25 194,23 €, à titre de rappel de salaire, et de 500 euros, à titre d'indemnité à valoir sur le préjudice consécutif à la nullité du licenciement ;
CONDAMNE la société STEF LOGISTIQUE CERGY à payer au syndicat UL CGT AGGLOMERATION DE CERGY ET DE SES ENVIRONS la somme de 250 euros à titre d'indemnité provisionnelle;
Y ajoutant,
DIT n' y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle formée au titre de la 'prime exceptionnelle';
CONDAMNE la société STEF LOGISTIQUE CERGY à verser à M. [N], la somme de 400 € , au syndicat UL CGT AGGLOMERATION DE CERGY ET DE SES ENVIRONS, et la somme de 100 €, en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure ;
CONDAMNE la société STEF LOGISTIQUE CERGY aux dépens d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,