COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 MAI 2015
R.G. N° 13/03117
MAB/HG/AZ
AFFAIRE :
[C] [L]
C/
SARL DUBRIMA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY
Section : Encadrement
N° RG : 12/00090
Copies exécutoires délivrées à :
Me Sami SKANDER
Me Michel DELVOIE
Copies certifiées conformes délivrées à :
[C] [L]
SARL DUBRIMA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN MAI DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [C] [L]
[Adresse 3]
[Adresse 2]
Comparant en personne, assisté de Me Sami SKANDER, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 202
APPELANT
****************
SARL DUBRIMA
[Adresse 1]
[Adresse 4]
Représentée par Me Michel DELVOIE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0427
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Janvier 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie BOSI, Président,
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Marie-Christine PLANTIN, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,
EXPOSE DU LITIGE
M. [C] [L] a été engagé le 16 août 1984 par la société Dubrima, société gérée par son père et sa grand-mère, dans le cadre d'un contrat d'apprentissage. En dernier lieu il était chef de chantier, statut cadre.
Dans cette société travaille également le frère de M. [C] [L], M. [S] [L].
La convention collective applicable était celle du bâtiment. Le salaire de M. [C] [L] s'élevait en dernier lieu à 4 117,16 euros.
L'entreprise comptait sept salariés au moment de la rupture.
Le 5 mai 2011, la société Dubrima a notifié à M. [C] [L] un avertissement en raison d'importants retards dans l'accomplissement des ordres de travaux.
Le 21 juin 2011, un second avertissement lui était notifié.
A la suite de divers arrêts de travail, M. [C] [L] ne se présentera plus dans l'entreprise à compter du 23 septembre 2011.
Le 19 janvier 2012, M. [C] [L] a saisi le conseil des prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Lors de la visite de reprise du 25 janvier 2012, le médecin du travail a déclaré M. [C] [L] inapte à tout emploi dans cette entreprise avec danger immédiat, mais apte à un travail en dehors de l'entreprise. Cet avis d'inaptitude, contesté par la société Dubrima, a été confirmé par l'inspecteur du travail le 5 avril 2012.
Le 27 janvier 2012, M. [C] [L] a été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement fixé au 6 février 2012.
Par lettre recommandée du 24 avril 2012, M. [C] [L] a été licencié pour faute grave et inaptitude.
Par jugement du 5 juin 2013 le conseil de prud'hommes de Montmorency a:
- dit que le licenciement de M. [C] [L] pour faute grave est parfaitement fondé,
- débouté M. [C] [L] de l'ensemble de ses demandes.
Par lettre recommandée du 9 juillet 2013, M. [C] [L] a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 4 juillet 2013.
Dans ses dernières conclusions, M. [C] [L] demande à la cour de:
- constater, à titre principal, le harcèlement moral que lui a infligé la société Dubrima, et à titre subsidiaire la violation par cette société de son obligation de sécurité de résultat,
- condamner la société Dubrima à lui verser les sommes suivantes :
- 50 000 euros en réparation du préjudice subi par le harcèlement moral, ou à titre subsidiaire de la violation de l'obligation de sécurité de résultat, dont il a été victime ;
- 5 200 euros au titre du rappel sur la prime de rendement,
- 520 euros au titre des congés payés afférents,
- 2 058,58 euros au titre du rappel de congés pour ancienneté,
concernant la rupture du contrat de travail :
- à titre principal, dire la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail recevable et fondée en son principe,
- à titre subsidiaire, constater la nullité de son licenciement,
- à titre plus subsidiaire, constater l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ,
- En tout état de cause, condamner la société Dubrima à lui verser les sommes suivantes :
- 100 000,00 euros au titre de la réparation du préjudice subi à titre principal au titre de la résiliation du contrat de travail, à titre subsidiaire au titre de la nullité du licenciement, à titre plus subsidiaire, au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement ;
- 63 987,43 euros au titre de son indemnité de licenciement,
- 4 117,16 euros au titre du non-respect de la procédure de licenciement,
- 12 351,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 235,14 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Dubrima à lui remettre, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard, une attestation destinée à Pôle Emploi conforme à la décision à intervenir ainsi que des bulletins de paie pour les mois de mai, juin et juillet 2012 et un certificat de travail rectifié,
- condamner la société Dubrima à lui verser la somme 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dans ses dernières conclusions, la société Dubrima demande à la cour de:
- confirmer le jugement du 5 juin 2013 du conseil de prud'hommes de Montmorency en toutes ses dispositions.
- débouter [C] [L] de toutes ses demandes,
- condamner M. [C] [L] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.
A l'audience du 12 janvier 2015, la cour a mis dans le débat la question de la motivation de la lettre de licenciement qui indique le motif tiré de l'inaptitude du salarié sans viser l'impossibilité de le reclasser, ce qui rendrait le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société Dubrima a été autorisée à adresser une note en délibéré sous trois semaines, avec réponse du salarié.
Par note en délibéré du 16 janvier 2015, la société Dubrima a fait valoir que l'impossibilité de reclassement de M. [C] [L] a été mentionnée dans la première lettre de convocation à l'entretien préalable et que la lettre de licenciement est donc suffisamment motivée, aucune disposition légale n'imposant à l'employeur d'indiquer les motifs qui s'opposent au reclassement.
Par note en délibéré en date du 22 janvier 2015, M. [C] [L] a fait valoir que la lettre de licenciement n'était pas suffisamment motivée.
MOTIFS:
Considérant que lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie postérieurement pour des faits survenus au cours de la poursuite du contrat,
le juge doit rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée et que c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit statuer sur le licenciement prononcé par l'employeur ;
Considérant qu'il convient donc d'envisager d'abord la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
Sur la demande de résiliation judiciaire:
Considérant que cette demande est essentiellement fondée sur le harcèlement moral subi par M. [C] [L].
Considérant que M. [C] [L] soutient qu'il s'est beaucoup investi dans la société depuis qu'il y est entré, mais que depuis 2010 ses relations avec la société Dubrima se sont dégradées, le gérant, son père, se montrant de plus en plus agressif envers lui et multipliant les reproches y compris devant le personnel ; qu'alors qu'il était en arrêt maladie pour la première fois de sa carrière il s'est vu sommer de reprendre immédiatement son travail ; qu'il a découvert que son frère, exerçant les mêmes fonctions que lui, percevait un salaire largement supérieur au sien et que, se sentant trahi, il a décidé de ne traiter la partie administrative de son travail que pendant les heures rémunérées et non plus le soir après sa journée ; qu'alors qu'il souffrait d'une dépression, il a dû subir des retards de paiement de ses indemnités journalières ; que la malveillance dont il a été l'objet s'est amplifiée, a pris la forme d'avertissements, et de menaces ; qu'un article concernant les sanctions applicables dans l'entreprise a été posé en évidence sur son bureau ; qu'il a été vouvoyé quand la plupart des autres salariés étaient tutoyés, que des jours d'absence lui ont été refusés y compris lorsqu'il s'est agi d'accompagner sa fille, qu'il élevait seul depuis la mort de son épouse, pour un intervention médicale ; que ce n'est qu'en juin 2011 qu'il a décidé de ne plus se laisser faire et a fait le point sur la dégradation de ses conditions de travail ; que ses relations avec son frère se sont dégradées comme son état de santé au point qu'il a eu un accident de circulation ; que le suivi médical dont il a alors fait l'objet a démontré qu'il mettait sa santé en danger en restant dans l'entreprise familiale, ce que son père a contesté, avant de le licencier pour inaptitude et faute grave ; qu'il rappelle que les faits de harcèlement ne supposent pas nécessairement une intention de harceler, dès lorsque les agissements répétitifs sont suffisamment caractérisés et qu'ils portent atteinte à la santé du salarié ou sont susceptibles de le faire ;
Considérant que la société Dubrima réplique que M. [C] [L] a pu évoluer dans la société et que son comportement a brutalement changé au cours de l'année 2011 sans qu'on en connaisse la raison et malgré les remarques puis avertissements qui lui ont été adressés ; que les autres salariés ont commencé à se plaindre du comportement de M. [C] [L] et des privilèges dont il bénéficiait alors que des sanctions s'imposaient ; que M. [C] [L] a en réalité mené une stratégie de harcèlement afin de quitter la société avec une indemnité lui permettant de monter sa propre entreprise ; que l'attestation de l'épouse de M. [C] [L] est sans force probante compte tenu des relations que celle-ci entretient avec sa belle-famille et qu'elle omet de mentionner ; que la note intitulée 'sanction, je risque quoi'' a été remise à tous les cadres de l'entreprise et est affichée sur le tableau prévu à cet effet ; que le vouvoiement est employé lorsque M. [J] [L] s'adresse au salarié et non au fils ; que M. [C] [L] s'est absenté sans autorisation et n'a jamais averti son employeur que l'absence du 15 juin, qui lui a été refusée, concernait sa fille ; que si [S] [L] percevait un salaire plus élevé c'est qu'il travaillait parfois le samedi matin ; que M. [C] [L] a désormais monté son entreprise et démarche les clients de la société Dubrima dont le chiffre d'affaires a beaucoup baissé ; que si aucun harcèlement n'est établi, son licenciement pour faute grave et inaptitude est au contraire justifié, M. [C] [L] ayant refusé d'obéir aux directives du dirigeant et s'étant totalement désinvesti de son travail ; qu'étant inapte à travailler avec sa famille, M. [C] [L] ne pouvait être reclassé dans la société ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que l'article L. 1154-1 du même code énonce qu'en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Considérant que pour établir les faits laissant présumer l'existence de ce harcèlement, M. [C] [L] verse aux débats une attestation de son épouse qui indique comment elle a vu son état se dégrader, malgré son investissement dans la société ; qu'alors qu'il était en arrêt de travail pour la première fois de toute sa carrière, il a reçu sur son portable, le jour de son anniversaire un message menaçant de son père, qu'il lui a fait écouter et à la suite duquel il a repris immédiatement le travail ; qu'il a été très affecté par la découverte que son frère [S], occupant le même emploi, était davantage payé que lui et a pris la décision de ne plus désormais faire davantage que le travail lui incombant ; que celui-ci l'a insulté en public et notamment devant leur père qui n'est pas intervenu ; que son état de stress permanent l'a conduit à avoir un accident de voiture le 23 septembre 2011, élément déclencheur de son burn-out et de son arrêt pour dépression ;
Considérant que cette attestation émane de l'épouse de M. [L] et que ce point doit être pris en compte dans l'appréciation de sa force probante ; que cependant elle reste un élément de preuve soumis à la discussion et qui peut être corroboré par d'autres éléments versés aux débats ;
Considérant que la différence de salaire entre M. [C] [L] et son frère [S], plus jeune que lui de six années et moins ancien dans la société, est établie par les photocopies du cahier des comptes qu'il verse aux débats et qui concernent les mois de novembre et décembre 2010 ; que la différence de salaire est importante puisque M. [S] [L] a perçu en 5439,89 euros en novembre et 10 146,19 euros nets en décembre 2010 et quand M. [C] [L] a perçu 4867,66 euros et 7 116,17 euros en décembre 2010 ; que M. [J] [L] ne conteste d'ailleurs pas ce fait ; que les motifs qu'il invoque seront examinés par la suite ;
Considérant que M. [C] [L] verse également aux débats une attestation d'un ancien salarié de la société, M. [E] [V], qui a travaillé 3 ans avec lui de 2007 à 2010 et fait état de l'investissement et du travail de M. [C] [L] dans la société, du temps qu'il y consacrait sans compter et de son isolement, particulièrement depuis la mort de sa première épouse, de sa surcharge de travail, terminant l'attestation par 'je pense qu'après mon départ de la société que ça a dû être dur pour [C] d'affronter seul la famille et les collègues' ;
Qu'il produit encore une attestation d'un ancien salarié de la société M. [T] [B] salarié de juin 2009 à décembre 2011 dont on peut citer les éléments suivants:
- 'le gérant et sa femme n'arrêtaient pas de chercher des noises à [C], il ne ratait pas une occasion de le rabaisser',
- l'insulte de [S] [L] à l'égard de son frère en présence de leur père et sans que ce dernier n'intervienne,
- ses parents disaient bonjour à tout le monde sauf à [C], ajoutant ' j'ai entendu plusieurs fois son père dire à [C], si j'avais su j'aurais tiré la chasse quand je t'ai fait', et 'jamais il n'aurait dit ça à [S]',
- 'début 2011 [C] a vu que notre équipe était grugée sur nos primes, par rapport aux autres équipes, (les autres faisaient moins d'heures que nous) en plus [C] était le plus ancien dans la société et c'est lui, avec son père qui avait travaillé comme un fou pour que la société marche',
- le refus du gérant d'accorder la journée demandée pour accompagner sa fille, ajoutant 'moi je ne comprenais pas parce que moi si j'avais besoin d'une journée [J] me la donnait sans même retirer le salaire'.
- en juillet 2011 'le gérant et sa femme m'ont tanné pour que je fasse une attestation contre [C], je n'ai pas voulu et bizarrement ensuite je n'ai plus eu de prime et j'ai été viré en décembre.
Avant que je parte, ils m'ont fait vider notre camion pour le vendre, je pense qu'il n'avait pas l'intention que [C] revienne.'
- pour les clients 'je voyais qu'ils étaient contents';
Considérant que M. [C] [L] produit également un article de journal photocopié sur un papier à entête 'Dubrima' portant le titre 'sanctions au travail, je risque quoi '' et détaillant les diverses sanctions disciplinaires existantes ; que cet article porte en marge une date et la signature du gérant de la société ; qu'il a également reçu en mai 2011 un refus de lui accorder une journée le 15 juin 2011 ;
Que dans un courrier du 10 juin 2011, adressé à M. [J] [L] le gérant, il détaille ses conditions de travail, et les tensions en entreprises et s'inquiète de ce que son père aurait décider de confier la direction de l'entreprise à son frère [S] : qu'il y mentionne notamment l'emploi du vouvoiement à son égard, de la part de son père, l'envoi de lettre l'invitant à un redressement rapide et durable, sans la mention d'aucun reproche précis, l'absence de maintien du salaire pendant ses arrêts maladie, en contravention avec la convention collective, le refus de lui accorder la journée du 15 juin, qu'il avait posée conformément aux usages habituels, et alors qu'il devait emmener chez le médecin sa fille qu'il élève seul depuis son veuvage en 2008 et qui est aussi la petite fille du gérant, la suppression de ses primes de rendement ;
Que dans un courrier du 28 septembre 2011 il exprime son incompréhension de s'être fait traiter de 'connard' par son frère [S], alors qu'il tentait de proposer une solution technique pour un problème délicat ;
Que dans un courrier du 15 novembre 2011 il exprime son désarroi d'être vouvoyé et appelé M. [C] [L] quand son frère et d'autres collègues sont tutoyés et un désaccord persistant sur la signature d'une subrogation dont la société Dubrima soutient qu'elle est nécessaire à l'avance des indemnités journalière pour maladie ;
Considérant que ce n'est que le 28 décembre 2011 que l'employeur a régularisé le salaire du pendant la maladie pour les mois de septembre à novembre 2011
Considérant que tous les courriers adressés à M. [C] [L] par son père sont adressés à M. [L] [C] et utilisent le vouvoiement ;
Considérant que M. [C] [L] verse enfin aux débats de nombreux arrêts de travail mentionnant un état dépressif et un courrier l'adressant à une consultation de souffrance au travail et relatant l'état de santé dépressif majeur de M. [C] [L] ;
Considérant qu'il ressort de ces documents les preuves suffisantes d'une attitude dénigrante du gérant de la société Dubrima à l'égard de M. [C] [L], de brimades au quotidien, et un traitement inégalitaire de nature à le déstabiliser et ayant des répercussions sur son état de santé, et ce avec d'autant plus d'ampleur que le cadre de son travail est familial ; que ces éléments suffisent à établir des faits laissant présumer un harcèlement ; qu'il appartient donc à la société Dubrima d'établir que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Considérant que la société Dubrima soutient que la différence de rémunération entre les deux frères, dont elle ne conteste pas qu'ils exerçaient les mêmes fonctions, est justifiée par le fait que M. [S] [L] travaillait parfois le samedi et qu'elle n'était pas systématique ; que M. [S] [L] indique d'ailleurs dans le courrier qu'il a adressé à M. [J] [L] que [C] est son 'frère dans la vie et son égal au sein de la société' où ils sont tous les deux 'menuisier chef de chantier et cadre responsable.' ; qu'aucun élément du dossier n'établit que M. [S] [L] travaille le samedi contrairement à M. [C] [L] ; que les bulletins de salaire de M. [C] [L], seuls versés aux débats, portent la mention d'heures supplémentaires jusqu'en septembre 2011 ; que pour établir que M. [C] [L] n'était pas toujours moins payé que son frère, la société Dubrima ne verse aux débats qu'une seule photocopie de livre de compte, avec la mention qu'il s'agirait du mois de juillet 2010 et faisant état d'un salaire de 7162,59 euros pour chacun ; que les autres bulletins de salaire ne sont pas produits, pas plus que ceux de décembre de chaque année ; que cette différence de traitement, non justifiée objectivement, sera donc retenue ;
Considérant que dans un courrier du non daté mais postérieur au 30 juin 2011, M. [J] [L] énumère les griefs qu'il fait à son fils quant au travail et à son refus de faire un cahier de journée, de mentionner sur les commandes où doivent être posées les fournitures, de s'occuper de son camion en panne, le déclin de ses chiffres depuis septembre 2010 et indiquant que certains gardiens ne voulant plus travailler avec M. [C] [L], ses primes lui ont été retirées ; que dans ce courrier il met en doute la maladie de son fils indiquant 'pour le problème des rappels de salaire suite à tes arrêts (qui n'ont rien à voir avec la maladie car les soirs de ses rendez-vous avec ton docteur tu sifflais dans ton bureau)', déplore ses agissements qui déstabilisent les autres salariés et indique 'de plus tu m'as dit de te licencier que ça me coûterait 50 000 euros' ; que ' tous les salariés me demandent de te licencier. Je suis le seul à vouloir te garder. Je t'ai toujours dit: remets-toi au travail comme par le passé ou donne ta démission et va aux prud'hommes'
Considérant que la société Dubrima verse aux débats quatre courriers de salariés de la société, MM [Q], [K], [W] et [H], qui se plaignent de l'attitude de M. [C] [L] déplorant que celui-ci 'se moque de ses collègues de travail en se prenant pour le roi du monde,' ne dise plus bonjour depuis plus d'un an, réponde mal, ne fasse aucun effort pour la société et 'bâcle' son travail, n'entretienne plus de relations professionnelles normales avec ses collègues, ne créée plus aucun contact et 'déroge aux principes de politesse les plus élémentaires', invitant l'employeur a réagir au plus vite, au vu du retentissement professionnel qui s'en suit et trouvant inacceptable l'attitude et les paroles provocantes de M. [C] [L] à l'égard de M.[J] [L] dont il refuse d'appliquer les ordres ; que trois de ces attestations suggèrent le licenciement de M. [C] [L] ;
Considérant que l'employeur verse également aux débats un courrier de M. [S] [L], frère de M. [C] [L] se plaignant des agissements de M. [C] [L], relatant des incidents, et craignant pour l'avenir de l'entreprise quand M. [J] [L] ne sera plus là pour faire ses papiers et vérifier le peu qu'il fait, de son attitude de 'toute puissance' ; qu'il produit aussi une attestation de [X] [L], belle-soeur de M. [C] [L] qui dans un courrier du 10 octobre 2011 se plaint de l'attitude de ce dernier 'il y a quelques mois'
Considérant que la société Dubrima verse aux débats un avertissement qu'elle a délivré le 5 mai à M. [C] [L] commençant par 'compte tenu de votre attitude au sein de notre entreprise, nous avons été amenés le 14 février 2011 à vous en faire le reproche de façon circonstanciée. Votre réponse tant en ce qui concerne le ton employé que le contenu ne sont pas conformes, par leur violence à votre statut de cadre' ; que dans ce courrier il est reproché à M. [C] [L] un 'retard considérable'de plusieurs mois dans l'accomplissement des ordres de travaux ainsi que dans le chiffrage des bons de commande des clients,' causant de grave problèmes commerciaux et de trésorerie ;
Qu'est produit un mail du 21 juin 2011, dans lequel une Mme [G] [A] se plaint d'être toujours dans l'attente d'un devis concernant le remplacement d'une porte d'entrée avec cylindre sur organigramme, sans qu'aucun lien puisse être fait entre ce retard et un manquement de M. [C] [L] ;
Qu'il en est de même de la lettre recommandée adressée le 22 juin 2011 par le gérant de la société Dubrima à M. [C] [L] indiquant 'suite aux règlements de factures de nos fournisseurs, nous constatons divers achats de fournitures effectués à votre demande qui à ce jour n'ont fait l'objet d'aucune facturation de votre part', sans aucune indication sur les commandes concernées et leur attribution à M. [C] [L] ;
Considérant que si ces éléments permettent néanmoins de constater une dégradation du travail de M. [C] [L] depuis le début de l'année 2011, et une attitude négative dans la société, ils confortent l'attestation de Mme [D] épouse [L] qui date la décision de son mari de ne plus effectuer d'heures supplémentaires du jour du mois de janvier 2011 où il a découvert la différence de traitement financier entre son frère et lui et n'a plus, de ce fait, supporté la différence de traitement personnel dont il était l'objet depuis plusieurs mois ; qu'il est donc établi que les fautes reprochées à M. [C] [L] sont les conséquences du traitement personnel et professionnel dont il était l'objet et non leur cause ;
Considérant que l'isolement de M. [C] [L] dans l'entreprise est patent, que le dénigrement dont il est l'objet de la part de son père et de son frère est suffisamment établi ; que l'employeur qui a, en application de l'article L 4121-1 du travail, pour obligation de veiller à la santé et à la sécurité de son salarié, n'a en l'espèce pas rempli ce rôle et a au contraire nié les répercussions de ces faits sur la santé de son salarié ; que ce manquement justifie qu'il soit fait droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ; que les demandes relatives à la rupture du contrat pour inaptitude ou faute grave sont donc sans objet ;
Sur les conséquences pécuniaires
Sur la demande de dommages-intérêts:
Considérant que les faits de mise à l'écart et de harcèlement ont duré plus de 18 mois ; que la répercussion de ces faits sur l'état de santé de M. [C] [L] justifie qu'il soit fait droit à sa demande en paiement à hauteur de 15 000 euros ;
Sur la demande en paiement d'un solde de congés payés:
Considérant que M. [C] [L] demande l'application de la convention collective attribuant 3 jours de congés supplémentaires ou cadres cumulant plus de dix années d'ancienneté dans l'entreprise ; que la société Dubrima réplique qu'elle a expliqué dans un courrier du 21 juin à M. [C] [L] que les ponts avaient été instaurés pour ces trois jours d'ancienneté et qu'ils sont en tout état de cause payés par la caisse des congés payés du bâtiment ;
Considérant qu'il ressort des courriers échangés à la suite de la lettre recommandée de M. [C] [L] du 30 juin 2011 que celui-ci considère que les 3 jours de congés pour ancienneté ne peuvent être ceux qui lui sont octroyés lors des 'ponts' puisque même les salariés qui n'ont pas cette ancienneté bénéficient de ces jours qui leur sont payés ; que la société Dubrima a répondu que les 3 jours de congés payés étaient bien accordés lors des ponts mais que ceux ci étaient aussi payés aux salariés ayant de petits salaires dans l'entreprise, et ce à titre de gratification ; que la société Dubrima verse aux débats des certificats attestant des droits de M. [C] [L] et destinés à la caisse des congés payés, ces certificats portant la mention des 3 jours dont bénéficie M. [C] [L] au titre de son ancienneté ; qu'il sera donc débouté de sa demande sur ce point ;
Sur les demandes relatives à la prime de rendement:
Considérant que M. [C] [L] soutient qu'il a été indûment privé de cette prime ; que la société Dubrima réplique que cette prime n'est pas versée systématiquement mais seulement si le chiffre d'affaires est atteint et qu'elle est donc variable, s'établissant entre 200 euros et 2 000 euros ; qu'elle n'est versée qu'aux salariés présents ;
Considérant qu'il ressort des bulletins de salaire versés aux débats qu'aucune prime de rendement n'a été versée à M. [C] [L] depuis le début de l'année 2011 et ce, alors même qu'il en bénéficiait auparavant ; qu'il ressort également des bulletins de salaire qu'au cours de l'année 2009, aucune prime n'a été versée de janvier à avril (à l'exception du mois de février) et en juillet ; qu'en 2010, aucune prime de rendement n'a été versée entre janvier et avril et en juillet ;
Considérant qu'il en résulte que ces primes ont un caractère de gratification, qu'elles n'ont pas de caractère obligatoire pour l'employeur ; que néanmoins l'attribution de ces primes ne doit pas présenter de caractère discriminatoire ; que la société Dubrima expose que ces primes sont versées à tous les salariés si le chiffre d'affaires est atteint et s'ils y ont participé, donc s'ils étaient présents ; qu'à compter du mois de septembre 2011, l'absence de M. [C] [L] de l'entreprise peut justifier objectivement qu'il n'ait pas perçu de prime ; qu'en revanche, pour les autres mois, dès lors qu'il était présent et a participé au chiffre d'affaires, il doit, comme tous les autres salariés, en bénéficier ; qu'il est donc bien fondé à demander le paiement des primes dont il établit que d'autres salariés ont bénéficié, pendant les périodes où il était présent, soit en l'espèce 250 euros en avril 2011 et 200 euros en mai 2011 ; qu'il sera fait droit à sa demande à hauteur de 450 euros outre 45 euros de congés payés incidents ;
Sur les indemnités de rupture:
Considérant que la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [C] [L] ouvre droit aux indemnités de rupture ; qu'il comptait, au moment de son licenciement 27 ans et 11 mois d'ancienneté dans la société ;
Considérant que la convention collective des ingénieurs et cadres du bâtiment de la région parisienne prévoit pour les entreprises cotisant au régime obligatoire et au régime supplémentaire que la somme des taux de cotisations pour la retraite soit au moins égale à 13 p. 100 :
2 mois + 50/100 de mois par an au-dessus de 10 ans de présence.
Qu'une somme de 45 521,57 euros est donc due à ce titre ;
Considérant s'agissant de l'indemnité de préavis, que M. [C] [L] est bien fondé à demander à ce titre une indemnité correspondant à trois mois de salaire soit une somme de 12 531,48 euros, outre les congés payés y afférents soit 1 253,15 euros ;
Considérant que la société Dubrima comptait moins de 11 salariés lors de la rupture ; qu'en application de l'article L. 1235-5 du code du travail, M. [C] [L] peut prétendre
à une indemnité en fonction du préjudice subi ; qu'il a perdu un emploi qu'il occupait depuis près de 28 ans et a dû créer sa propre entreprise après une période de dépression ; qu'il sera fait droit à sa demande à hauteur de 60 000 euros ;
Sur la demande d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement:
Considérant que lorsque le contrat de travail est rompu par une résiliation judiciaire et non par un licenciement, le salarié ne peut prétendre à une indemnité pour non- respect de la procédure de licenciement ; que M. [C] [L] sera débouté de sa demande sur ce point ;
Sur les intérêts:
Considérant que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, soit le 20 janvier 2012,
Considérant que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Sur la remise des documents sociaux:
Considérant qu'il convient de faire droit à la demande de production de pièces de M. [C] [L] qui sera ordonnée selon les modalités précisées au dispositif sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte ;
Sur l'indemnité de procédure et les dépens:
Considérant qu'il apparaît équitable d'indemniser M. [C] [L] des frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance et en appel ; que la société Dubrima sera condamnée à lui payer une somme de 3 000 euros de ce chef ;
Considérant qu'il convient de rejeter la demande reconventionnelle formée à ce titre par la société Dubrima ;
Que celle-ci sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Infirme le jugement du conseil des prud'hommes de Montmorency en date du 5 juin 2013, sauf en ce qu'il a débouté M. [C] [L] de sa demande de rappel de congés pour ancienneté,
Et, statuant à nouveau,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre M. [C] [L] et la société Dubrima,
Condamne la société Dubrima à payer à M. [C] [L] les sommes suivantes:
- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
- 60 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,
- 45 521,57 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 12 531,48 euros, à titre d'indemnité de préavis,
- 1 253,15 euros au titre des congés payés incidents,
- 450 euros à titre de prime de rendement,
- 45 euros au titre des congés payés incidents,
Dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d'indemnité de licenciement sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, soit le 20 janvier 2012,
Dit que les créances indemnitaires sont productives de l'intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute M. [C] [L] de ses demandes en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et de solde de congés payés,
Ordonne à la société Dubrima de remettre à M. [C] [L] des bulletins de salaire mentionnant le préavis et les indemnités de rupture, attestation destinée à l'ASSEDIC et certificat de travail conformes à la présente décision, et ce, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision,
Condamne la société Dubrima à payer à M. [C] [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société Dubrima de sa demande reconventionnelle sur ce fondement,
Condamne la société Dubrima aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Sylvie BOSI, Président et par Mme Claudine AUBERT, greffier.
Le GREFFIERLe PRÉSIDENT