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19/02/2015 | FRANCE | N°13/01169

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 19 février 2015, 13/01169


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63A



3e chambre



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 19 FEVRIER 2015



R.G. N° 13/01169







AFFAIRE :







[M] [N]



C/



[X] [P]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2012 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° chambre : 4

N° RG : 10/05652







E

xpéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

Me Catherine LEGRANDGERARD





REPUBLIQUE FRANCAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE DIX NEUF FEVRIER DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de Versailles, a re...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63A

3e chambre

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 19 FEVRIER 2015

R.G. N° 13/01169

AFFAIRE :

[M] [N]

C/

[X] [P]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2012 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° chambre : 4

N° RG : 10/05652

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

Me Catherine LEGRANDGERARD

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DIX NEUF FEVRIER DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [M] [N]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1351370

Représentant : Me Gisèle MOR de la SELARL MOR, Plaidant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 46

APPELANTE

****************

1/ Madame [X] [P]

née le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Catherine LEGRANDGERARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 391

Représentant : Me Anaïs DEFOSSE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2385 substituant Me Olivier LECLERE de l'ASSOCIATION LECLERE & Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R075

INTIMEE AU PRINCIPAL - APPELANTE INCIDEMMENT

2/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES

[Adresse 3]

[Localité 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Janvier 2015, Monsieur Georges DOMERGUE, Conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Monsieur Georges DOMERGUE, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [M] [N] a été vaccinée contre l'hépatite B le 17 mars 1997 par le docteur [X] [P], son médecin traitant, par une injection de Genhevac B, produit par la société Pasteur Vaccins.

Mme [N], dont le dossier médical fait notamment mention d'un premier épisode de déficit du membre inférieur droit en 1982, à l'âge de 19 ans, a été hospitalisée en urgence le 8 avril 1997 et jusqu'au 12 avril 1997 pour, selon le compte-rendu d'hospitalisation, des 'troubles de la marche avec déficit du membre inférieur droit chez une patiente présentant un tableau de pathologie inflammatoire démyélinisante du système nerveux'. Une nouvelle hospitalisation est intervenue du 21 au 24 juillet 1997 pour une 'aggravation des troubles de la marche'.

Considérant que la vaccination avait été la cause de l'aggravation de sa maladie, Mme [N] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles lequel, par ordonnance du 4 décembre 1997, confirmée en appel le 27 novembre 2008 avec un complément de mission, a confié une expertise médicale au docteur [V] [G], neurologue.

L'expert a déposé son rapport le 10 avril 2010.

Par actes des 26 et 28 avril 2010, Mme [M] [N] a assigné devant le tribunal de grande instance de Versailles le docteur [P], et en déclaration de jugement commun la CPAM des Yvelines, en soutenant que ce médecin n'avait pas agi conformément aux données acquises de la science et avait méconnu sciemment les dispositions réglementaires contre-indiquant, dans le cas de Mme [N], la vaccination contre l'hépatite B.

Mme [N] a demandé la condamnation du docteur [P] à réparer son préjudice, la réalisation d'une nouvelle expertise pour préciser ce préjudice et l'octroi d'une indemnisation provisionnelle.

Par jugement du 13 décembre 2012, le tribunal de grande instance de Versailles a notamment :

- rejeté les demandes de Mme [N] ;

- rejeté la demande de Mme [X] [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [N] aux dépens et autorisé Me Legrandgerard à recouvrer les dépens dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

Appel du jugement a été interjeté le 11 février 2013 par Mme [N].

A l'appui de son recours, Mme [M] [N] soutient, dans ses dernières conclusions, déposées le 3 septembre 2013, que le docteur [P] a commis une série de fautes :

- l'utilisation du vaccin en dehors de l'indication thérapeutique du produit ;

- l'absence de prise en compte des contre-indications existant dans le cas de Mme [N] mentionnées dans le 'Résumé des caractéristiques du produit' (RCP) paru en 1995 et l'édition 1996 du [D], soulignant, à cet égard, que le médecin est tenu d'une obligation de compétence et doit réglementairement 'entretenir et perfectionner ses compétences' ;

- la violation du principe hippocratique de prudence et du principe selon lequel le médecin doit, en priorité, ne pas nuire ;

- la violation des devoirs d'information du médecin, sur le diagnostic et sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination.

Mme [N] expose ensuite les éléments qui, selon elle, caractérisent son dommage et ceux qui établissent l'existence d'un lien de causalité entre la faute et ce dommage.

Elle considère qu'il existe sur ce lien de causalité un faisceau d'éléments précis et concordants : le principe de la réaction auto-immune, un 'effet indésirable' reconnu de la vaccination, l'évolution péjorative de sa maladie après la vaccination, l'absence de toute autre cause pouvant expliquer l'évolution de son état.

L'appelante demande à la cour :

- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

- d'infirmer le jugement déféré ;

- Statuant à nouveau,

- vu les dispositions de l'article 1147 du code civil ;

- vu le rapport d'expertise ;

- vu les pièces versées aux débats ;

- déclarer Mme [P] entièrement responsable de l'aggravation de son état pathologique ;

- dire en conséquence que le docteur [P] sera tenu de réparer intégralement le préjudice résultant de l'évolution de sa pathologie ;

- subsidiairement,

- dire que les fautes commises par le docteur [P] lui ont fait perdre une chance d'éviter l'évolution péjorative de la maladie et dire compte tenu des longues périodes de rémission connues par la pathologie, que cette perte de chance ne peut être inférieure à 90 % ;

- avant dire droit sur l'évaluation des préjudices,

- ordonner une expertise afin de voir évaluer de manière complète son entier préjudice et de voir évaluer la part du préjudice résultant de l'aggravation induite par la vaccination fautive ;

- pour ce faire, désigner un collège d'expert comprenant un médecin et un ergothérapeute avec une mission qu'elle propose ;

- condamner le docteur [P] à lui payer à titre provisionnel : à valoir sur les préjudices patrimoniaux, la somme de 890.000 euros et, à valoir sur l'indemnisation des préjudices extra patrimoniaux, la somme de 405.000 euros ;

- condamner le docteur [P] à lui payer la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec autorisation du recouvrement conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Mme [X] [P] réplique que le non respect par elle du principe de précaution et le défaut d'information relatif à la notice du [D] ne sont pas fautifs.

Elle soutient qu'ils étaient justifiables par l'incertitude existant sur le lien entre la vaccination antihépatique et la sclérose en plaques, par le fait que le diagnostic de sclérose en plaques (SEP) n'était pas posé avec certitude à l'égard de Mme [N] et que l'information donnée à celle-ci aurait pu provoquer de nouvelles manifestations de la maladie.

L'intimée oppose, en second lieu, l'absence de démonstration d'un lien de causalité entre, d'une part, la vaccination de mars 1997 et, d'autre part, la poussée démyélinisante d'avril suivant et l'évolution de la sclérose en plaques. Mme [P] allègue qu'il existe un consensus scientifique et juridique en ce sens et qu'il résulte au contraire du dossier médical que Mme [N] se trouvait depuis septembre 1996 dans une phase active de la maladie.

Mme [P] conteste également que soit démontré le lien causal entre la vaccination litigieuse et la perte d'une chance.

Elle demande à la cour, dans ses dernières conclusions déposées le 4 juillet 2013, de :

- vu les articles 1147 et suivants du code civil,

- vu les pré-rapport et rapport d'expertise du docteur [G],

- vu le jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 18 octobre 2012,

- recevoir la concluante en les présentes conclusions et en son appel incident et les y déclarer bien fondée,

Constatant que :

- le non respect du principe de précaution n'est pas en soi fautif dès lors qu'il est admis par la communauté scientifique que le risque justifiant cette précaution n'est pas avéré ;

- l'ensemble de la communauté médicale et scientifique a écarté tout lien de causalité entre la vaccination anti-hépatite B et la sclérose en plaques, que ce soit pour l'apparition ou pour l'aggravation de cette maladie ;

- une telle imputabilité ne peut être déduite des modifications de la politique vaccinale adoptées par les autorités sanitaires à titre de précaution, ou encore du fait que le fabricant, dans la notice jointe au produit, a mentionné comme précaution de ne pas vacciner les patients atteints de sclérose en plaques ;

- la décision de ne pas révéler à Mme [N] les suspicions de diagnostic de sclérose en plaques se justifiait par l'intérêt de cette dernière ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- qualifié de fautif le fait de procéder à la vaccination de la patiente ;

- retenu un défaut d'information ;

- et, statuant à nouveau :

- dire et juger que le non respect par le docteur [P] du principe de précaution édicté par le [D] en 1996 n'est pas en soi fautif ;

- dire et juger que le docteur [P] n'a pas manqué à son obligation d'information en ne révélant pas à Mme [N] sa pathologie, compte tenu du conseil en ce sens prodigué par le neurologue, de l'incertitude du diagnostic et du risque engendré par une telle annonce sur l'état de la patiente ;

- en tout état de cause, confirmer le jugement sur le surplus et notamment en ce qu'il a :

- dit et jugé que la vaccination litigieuse ne peut en tout état de cause être responsable de l'aggravation de la SEP, eu égard aux études scientifiques publiées depuis lors, et surtout, au regard de la chronologie et de l'évolution de la pathologie en l'espèce ;

- dit et jugé qu'aucune perte de chance ne peut être retenue de ce fait ;

- et par conséquent :

Constatant que Mme [N] :

- sous couvert d'une demande de complément d'expertise, demande une contre-expertise puisqu'elle sollicite la désignation d'un médecin autre que le docteur [G] et l'évaluation de son handicap qu'elle tente de rattacher à la seule vaccination du 17 mars 1997 ;

- ne produit aucune étude scientifique ni aucun argument médical permettant de remettre en cause les conclusions du docteur [G] sur l'absence de lien de causalité entre la vaccination anti-hépatique et l'aggravation d'une SEP ;

- n'a pas cru devoir remettre en cause les conclusions expertales par un dire dans le délai qui lui était imparti ;

- débouter Mme [N] de sa demande de contre-expertise ;

- à défaut, sur la demande d'indemnité provisionnelle, constatant que :

- la demande d'indemnité provisionnelle s'analyse en une véritable liquidation de préjudices qui n'ont pas fait l'objet d'une évaluation contradictoire et qui ne sont pas de toute façon imputables à la vaccination critiquée ;

- Mme [N] ne produit pas la transaction ou la décision aux termes de laquelle elle a dû bénéficier d'une indemnisation de ses préjudices pour l'accident de la circulation dont elle a été victime en 2001 et à la suite duquel elle a vu son état s'aggraver ;

- débouter Mme [N] de sa demande de provision ;

- la débouter de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner à verser au docteur [P] une somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens dont distraction au profit de Me Legrandgerard, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La CPAM des Yvelines avait fait connaître devant les premiers juges et a confirmé devant la cour qu'elle n'entendait pas présenter d'observations.

SUR CE, LA COUR

Mme [M] [N], alors âgée de 33 ans, n'appartenant pas à une population particulièrement exposée à l'hépatite B, a été vaccinée le 17 mars 1997 contre cette maladie par le docteur [P] par injection de Genhavac B, une seule injection étant pratiquée, Mme [N] ayant été hospitalisée en urgence en avril 1997, avant que puisse être réalisée une deuxième injection.

- Sur l'état antérieur de Mme [N]

L'histoire de la maladie de Mme [N] est évoquée ainsi qu'il suit dans le compte-rendu de l'hospitalisation d'avril 1997 au service de neurologie du centre hospitalier de [2], compte-rendu cité dans le rapport d'expertise du docteur [G] :

'Début à l'âge de 19 ans par un déficit du membre inférieur droit. Hospitalisée à [1]. Traitement par Synacthène retard.

En septembre 1996, deuxième épisode qui a comporté des paresthésies et un déficit moteur du membre inférieur droit ; bilan effectué à la demande du docteur [B] : IRM cérébral montrant des hypersignaux dans la substance blanche ; potentiels évoqués auditifs et visuels perturbés ; traitement par Synacthène retard et kinésithérapie.

Troisième épisode, touchant à nouveau le membre inférieur droit en février 1997 dans un contexte de difficultés familiales (instance de divorce, décès d'un oncle). Amélioration par Synacthène.

Ré-aggravation début avril, toujours au niveau du membre inférieur droit, conduisant à l'hospitalisation actuelle.

A noter que la patiente avait eu un vaccin contre l'hépatite B le 17 mars 1997.'

L'expert relève à cet égard (p. 11) à propos d'un certificat du docteur [Z], en date du 21 octobre 1982 : 'par 'fibrose' multi-loculaire, il faut sans doute entendre que le docteur [Z] voulait évoquer une 'sclérose' multi-loculaire, ce terme étant synonyme de sclérose en plaques'.

Lors d'un examen clinique du 15 octobre 1996, le docteur [B] notait l'installation 'depuis deux semaines environ de paresthésies et d'engourdissements au niveau du membre inférieur droit avec une diminution de la force musculaire à l'effort'. Les examens ordonnés à l'issue conduisaient le docteur [B] à conclure : 'Ces examens sont bien compatibles avec une pathologie démyélinisante.'

S'agissant de l'état de santé de Mme [N] fin février 1997, juste avant l'injection litigieuse, l'intéressée a reconnu devant l'expert être arrivée en cure de thalassothérapie en fauteuil roulant et en être repartie en étant capable de faire 'un petit footing'.

De l'ensemble de ses vérifications, l'expert déduit (p. 15) qu' 'il est clairement établi que Mme [N] présentait avant la vaccination une sclérose en plaques avérée dont les premiers symptômes remontent à l'année 1982.'

Il résulte également des échanges de courriers entre le docteur [B] et le docteur [P] que celle-ci était informée des présomptions graves et concordantes que sa patiente, Mme [N], était atteinte d'une sclérose en plaques.

Néanmoins, il est acquis que Mme [N] n'était pas alors informée de ce diagnostic. Dans un courrier du 2 mai 1997 du docteur [B] au docteur [P], cité dans le rapport d'expertise (p. 10), il est demandé de 'ne rien dire à la patiente'. Mme [N] a expliqué à l'expert n'avoir été informée de ce diagnostic que le 12 septembre 2000, lors d'une rencontre avec le médecin de la Sécurité Sociale.

- Sur les fautes alléguées

L'appelante soutient que le fait de vacciner une personne atteinte d'une pathologie démyélinisante serait fautif en ce que de tels antécédents contre-indiquaient la vaccination, conformément au 'résumé des caractéristiques du produit' (RCP), lié à l'autorisation de mise sur le marché, et à l'avertissement du [D], ouvrage de référence des praticiens reprenant d'ailleurs le RCP.

Il ressort, à cet égard, du rapport d'expertise que la mention de précautions d'emploi du vaccin en cas de sclérose en plaques figurait dans un rectificatif de l'autorisation de mise sur le marché du Genhavac B le 3 août1995 et dans la fiche signalétique du [D] paraissant en mars/avril de 1996.

Les recommandations de précaution d'emploi contenues dans ces documents techniques s'imposaient au médecin dès lors que celui-ci est déontologiquement tenu, dans l'administration des soins, à une obligation de prudence.

En revanche, il ne peut rien être déduit du courrier qui aurait été adressé, selon l'enquête de pharmacovigilance citée par le rapport du docteur [G], à tous les médecins de France le 2 novembre 1995, dont la preuve de la réception par le docteur [P] n'est pas apportée, l'expert judiciaire indiquant ne pas en avoir été lui-même destinataire.

A propos du choix du docteur [P] d'administrer néanmoins le vaccin à Mme [N], l'expert relève que 'du fait de la sclérose en plaques et des doutes concernant les effets possibles du vaccin sur des scléroses en plaques avérées, le risque était supérieur au bénéfice'.

Eu égard au risque potentiel ainsi envisagé pour les malades atteints de sclérose en plaques, même en cours d'étude, et dès lors que Mme [N] n'appartenait pas aux populations considérées comme à risque, le docteur [P] ne pouvait, sans prendre une décision fautive, lui administrer le vaccin litigieux.

En revanche, il ne saurait être fait grief à l'intimée de s'être abstenue d'informer Mme [N] de la maladie dont elle était très probablement atteinte, l'empêchant ainsi d'exercer un choix éclairé. En effet, comme l'a soutenu l'intimée, et comme le confirment les échanges entre le docteur [B] et le docteur [P], il avait été convenu entre ces deux médecins, pour éviter de déclencher une nouvelle poussée de sa maladie, de dissimuler à Mme [N] sa pathologie réelle.

- Sur le lien de causalité

Quels que soient les manquements imputables au docteur [P], sa responsabilité ne peut être retenue que s'il est démontré que le vaccin administré le 17 mars 1997, soit a certainement et directement causé, à partir d'avril 1997, l'aggravation de la maladie de Mme [N], soit, de manière tout aussi certaine, a créé un risque de déclencher cette aggravation.

Le rapport d'expertise fait, à cet égard, mention des études suivantes :

- 'Du 28 au 30 septembre 1998, s'est réunie à Genève une Consultation technique internationale sur la sécurité du vaccin contre l'hépatite B dont les principales conclusions seront qu'il ne peut être établi de lien de cause à effet entre hépatite B et sclérose en plaques', la mise en place d'un réseau de pharmacovigilance européen étant toutefois recommandée ;

- Dans un communiqué de presse du 6 mars 2000, l'Agence Française Sanitaire des Produits de Santé (institution ayant précédé l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament) indiquait qu'au terme d'une revue très exhaustive des données de la littérature et des principaux résultats d'études en cours ou connues, les conclusions et recommandations de l'Agence étaient que 'le réexamen des données tant épidémiologiques qu'issues de la notification de pharmacovigilance ne permet pas de conclure sur l'existence d'une association entre la vaccination contre l'hépatite B et la survenue d'atteinte démyélinisante ou d'affection auto-immune. Les résultats permettent d'exclure l'existence d'un risque élevé d'atteinte démyélinisante ou d'affection auto-immune associée à la vaccination contre l'hépatite B. L'existence d'un risque faible d'atteinte démyélinisante ou d'affection auto-immune associées au vaccin contre l'hépatite B ne peut pas être exclue, notamment chez certaines personnes présentant des facteurs de sensibilité particulière' ;

- Le 8 juin 2000, l'Organisation Mondiale pour la Santé a de nouveau émis un avis exposant qu'il n'existait actuellement aucun argument pour conclure au rôle de la vaccination dans la survenue de complications neurologiques ou de maladie auto-immune.

L'appelante se réfère également à un article paru en 2004 dans lequel deux spécialistes français de la sclérose en plaques (O. Gout et O. Lyon-Caen) ont notamment écrit :

'Bien des incertitudes demeurent aujourd'hui. Elles tiennent aux difficultés méthodologiques évoquées ainsi qu'à la puissance statistique des études (...) et à la méconnaissance physiopathologique (...) Globalement, ces résultats vont dans le sens d'une augmentation faible du risque de SEP associée à la vaccination contre l'hépatite B (...).

De l'ensemble de ces études, il ressort que l'étiologie de la maladie n'est pas, à ce jour, connue. Si des suspicions existent, pour certains analystes, d'un lien entre la vaccination contre l'hépatite B et l'apparition de la sclérose en plaques ou l'aggravation de ses manifestations, si ce lien n'est donc pas exclu, l'affirmation positive dudit lien n'a pas encore été réalisée dans des études scientifiques incontestables. Ainsi, une incertitude plus ou moins importante demeure sur l'existence même de ce lien, de telle sorte que la création d'un risque en matière de sclérose en plaques par l'effet de la vaccination ne peut être affirmée.

Par ailleurs, à supposer qu'un lien causal puisse être déduit, non d'une approche scientifique globale du sujet, mais des présomptions du fait de l'homme, l'histoire de la maladie de Mme [N], qui montre une manifestation de ses symptômes plusieurs mois avant la vaccination litigieuse ne permet pas davantage, quelle que soit l'importance relative de ces poussées avant et après la vaccination, de démontrer l'existence d'un tel lien causal.

Enfin, les déductions qu'entend tirer l'appelante du principe de la réaction auto-immune, de l'effet indésirable de la maladie et de l'absence de toute autre cause de la maladie participent de l'étiologie de la sclérose en plaques. Il s'agit de considérations nécessairement prises en compte dans les études pré-citées avec néanmoins les conclusions déjà évoquées.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a :

- constaté qu'un lien direct et certain ne pouvait être établi entre la vaccination de Mme [M] [N] le 17 mars 1997 et les poussées dont cette personne a été victime par la suite dans le cadre de l'évolution de sa sclérose en plaques,

- rejeté l'ensemble des demandes de Mme [N].

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser, également en appel, à la charge de l'intimée les frais supportés par elle et non couverts par les dépens.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [M] [N] de toutes ses demandes et Mme [X] [P] de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [X] [P] de sa demande présentée en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déclare le présent arrêt commun à la CPAM des Yvelines,

Condamne Mme [M] [N] aux dépens dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 13/01169
Date de la décision : 19/02/2015

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°13/01169 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-02-19;13.01169 ?
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