La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/02/2015 | FRANCE | N°14/03079

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 17 février 2015, 14/03079


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 82E



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 FEVRIER 2015



R.G. N° 14/03079



AFFAIRE :



COMITE D'HYGIENE, SECURITE ET CONDITIONS DE TRAVAIL DE EURIWARE OUEST

C/

SA EURIWARE

SAS PROSERVIA





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Mai 2014 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° chambre : 04

N° RG : 14/00769



Expéditio

ns exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON



Me Emmanuel MOREAU de la SCP MOREAU E. & ASSOCIES



Me Christophe DEBRAY

REPUBLIQUE FRANCAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE DIX SEPT FEVRIER DEUX MILLE QU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 FEVRIER 2015

R.G. N° 14/03079

AFFAIRE :

COMITE D'HYGIENE, SECURITE ET CONDITIONS DE TRAVAIL DE EURIWARE OUEST

C/

SA EURIWARE

SAS PROSERVIA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Mai 2014 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° chambre : 04

N° RG : 14/00769

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

Me Emmanuel MOREAU de la SCP MOREAU E. & ASSOCIES

Me Christophe DEBRAY

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DIX SEPT FEVRIER DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

COMITE D'HYGIENE, SECURITE ET CONDITIONS DE TRAVAIL DE EURIWARE OUEST

[Adresse 2]

[Localité 1]

Ayant pour avocat postulant Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20140297

Ayant pour avocat plaidant Me Savine BERNARD et Me Emilie VIDECOQ de la SARL BERNARD - VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

SA EURIWARE

N° SIRET : 320 585 110

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Emmanuel MOREAU de la SCP MOREAU E. & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20147332

Ayant pour avocat plaidant Me Marc BORTEN de l'ASSOCIATION LEANDRI ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

SAS PROSERVIA

N° SIRET : 394 026 934

[Adresse 3]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 14279

Ayant pour avocat plaidant Me Romain CHISS substituant Me Olivier GIOVENAL, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Décembre 2014, devant la cour composée de :

Madame Catherine BÉZIO, président,

Madame Mariella LUXARDO, conseiller,

Madame Pascale LOUÉ WILLIAUME, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE

FAITS ET PROCÉDURE

La société EURIWARE est une entreprise de prestations de services informatiques qui développe ses activités principalement dans les secteurs de l'énergie et de l'industrie. Anciennement filiale du groupe AREVA, elle a été cédée au groupe CAP GEMINI en juin 2014.

Elle emploie plus de 2.000 salariés au niveau national, dont 580 pour la région Ouest, et environ 480 salariés exercent leur activité au sein de l'établissement de Cherbourg.

Une cinquantaine de salariés sont affectés sur l'activité de Help Desk située sur le site Viking de la base aéronavale, au sein du bâtiment Sextant, pour répondre dans le cadre d'une convention de services conclue avec le groupe AREVA aux difficultés informatiques rencontrées par les salariés de ce groupe.

La société EURIWARE a conclu avec la société PROSERVIA, filiale du groupe Manpower spécialisée dans le support informatique, un contrat de prestations de services en vue d'affecter des salariés sur l'activité du Help Desk.

A ce jour, sur les 50 salariés travaillant sur le site, 8 sont employés par la société EURIWARE, les autres provenant de la société PROSERVIA.

Le CHSCT de l'établissement EURIWARE OUEST dénonçant la dégradation des conditions de travail au sein de cette activité, a désigné à 2 reprises le cabinet TECHNOLOGIA qui a déposé ses rapports les 3 février 2012 et 4 juin 2013.

Considérant que la société EURIWARE ne respectait pas ses obligations en matière de prévention des risques d'atteinte à la santé, le CHSCT d'EURIWARE OUEST a fait assigner à jour fixe le 21 janvier 2014 les sociétés EURIWARE et PROSERVIA devant le tribunal de grande instance de VERSAILLES.

Par jugement du 15 mai 2014, le tribunal de grande instance de VERSAILLES a rejeté l'ensemble des demandes du CHSCT et mis les dépens de l'instance à la charge de la société EURIWARE.

La cour est saisie d'un appel formé par le CHSCT.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions, auxquelles il est expressément fait référence en application de l'article 455 du code de procédure civile, le CHSCT de l'établissement EURIWARE OUEST demande à la cour de :

1- Sur l'obligation de prévention des risques de la société EURIWARE :

ANNULER et/ou suspendre au sein du Help Desk de Cherbourg la mise en place des objectifs relatifs au taux de décroché, taux de résolution, temps de retrait et temps d'intervention, constitutifs de stress au travail et de risques psychosociaux,

INTERDIRE aux sociétés EURIWARE et PROSERVIA tout rappel à l'ordre des salariés au titre de ces objectifs,

INTERDIRE le suivi en temps réel de ces objectifs sur le panneau d'affichage du Help Desk,

INTERDIRE aux sociétés EURIWARE et PROSERVIA de chronométrer le temps d'intervention des salariés et le temps de retrait hors temps de pause,

2- Sur l'aménagement des locaux du Help Desk :

DIRE qu'ils sont constitutifs d'un stress au travail et d'un risque psychosocial,

FAIRE injonction à la société EURIWARE d'aménager sous astreinte ces locaux selon des conditions précisément définies au dispositif des conclusions,

CONDAMNER la société PROSERVIA aux entiers dépens et au paiement des frais d'avocat.

Aux termes de ses dernières conclusions, auxquelles il est expressément fait référence, la société EURIWARE demande à la cour de :

DIRE le CHSCT irrecevable et en tout cas mal fondé en son appel,

En conséquence,

CONFIRMER le jugement sauf en ce qu'il a mis à sa charge les dépens et les frais d'avocat du CHSCT,

Statuant à nouveau sur ce seul point,

DIRE que chacune des parties supportera le coût de ses frais de procédure et ses propres dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, auxquelles il est expressément fait référence, la société PROSERVIA demande à la cour de :

DIRE le CHSCT irrecevable et en tout cas mal fondé en son appel,

En conséquence,

PRONONCER la mise hors de cause de la société PROSERVIA,

LE DÉBOUTER de l'ensemble de ses demandes,

CONDAMNER tous succombants aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 décembre 2014.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'action exercée à l'encontre de la société PROSERVIA

Il ressort des motifs du jugement du 15 mai 2014 que le tribunal de grande instance de VERSAILLES, qui n'a pas statué dans son dispositif sur le moyen, a considéré que le CHSCT d'EURIWARE OUEST était irrecevable dans son action à l'encontre de la société PROSERVIA au motif que seul le CHSCT de cette société avait compétence pour agir pour la défense des conditions de travail des salariés de PROSERVIA qui ne relèvent pas de l'autorité de la société EURIWARE.

Le CHSCT d'EURIWARE OUEST critique le jugement à ce titre au motif que les dispositions des articles L.4612-1 et L.4612-2 du code du travail lui donnent compétence pour agir pour la défense des conditions de travail de tous les salariés qui travaillent sur le site, sans exigence d'un lien de salariat avec la société donneuse d'ordre qui exerce son activité sur le site.

La société PROSERVIA maintient son moyen d'irrecevabilité ajoutant que le CHSCT d'EURIWARE ne saurait se substituer au CHSCT de PROSERVIA qui n'est pas dans la cause.

Toutefois, l'article L.4612-1 du code du travail donne compétence au CHSCT pour exercer ses missions à l'égard de tous les salariés qui travaillent dans les locaux d'une société, intégrant expressément les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure.

Il ressort d'ailleurs du rapport d'enquête réalisée début 2013 par le CHSCT de PROSERVIA à la suite du suicide de l'un de ses salariés qui travaillait sur le Help Desk d'EURIWARE, que ce CHSCT fait directement référence à l'expertise faite à l'initiative du CHSCT d'EURIWARE, ne s'y opposant pas, constatant que l'absence d'élus de PROSERVIA sur place ou à proximité a freiné l'éventuelle détection du risque psycho-social existant.

L'action des 2 CHSCT au regard des conditions de travail des salariés travaillant sur le site, n'est donc pas contradictoire, les dispositions légales permettant l'intervention du CHSCT de l'établissement au sein duquel des difficultés de travail sont susceptibles d'exister.

Par suite, il entre bien dans les attributions du CHSCT d'EURIWARE OUEST d'exercer son rôle à l'égard de tous les salariés qui travaillent sur le site, la société PROSERVIA ayant utilement qualité pour répondre aux moyens développés par le CHSCT concernant les conditions d'exécution du travail réalisé par ses propres salariés.

Dès lors, les demandes ditrigées contre la société PROSERVIA sont recevables.

Sur le bien-fondé des demandes

En application de l'article L. 4621-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces  mesures comprenant :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2 ° Des actions d'information et de formation;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes

L'article L. 4121-2 dispose également que l'employeur doit mettre en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Éviter les risques ;

2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état de l'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants ;

8° Prendre les mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'article L. 4121-3 impose encore à l'employeur d'évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, en mettant en 'uvre si nécessaire les actions de prévention et les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection, intégrant ces actions dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.

L'article L. 4121-5 ajoute que lorsque les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents dans un même lieu de travail, les employeurs coopèrent à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail.

En outre, il ressort de l'article L. 4612-1 du code du travail, que la mission du CHSCT a pour objet :

1° De contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à disposition par une entreprise extérieure ;

2 ° De contribuer à l'amélioration des conditions de travail ;

3° De veiller à l'observation de ces prescriptions légales en ces matières.

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions légales que le CHSCT est en droit de faire constater le non-respect par l'employeur de ses obligations en cas de risques ou d'atteintes à la santé et à la sécurité des salariés sur un site de travail.

En l'espèce, le CHSCT d'EURIWARE OUEST fait valoir que les sociétés EURIWARE et PROSERVIA ne respectent pas leur obligation de sécurité de résultat qui implique une obligation d'évaluation des risques et celle de prendre les mesures nécessaires pour supprimer ces risques ; que plus précisément, l'organisation mise en place pour le fonctionnement du centre d'appels, non conforme à l'obligation de sécurité, doit être annulée ou à tout le moins suspendue, dans ses aspects d'objectifs et statistiques quantitatifs chiffrés, ainsi que sur l'aménagement des locaux.

En réponse, la société EURIWARE soutient que le CHSCT ne rapporte pas la preuve de la violation de son obligation de sécurité, qui ne peut pas résulter uniquement des rapports d'expertise établis par le cabinet TECHNOLOGIA ni du suicide de l'un des salariés travaillant sur le site ; que le CHSCT dont le rôle doit se limiter à la faculté de réclamer la suspension d'un nouveau projet modifiant une organisation existante, lorsque cette modification est génératrice de risques, ne peut demander la suspension du Help Desk qui s'appuie sur une convention signée avec AREVA depuis janvier 2011.

La société PROSERVIA fait valoir pour sa part que ses salariés ne sont pas soumis à des objectifs de performance qui en tous cas relèvent du seul pouvoir de direction, et qu'elle n'est pas concernée par le contrat conclu avec AREVA ni par l'aménagement des locaux d'EURIWARE.

A titre liminaire, il convient de relever que l'obligation d'évaluation des risques a été respectée dans la mesure où les employeurs ne se sont pas opposés à la réalisation des expertises sollicitées par le CHSCT d'EURIWARE OUEST, le débat portant sur la réalité des risques relevés par le cabinet TECHNOLOGIA.

Les moyens développés par les parties doivent conduire à vérifier par suite l'existence des risques allégués par le CHSCT, lesquels sont de 2 ordres, tenant d'une part à la fixation d'objectifs quantitatifs élevés et d'autre part à la non-conformité des locaux, tout en examinant le cas échéant si les mesures prises par les sociétés ont été de nature à éviter ou combattre ces risques.

1- S'agissant des risques résultant de la fixation d'objectifs quantitatifs :

Les sociétés considèrent qu'il n'existe pas de contraintes d'objectifs sanctionnés à titre individuel et qu'en tous cas la fixation d'objectifs qui a pour but de répondre aux attentes du client, constitue l'expression du pouvoir de direction et d'organisation de l'employeur.

Toutefois, la fixation d'objectifs élevés est susceptible d'apporter une atteinte à la santé des salariés si l'employeur ne donne pas les moyens suffisants et nécessaires pour atteindre ces objectifs, les salariés se trouvant dans l'impossibilité matérielle d'y parvenir sauf à prendre des risques graves pour leur santé.

Or, les pièces versées aux débats démontrent que la société EURIWARE a défini sur le centre d'appels, des objectifs très précis qui mettent en péril la santé des salariés.

Le premier facteur de risque découle de l'organisation générale du centre d'appels qui consiste à apporter une réponse immédiate aux demandes de traitement des utilisateurs des matériels informatiques du groupe AREVA avec un encadrement strict du taux de réponse apporté par les salariés du Help Desk.

La société EURIWARE ne produit pas le contrat de prestations de services conclu avec AREVA mais il ressort du rapport d'expertise du cabinet TECHNOLOGIA du 3 février 2012 que ce contrat fixe des objectifs de décroché de 90%, avec un taux d'abandon inférieur à 7%, et un taux de résolution supérieur à 60% par les salariés du premier niveau d'intervention qui travaillent au sein du Help Desk.

Le rapport TECHNOLOGIA de février 2012 et celui du 4 juin 2013, confirmés par les discussions figurant au compte-rendu de réunion du 8 mars 2013 du CHSCT, relèvent que chaque appel doit être traité en moins de 7 minutes, ce qui représente en moyenne 9 dossiers par heure, sur 7 heures de travail par jour.

La société EURIWARE communique un document intitulé "scénario de réception de l'appel et du déclenchement du calcul du taux de décroché" qui démontre que l'appel est géré en totalité dans un circuit défini par des temps de traitement de l'appel, avec un temps d'attente de l'appelant de moins de 20 secondes.

S'agissant des moyens mis à disposition par la société pour atteindre les engagements promis à l'égard de son client AREVA, il sera relevé que le Help Desk est composé, au vu du rapport du 4 juin 2013, de 48 salariés, dont 37 salariés PROSERVIA, ces effectifs intégrant les 4 managers dont 3 sont salariés d'EURIWARE, ce qui confirme la tendance au sein d'EURIWARE d'avoir une image négative de l'activité ("on y arrive par défaut"), cette évolution devant conduire à terme à la constitution d'un service fonctionnant uniquement avec des salariés PROSERVIA sous-traitant.

Le nombre d'utilisateurs du centre d'appels n'est pas communiqué mais il ressort des rapports qu'il se situe à environ 13.500 postes pour les sociétés du groupe AREVA et 4.000 autres équipements (fax, copieurs etc.), avec des clients hors AREVA, sans plus de précision, le rapport de juin 2013 confirmant également la progression constante de l'activité depuis 2010 alors que les effectifs du Help Desk sont restés stables.

Ces éléments, non contestés, établissent l'existence d'un cadre très serré pour le traitement des incidents, avec un très grand nombre d'utilisateurs pour un petit groupe de salariés travaillant sur le centre d'appels.

Le moyen développé par EURIWARE selon lequel le risque n'existe pas puisque l'objectif du taux de décroché supérieur à 90% est atteint et en progression permanente, n'est pas déterminant dès lors que l'atteinte de cet objectif résulte de l'organisation du travail contestée, dont l'efficacité est avérée par les performances du site.

En outre, le deuxième facteur aggravant du risque ressort du fait que les salariés travaillent sous contrôle permanent de leur activité, résultant de la gestion informatisée du centre d'appels et du traitement en temps réel de l'information, laquelle est relayée par les bandeaux d'affichage placés en hauteur dans l'open-space, permettant à chacun de connaître l'état du flux des appels et le niveau de disponibilité de chaque intervenant (rapport TECHNOLOGIA de février 2012).

Ce contrôle informatisé est confirmé par tous les tableaux statistiques communiqués par EURIWARE qui permettent de connaître les volumes d'appels et les temps de traitement, minute par minute, qui même s'ils ne sont pas sanctionnés sur le plan des salaires ou de l'emploi, donnent lieu à des rappels à l'ordre individuels, selon le rapport de juin 2013 qui relève également que les temps de pause sont minutés.

Ainsi, il apparaît que les salariés disposent d'une pause totale de 2 heures par jour intégrant la pause déjeuner et 2 pauses de 15 minutes, de sorte que le temps de retrait qui consiste à ne pas prendre d'appel, s'établit au maximum à 30 minutes par jour, alors que ce temps est utilisé pour le traitement des incidents hors communication, ce qui conduit les salariés à être en situation de communication avec les utilisateurs de façon quasi ininterrompue sur la journée, les rapports relevant que ces derniers ont souvent une attitude exigeante voire méprisante, et sont dans l'attente d'une réponse immédiate à leur difficulté.

Les rapports démontrent en outre que ces temps de retrait sont insuffisants au regard des tâches nécessitées par l'activité (création d'un dossier, entretien avec un collègue, un référent ou le supérieur pour trouver une solution), le rapport de février 2012 relevant au surplus que de nombreux agents se sont plaints de facteurs ralentissant les temps de réponse, résultant du fait que les PC sont anciens et que le logiciel USD génère des pertes de temps, ce qui est "une source potentielle de stress dans le travail interactif et ce d'autant que (ces ralentissements) sont imprévisibles".

Le rapport relève également que les techniciens ont subi une restriction de leurs droits d'administrateur du fait du projet Jupiter, ce qui a aggravé leur manque d'autonomie, facteur supplémentaire de stress.

Si la société EURIWARE fait valoir qu'il n'existe pas d'objectifs fixés à titre individuel, il convient de relever que le suivi rapproché des temps de traitement des appels, relayé par les bandeaux d'affichage, constitue un facteur d'aggravation du risque dès lors que chacun des salariés n'a pas connaissance de ses performances personnelles mais est en situation de ressentir la culpabilité de la non-réalisation des chiffres réalisés par le groupe.

Par ailleurs, la société EURIWARE produit les normes ISO de fonctionnement des centres d'appel mais ces documents ne concernent que les normes qualité qui permettent au client d'apprécier si le prestataire de services a atteint ses engagements au titre du contrat de prestation.

La société communique également des documents relatifs au fonctionnement de centre d'appels d'entreprises publiques ou privées (Carrefour, CPAM, aéroport de [Localité 4]) mais ces documents, très disparates, concernent tantôt des centres d'appels d'information du public, tantôt des centres de gestion des difficultés rencontrées par des opérateurs travaillant sur des logiciels d'entreprise, documents non probants en raison de la différenciation de leurs objectifs, la seule constante résultant du taux de satisfaction des utilisateurs des centres, qui doit toujours être supérieur à un taux de décroché de 90%.

Aucun document ne permet de vérifier si les moyens mis à disposition par la société EURIWARE pour atteindre cet objectif du taux de décroché au sein du site Viking sont suffisants, aucune norme en matière sociale n'ayant été communiquée pour apprécier le ratio entre le nombre de salariés travaillant dans le centre d'appels et le nombre d'utilisateurs.

Ces documents sont donc inopérants pour démontrer que les conditions de fonctionnement du help desk du site Viking sont satisfaisantes sur le plan de la protection et de la prévention des atteintes à la santé alors que le cabinet TECHNOLOGIA a relevé de manière très circonstanciée l'existence dans le centre d'appels de risques importants à caractère psycho-social, énumérés sous 6 rubriques dans le rapport du 4 juin 2013 : exigences du travail et charge émotionnelle fortes, insuffisance de l'autonomie et des marges de man'uvre, rapports sociaux et relations de travail tendus, conflits de valeur et insécurité socio-économique résultant notamment de l'augmentation du recours à la sous-traitance.

Les risques allégués par le CHSCT d'EURIWARE OUEST sur le plan de l'organisation du travail sont ainsi avérés.

L'existence de risques graves sur le plan psycho-social a été encore confirmée par le suicide d'un salarié PROSERVIA le 4 mars 2013, la commission de recours amiable ayant considéré par décision du 23 septembre 2013 que l'acte présentait un lien direct avec les conditions de travail.

Au vu du rapport TECHNOLOGIA du 4 juin 2013, il apparaît que le jour du suicide, une nouvelle organisation du travail avait été mise en place avec désignation d'un référent par équipe, alors que le CHSCT n'avait pas été consulté sur cette nouvelle organisation.

Cet élément démontre que malgré les résolutions votées par le CHSCT depuis 2010 et la mesure d'expertise en cours, décidée à l'unanimité le 13 novembre 2012, les employeurs n'avaient pas pris les mesures utiles destinées à réduire les risques psycho-sociaux existants.

Il n'est pas contestable que la société PROSERVIA n'a pris aucune mesure, considérant que seule la société EURIWARE pouvait être à l'origine de décisions applicables sur le site, concernant l'organisation des conditions de travail.

La réunion extra-ordinaire du CHSCT du 8 mars 2013 confirme, à la demande de l'inspecteur du travail, que la société PROSERVIA n'a jamais participé aux réunions relatives au fonctionnement du help desk, sans qu'il soit possible de déterminer si cette société avait refusé les invitations d'EURIWARE, ses conclusions révélant en tous cas qu'elle n'a pas pris d'initiative de concertation avec EURIWARE alors que le site fonctionne actuellement avec la quasi totalité de salariés PROSERVIA qui opèrent largement sous le contrôle de managers EURIWARE.

Ce choix des sociétés qui consiste à désengager la société PROSERVIA de l'organisation du centre d'appels, est en tous cas contraire aux dispositions de l'article L. 4121-5 selon lequel lorsque les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents dans un même lieu de travail, les employeurs coopèrent à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail.

De son côté, la société EURIWARE met en avant un certain nombre de mesures résultant en premier lieu de la mise en place d'une cellule d'écoute et d'accompagnement par le cabinet Stimulus, dont il convient de considérer que son rôle n'est pas suffisant pour faire face aux risques dénoncés par le CHSCT puisqu'il ressort du document communiqué par la société que, malgré son intervention depuis 2010, le nombre de nouveaux salariés s'adressant à la cellule d'écoute est en augmentation constante, et significative en 2013, de 5 salariés en 2012 à 24 en 2013, ce qui représente la moitié des effectifs du centre d'appels.

De même, la remise d'un livret d'accueil aux nouveaux salariés travaillant sur le Help Desk ne peut être considérée comme une mesure suffisante pour faire face aux risques dénoncés, ce livret présentant l'avantage essentiel de définir les niveaux de résolution des appels, 1, 2 ou 3, mais sans être à la hauteur des risques résultant des objectifs quantitatifs élevés.

Le logiciel USD, mis en oeuvre en novembre 2012, n'a pas apporté d'amélioration dans les conditions de travail du Help Desk, les salariés se plaignant au contraire d'un alourdissement de leur charge de travail en devant remplir les données précises du logiciel, ce qui ralentit leur activité et constitue un outil de contrôle de leur efficacité.

Les réponses du 14 juin 2013 aux recommandations du cabinet TECHNOLOGIA, prévoient notamment des renforts pour faire évoluer le service et permettre de gérer en totalité les incidents des utilisateurs, mais la société EURIWARE ne communique aucune pièce justificative sur la mise en oeuvre de ces renforts, ni sur les autres propositions matérielles (augmentation des réunions hebdomadaires, valorisation du service, pérenniser les effectifs, reconnaissance de la qualité du travail ...).

Par ailleurs, si la société EURIWARE fait valoir que seuls les nouveaux projets modifiant une organisation existante peuvent faire l'objet d'une suspension, il convient de noter que l'action du CSHCT dont la recevabilité n'a pas été contestée sur ce plan, n'est pas fondée sur l'article L. 4614-12 du code du travail concernant la mise en oeuvre de nouveaux projets mais sur la violation caractérisée des obligations mises à la charge de l'employeur par les articles L. 4621-1 et L. 4621-2 du code du travail concernant une organisation de travail déjà existante et l'octroi des moyens adaptés en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Or, il doit être souligné que les conditions actuelles de fonctionnement n'ont pas été modifiées malgré les alertes existantes depuis 2010, le cabinet d'expertise COEXCO ayant relevé dès octobre 2010 un climat particulièrement stressant où la pression de l'encadrement du help desk était vécue comme du harcèlement.

Le rapport TECHNOLOGIA du 3 février 2012, mandaté le 10 juin 2011, avait conclu à l'existence de risques psychosociaux importants, une surcharge de travail, des pratiques managériales démotivantes et des tensions entre les salariés.

Le deuxième rapport TECHNOLOGlA concluait avant le suicide de mars 2013, à l'existence de facteurs de risques psycho-sociaux dans une "situation qui n'est pas satisfaisante voire tout à fait inquiétante".

Enfin, depuis le dépôt du rapport définitif TECHNOLOGlA du 4 juin 2013, les sociétés EURIWARE et PROSERVIA ne démontrent pas que des mesures adaptées ont été prises au sein du centre d'appels en vue de réduire et de prévenir les risques psycho-sociaux, notamment en termes d'organisation du travail et de moyens accordés pour satisfaire à la demande du client.

En particulier, le tableau récapitulatif des actions menées depuis 2010, qui émane des services de la société EURIWARE alors qu'une telle étude n'est convaincante que si elle émane d'un organisme extérieur, vise des actions insuffisantes, précédemment examinées (dont essentiellement la cellule d'écoute et les réunions de travail) alors qu'il n'a pas été remédié à la cause du risque, résultant d'objectifs quantitatifs élevés fixés collectivement aux salariés du centre d'appels.

Les dispositions légales ne permettant pas de suspendre ou d'interdire l'activité mise en place par la société EURIWARE, dans les conditions sollicités par le CHSCT, il sera fait injonction aux sociétés EURIWARE et PROSERVIA de prendre toutes mesures propres à faire cesser la violation caractérisée des obligations mise à leur charge par les articles L. 4621-1 et L. 4621-2 du code du travail.

2- S'agissant des risques résultant de l'aménagement des locaux :

Le CHSCT fait valoir que les salariés du Help Desk travaillent dans un environnement de travail inadapté, en raison d'une ambiance professionnelle et thermique inadéquate et de l'insuffisance des locaux.

La société EURIWARE expose en réplique qu'elle a installé des nouveaux stores, mis à disposition des salariés des ventilateurs et commandé des devis pour améliorer la qualité acoustique des locaux.

Au vu des pièces produites, il apparaît que les salariés sont installés depuis 2013 dans un open-space de 562 m2 pour 50 postes de travail.

Le cabinet TECHNOLOGIA relève que si la norme en cas de bureau collectif est de 15 m2 par personne, la réduction des effectifs depuis 2010 a toutefois permis d'augmenter la surface par poste.

La configuration des postes en "marguerite" n'est pas contestée par le CHSCT, et n'a pas été remise en cause par les mesures d'expertise, dès lors que des mesures adéquates sont prises en termes d'isolation acoustique.

La superficie actuelle des locaux qui s'élève à environ 10 m2 par salarié, sera par suite jugée satisfaisante.

En revanche, la société EURIWARE qui ne conteste pas l'utilité des mesures d'isolation thermique et acoustique, produit seulement des devis et des bons de commande datés de juillet et août 2014, ce qui est insuffisant pour justifier de la réalisation effective des travaux de pose de dalles écophon, et de la livraison de stores et de ventilateurs.

Il lui sera fait injonction de procéder à ces travaux d'amélioration des conditions de travail qui ne sont pas sérieusement contestées et dont l'utilité avait été pointée dès le premier rapport TECHNOLOGIA de février 2012.

Sur les dépens de l'instance

Les dépens seront supportés par la société EURIWARE qui devra également prendre en charge l'intégralité des frais d'avocat de son CHSCT.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

RÉFORME le jugement du 15 mai 2014,

DÉCLARE recevable l'action du CHSCT d'EURIWARE OUEST exercée à l'encontre de la société PROSERVIA,

CONSTATE l'existence de risques graves d'atteinte à la sécurité et à la santé des salariés des sociétés EURIWARE et PROSERVIA travaillant sur le site Viking organisé en centre d'appels exploité par la société EURIWARE en violation des articles L. 4621-1 et L. 4621-2 du code du travail,

ENJOINT aux sociétés EURIWARE et PROSERVIA de prendre toutes mesures propres à faire cesser la violation caractérisée des obligations mises à leur charge par ces dispositions légales,

ENJOINT à la société EURIWARE de procéder aux travaux de pose de dalles écophon, d'installation de stores et de ventilateurs, nécessités pour l'amélioration des conditions de travail du site,

REJETTE les autres demandes du CHSCT d'EURIWARE OUEST,

CONDAMNE la société EURIWARE aux entiers dépens de l'instance et à la prise en charge des honoraires d'avocat du CHSCT arrêtés à la somme de 1.000 € TTC (MILLE EUROS) en première instance et 4.036 € TTC (QUATRE MILLE TRENTE SIX EUROS) en appel.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 14/03079
Date de la décision : 17/02/2015

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°14/03079 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-02-17;14.03079 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award