La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/12/2014 | FRANCE | N°13/02104

France | France, Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 18 décembre 2014, 13/02104


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES



Code nac : 80A

OF

5e Chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 18 DECEMBRE 2014



R.G. N° 13/02104



AFFAIRE :



[T] [M] épouse [G]





C/

SAS WUNDERMAN







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Avril 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : Encadrement

N° RG : 11/01822





Copies exécutoire

s délivrées à :



Me Cécile AIACH



SCP P D G B





Copies certifiées conformes délivrées à :



[T] [M] épouse [G]



SAS WUNDERMAN





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX HUIT DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,

...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

OF

5e Chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 DECEMBRE 2014

R.G. N° 13/02104

AFFAIRE :

[T] [M] épouse [G]

C/

SAS WUNDERMAN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Avril 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : Encadrement

N° RG : 11/01822

Copies exécutoires délivrées à :

Me Cécile AIACH

SCP P D G B

Copies certifiées conformes délivrées à :

[T] [M] épouse [G]

SAS WUNDERMAN

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [T] [M] épouse [G]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Cécile AIACH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1366

APPELANTE

****************

SAS WUNDERMAN

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me PHILIBIN-KAYSER Alicia substituant Me Patricia TALIMI de la SCP P D G B, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : U0001

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Octobre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Olivier FOURMY, Président chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller,

Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Marie VERARDO,

Par jugement en date du 18 avril 2013, le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt (ci-après, le CPH) a notamment :

. débouté Mme [T] [M] de sa demande de requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

. condamné la société par actions simplifiées Wunderman SAS (ci-après, Wunderman) à payer à Mme [M] une somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral ;

. condamné Wunderman à payer à Mme [M] une somme de 950 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [M] a relevé appel général de cette décision.

Vu les conclusions déposées en date du 30 octobre 2014 pour Mme [M], ainsi que les pièces y afférentes, et celles déposées pour Wunderman le même jour, ainsi que les pièces y afférentes, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 30 octobre 2014.

FAITS ET PROCÉDURE,

Les faits et la procédure peuvent être présentés de la manière suivante :

Mme [T] [M] a été embauchée par la SAS Wunderman, spécialisée dans le domaine du marketing et de la communication, par contrat à durée indéterminée, le 1er juillet 2008, en qualité de directrice conseil, cadre (classification 3.3), pour un salaire brut annuel fixe de 85 000 euros.

La société Wunderman fait partie du groupe international éponyme.

La convention collective applicable est celle de la publicité.

La société Wunderman a un effectif d'environ 120 salariés.

Mme [M] est notamment chargée du compte « Microsoft ».

Elle a sous sa direction une équipe de 15 à 20 personnes.

Le 07 mai 2011, Mme [M] écrit un courriel à son supérieur hiérarchique, M. [W] [S], directeur de l'agence Wunderman France, pour manifester son intérêt à gérer le compte « Gemalto » dans le cadre d'une évolution professionnelle.

Le 20 mai 2011, Mme [M] a un entretien individuel d'évaluation avec M. [S].

Le 23 mai 2011, Mme [M] écrit un nouveau courriel à M. [S], pour l'informer de ce qu'elle pourrait être très intéressée pour évoluer vers un nouveau rôle d'ici à la fin de l'année « si une opportunité attractive se présentait au sein de l'agence » et sollicite de sa part de la discrétion, tant en interne que vis-à-vis des clients.

Courant juin 2011, il est proposé à Mme [M] de reprendre le compte 'Ford'. Elle refuse, considérant « ce compte à faible potentiel ».

Le 1er juillet 2011, Mme [M] est promue directrice commerciale et sa rémunération mensuelle brute passe de 7 083,33 euros (e outre, 234,54 euros d'avantage en nature) à 8 233 euros.

Le 10 août 2011, Mme [M] adresse à son supérieur un courriel, aux termes duquel elle ne souhaite pas quitter son poste actuel sans qu'une opportunité attractive soit identifiée « il y a encore beaucoup de défis à soulever avec le client Microsoft en France pendant les mois à venir et je serai heureuse de rester impliquée pour les adresser ».

Le 13 septembre 2011, M. [S] adresse à Mme [M] un laconique « il est 12h ».

Le 16 septembre 2011, M. [S] demande à Mme [M] de participer à la rédaction de l'annonce selon laquelle elle va changer de fonction.

Le 22 septembre 2011, le personnel est informé du remplacement de Mme [M] par Mme [I].

Le 11 octobre 2011, Mme [M] saisit le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Du 11 au 18, puis au 26 octobre 2011, Mme [M] est placée en arrêt maladie pour « syndrome dépressif réactionnel ».

Le 03 novembre 2011, M. [S] écrit à Mme [M] : « ' je souhaiterais que, pour la semaine prochaine, tu puisses commencer à travailler sur les deux sujets suivants : identifier les pistes new business potentielles ; les outils et stratégies d'approche à mettre en place '».

Mme [M] est à nouveau arrêtée pour maladie le 14 novembre, puis le 02 décembre 2011 jusqu'au 15 décembre 2011.

Le 13 décembre 2001, Wunderman fait effectuer une contre-visite, selon laquelle l'état de santé de Mme [M] ne justifie pas un arrêt de travail.

Le 14 décembre, l'arrêt de travail est prolongé jusqu'au 23 décembre 2011.

Le 21 décembre 2011, Mme [T] [M] prend acte de la rupture de son contrat de travail.

Son salaire mensuel est alors de 8 233 euros et sa qualification 'directrice commerciale', niveau 3.4.

SUR CE,

A titre préliminaire, la cour relève que tandis qu'il accordait à Mme [M] une somme de 10.000 euros en raison de l' « attitude vexatoire et état de suspicion concernant (cette) salariée » de la part de l'employeur, reconnaissant le harcèlement moral dont elle s'était plainte, le CPH a refusé de requalifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour considère que, compte tenu des arguments développés par Mme [M] (conclusions, pages 15 et suivantes), il convient d'analyser d'abord le harcèlement moral dont elle souligne avoir été victime avant d'examiner la prise d'acte.

Sur le harcèlement moral

Mme [M] reproche ici à son employeur : d'avoir exercé sur elle des pressions pour accepter un nouveau poste ; d'avoir exercé sur elle des pressions pour accepter de participer à l'annonce de son remplacement ; de l'avoir mise à l'écart ; d'avoir engendré un climat insupportable l'ayant contrainte à prendre acte de la rupture.

La société Wunderman réplique en rappelant que la loi impose au salarié s'estimant victime de harcèlement moral d'établir des faits précis et concordants ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits ou à a dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La cour rappelle que le salarié s'estimant victime de harcèlement n'a pas à démontrer ce harcèlement. Il lui revient en revanche d'apporter les éléments de nature à étayer sa plainte. L'employeur doit alors démontrer que les éléments avancés ne constituent pas le harcèlement dénoncé et qu'il a pris les mesures nécessaires, le cas échéant, tant pour prévenir que pour faire cesser ce harcèlement.

Cela étant précisé, il convient de noter d'emblée qu'il n'est pas contesté que le compte 'Microsoft' était l'un des comptes les plus importants de Wunderman.

Dans cette perspective, la cour garde bien à l'esprit que Mme [M] fait valoir, dans le cadre de la discussion, que l'annonce de poste à laquelle elle a répondu faisait expressément référence à la gestion du compte Microsoft.

Ce point n'est pas contesté.

Il résulte toutefois des pièces versées et des débats que c'est Mme [M] qui s'est manifestée auprès de sa hiérarchie pour solliciter un changement dans ses attributions, afin d'évoluer vers un nouveau rôle au sein de l'entreprise.

La cour note, sur ce point, que Mme [M], compte tenu de son niveau élevé de qualification et de responsabilité, ne pouvait, ce faisant, ignorer qu'elle ouvrait à la société de nouvelles perspectives quant aux rôles qu'il conviendrait d'attribuer aux uns et aux autres. Mme [M] l'ignorait d'autant moins qu'elle soulignera à plusieurs reprises, et encore devant la cour, que le compte Microsoft était alors le plus important géré par la société.

Ainsi, par définition, en demandant à évoluer et à prendre la gestion d'un compte, sans doute à fort potentiel de son point de vue, Mme [M] ne pouvait ignorer qu'elle se mettait, de ce seul fait, en position de ne plus être la gestionnaire du compte Microsoft.

Elle s'en est d'ailleurs, très rapidement aperçue, puisque après avoir formulé sa demande le 07 mai 2011, elle va écrire, après avoir eu son entretien d'évaluation le 20 mai, qu'elle reste disponible si une « opportunité attractive se présente », le 23 mai, puis, le 10 août 2011, alors qu'elle sait déjà que c'est l'une de ses adjointes qui a été choisie pour lui succéder dans la gestion du compte Microsoft, qu' « il y a encore beaucoup de défis à soulever avec le client Microsoft en France pendant les mois à venir et (qu'elle serait) heureuse de rester impliquée pour les adresser » (la cour note qu'il s'agit d'un anglicisme pour 's'en occuper' ou 'y répondre' ; voir aussi ci-après).

La cour admet que la situation doit être appréhendée dans sa globalité et qu'il convient de poursuivre l'examen détaillé des relations entre Mme [M] et sa hiérarchie.

A cet égard, il est constant qu'il a été proposé à Mme [M] la gestion de comptes de moindre importance lorsqu'ils sont pris individuellement. Wunderman le reconnaît expressément dans ses conclusions mais souligne, d'une part, que la valeur globale des comptes qui auraient été confiés à Mme [M] aurait été équivalente (voire supérieure) à celle de Microsoft et, d'autre part, que l'un des comptes à l'égard duquel elle a exprimé la plus grande réticence a, en réalité connu une forte croissance.

Cela étant précisé, Mme [M] reconnaît qu'il lui a été par ailleurs proposé de devenir l'assistante directe de son supérieur, M. [J], sans, il est vrai, que le poste soit plus précisément défini.

Mais, en juillet 2011, Mme [M] a bénéficié non seulement d'une augmentation substantielle mais également d'une promotion, passant de directrice conseil à directrice commerciale.

Le 21 juillet 2011, Mme [M] écrit à M [S] qu'elle est « convaincue d'être la personne idoine pour faire de Gemalto un succès. Le point à discuter serait alors le devenir du staffing sur le compte Microsoft France. Après analyse et réflexion sur le sujet, je pense que le timing est idéal, notamment puisque la nouvelle année fiscale débute en juillet. Mais également parce que le retour de [D] début octobre serait l'occasion de la faire monter en puissance sur le compte (') » (souligné par la cour).

Mme [M] n'est ainsi pas fondée à invoquer, jusqu'à ce moment de l'exécution de son contrat de travail, des agissements répétés de nature à pouvoir étayer l'existence d'un harcèlement moral.

Mme [M] le confirme, en adressant à M. [J] le courriel du 10 août 2011 : elle se place toujours dans le cadre d'une négociation, souhaitant que lui soit offerte une « opportunité attractive » mais, à défaut, de pouvoir conserver le compte Microsoft.

Sans doute faut-il rappeler à Mme [M], à ce stade de la discussion, que quand bien même, ainsi que la cour l'a rappelé ci-dessus, sa lettre d'engagement faisait expressément référence au compte Microsoft, elle ne pouvait se considérer comme 'propriétaire' du compte Microsoft et que le chef d'entreprise dispose, dans le respect des droits du salarié, de toute latitude pour organiser le travail.

En outre, Mme [M] omet de mentionner que, ainsi qu'il ressort de la lettre qui lui sera adressée le 05 janvier 2012 en réponse à son courrier du 23 décembre 2011, d'une part, les raisons pour lesquelles il n'a pas été fait droit à sa demande de se voir attribuer le compte 'Gemalto' lui ont été expliquées, d'autre part, elle ne le conteste pas, divers comptes lui ont été proposés, nationaux ou internationaux, dans différents domaines (Mme [M] a, par exemple, manifesté un intérêt pour le compte 'Danone', en tout cas dans sa composante internationale).

Cela résulte en tout cas clairement du courriel qu'elle a adressé le 10 août 2011, dans lequel elle indique : « ' quant aux différentes alternatives que vous (M. [Y] [Q] ; n+2) avez mentionnées hier je suis tout à fait à l'écoute d'une évolution au sein du réseau des partenaires de Wunderman ou au sein du groupe WPP », après avoir émis le souhait « dans l'idéal (de) pouvoir mettre au service (ses) compétences en gestion des affaires et en gestion de clients, (son) profil international et (sa) capacité à résoudre des challenges marketing ».

En d'autres termes, si Mme [M] entend éviter de suggérer qu'elle puisse se désintéresser du compte Microsoft, elle manifeste clairement une envie de changement.

Toujours est-il que, Mme [M] ne l'ignore pas, compte tenu de sa démarche initiale, une réorganisation a été entreprise qui doit voir son 'adjointe', Mme [D] [I] (le terme est quelque peu impropre, la personne concernée apparaît en tête de l'une des deux unités dont Mme [M] a la charge) revenir de congé-maternité pour prendre en charge le compte 'Microsoft'.

La cour souligne, sur ce point, que Mme [M] savait pertinemment ce qui allait se passer : dès le 15 avril 2011, Mme [I] avait adressé à Mme [M] un courriel dans lequel elle indiquait que le service des ressources humaines lui demandaient de prendre « un maximum de vacances avant le commencement de mon congé parental ce qui décale un peu les dates de (son) retour » qui doit ainsi se faire le 03 octobre. Mme [I] conclut son message de la manière suivante : « Maintenant tu sais tout' ou presque ! Je pense que nous pourrons discuter du reste lors de notre prochain déjeuner ».

Et ce message est juste antérieur à la volonté manifesté par Mme [M] de changer de responsabilités.

Dans les faits, Mme [I] reviendra de congé parental le 21 septembre, ce qui accélérera le calendrier.

Mme [M] reproche ainsi à Wunderman de lui avoir, en septembre 2011, demandé de participer à la rédaction du message devant annoncer le changement à la tête du compte 'Microsoft'. Pour compréhensible que soit son refus, Mme [M] se plaçait ce faisant dans une attitude contraire à ce qui se pratique habituellement dans une entreprise comme Wunderman et elle ne pouvait l'ignorer. Il est également symptomatique qu'à ce stade, Mme [M] ne propose rien d'autre que le maintien à son poste alors que, comme on l'a vu plus haut, c'est elle qui a ouvert la porte du changement et qu'elle a bénéficié d'une promotion, particulièrement significative en termes de rémunération.

Il est vrai que M. [S] va impartir un délai à Mme [M] pour fournir sa contribution et finira par lui adresser un laconique « il est 12h » à la fin de ce délai. Mme [M] est d'autant moins fondée à s'en plaindre que non seulement sa réponse était effectivement attendue mais ce type de courriel n'a rien de surprenant dans le type de structure dans laquelle elle travaillait.

Le 15 septembre 2011, Mme [M] écrit une lettre à M. [S], lui disant être « sous le choc » et lui reprochant « la brutalité du procédé ».

En réponse, M. [S] adresse à Mme [M] le projet d'annonce qu'il entend finaliser, dans lequel il est précisé qu'il a « été décidé que [T], en plus de son travail sur l'OPPBTP, (va) dédier son énergie et son temps à chasser de nouveaux clients et permettre à l'agence de combler très rapidement le vide que va laisser Danone (...) l'an prochain ». Ce message précise que M. [S] a « une autre idée (qu'il) voudrai(t lui) soumettre ».

Cette idée se matérialisera officiellement dans l'annonce du 21 septembre 2011 : « j'ai donc récemment demandé de confier à [T] de travailler à mes côtés au développement commercial de l'agence, à l'issue d'une période de passation de ses activités pour Microsoft ».

Entre temps, Mme [M] a rencontré M. [S] et ils ont eu une conversation précise, à laquelle M. [S] fait expressément référence dans le courriel qu'il lui adresse le 22 septembre 2011 : « (') je t'ai donné une réponse claire sur ma position et les raisons qui m'ont amenées à la prendre. Je t'ai aussi en effet fait part de ma déception tout autant que mon étonnement vis-à-vis de ton refus de reprendre le deuxième compte de l'agence (depuis le départ annoncé de Danone), tout comme ton refus de travailler au développement de l'agence sur du New biz ou de monter avec moi l'offre de Wunderman World Health France comme proposé la semaine dernière ». M. [S] conclut : « Tu m'as fait part (') de ta volonté de 'trouver une solution. Pas une démission mais une rupture conventionnelle'. Je t'ai répondu ne pas m'être préparé à une telle éventualité car je pensais que nous pouvions continuer à travailler ensemble et ai ajouté que je me tournerai vers le département RH pour en connaître les modalités. C'est ce que j'ai fait et je reviendrais vers toi dès que j'aurai une proposition à te faire, financière et de timing, dans le sens de ta demande ».

La cour note que ce courriel fait suite à un courriel de Mme [M], dans lequel elle confirme son refus de participer à l'annonce de son départ du compte Microsoft, indique qu'elle ressent une « très forte pression » et que cette « situation est stressante », souhaite que M. [S] prenne « position de manière claire ».

Le 23 septembre 2011, M. [S] écrit à nouveau à Mme [M] et lui propose, compte tenu de son « refus de remonter sur les comptes (') de commencer à préparer un plan de développement de nouveaux comptes en parallèle de la transition (Microsoft. '.) ma seule volonté est de trouver une solution qui puisse prendre en compte à la fois les besoins de l'Agence et qui puisse aussi constituer un challenge auquel tu puisses apporter la compétence et la passion dont tu as toujours fait preuve au sein de Wunderman. Le développement en fait partie. Je ne peux me résoudre à voir cette situation s'enliser (') ».

Un échange de courriels avec Mme [A] montre un désaccord persistant, Mme [M] parlant de « mea culpa » de la société, quand Mme [A] lui répond que tel n'est certes pas le cas : « L'idée est d'avancer de concert et de ne pas rester bloqué. Cela fait plus de 3 mois que tu en discutes avec la Direction, qui t'as proposé de travailler sur des clients importants de l'agence et à leur développement, et/ou de travailler à l'acquisition de nouveaux clients, soit d'une manière générale, soit par la constitution d'une offre nouvelle, Wunderman World Health Paris. Tu connais mieux que quiconque la situation (de nos) différents clients ('), nous attendons maintenant que tu te positionnes (') ».

Le 03 novembre, M. [S] donne des indications très claires à Mme [M] sur ce qu'il attend d'elle.

Le désaccord persiste et Mme [M] le ressent particulièrement mal.

Elle se rend à nouveau chez le médecin et en prévient M. [S], le 1er décembre en fin de journée.

Ce dernier répond : « Ben bien sûr ». La cour considère, sur ce point, que l'on peut raisonnablement qualifier cette réponse de mouvement d'humeur, quand bien même elle est nécessairement déplaisante pour celui qui la reçoit.

La cour précise ici que Mme [M] a été placée en arrêt maladie pour «syndrome dépressif réactionnel » du 11 au 18 octobre 2011, puis du 19 au 26 octobre, puis, par un autre médecin, du 14 novembre au 1er décembre et du 02 au 23 décembre 2011.

Ce dernier certificat a été 'doublé' par un autre certificat, valable du 14 au 23 décembre, à la suite d'une contre-visite, effectuée à la demande de Wunderman, le 13 décembre 2011, qui avait conclu à la « Reprise immédiate » du travail.

La cour doit ainsi constater que l'état de santé de Mme [M] s'est objectivement dégradé, au moins pour la première période du 11 au 26 octobre 2011 (la seconde est plus problématique compte tenu du changement de médecin auquel Mme [M] a procédé et à propos duquel elle ne fournit aucune explication).

La cour considère qu'il n'est pas davantage contestable que cette dégradation est à mettre en relation avec la situation de Mme [M] au regard de son emploi au sein de la société Wunderman.

Mais il résulte de tout ce qui précède qu'il n'est pas possible de considérer qu'il y a eu des agissements répétés de l'employeur à l'origine de cette dégradation.

L'analyse chronologique et la teneur des échanges démontrent d'une part, que Mme [M] avait anticipé et souhaité un changement dès avril 2011, dont elle connaissait la nature quant à ce qu'elle allait quitter (la direction du 'compte Microsoft') sans pour autant avoir clairement identifié elle-même ses souhaits au sein de l'entreprise, étant souligné que, dans son entretien d'évaluation de mai 2011, elle manifestera clairement qu'elle était disponible non seulement pour un poste 'national' mais pour des fonctions 'à l'international'.

Mme [M] peut d'autant moins reprocher à son employeur le déroulement ultérieur des événements qu'elle a bénéficié d'une promotion, tandis qu'elle ne pouvait, de par sa position au sein de la structure de la société, rien ignorer des réussites ('Gemalto') ou des échecs ('Danone') de Wunderman au cours de l'année 2011, du calendrier fixé pour Mme [I] (à 15 jours près), de la nécessité de trouver de nouveaux clients de grande importance, du développement stratégique envisagé (Wunderman World Health France) qui lui aurait été confié si elle l'avait accepté.

Mme [M] peut d'autant moins reprocher à son employeur cette attitude qu'elle ne démontre en rien les conséquences négatives qu'aurait pu avoir pour elle le départ de la direction du 'compte Microsoft' pour être placée directement auprès de M. [S].

Enfin, il ne peut pas être reproché par Mme [M] des agissements répétés de son employeur à son égard, dès lors que la seule action de ce dernier a consisté à décider d'une nouvelle organisation de la société, en plaçant Mme [I] à la tête du compte 'Microsoft', Mme [M] ne pouvant déplorer des réponses négatives successives sur la seule et unique demande qu'elle ait faite (outre de conserver le 'compte Microsoft'), à savoir obtenir le 'compte Gemalto', dont elle savait pertinemment qu'il avait été conquis par une autre salariée et qu'il était, au départ, d'une importance bien moindre que le volume des affaires dont elle avait la charge.

La cour dira que le harcèlement reproché n'est pas établi.

Sur le contrat de travail de Mme [M]

Mme [M] considère que le changement décidé par Wunderman constitue une modification unilatérale répréhensible de son contrat de travail.

Elle souligne, à cet égard, qu'elle n'a rejoint Wunderman que pour suivre le compte Microsoft (la cour note que Mme [M] était déjà chargée des relations avec cette société chez son précédent employeur), que c'est d'ailleurs en ce sens qu'était rédigée l'annonce à laquelle elle a répondu, que la gestion du compte est une partie intégrante de son contrat de travail, que la nouvelle affectation qui lui était proposée « constitue indéniablement une forte diminution de ses responsabilités et une modification de la nature de ses fonctions », tandis que le « refus d'une modification du contrat de travail constitue un droit absolu du salarié ».

La cour observe que l'annonce ne faisait pas du 'Directeur Conseil' recherché le propriétaire, si l'on peut écrire, de ce compte, mais précisait qu'il serait le « point de contact privilégié avec le client local mais aussi EMEA et USI » « (a)u sein de l'équipe Microsoft France ». Il est également constant que la lettre d'engagement adressée à Mme [M], le 28 avril 2008, indiquait : « ' nous sommes prêts à vous engager au sein de notre société, le plus rapidement possible, en qualité de Directrice Conseil Microsoft France ».

Mais, en tout état de cause, le contrat de travail signé le 1er juillet 2008 ne fait aucunement mention de 'Microsoft' non plus que d'une autre entreprise, mais uniquement de « Cessionnaires », entendus comme étant les annonceurs, les clients ou la société Wunderman elle-même.

Aux termes de l'article 3 de ce contrat, il est prévu que Mme [M] « exercera pour le compte de la Société toute mission qui pourra lui être confiée par celle-ci, compte tenu des directives générales ou particulières qui lui seront données par la Direction.

Les fonctions confiées à (Mme [M]) sont par nature évolutives et pourront être modifiées par l'Entreprise en fonction des nécessités d'administration et de gestion qu'elle détermine.

(Mme [M]) devra consacrer tout son temps de travail et son activité professionnelle à sa fonction et s'engage à ne travailler pour aucune autre entreprise, même non concurrente » (souligné par la cour).

Il résulte incontestablement de ce qui précède que, si Mme [M] pouvait légitimement revendiquer avoir été embauché pour être responsable du compte 'Microsoft' au sein de la société Wunderman (la lettre d'engagement), elle savait, dès la signature de son contrat, que sa mission, « par nature évolutive » pourrait être modifiée et elle s'était engagée à exercer « toute mission » qui lui serait confiée.

Par ailleurs, il faut rappeler que c'est Mme [M] qui est à l'origine du changement auquel il a été procédé : elle en a manifesté très clairement la volonté, oralement et par écrit, à de nombreuses reprises et ce, alors qu'ainsi que le montre l'échange de courriel avec Mme [I], elle sait depuis avril 2011 ce qui va se passer au sein du compte Microsoft (le courriel laisse même penser, ce qui serait à son honneur, que Mme [M] avait organisé sa succession).

En tout état de cause, il ne saurait être dénié à l'employeur le droit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, d'affecter les salariés de son entreprise aux tâches qu'il estime nécessaire de voir accomplies, pour autant que cette affectation s'effectue dans le respect des droits du salarié concerné.

Il convient ainsi, en premier lieu, de vérifier si le changement d'affection envisagé aurait eu un effet négatif sur les responsabilités de Mme [M].

Contrairement à ce que celle-ci soutient, ce changement n'opérait pas pour autant une perte de responsabilités. Il s'agissait soit de prendre en charge divers comptes, certes moins importants au moment de leur reprise, mais nécessitant des qualités dont Mme [M] disposait pour les développer, d'autant plus que leur volume total aurait été plus important que celui du 'compte Microsoft' ; soit, de développer de nouveaux marchés, ou une nouvelle stratégie, en étant placée directement auprès d'un directeur général ; soit les deux ensemble.

La cour doit, certes, admettre que Mme [M] aurait pu se retrouver dans une situation la conduisant à superviser non pas une équipe d'une vingtaine de personnes, mais plusieurs équipes de quelques personnes, dont le nombre total, au vu des éléments soumis, aurait pu être inférieur à vingt. Le changement aurait également eu pour effet que, au départ, le chiffre d'affaires que Mme [M] aurait eu à gérer aurait été inférieur à celui du compte 'Microsoft'.

Mais il doit être également admis que l'un des comptes au moins (le compte 'Ford') était destiné à se développer de manière sensible et à générer un chiffre (il est établi par les pièces versées que tel a bien été le cas).

En d'autres termes, le changement proposé n'opérait aucune perte de responsabilité.

Il aurait en revanche répondu à plusieurs des attentes, telles qu'exprimées par Mme [M] encore dans sa lettre du 10 août 2011, de celle-ci.

En deuxième lieu, il est établi que le changement qui serait intervenu n'aurait entraîné aucune perte de rémunération.

Il faut, en troisième lieu, tenir compte de la visibilité du poste proposé.

Non seulement le changement n'aurait entraîné aucune perte de visibilité mais, au contraire, il aurait placé Mme [M] directement auprès de M. [S], directeur de l'agence Wunderman France.

Il convient de rappeler ici que Mme [M], au mois de juillet 2011, a bénéficié d'une promotion et est devenue directrice commerciale.

En quatrième lieu, Mme [M], aurait accru ses chances, comme elle le souhaitait, d'explorer des possibilités à l'international.

Ainsi, le changement d'affection envisagé par Wunderman, qui répondait à une demande de changement de Mme [M], correspondait précisément aux qualifications et à l'expérience au sein de l'entreprise de celle-ci, n'entraînait aucune perte de rémunération, aucune perte de visibilité, aucune perte de responsabilité, relevait du pouvoir de direction de l'entreprise.

Finalement, Mme [M] a été responsable du compte 'Microsoft' pendant deux ans et demi. Elle ne peut ainsi aucunement prétendre que la société n'aurait pas respecté les termes du contrat souscrit, en ce compris la lettre d'engagement.

Il résulte de tout ce qui précède que Mme [M] n'est aucunement fondée à reprocher à Wunderman une modification unilatérale irrégulière de son contrat de travail.

Sur la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dans sa prise d'acte, Mme [M] n'exprime aucun autre élément que ceux rappelés ci-dessus, dont elle estime qu'ils sont constitutifs d'une modification unilatérale de son contrat de travail ou de harcèlement, dont la cour vient de considérer qu'ils ne sont pas établis.

La cour rejettera donc la demande de Mme [M] de requalifier sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et dira qu'elle constitue une démission.

Sur la demande reconventionnelle de paiement de l'indemnité forfaitaire de préavis

Le CPH a rejeté cette demande de la société au motif que Wunderman ne justifiait pas d'un préjudice.

Mme [M] ne conteste pas ne pas avoir accompli de travail pendant la durée du préavis.

Sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail constituant une démission, Mme [M] sera condamnée à payer à Wunderman la somme de 26 758 euros correspondant au préavis non exécuté.

Sur la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Aucune considération d'équité ne conduit à condamner l'une des parties à payer à l'autre une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [M], qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, et par décision contradictoire,

Infirme le jugement entrepris ;

Déboute Mme [T] [M] de sa demande de dommages intérêts pour harcèlement moral ;

Déboute Mme [T] de sa demande de requalification de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et dit que sa prise d'acte constitue une démission ;

Condamne Mme [T] [M] à payer à la société Wunderman SAS la somme de 26 758 euros au titre du préavis non effectué ;

Déboute Mme [T] [M] et la société Wunderman SAS de leur demande respective d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;

Condamne Mme [T] [M] aux dépens.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Céline Fardin, Greffier auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 5e chambre
Numéro d'arrêt : 13/02104
Date de la décision : 18/12/2014

Références :

Cour d'appel de Versailles 05, arrêt n°13/02104 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-12-18;13.02104 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award