COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88H
OF
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 DECEMBRE 2014
R.G. N° 13/01368
AFFAIRE :
[V] [U]
C/
SAS ONE PLANET
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES [Localité 3]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Février 2013 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES
N° RG : 10/01795/V
Copies exécutoires délivrées à :
Me Sylvie ASSOUNE
Me Véronique MENASCE-
CHICHE
SCP GAUD MONTAGNE CREISSEN
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES [Localité 3]
Copies certifiées conformes délivrées à :
[V] [U]
SAS ONE PLANET
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX HUIT DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [V] [U]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Sylvie ASSOUNE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : W04
APPELANT
****************
SAS ONE PLANET
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Véronique MENASCE-CHICHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G413 et par Me Bérangère MONTAGNE, substitué par Me Elisa SILVA de la SCP GAUD MONTAGNE CREISSEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0430
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par M. [C] [K] en vertu d'un pouvoir général
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 06 Novembre 2014, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Céline FARDIN
Par requête en date du 08 décembre 2010, M. [V] [U] a saisi la caisse primaire d'assurance maladie des [Localité 3] aux fins de conciliation préalable en vue de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, à la suite de l'accident du travail dont il a été victime le 15 décembre 2008 (un procès-verbal de non-conciliation a été dressé le 23 septembre 2011).
Par ailleurs, M. [U] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Yvelines (ci-après, le TASS), le 09 décembre 2010, aux fins de désignation d'un expert médical.
M. [U] a ensuite, le 13 décembre 2010, saisi le TASS d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. M. [U] demandait également au TASS de dire qu'il avait subi un préjudice au titre des souffrances physiques et morales endurées, ainsi qu'un préjudice esthétique, d'ordonner une expertise et lui allouer une provision à valoir sur ses préjudices d'un montant de 10 000 euros.
Par jugement en date du 27 février 2013, le TASS a débouté M. [U] de l'ensemble de ses demandes.
M. [U] a relevé appel de cette décision.
Vu les conclusions déposées en date du 06 novembre 2014 pour M. [U], qui sont celles déposées le 08 novembre 2012, ainsi que les pièces y afférentes, y compris celles déposées à l'audience, et celles déposées pour la société One Planet SAS, le 06 novembre, ainsi que les pièces y afférentes, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 06 novembre 2014.
FAITS ET PROCÉDURE,
A titre préliminaire, la cour observera que le conseil de M. [U] a sollicité le renvoi de cette affaire au motif, notamment, qu'elle n'avait pu s'entretenir récemment avec ce dernier, toujours très affecté par l'accident en cause ; que les conseils de la société s'y sont opposés ; qu'afin de ne pas s'exposer à la radiation, à laquelle les conseils de la société s'opposaient également, le conseil de M. [U] a décidé de présenter ses arguments.
Cela étant, les faits et la procédure peuvent être présentés de la manière suivante :
M. [V] [U] a été embauché en qualité de chef-opérateur par la SAS One Planet, dans le cadre d'un contrat d'intermittent du spectacle, en date du 17 novembre 2008, pour tourner un documentaire dit 'animalier' (« Desperate Wildlives »), au Kenya.
Ce contrat prévoyait un engagement du 25 novembre au 22 décembre 2008, soit 23 jours sur place au Kenya et quatre jours pour le voyage.
L'équipe de tournage (qui comprenait entre autres, M. [P] [I], cameraman indépendant) bénéficiait des services de personnels de la société Earvs Safaris, soit un responsable d'agence (M. [Q]), un cuisinier, deux guides/chauffeurs et un garde.
L'hébergement se faisait dans un camp de tentes, situé dans la réserve de [1], au Kenya, non loin de la frontière avec la Tanzanie.
Le 15 décembre 2008, vers 21 heures, le campement était attaqué.
M. [U] était blessé par les assaillants, s'enfuyait, était poursuivi, tentait de trouver refuge aux abords de la rivière Mara (la cour reste volontairement imprécise à ce stade des débats, compte tenu de la nature des arguments exposés par les parties).
M. [U] était retrouvé peu après, par des membres de l'équipe.
Il était transporté à l'infirmerie la plus proche puis, le lendemain matin, à l'hôpital de [Localité 2], avant d'être pris en charge dans le cadre d'un rapatriement sanitaire, pour son retour en France.
Les certificats médicaux établis par les médecins de Nairobi font état de plusieurs blessures : lèvre inférieure fendue ; lacérations de la lèvre supérieure ; profonde lacération sur le côté droit de la poitrine antérieure ; fractures de la 4ème et de la 7 ème cotes droites ; ecchymose sur le pied gauche. Les radiographies et scanners effectués ne devaient montrer aucune autre blessure physique.
Le 16 décembre 2008, One Planet effectuait une déclaration d'accident du travail.
Le 18 décembre 2008, M. [U] était de retour en France.
Le 22 décembre 2008, le certificat médical délivré à M. [U] faisait état de fracture des côtes « multiples, gril costal droit, excoriations cutanées multiples au niveau du membre inférieur gauche, syndrome post-traumatique, plaie profonde de l'hémitorax droit ».
Le 27 janvier 2009, un nouveau certificat médical est établi, qui fait état d'un syndrome dépressif réactionnel à un sentiment d'abandon dans le contexte d'un syndrome post traumatique.
M. [U] subira un arrêt de travail, du 24 août au 28 février 2010, pour capsulite rétractive épaule droite.
Par jugement en date du 14 décembre 2012, le conseil de prud'hommes de Paris(CPH) :
. a condamné la société SAS One Planet (ci-après, One Planet, ou la société) à payer à M. [V] [U], diverses sommes :
- 3 841,50 euros à titre d'heures supplémentaires et les congés payés y afférents ;
- 975 euros à titre de rappel de salaire sur dimanches travaillés ;
- 1 000 euros à titre d'hébergement non conforme aux dispositions légales ;
- 500 euros à titre de dommages intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire ;
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
. a débouté M. [U] de ses autres demandes et notamment de ses demandes de rappel de salaire et de complément de salaire ; et,
. a débouté la société de sa demande reconventionnelle de dommages intérêts pour propos mensongers et calomnieux et atteinte à son image.
Le 27 févier 2013 est intervenu le jugement du TASS dont appel.
SUR CE,
Sur la faute inexcusable
M. [U] fait valoir, notamment, que One Planet ne pouvait pas ne pas avoir conscience des dangers auxquels elle exposait son salarié et n'avait pris aucune mesure de prévention.
La défense de M. [U] souligne ainsi que les conditions d'hébergement étaient tout à fait précaires (sous tente, douches froides sommaires, pas d'autres toilettes qu'un trou entouré de bâches, etc.) alors que se trouvait à proximité un hôtel-lodge « tout confort » ; que rien n'était prévu pour se prémunir des dangers d'éventuelles attaques d'animaux sauvages ; que le climat politique était tendu ; que la criminalité au Kenya est « l'une des plus élevées d'Afrique » ; que le garde n'était armé que d'une machette, alors que du matériel de grande valeur se trouvait dans l'enceinte du camp. C'était provoquer le danger que d'arriver sur place et dans ces conditions avec une tel matériel : « L'employeur a sciemment exposé ses salariés à l'attaque dont ils ont été victime » (sic).
Enfin, M. [U] avait « été particulièrement troublé par l'indifférence dont la production (avait) fait preuve à son égard dans les mois qui ont suivi l'accident ».
La défense de One Planet sollicite, à titre principal, la confirmation du jugement entrepris.
A titre subsidiaire, One Planet plaide le rejet des demandes de M. [U] tendant à obtenir une majoration de la rente et une indemnisation de « prétendus préjudices ».
A titre infiniment subsidiaire, One Planet conclut au rejet des demandes d'expertise et de provision.
La société One Planet fait ainsi valoir, notamment, que c'est à M. [U] qu'il appartient de démontrer qu'elle a commis une faute inexcusable ; que le parc dans lequel avait lieu le tournage est « sûr » (aucune attaque en 24 ans) ; que toutes les autorisations nécessaires avaient été obtenues ; que les conditions d'hébergement, à supposer même qu'elles soient celles décrites par M. [U], étaient « sans aucun lien avec les faits en cause » ; qu'à l'époque, le parc n'était pas considéré comme une zone dangereuse, le Ministère des affaires étrangères recommandant, à l'époque, une simple « vigilance normale » ; que les pièces soumises par la défense de M. [U], pour établir le caractère dangereux de la situation, datent de trois ans après les faits ou concernent des zones géographiques sans aucun rapport (îles de l'océan indien, Tanzanie) ; que l'accident survenu était imprévisible ; que la consommation de substances illicites par M. [U] « a pu être à l'origine de l'attaque 'particulière' dont il a été victime » .
Au demeurant, selon One Planet, M. [U] ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre l'accident et les séquelles postérieures ayant motivé ses arrêts de travail et, spécialement, entre l'agression dont il a été victime et le « syndrome dépressif réactionnel à un sentiment d'abandon dans le contexte d'un syndrome post-traumatique » qui justifie les arrêts de travail à partir du mois de février 2009, d'autant que c'est M. [U] qui avait souhaité « coup(er) court à tout contact avec One Planet », alors qu'il avait très « entouré » depuis l'accident.
En outre, M. [U] ne rapportait pas la preuve du lien de cause à effet entre cet accident et la 'capsulite rétractile de l'épaule droite' dont il avait souffert, huit mois après l'accident, d'autant que cette pathologie fait partie des troubles musculo-squelettiques repérés chez les opérateurs de prises de vue.
La société One Planet considère que M. [U] est de mauvaise foi : il a enfreint les dispositions du code de la sécurité sociale en accomplissant des activités professionnelles non autorisées (One Planet fait ici référence à la participation à deux jury de festival, en 20069 et 2010) ; les « indemnités journalières versées par la CPAM (avaient) manifestement plus que compensé la perte de gain qui aurait dû découler de l'incapacité temporaire de travail couverte par les indemnités journalières versées » et, enfin, que M. [U] est un « manipulateur » car, contrairement à ce qu'il a indiqué sur son curriculum vitae lors de son embauche, il n'avait « jamais travaillé en 2008 ».
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié (la conscience étant appréciée par rapport à un employeur normalement diligent) et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage.
La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime d'en apporter la preuve.
Dans cette perspective, la cour doit constater que les arguments développés par M. [U] n'apportent pas cette preuve.
La circonstance que les conditions d'hébergement auraient été pour le moins spartiates est, en l'espèce, totalement inopérante car aucun lien, si ténu soit-il, ne peut être établi entre de telles conditions et l'attaque dont le campement a fait l'objet : un campement 'de luxe', comme il en existe, aurait pu tout aussi bien être attaqué.
De plus, contrairement à ce que suggère M. [U], qui ne produit d'ailleurs à cet égard, pour l'essentiel, que des éléments soient bien antérieurs soit bien postérieurs à l'accident, il est faux d'affirmer que le Kenya était considéré, alors, comme l'une des régions les plus dangereuses d'Afrique.
D'une part, il convient de distinguer les villes, et notamment la capitale, Nairobi, du reste du pays.
D'autre part, le parc naturel du [1] était, au contraire, réputé pour sa capacité à accueillir de nombreux touristes dans les meilleures conditions.
Les recommandations du Ministère français des affaires étrangères étaient d'ailleurs d'exercer une « vigilance normale », ce qui ne traduit aucun danger particulier ni identifié.
La comparaison avec la situation à [Localité 1], capitale de la Tanzanie voisine, n'est pas davantage pertinente.
La seule circonstance que du matériel de grande valeur était entreposé dans l'enceinte du camp est tout aussi inopérante et ne suffit en tout état de cause pas à établir la faute inexcusable de l'employeur.
Outre que le matériel en cause n'est pas nécessairement la seule raison de l'attaque (alors que deux cameramen s'y trouvaient, celui qui a été directement attaqué, M. [U], avait consommé du cannabis, selon l'attestation produite par One Planet et non démentie), vu l'armement des assaillants, leur nombre et leur agressivité, tels que décrit par M. [U], même un garde doté d'une arme automatique aurait été insuffisant pour prévenir ou empêcher l'attaque dont le camp a été l'objet.
M. [U] n'est ainsi pas fondé à reprocher à One Planet d'avoir organisé ou fait organier un campement pour lequel il n'y avait qu'un seul garde de sécurité, et seulement armé d'une machette.
En tout état de cause, une telle attaque n'était pas prévisible, pour One Planet, compte tenu du nombre de touristes séjournant dans le parc, dans lequel sont organisés de nombreux safaris et se tournent de nombreux films, ainsi qu'il est établi par les pièces de la procédure, alors qu'aucune attaque de ce type ne s'était produite depuis 24 ans, qu'aucune consigne particulière de sécurité n'avait été donnée, que ce soit par les autorités françaises ou les autorités locales.
Compte tenu de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner dès lors ses autres demandes, M. [U] sera débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société One Planet et la décision du premier juge sera confirmée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
L'équité commande de condamner M. [U] à payer à la société One Planet une somme de 1 000 euros, pour l'ensemble de la procédure, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, et par décision contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamne M. [V] [U] à payer à la société One Planet SAS une indemnité d'un montant de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;
Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Céline Fardin, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,