COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
19e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 04 DÉCEMBRE 2014
R.G. N° 13/01362
AFFAIRE :
[N] [V] épouse [R]
C/
SAS ICTDP L'Intimée est représentée par mon Confrère Frédéric RENAUD [Adresse 3]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Février 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY
N° RG : F12/00311
Copies exécutoires délivrées à :
Me Elisabeth DURET-PROUX
Me Frédéric RENAUD
Copies certifiées conformes délivrées à :
[N] [V] épouse [R].
SAS ICTDP L'Intimée est représentée par mon Confrère Frédéric RENAUD [Adresse 3]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATRE DÉCEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [N] [V] épouse [R]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Elisabeth DURET-PROUX, avocat au barreau du VAL D'OISE, (vestiaire : T.34) - N° du dossier 090914, substitué par Me ALVAREZ, avocat au barreau du VAL D'OISE
APPELANTE
****************
SAS ICTDP L'Intimée est représentée par mon Confrère Frédéric RENAUD [Adresse 3]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric RENAUD, avocat au barreau de LYON, (vestiaire : T 504)
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Octobre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Aude RACHOU, Président chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aude RACHOU, Président,
Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller,
Madame Marie-Christine HERVIER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Arnaud DERRIEN,
Madame [N] [V] a été embauchée le 12 novembre 1975 par la SARL DP Isolants en qualité de secrétaire.
Le 30 novembre 2007, la société MICEL-ICT rachetait la société DP Isolants dont le gérant majoritaire était monsieur [R], époux de madame [V].
Il était alors convenu entre les deux sociétés que madame [V] bénéficierait du maintien de son contrat de travail jusqu'à la fin de l'année 2011, date à l'époque prévue de son départ en retraite.
Par avenant au contrat de travail en date du 20 décembre 2007 à effet au 1er janvier 2008, madame [V] était nommée responsable du site d'[Localité 1], lieu d'implantation de la société DP Isolants.
Le 1er septembre 2009, le site d'[Localité 1] a été transféré à [Localité 3] dans le cadre d'un regroupement des sites de production des sociétés MICEL-ICT et DP Isolants.
A compter de cette date, madame [V] reste la seule salariée à [Localité 1].
Le 1er janvier 2010, les deux sociétés fusionnaient et devenaient SAS ICTDP.
Par avenant au contrat de travail à effet au 1er janvier 2010, il était convenu entre les parties que madame [V] exerce les fonctions de cadre commercial coefficient 900 depuis son domicile situé à [Localité 2] dans le Val d'Oise (95) par le biais du télé travail.
Sa rémunération moyenne mensuelle était en dernier lieu de 5.102,48 € brut (moyenne plus favorable des trois derniers mois de salaires).
La convention collective applicable est celle de la plasturgie.
La société emploie 25 salariés.
En 2011, la société a déménagé à [Localité 4], commune située à proximité de [Localité 3].
Dans le cadre du regroupement de tous ses services au sein du nouveau siège social à [Localité 4], la société ICTDP a proposé à [N] [V], par courrier du 16 décembre 2011, une mutation sur ce site que celle ci a refusée.
Le 31 janvier 2012, la société ICTDP a convoqué sa salariée par lettre recommandée avec accusé de réception pour le 14 février 2012 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement pour motif économique.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 mars 2012, la société a notifié à madame [N] [V] son licenciement pour motif économique.
Compte tenu de l'acceptation de son congé de reclassement, son contrat de travail a pris fin le 6 mars 2012.
Le 2 avril 2012, elle saisissait le conseil de prud'hommes de Montmorency (section encadrement) qui par jugement du 27 février 2012 a :
- dit que le licenciement de madame [N] [V] était dénué de cause réelle et sérieuse
- condamné la société à lui payer
* 27.831 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 890 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [N] [V] a régulièrement interjeté appel de cette décision le 27 mars 2013.
Aux termes de ses conclusions du 21 octobre 2014 soutenues oralement à l'audience, elle demande à la cour la confirmation de la décision en ce qu'elle a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et sa réformation sur le quantum des dommages et intérêts alloués qui seront portés à la somme de 167.000 €, outre 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions du 9 septembre 2014 soutenues oralement à l'audience, la société ICTDP interjette appel incident et demande à la cour le débouté de [N] [V] et subsidiairement la confirmation de la décision du jugement déféré, outre 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience du 21 octobre 2014 ;
Vu la lettre de licenciement ;
SUR CE :
Sur le licenciement :
Considérant qu'en application de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, à une réorganisation de l'entreprise ou, dans certaines conditions, à une cessation d'activité ;
Considérant que la société ICTDP soutient que le licenciement intervient dans le cadre de la réorganisation de l'entreprise pour stopper le recul du chiffre d'affaires et prévenir des perspectives économiques mauvaises pour 2011 ;
Mais considérant que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;
que cette lettre ne fait référence ni à un recul du chiffre d'affaires ni à l'éventualité de perspectives économiques mauvaises pour 2011 ;
que la lettre indique :
' La société évolue sur un marché très concurrentiel qui impose une adaptation permanente aux évolutions de ses clients, fournisseurs et partenaires.
L'organisation commerciale de la société doit dans ce cadre être adaptée afin de pouvoir répondre de façon optimale aux besoins des clients.
A ce titre, nous avons investi dans des outils informatiques (ERP) qui permettent de répondre plus rapidement et de façon plus performante aux besoins des clients et dans un nouvel outil industriel en construisant un nouveau bâtiment de 2300 m² à [Localité 4] (59) permettant à la fois une meilleure organisation industrielle augmentant les capacités de production et améliorant les conditions de travail pour l'activité usinage composite.
Notre mode de collaboration tel qu'il existe actuellement, c'est à dire que vous travaillez à partir de votre domicile, n'est plus adapté à l'organisation qui est mise en place au sein de la société sur ce nouveau site, et ce pour les raisons suivantes qui vous avaient été présentées par monsieur [F] lors des différents entretiens que vous avez eus avec celui ci.
- La précision des réponses que nous devons apporter à nos clients nécessite un dialogue permanent entre les différents services, devis, ordonnancement et production. L'organisation des 18 derniers mois montre très clairement que le fait d'être sur des sites séparés, ne permet pas à la société ICTDP d'apporter une entière satisfaction à nos clients.
- L'utilisation du nouvel ERP mis en fonctionnement en juillet 2010 et sur lequel vous travaillez depuis début 2011 nécessite beaucoup de cohérence dans les informations saisies; à ce jour, force est de constater que malgré les formations qui vous ont été dispensées par le personnel de [Localité 3], la distance entraîne de nombreuses divergences (procédures de saisie partiellement respectées, création d'articles, fiches clients...). En outre, il apparaît difficile pour les équipes du siège, de par votre éloignement géographique, d'assurer une disponibilité optimale sur les questions que vous pouvez avoir quant à l'utilisation de l'ERP, et ainsi d'assurer une bonne disponibilité, gage de précision et de réactivité vis à vis des clients.
- La distance et de ce fait la difficulté à bien appréhender et maîtriser l'outil informatique génèrent de nombreux mails et appels téléphoniques (alors que ces mêmes demandes sont normalement gérées au fil de l'eau et instantanément en interne), qui surchargent les équipes dans leur travail, et de ce fait affectent la disponibilité qu'ils peuvent avoir vis à vis de vos demandes, et vont à l'encontre de la réactivité et de la précision que nous nous devons d'avoir vis à vis de nos clients.
- L'adaptation continue de notre organisation par rapport à l'activité économique, nous conduit à avoir des équipes regroupées sur notre nouveau site de Lalaing pour conserver et développer notre réactivité.
Dans ces conditions, il est apparu indispensable de mettre fin au principe du télétravail à votre domicile et ainsi de vous muter sur notre nouveau site de [Localité 4] qui devient aussi le siège social et l'unique site de la société, ceci afin d'améliorer notre organisation, et ainsi de permettre à notre société de rester performante et compétitive vis à vis de ses concurrents.'
Considérant que cette lettre met en avant le fait que la salariée ne s'est pas adaptée au maniement du nouvel outil informatique et par voie de conséquence vise un motif inhérent à sa personne et que force est de constater qu'elle ne caractérise aucune difficulté économique ni mutation technologique, se contentant de pétition de principe ;
qu'elle ne justifie pas davantage en quoi la réorganisation est indispensable à la sauvegarde de sa compétitivité ou de celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, visant une amélioration de celle ci et non pas sa sauvegarde ;
qu'enfin, il ressort des pièces versées aux débats et notamment des mails échangés entre [O] [F], directeur général de la société, avec des clients de la société ou avec madame [V] que dès juillet 2011, le transfert des clients de cette dernière était décidé ;
que par mail du 10 juin 2011, monsieur [F] demande à la salariée de venir à [Localité 3] ' pour que nous commencions à organiser votre départ de fin d'année ' comme il était initialement prévu lors de la cession de la société DP Isolants, celle ci pouvant bénéficier à cette date de droits à la retraite complets selon la législation en vigueur à l'époque ;
que ces pièces démontrent que la cause première et déterminante du licenciement de [N] [V] est le motif personnel et non pas économique ;
que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a dit le licenciement de [N] [V] sans cause réelle et sérieuse ;
Sur l'indemnisation :
Considérant que [N] [V], née le [Date naissance 1] 1953, était employée dans la société depuis 1975 ;
qu'elle n'a pas retrouvé de travail à la suite de son licenciement ;
qu'elle conclut à juste titre que cette perte d'emploi a une incidence directe sur le montant de sa retraite ;
qu'eu égard à ces éléments et au montant des derniers salaires perçus, la décision déférée sera réformée en son quantum ;
qu'il sera alloué à [N] [V] la somme de 122.000 € à titre de dommages et intérêts;
Considérant qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à [N] [V] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 6 mois ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles engagés en cause d'appel, il convient de lui allouer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que les frais de timbre fiscal de 35 € n'ont pas la nature de dépens ;
Par Ces Motifs
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire.
Confirme la décision déférée en ce qu'elle a dit le licenciement de madame [N] [V] sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société ICTDP à lui payer 890 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
la réformant pour le surplus,
Condamne la société ICTDP à payer à madame [N] [V] 122.000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
y ajoutant,
Ordonne le remboursement par la société aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à compter du jour de son licenciement et ce à concurrence de 6 mois.
Déboute madame [N] [V] de sa demande relative à la prise en charge du timbre fiscal de 35 € au titre des dépens.
Condamne la société ICTDP aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Aude RACHOU, Président et par Monsieur Arnaud DERRIEN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,