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04/12/2014 | FRANCE | N°12/03370

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 04 décembre 2014, 12/03370


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 DECEMBRE 2014



R.G. N° 12/03370

HG/AZ



AFFAIRE :



[E] [O]





C/

SA CEGEDIM









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Juillet 2012 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNES BILLANCOURT



N° RG : F 10/00848





C

opies exécutoires délivrées à :



Me Judith BOUHANA

Me Sonia HERPIN





Copies certifiées conformes délivrées à :



[E] [O]



SA CEGEDIM







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de VERS...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 DECEMBRE 2014

R.G. N° 12/03370

HG/AZ

AFFAIRE :

[E] [O]

C/

SA CEGEDIM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Juillet 2012 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNES BILLANCOURT

N° RG : F 10/00848

Copies exécutoires délivrées à :

Me Judith BOUHANA

Me Sonia HERPIN

Copies certifiées conformes délivrées à :

[E] [O]

SA CEGEDIM

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [E] [O]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Comparant en personne, assisté de Me Judith BOUHANA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0656 - N° du dossier 201261

APPELANT

****************

SA CEGEDIM

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Sonia HERPIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 03 Octobre 2014, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie BOSI, Président,

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Suivant contrat à durée indéterminée du 22 septembre 1997, M. [E] [O] a été embauché par la société Dentrite aux droits de laquelle se trouve la SA CEGEDIM, en qualité d' analyste programmeur.

La convention collective applicable est celle de l'Industrie pharmaceutique depuis le 1er janvier 2010. Auparavant c'est la convention collective Syntec qui s'appliquait.

La société compte plus de dix salariés.

Le dernier salaire brut mensuel de M. [O] s'élevait à 3 597 euros.

A la suite de la transmission universelle de patrimoine de la société Dentrite à la société Cegedim, le 31 décembre 2009, une harmonisation des statuts collectifs entre les salariés des deux entités a été recherchée.

Le 25 janvier 2010, M. [O] a adressé un email à plusieurs personnes, dans des termes que la société Cegedim a jugé outranciers.

Estimant que M. [O] avait abusé de son droit d'expression au cours des discussions, la société Cegedim l'a convoqué par courrier recommandé du 27 février 2010 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 4 février 2010.

Par courrier recommandé du 12 février 2010, elle a licencié M [O] pour faute grave.

Faisant valoir que son licenciement était nul puisqu'il avait été victime de harcèlement moral et, subsidiairement, qu'il était dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes Boulogne-Billancourt le 9 avril 2010.

En dernier lieu, le salarié a demandé au conseil de :

* dire son licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

* condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- 16 306,40 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 10 791 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1 079,10 euros au titre des congés payés afférents,

- 27,5 mois de salaire à titre d'indemnité pour licenciement nul et subsidiairement 18 mois de salaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 6 mois de salaire à titre d'indemnité pour harcèlement moral,

- 6 381 euros de dommages-intérêts pour préjudice lié à l'absence des mentions obligatoires relatives au DIF,

- 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

La société Cegedim a conclu au rejet des demandes et sollicité reconventionnellement la condamnation de M. [O] à lui payer la somme de  6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 6 juillet 2012, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a rejeté l'ensemble des demandes de M. [O], à l'exception de la demande de dommages-intérêts pour non respect des mentions relatives au droit individuel à la formation, la société ayant été condamnée à payer à M. [O] la somme de 700 euros à ce titre.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée dont M. [O] a signé l'avis de réception le 7 juillet 2012.

M. [O] a régulièrement relevé appel de la décision par voie électronique le 17 juillet 2012.

Dans ses dernières conclusions , M. [O] demande à la cour de :

- confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a condamné la société CEGEDIM au paiement de la somme de 700 euros en réparation du préjudice subi pour défaut de mention obligatoires quant au droit individuel à la formation,

- infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes le 6 juillet 2012 pour le surplus,

et statuant de nouveau,

- condamner la société CEGEDIM au paiement des sommes suivantes :

- 63 813,42 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 16 213,33 euros au titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 10 635,57 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 063,56 euros à titre de congés payés sur préavis.

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture vexatoire.

M. [O] demande également:

- le paiement des intérêts au taux légal compter de la date de la saisine du conseil de prud'hommes le 29 avril 2010 et la capitalisation des intérêts.

- la production sous astreinte de 100 euros par jour de retard des documents suivants : certificat de travail - solde de tout compte - attestation pôle emploi - bulletins de paie corrigés.

- de faire mention du salaire moyen de M [O] de 3 545,19 euros dans le 'jugement'

- de condamner la société CEGEDIM à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, la société Cegedim demande à la cour de:

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 700 euros au titre du non respect des mentions relatives au DIF,

- dire que le licenciement de M. [O] repose sur une faute grave,

- dire que le licenciement de M. [O] n'est pas nul,

- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

Subsidiairement la société Cegedim demande la confirmation du jugement dans son intégralité et en tout état de cause la condamnation de M. [O] au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS :

Sur le licenciement:

Considérant que la lettre de licenciement de M. [O] est ainsi rédigée:

« Au début du mois de janvier 2010, la Direction de Cegedim a conduit avec les organisations syndicales une négociation visant à la conclusions d'un accord d'harmonisation des statuts collectifs Cegedim et Dendrite.

(')

C'est dans ce contexte que le 22 janvier 2010, la Direction de Cegedim a organisé une

réunion pour présenter aux collaborateurs « ex-Dendrite » le détail des conditions d'harmonisation du statut social de l'ensemble des salariés de Cegedim.

Or, à la suite de cette réunion plénière vous avez pris la liberté d'adresser un courrier

électronique le 25 janvier 2010 à l'ensemble de vos collègues « ex-Dendrite » et aux délégués

syndicaux dont les termes outranciers sont parfaitement inacceptables à bien des égards.

En effet, vous avez diffusé depuis votre messagerie professionnelle à près de 40 collaborateurs, en l'occurrence l'ensemble de vos collègues ex-dendrite, ainsi qu'aux délégués syndicaux un message inadmissible.

Dans ce message, il s'avère que vous remettez ostensiblement en cause la capacité de

réflexion et de décision de vos collègues et en particulier des représentants du personnel et représentants syndicaux de l'entreprise.

Vous mettez en porte à faux ces derniers en écrivant par exemple : « Les syndicats commenceront donc par nous expliquer ».

Vous écrivez à vos collègues : « Ainsi chaque salarié pourra faire le choix de se faire

enc'ercler par des dispositions plus ou moins (dès)avantageuses ou de se faire raccompagner jusqu'au hall d'entrée avec son carton et les indemnités qu'il aura négociées ».

En outre, vous dénigrez de manière outrancière les décisions et les actions prises par la Direction de la société Cegedim et ce, en employant un ton totalement déplacé voire diffamatoire.

A titre d'exemples non exhaustifs, vous indiquez : - « ' la forme employée par Cegedim pour nous faire part de cet accord de fusion est proprement scandaleuse' »

- « La direction nous met au pied du mur ' »

- « De plus c'est avec le couteau sous la gorge qu'on nous laisse entendre à demi-mots ' »

- « ce chantage n'est pas acceptable et relève davantage d'une dictature que d'une relation de travail loyale »

- « 'cela relève d'une généreuse bonté de la part de la direction' ou d'une lamentable supercherie ' Généreux l'accord ! »

- « Cegedim a-t-elle prévu les sacs de riz et les sachets de pâtes dans la proposition d'accord ' »

- « Comme la direction fait semblant ' »

- « 'racheter d'autres boites pour leur faire le même coup. Il faudra donc qu'ils inventent un motif et sur ce plan-là par contre je leur fais entièrement confiance. A chacun de voir ! »

- « 'actions sournoises et expédiées' »

- « 'laissons la direction s'enliser d'elle-même dans ses propres erreurs ».

De surcroit, vous faites preuve d'un manque de respect flagrant en la personne de Monsieur [Y] [J], Directeur du personnel de Cegedim. Vous tenez à son égard des propos dénigrants tels que :

- « ' des propos incomplets, voire fallacieux de M.[J]' »

- « M.[J] en effet nous vend sa sauce comme un véritable vendeur de cuisines ».

En adressant un tel courriel à l'ensemble de vos collègues « ex-Dendrite » vous donnez une pubicité déplacée à votre message dénigrant. De surcroît, une telle communication tend à nuire gravement au bon déroulement de la négociation en cours.

Les propos que vous avez tenus dans votre courriel du 25 janvier 2010 sont intolérables : le dénigrement auquel vous vous êtes livré, la remise en cause aussi vindicative des délégués syndicaux, de la Direction de Cegedim, de vos collègues ex-Dendrite et de la personne de Monsieur [Y] [J] sont totalement inacceptables.

Ils témoignent d'un manque de respect évident, tant ils relèvent d'un abus manifeste de votre

droit d'expression.

Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien

même temporaire dans l'entreprise. ».

Considérant que M. [O] fait valoir que le 25 janvier 2008, la direction de la société Cegedim lui a remis une convention de transfert qu'il a refusé de signer ; qu'il a été convié le 22 janvier 2010 à une réunion de présentation du projet d'accord collectif d'harmonisation comme les autres salariés;

Considérant qu'il souligne l'enjeu des négociations sur l'accord d'harmonisation, celui-ci s'appliquant s'il était signé par les organisations syndicales et, à défaut, la direction pouvant après 15 mois d'application des deux conventions collectives, prendre les dispositions légales qu'elle souhaitait sans négociation ;

Considérant que M. [O] expose que c'est dans ce contexte et alors qu'il ne pouvait être présent pour assister à la réunion des représentants syndicaux du 26 janvier 2010 qu'il a souhaité faire connaître sa forte opposition sur le projet d'accord ; qu'il invoque les dispositions de l'article L 1228-1 du code du travail reconnaissant aux salariés un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercices et l'organisation de leur travail ;

Considérant qu'il fait valoir qu'il n'aurait abusé de ce droit que si le propos était injurieux, diffamatoire ou excessif ; que le courriel qui lui est reproché d'avoir écrit n'était pas destiné à l'employeur, qui l'a obtenu par des moyens illicites, mais seulement aux salariés 'ex-Dentrite' c'est-à-dire à un nombre restreint de salariés ayant une communauté d'intérêt et qu'il s' inscrivait dans le cadre d'un débat avec les organisations syndicales, sur des sujets d'inquiétude pour les salariés ;

Considérant enfin que M. [O] fait valoir qu'il a employé une familiarité de ton habituelle pour lui qui n'avait jusque là encore jamais été relevée par l'employeur ni sanctionnée ; que cette liberté de ton est d'ailleurs réciproque puisque l'employeur l'avait lui-même traité d'imbécile dans un courriel adressé à 10 cadres dirigeants ;

Considérant que la société Cegedim réplique que le courriel dont elle a eu connaissance par la transmission que lui en a faite un autre salarié, ne portait aucune mention d'un caractère personnel et pouvait donc être librement consulté par l'employeur, même hors la présence du salarié ; que si le salarié dispose d'un droit d'expression, celui-ci ne saurait permettre des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que M. [O] a admis avoir manqué de respect envers la direction ; que les conclusions qu'il a développées en première instance témoignent de son caractère provocateur ; que ses propos s'inscrivent dans une attitude très négative depuis le rachat de la société Dentrite par la société Cegedim ;

Considérant que le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, d'une liberté d'expression ; qu'il ne peut cependant en abuser en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ;

Considérant que, pour apprécier la gravité des propos tenus par le salarié, il doit être tenu compte du contexte dans lequel ces propos ont été tenus, de la publicité que leur a donné le salarié et des destinataires du message ;

Considérant qu'en l'espèce, M. [O] a écrit un email intitulé 'point sur la fusion Dentrite Cegedim après la réunion plénière: message destiné EXCLUSIVEMENT aux ex salariés Dentrite et aux délégués syndicaux' ; qu'il manifeste la volonté de faire connaître son opinion personnelle sur un projet d'accord soumis par la direction de la société aux représentants syndicaux avant que ces det,oers ne procèedent à la consultation des salariés lors d'une réunion fixée le 26 janvier 2010 à laquelle il ne peut assister:

'Je donne un avis fortement défavorable à la signature de cet accord par les syndicats et vais m'en expliquer. Bien entendu il s'agit d'un avis strictement personnel, qui n'engage que moi. Chacun est libre d'avoir une opinion contraire et de l'exprimer. Je conçois tout à fait que nos situations et objectifs professionnels soient différents. Nos délégués vont recueillir l'accord de chacun lors de la réunion qu'ils organisent mardi avant de prendre une décision concernant la signature de cet accord. Ils ne manqueront pas de nous faire part de leur propre expertise sur la question étant donné que Cegedim n'en est pas à sa première fusion.'

Considérant que la suite du mail comporte les termes relevés dans la lettre de licenciement et dont certains sont en effet excessifs ('chantage', 'forme employée scandaleuse', 'couteau sous la gorge', 'propos incomplets voire fallacieux de M. [J] qui semble bien pressé de voir signer ce texte', 'dictature', 'actions sournoises et expédiées', 'laissons la direction s'enliser elle-même dans ses propres erreurs' ) ou familier ('génial l'accord', 'merci l'accord' ', ainsi chaque salarié aura le choix de se faire enc..cercler par des dispositions plus ou moins (dés)avantageuses').

Considérant cependant que ces termes sont disséminés dans l'écrit de M. [O] que cours duquel il examine et critique certains points de l'accord soumis à la signature puis envisage l'hypothèse où l'accord ne serait pas signé et ce qu'il adviendrait pour les salariés pour 'dédramatiser' une telle hypothèse ;

Considérant que la forme des critiques, même vives, ne peuvent être dissociées des critiques sur le fond ;

Considérant qu'il ne peut être retenu, comme le fait l'employeur dans la lettre de licenciement que M. [O] ' remet ostensiblement en cause la capacité de réflexion de ses collègues et en particulier des représentants du personnel et les représentants syndicaux de l'entreprise' car son introduction démontre qu'il est au contraire prêt à en débattre ; qu'il a d'ailleurs immédiatement admis et corrigé une erreur sur l'un des points qu'il contestait et qu'il termine son mail en indiquant 'Nos délégués corrigeront mes éventuelles erreurs d'interprétation lors de la réunion de mardi, textes à l'appui. Je ne suis pas juriste, par conséquent des jurisprudences plus récentes ont pu m'échapper' et par 'je vous souhaite bonne réflexion pour donner votre avis' ;

Considérant au surplus que M. [O] démontre par la production d'autres courriels échangés avec l'employeur, que celui-ci a supporté sans protester, des échanges très familier et des mises en cause personnelles ; qu'il n'a pas jugé bon d'avertir le salarié des limites de la liberté d'expression et ne lui a adressé aucun reproche sur la liberté de ton employée à son égard ; que c'est ainsi que l'employeur a déjà supporté que M. [O] lui écrive en 2008, à propos de l'attribution de tickets restaurant: 'expliquez moi de quel chapeau vous sortez vos barèmes de calcul. D'autant plus que vous m'annoncez cette fantaisie aujourd'hui avec un effet rétraoactif au 1er avril! Sympa votre poisson ! que ma tête ne vous revienne pas est une chose, que vous vous la payez en est une autre!' ; que M. [E] [O] établit que cette réponse a été faite à la directrice des ressources humaines qui avait écrit : 'j'ai eu pour info [E] en ligne qui bien évidemment a joué à l'imbécile', M. [O] ayant été par erreur également destinataire du mail ;qu'à l'occasion d'un différend fin 2007 sur une inscription de M. [O] à une formation, de dernier a écrit: 'on pourrait s'amuser en vous lisant d'apprendre qu'une direction des ressources humaines peut être totalement désorganisée par... la seule absence d'un salarié (et..)Ne trouvez vous pas contradictoire vos propos repoussant ma formation à la saint Glinglin (...) Faut-il que je m'habitue dès à présent aux promesses non tenues de la nouvelle direction''

Considérant que la liberté de ton que s'est arrogée M. [O] est donc ancienne et n'a donné lieu à aucune sanction ni remarque ; que ce salarié compte douze ans d'ancienneté ;

Considérant qu'en conséquence de ce qui précède, les propos reprochés au salarié, qui s'inscrivaient dans un mode d'expression déjà toléré à plusieurs reprises par l'employeur sans qu'il n'adresse au salarié aucune remontrance n'ont pas, au regard du contexte dans lequel ils ont été émis et des personnes à qui il était destiné, excédé le droit d'expression du salarié qui lui est reconnu par le droit du travail ; que ces propos vifs et parfois familiers trouvaient leur cause directe dans une communication de dernière minute avant une réunion où les autres salariés allaient être informés par des instances syndicales qui seraient amenées à critiquer ou approuver un projet, qu'ils n'étaient destinés qu'à éclairer d'autres salariés concernés par le même projet d'harmonisation et à défendre des droits pouvant être remis en cause ;

Considérant que le droit à la liberté d'expression est une liberté fondamentale du salarié, que M. [O] n'a fait qu'user de sa liberté d'expression quand il a critiqué l'accord d'harmonisation qui lui était soumis ; en conséquence le licenciement de M. [O] sera donc annulé;

Sur les conséquences pécuniaires:

Considérant que la société Cegedim fait grief à M. [O] de calculer les indemnités de rupture en utilisant une convention collective à l'application de laquelle il s'est opposé ; mais considérant que les critiques faites par M. [O] contre l'accord d'harmonisation n'ont pu empêcher cet accord ; que celui-ci prévoit en son article 2 que la convention collective applicable est, à compter du 1er janvier 2010 la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique et que du 1er janvier au 31 décembre 2011 les dispositions les plus favorables de la convention collective relative notamment au délai de préavis et indemnité de licenciement s'appliqueront au salarié si celui-ci en fait la demande ; que tel est le cas de M. [O] qui est donc bien fondé à invoquer les dispositions de la convention collective de l'industrie pharmaceutique qui lui sont plus favorables sur ces deux points et étaient applicables à la date de la rupture, le 12 février 2010 ;

Considérant qu'il sera fait droit à ses demandes sur la base du salaire de 3545,19 euros, somme à laquelle il demande sa fixation ;

Sur l'indemnité de licenciement:

Considérant que M. [O] avait 12 années d'ancienneté lorsqu'il a été licencié

Considérant que l'indemnité de licenciement, calculée en fonction des dispositions de l'article 33 de la convention collective, soit 9/30 de mois par année d'ancienneté jusqu'à 5 ans, 12/30 de mois de 5 à 10 ans d'ancienneté et 14/30ème de mois au delà, s'élève à 16 213,33 euros ;

Sur l'indemnité de préavis

Considérant qu'aux termes de l'article 32 de la convention collective applicable, M. [O] doit bénéficier d'une indemnité de préavis de 3 mois ; qu'il sera fait droit à sa demande en paiement de la somme de 10 635,57 euros à ce titre outre 1 063,56 euros au titre des congés payés afférents ;

Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul et pour rupture vexatoire:

Considérant que M. [O] fait valoir d'une part le préjudice subi pour licenciement nul et d'autre part les circonstances du licenciement qu'il estime avoir été vexatoires ; qu'à cet égard, il fait valoir qu'il a été licencié dans le seul but de le faire taire alors qu'il critiquait les termes d'un accord soumis aux salariés et gênait donc les projets de l'employeur ;

Considérant que ces deux préjudices peuvent être envisagés ensemble puisque c'est parce qu'il estimait que M. [O] avait abusé de son droit d'expression dans la critique de l'accord proposé à la signature des organisations syndicales que la société Cegedim a licencié M. [O] ;

Considérant qu'au regard des circonstances de la rupture, de l'ancienneté de M. [O] mais aussi de ce qu'il a retrouvé rapidement un emploi, il sera fait à sa demande de dommages-intérêts à hauteur de à hauteur de 35 000 euros ;

Sur les dommages-intérêts pour absence de mention du droit au bénéfice du droit individuel à la formation dans la lettre de licenciement:

Considérant que l'article L. 6323-19 du code du travail, impose à l'employeur d'informer son salarié, dans la lettre de licenciement de ses droits en matière de droit individuel à la formation ; que tel a été le cas en ce qui concerne M. [O] puisqu'il lui est précisé dans la lettre de licenciement : 'à la date de la rupture du contrat de travail, votre droit individuel à la formation (DIF) s'élève à 80,67 heures.' ;

Considérant qu' aucune disposition légale n'oblige l'employeur à mentionner les organismes de formation auxquels il peut s'adresser ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a octroyé à M. [O] une indemnité pour non respect du droit individuel à la formation ;

Sur les intérêts:

Considérant que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation soit le 30 avril 2010 ;

Considérant que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Considérant que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 du code civil ; que la demande en a été faite pour la première fois en cause d'appel le 3 octobre 2014 ;

Sur la remise des documents sociaux:

Considérant qu'il convient de faire droit à la demande de production de pièces de M. [O] qui sera ordonnée selon les modalités précisées au dispositif sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte ;

Sur l'indemnité de procédure et les dépens:

Considérant qu'il apparaît équitable d'indemniser M. [E] [O] des frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance et en appel ; que la société Cegedim sera condamnée à lui payer une somme de 3 000 euros pour les frais exposés tant en première instance qu'en appel ;

Considérant qu'il convient de rejeter la demande reconventionnelle formée à ce titre par la société Cegedim ;

Que celle-ci sera condamnée aux dépens ;

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme le jugement du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt en toutes ses dispositions,

et, statuant à nouveau:

Donne acte à M. [O] de ce qu'il demande la fixation de son salaire à la somme de 3545,19 euros

Dit que le licenciement de M. [E] [O] est nul,

En conséquence:

Condamne la société Cegedim à payer à M. [E] [O] les sommes suivantes:

- 16 213,33 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 10 635,57 euros à titre d'indemnité de préavis et 1 063,56 euros au titre des congés payés afférents,

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal depuis le 30 avril 2010,

- 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité du licenciement,

Dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière dans les conditions de l'article 1154 du code civil,

Déboute M. [E] [O] de sa demande au titre du non respect du droit individuel à la formation,

Ordonne la remise à M. [E] [O] par la société Cegedim d'une attestation destinée à Pôle emploi, d'un certificat de travail, de bulletins de salaire récapitulatifs rectifiés et conformes au présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu à ordonner d'astreinte,

Condamne la société Cegedim à payer à M. [E] [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Cegedim aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Sylvie BOSI, Président et par Mme Claudine AUBERT, greffier.

Le GREFFIERLe PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 12/03370
Date de la décision : 04/12/2014

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°12/03370 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-12-04;12.03370 ?
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