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20/11/2014 | FRANCE | N°13/00026

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 20 novembre 2014, 13/00026


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80H



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 20 NOVEMBRE 2014



R.G. N° 13/00026

MAB/AZ



AFFAIRE :



Me [Y] es qualités de commissaire à l'exécution du plan de SARL CERGY LOCATION SERVICES (CLS)

...



C/

[E] [Q]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Décembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation parit

aire de ST GERMAIN EN LAYE

Section : Activités diverses

N° RG : 11/00381





Copies exécutoires délivrées à :



la SELEURL CABINET GILLES

Me David METIN





Copies certifiées conformes délivrées à :



Me [Y] es qualités de commissaire à l...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80H

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 NOVEMBRE 2014

R.G. N° 13/00026

MAB/AZ

AFFAIRE :

Me [Y] es qualités de commissaire à l'exécution du plan de SARL CERGY LOCATION SERVICES (CLS)

...

C/

[E] [Q]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Décembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ST GERMAIN EN LAYE

Section : Activités diverses

N° RG : 11/00381

Copies exécutoires délivrées à :

la SELEURL CABINET GILLES

Me David METIN

Copies certifiées conformes délivrées à :

Me [Y] es qualités de commissaire à l'exécution du plan de SARL CERGY LOCATION SERVICES (CLS), SARL CERGY LOCATION SERVICES (CLS)

[E] [Q]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Me [Y] es qualités de commissaire à l'exécution du plan de SARL CERGY LOCATION SERVICES (CLS)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Comparant volontaire,

Représenté par Me Jean-marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0024

SARL CERGY LOCATION SERVICES (CLS)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-marie GILLES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0024

APPELANTS

****************

Monsieur [E] [Q]

[Adresse 3]

[Localité 3]

Comparant en personne, assisté de Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Septembre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, et Madame Hélène GUILLOU, Conseillers chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Clotilde MAUGENDRE, Conseiller,

Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

A compter du 30 mai 1996, M. [E] [Q] a été embauché pour une durée indéterminée par la société Cergy locations services, dénommée au présent arrêt la société CLS, en qualité de chauffeur-livreur ; en dernier lieu, son salaire mensuel de base pour 151,67 heures était fixé à 1 845 euros.

La société qui compte plus de dix salariés a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du 31 mars 2009 ; elle a pour activité la location de tous matériels relatifs à la restauration et aux réceptions, à destination des professionnels.

M. [Q] exerçait, dans le cadre d'une délégation unique, un mandat de délégué du personnel titulaire au sein de la société CLS, ayant été désigné à ces fonctions à la suite du second tour des élections du personnel organisées le 16 avril 2010.

La société CLS a adressé le 7 avril 2010 à l'inspection du travail une demande d'autorisation de licenciement de M. [Q] pour faute grave, aux motifs qu'il aurait utilisé à des fins personnelles, les 26 et 30 mars 2010 et le 2 avril 2010, la carte de carburant qui lui avait été attribuée pour approvisionner son camion en essence, étant précisé par la société qu'elle avait signifié une mise à pied conservatoire à son salarié le 2 avril 2010.

Cette autorisation a été refusée par l'inspecteur du travail le 19 avril 2010, au motif que l'employeur avait omis de respecter la procédure de licenciement en ne convoquant pas M. [Q] à un entretien préalable.

Par lettre du 21 avril 2010, M. [Q] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement, devant se tenir le 30 avril 2010 au cabinet de Maître [Y], administrateur judiciaire de la société ; par ce même courrier, il a été indiqué à M. [Q] que la mesure de mise à pied conservatoire était réitérée jusqu'à ce qu'il soit statué sur son cas.

Le 17 mai 2010, la société a déposé une plainte pénale qui a fait l'objet d'un classement sans suite le 25 janvier 2011.

Le 11 juin 2010, après enquête réalisée le 21 mai 2010, l'inspecteur du travail, saisi sur requête reçue le 7 mai 2010, a de nouveau refusé d'autoriser le licenciement de M. [Q] ; l'inspecteur du travail a relevé que si l'employeur a le droit de contrôler et surveiller l'activité de son personnel, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qu'après l'avoir porté à la connaissance des salarié, celui-ci considérant que dès lors que l'employeur avait fait suivre M. [Q] par un enquêteur professionnel agréé à l'insu de celui-ci, l'établissement des comptes rendus de filature constituait un moyen de preuve illicite.

Postérieurement au 12 juin 2010, la société n'a pas versé d'autre salaire à M. [Q] que le salaire correspondant à la période de mise à pied.

Par jugement du 29 juin 2010, le tribunal de commerce de Versailles a arrêté le plan de redressement de la société CLS et a désigné M. [G] [Y] en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

A la suite d'un recours hiérarchique formé par la société CLS par lettre du 20 juillet 2010, le Ministre du travail a confirmé, le 8 décembre 2010, la décision de l'inspecteur du travail.

Le 1er mars 2011, la société a déposé plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de M. [Q] ; une information a été ouverte pour escroquerie, abus de confiance et vol, la société indiquant- sans contestation du salarié- que celui-ci a fait l'objet d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.

Le 31 mai 2011, M. [Q] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, le salarié exposant dans ce courrier qu'il était 'sans travail et sans salaire'.

Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye le 18 juillet 2011.

En dernier lieu, devant le bureau de jugement du 7 novembre 2012, M. [Q] demandait au conseil, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :

- juger que la prise d'acte du 3 juin 2011 produit les effets d'un licenciement nul,

- fixer la moyenne de ses salaires à 1 845,50 euros,

- condamner la société CLS à lui payer les sommes suivantes :

*23 991,50 euros à titre de rappel de salaire allant du 1er juin 2010 au 1er juin 2011,

*2 399 euros à titre de congés payés afférents,

*3 691 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 369 euros de congés payés afférents,

*6 765 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

*20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 74 743 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour violation du statut protecteur,

*1 098 euros à titre du droit au droit individuel à la formation,

*1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-délivrance d'une attestation pôle emploi,

*1 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-ordonner la remise des bulletins de salaire, d'une attestation pôle emploi et d'un certificat de travail, conformes à la décision, sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans les huit jours de la notification du jugement,

- ordonner à la société de rembourser les indemnités de chômage dans les conditions de l'article L 1235-4 du code du travail.

La société concluait au débouté du salarié et sollicitait sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

* 3 691 euros au titre du préavis non effectué,

* 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

* 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 19 décembre 2012, le Conseil de Prud'homme de Saint Germain en Laye a fait partiellement droit aux demandes de M. [Q] et a :

- dit la saisine de M. [Q] recevable ;

- requalifié la prise d'acte de M. [Q] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 1er juin 2011,

- fixé la moyenne des salaires à la somme de 1 845,50 euros brute,

- condamné la société CLS à payer à M. [Q] les sommes suivantes :

*23 991,50 euros à titre de rappel de salaire allant du 1er juin 2010 au 1er juin 2011,

*2 399 euros à titre de congés payés afférents,

*3 691 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 369 euros de congés payés afférents,

*6 765 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

*19 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*1 098 euros au titre du droit au DIF ;

*1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-délivrance d'une attestation pôle emploi,

*1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-ordonné la remise d'un bulletin de salaire, d'une attestation pôle emploi et d'un certificat de travail, conformes à la décision,

- condamné la société CLS à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 21 juillet 2011, date de réception par le défendeur de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et du prononcé pour le surplus,

- rappelé les dispositions de l'article R 1454-28 du Code du Travail,

- débouté M. [Q] du surplus de ses demandes,

- débouté la société CLS de la totalité de ses demandes,

- ordonné le remboursement par la société CLS à l'agence pôle emploi des indemnités chômage versées ou à venir dans la limite de six mois au titre de l'article L1235-4 du Code du travail,

-Ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du Code de procédure civile sur la totalité du jugement,

- condamné la société CLS aux dépens de l'instance, dont le remboursement des timbres fiscaux de la saisine et les éventuels frais d'exécution forcée par voie d'huissier de justice.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée dont la société a signé l'avis de réception le 31 décembre 2012.

La société CERGY LOCATION SERVICE a régulièrement relevé appel de la décision par lettre recommandée postée le 31 décembre 2012.

Dans ses dernières conclusions, la société CLS et M. [G] [Y] qui intervient volontairement es qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société , demandent à la cour de :

* juger que la prise d'acte de l'intimé en date du 31 mai 2011 doit s'analyser comme une démission, avec toutes conséquences de droit,

* le débouter en conséquence de toutes ses demandes, fins ou conclusions,

Reconventionnellement :

* condamner M. [Q] à lui payer la somme de 3 691 euros au titre du préavis non effectué,

*condamner M. [Q] à lui payer la somme de 3 000 euros pour procédure abusive,

* condamner M. [Q] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,

* ordonner la restitution des sommes qu'elle a été amenée à verser au salarié en exécution de la décision de première instance,

- condamner M. [Q] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, M. [Q], assisté de son conseil, demande à la cour de :

- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondé,

- confirmer le jugement rendu le 19 décembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes de Saint Germain en Laye en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement,

- l'infirmer en ce qu'il a considéré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et statuant à nouveau juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul,

-confirmer le jugement sur le principe de la condamnation au paiement du rappel de salaire du 13 juin 2010 au 31 mai 2011,

- l'infirmer sur le quantum et statuant à nouveau, condamner la société CLS à lui payer 21 398,32 euros à titre de rappel de salaire du 13 juin 2010 à 31 mai 2011 et 2 139 euros au titre des congés payés,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

*fixé la moyenne des salaires à la somme de 1 845,50 euros bruts,

* condamné la société CLS à payer à M. [Q] les sommes suivantes :

-3.691 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 369 euros au titre des congés payés afférents,

- 6 765 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 19 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 098 euros au titre du DIF,

-1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-délivrance d'une attestation destinée à l'agence Pôle emploi,

* ordonné la remise d'un bulletin de salaire, d'une attestation destinée à l'agence Pôle emploi et d'un certificat de travail, le tout conforme à la présente décision,

* condamné la société CLSS à payer les intérêts de droits sur les salaires et éléments de salaire à compter du 21 juillet 2011, date de réception par le défendeur de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et du prononcé pour le surplus ;

* ordonné le remboursement par la société CLS à l'agence Pôle emploi des indemnités chômage versées ou à venir dans la limite de six mois au titre de l'article L 1235-4 du Code du Travail,

* condamné la société CLS aux dépens de l'instance et au paiement des éventuels frais d'exécution forcée par voie d'huissier de justice,

- l'infirmer en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes et statuant à nouveau,

- constater la violation du statut protecteur dont il bénéficiait,

- en conséquence, condamner la société CLS à lui verser la somme de 74 743 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour violation du statut protecteur,

- condamner la société CLS à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la société CLS aux dépens de l'instance et aux éventuels frais d'exécution par voie d'huissier de justice.

Il est précisé par la société qu'elle a réglé à M. [Q] la somme de 25 000 euros et qu'elle a consigné celle de 30 450,50 euros.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS :

Sur la prise d'acte de rupture :

Par lettre en date du 31 mai 2011, M. [Q] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en ces termes :

' Monsieur, à peine élu délégué du personnel vous m'avez convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement et mis à pied à titre conservatoire.

Monsieur, depuis un an, je suis désormais sans travail et sans salaire, ce qui constitue un manquement grave à vos obligations contractuelles.

Dans ces circonstances, j'entends par la présente prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts. (...)'

La société CLS soutient que cette prise d'acte de rupture doit s'analyser en une démission dès lors que l'abstention de M. [Q] de se présenter sur son lieu de travail est exclusivement le fruit de sa seule volonté et qu'il ne peut se plaindre de ne pas avoir perçu de salaire dès lors que le salaire est exclusivement la contrepartie d'un travail effectif ; si elle ne conteste pas ne pas avoir mis en demeure son salarié de reprendre son travail, elle soutient qu'il ne peut en être tiré aucune conséquence pour caractériser un éventuel manquement de sa part dès lors qu'il incombait au salarié de reprendre son travail, celui-ci n'ayant jamais indiqué avoir été empêché d'entrer sur le site pour travailler et ne justifiant pas qu'il s'est tenu à la disposition de la société dès lors qu'il a au contraire sollicité une rupture conventionnelle, la société soulignant enfin que contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, elle a réglé la totalité des salaires correspondant à la période de mise à pied conservatoire.

Au contraire, M. [Q] souligne que malgré les refus réitérés de l'administration d'autoriser son licenciement, la société a persisté à ne plus lui fournir aucun travail depuis le 6 avril 2010 bien qu'il se soit tenu à la disposition de son employeur, le salarié soulignant qu'il n'était plus contacté chaque soir pour que son planning et ses horaires du lendemain lui soient transmis ; il ajoute que la société qui n'a pas levé la mise à pied conservatoire, qui ne l'a pas mis en demeure de reprendre son travail , après confirmation par le ministre du travail du refus d'autoriser son licenciement et qui ne lui a plus payé de salaire postérieurement au 13 juin 2010, a manqué gravement à ses obligations, le salarié contestant avoir été en absence injustifiée dès lors qu'il n'a cessé de se tenir à la disposition de son employeur ; il observe que la société était tenue de le convoquer aux réunions du comité d'entreprise et qu'il ne peut être tiré aucun argument du fait qu'il ait été absent à ces réunions sur l'exécution de son contrat de travail.

Lorsqu'un salarié protégé prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement prononcé sans autorisation administrative, c'est à dire ceux d'un licenciement nul si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission ; il doit être justifié par le salarié d'un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, étant précisé que le juge n'est pas lié par les termes de l'écrit par lequel le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail et qu'il doit examiner l'ensemble des manquements invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En l'espèce, il est constant que le salarié s'est vu notifier le 2 avril 2010 par son employeur une mise à pied conservatoire que celui-ci a renouvelée par lettre du 21 avril 2010, mise à pied conservatoire prononcée jusqu'à ce qu'il soit décidé de la situation du salarié ; la société a en effet sollicité l'inspection du travail qui a refusé une première fois d'autoriser le licenciement de M. [Q], étant précisé que l'inspecteur du travail, le 11 juin suivant, a de nouveau refusé de donner cette autorisation après que la société ait repris la procédure.

La mise à pied conservatoire s'est poursuivie durant cette période, le salarié ne pouvant pas se présenter à l'entreprise, étant précisé que la société s'est acquittée du paiement des salaires correspondant à la période de mise à pied du 23 avril au 12 juin 2010 en quatre versements opérés du 30 avril au 15 juillet 2010.

S'il est exact qu'après la décision de l'inspecteur du travail en date du 11 juin 2010, confirmant le refus d'autoriser le licenciement de M. [Q], celui -ci n'a pas repris son travail, il a cependant écrit en ces termes à son employeur le 6 juillet 2010 ' Suite à la deuxième décision de refus du licenciement par l'inspection du travail et donc l'annulation totale de la mise à pied, cela signifie que je suis toujours salarié de la société Cergy Location service (...)', le salarié réclamant ensuite à son employeur de lui remettre ses bulletins de salaire et compléments de salaire.

Les termes de ce courrier impliquent que M. [Q] se reconnaissait toujours salarié de la société et qu'il se tenait donc à la disposition de son employeur .

Dans le même temps, la société ne s'est pas manifestée auprès de son salarié autrement que par le paiement du salaire correspondant à la période de mise à pied et par l'envoi des convocations aux réunions du délégué du personnel, lesquelles ne peuvent avoir d'effet quant à la volonté de l'employeur de voir son salarié reprendre son travail dès lors que l'employeur est tenu d'envoyer ces convocations aux salariés concernés par un mandat électif quand bien même leur contrat de travail est suspendu en cas de maladie.

Outre que la société n'a pas confirmé à son salarié la fin de la période de la mise à pied, celle-ci qui ne conteste pas qu'elle n'avait pas entendu poursuivre la période de mise à pied au delà du 12 juin 2010, n'a ni invité ni mis en demeure son salarié de reprendre son travail alors même que le contrat de travail ne se trouvait plus suspendu et qu'il était toujours en cours d'exécution.

Alors même que le salarié communique un compte- rendu de réunion des délégués du personnel, certes daté du 27 juin 2014 mais qui fait état de l'organisation en place dans la société depuis plusieurs années, qui précise que compte tenu des contraintes liées à l'activité événementielle de cette dernière qui a pour conséquence la connaissance tardive des commandes et des variations très importantes d'un jour à l'autre, les salariés n'ont connaissance de leurs horaires que la veille pour le lendemain, la société ne justifie pas qu'elle se soit rapprochée de son salarié pour lui indiquer selon quels horaires il devait travailler postérieurement au 12 juin 2010.

Compte tenu de cette sujétion liée à l'activité de la société, celle-ci ne saurait reprocher à son salarié de ne pas s'être présenté à l'entreprise, faute d'avoir eu connaissance de ses plannings, étant de surcroît relevé que la reprise du travail de M. [Q] s'inscrivait dans un contexte très particulier, consécutif à la mise à pied qui avait été décidée depuis plusieurs semaines, en l'absence de toute demande officielle de l'employeur de reprendre le travail, étant observé que la société poursuivait la procédure administrative puisqu'elle avait introduit le 20 juillet 2010 un recours à l'encontre de la dernière décision de l'inspecteur du travail et qu'elle avait déposé plainte à l'encontre du salarié.

Dans ce contexte, l'absence d'envoi par l'employeur à son salarié de toute mise en demeure de reprendre son travail, démontre qu'il n'entendait plus lui fournir de travail, celui-ci ayant purement et simplement suspendu le paiement du salaire, alors que le contrat de travail était toujours en cours d'exécution .

Etant rappelé que la première obligation de l'employeur est de fournir au salarié le travail convenu, dans les conditions prévues et moyennant le salaire qui a été décidé, l'employeur qui a cessé d'assurer le paiement du salaire postérieurement au 12 juin, date à laquelle il a eu connaissance du second refus de l'inspection du travail et qui a également cessé de donner du travail à M. [Q], a manqué à cette obligation, ce qui constitue un manquement suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail ; la société ne peut valablement invoquer que le salarié n'entendait plus se tenir à sa disposition lorsqu'il a fait, le 15 septembre 2010, une demande de rupture conventionnelle dès lors qu'il n'y a pas été donné suite.

Etant rappelé que M. [Q] bénéficiait de la protection des salariés protégés, sa prise d'acte de rupture, produit donc les effets d'un licenciement nul.

Sur les conséquences pécuniaires de la prise d'acte de rupture :

En cas de prise d'acte justifiée par des manquements graves de l'employeur, le salarié protégé bénéficie de l'indemnisation liée à la rupture de son contrat de travail, étant observé qu'en l'espèce le salarié doit également bénéficier des salaires que son employeur a cessé de lui payer à compter du 13 juin 2010 jusqu'à la date de la prise d'effet de sa prise d'acte ; il bénéficie également de l'indemnité due nécessairement au titre de la violation du statut protecteur dès lors que la rupture est intervenue sans autorisation administrative, indemnité forfaitaire égale aux salaires qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours, laquelle inclut la période instituée par le législateur à l'expiration du mandat, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que les manquements reprochés à l'employeur sont liés ou non à l'exercice du mandat.

Par conséquent, au vu de ces précisions, des éléments du dossier et en l'absence d'observation de la société sur le calcul des sommes dont le paiement est sollicité, le salarié peut prétendre au paiement :

* des salaires dus du 13 juin 2010 au 31 mai 2011, sur la base de son salaire mensuel de 1 845 euros brut, soit la somme de 21 398,32 euros brute outre la somme de 2 139 euros brute au titre des congés payés correspondants,

* de l'indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, soit la somme de 3 690 euros brute outre la somme de 369 euros brute au titre des congés payés,

* de l'indemnité légale de licenciement, égale en application des articles L 1234-9 et R 1234-2 du code du travail et compte tenu de l'ancienneté de 15 ans de M. [Q], à la somme de 6 765 euros,

* de l'indemnité pour licenciement nul, égale à au moins six mois de salaire et fixée compte tenu de l'ancienneté du salarié et des éléments du dossier, à la somme de 15 000 euros,

* de l'indemnité forfaitaire pour violation de son statut protecteur dont le montant est égal aux salaires échus du 1er juin 2011 jusqu'au 16 avril 2014, date à laquelle le mandat de M. [Q] aurait pris fin, ainsi qu'à six mois de salaire supplémentaires correspondant à la protection légalement prévue à l'expiration du mandat des délégués du personnel, soit la somme de 74 743 euros.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société à verser à M. [Q] la somme de 369 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis, sous la réserve que cette somme s'entend en salaire brut et celle de 6 765 euros au titre de l'indemnité de licenciement ; il sera infirmé pour le surplus.

Sur les autres demandes :

Sur la demande au titre du droit individuel à la formation

M. [Q] qui indique que compte tenu de son ancienneté il aurait pu bénéficier de 120 heures de droit individuel à la formation, sollicite à ce titre l'allocation de la somme de 1 098 euros.

Il résulte de la combinaison des articles L 6323-1 et L6323-17 du code du travail que le salarié qui a plus d'un an d'ancienneté et dont la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et qui n'est pas tenu d'exécuter son préavis, a droit d'être indemnisé de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation.

M. [Q], ayant acquis en application de l'article L 6323-5 du code du travail , 120 heures au titre du droit à la formation, son préjudice qui ne correspond qu'à une perte de chance sera justement indemnisé à hauteur de la somme de 500 euros ; le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande indemnitaire pour remise tardive de l'attestation destinée au Pôle emploi:

M. [Q] qui souligne que cette attestation ne lui a été remise qu'à la suite de la condamnation des premiers juges sollicite à ce titre la somme de 1 000 euros.

Dès lors que la prise d'acte de rupture entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, la société appelante est fautive de ne pas avoir délivré d'attestation Pôle emploi à son salarié, la société n'ayant pas réagi à la demande du conseil de M. [Q] en date du 5 avril 2012 ; la décision des premiers juges qui ont constaté qu'à la date du bureau de jugement du 7 novembre 2012 cette attestation n'était toujours pas remise, sera confirmée en ce qu'ils ont condamné la société à verser à M. [Q] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la demande au titre des indemnités de chômage :

Le remboursement des indemnités de chômage, tel qu'il est prévu à l'article L 1235-4 du code du travail , ne peut être ordonné en cas de nullité du licenciement ; le jugement , en ce qu'il a condamné la société à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois, sera infirmé.

Sur les autres demandes :

Il convient d'accueillir la demande de production de pièces de M. [Q] qui sera ordonnée selon les modalités précisées au dispositif, les documents produits devant être conformes au présent arrêt.

Les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation ; les créances indemnitaires sont productives d'intérêts à compter de la décision qui les prononce.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Compte tenu de la solution apportée au litige, la société appelante sera déboutée de sa demande d'indemnité de préavis et de sa demande en dommages-intérêts dès lors que la prise d'acte de rupture a été jugée comme produisant les effets d'un licenciement nul et qu'aucun abus n'est caractérisé à l'encontre de M. [Q], intimé à la procédure ; le jugement qui l'a débouté de sa demande en dommages-intérêts sera confirmé de ce chef.

Les conditions d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont remplies à l'égard de M. [Q] auquel il sera alloué la somme de 1000 euros en sus de la somme allouée en première instance.

La société, condamnée en paiement, sera déboutée de sa demande à cet égard.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en date du 19 décembre 2012 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Dit que la prise d'acte de rupture de M. [E] [Q] produit les effets d'un licenciement nul,

Condamne la société Cergy location services à payer à M. [E] [Q] :

* la somme de 21 398,32 euros brute à titre de rappel de salaires outre la somme de 2 139 euros brute au titre des congés payés,

* la somme de 3 690 euros brute à titre d'indemnité de préavis,

* la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

* la somme de 74 743 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour violation du statut protecteur,

* la somme de 500 euros au titre du droit individuel à la formation,

Ordonne la remise à M. [E] [Q] par la société Cergy locations services d'un bulletin de salaire récapitulatif, d'une attestation destinée au Pôle emploi et d'un certificat de travail, le tout conforme à la présente décision,

Dit n'y avoir lieu à ordonner le remboursement par la société appelante aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [Q],

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions non contraires,

Y ajoutant :

Condamne la société Cergy location services à payer à M. [E] [Q] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Déboute la société Cergy location services de ses demandes devant la cour,

Condamne la société Cergy location services aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Mme Marie-Andrée BAUMANN, conseiller, en remplacement du président empêché et par Mme Claudine AUBERT, greffier.

Le GREFFIERLe PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 13/00026
Date de la décision : 20/11/2014

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°13/00026 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-11-20;13.00026 ?
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