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21/10/2014 | FRANCE | N°13/03476

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 21 octobre 2014, 13/03476


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 97Z



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 21 OCTOBRE 2014



R.G. N° 13/03476



AFFAIRE :



[I] [H]



C/



SELAS ERNST ET YOUNG





Décision déférée à la cour : Décision rendue le 22 Juillet 2013 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE



Copies exécutoires délivrées à :



SELARL HPML



SCP LECANET & LINGLART
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Copies certifiées conformes délivrées à :



[I] [H]



SELAS ERNST ET YOUNG



Au Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE



Au Ministère Public



le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE QUATO...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 97Z

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 OCTOBRE 2014

R.G. N° 13/03476

AFFAIRE :

[I] [H]

C/

SELAS ERNST ET YOUNG

Décision déférée à la cour : Décision rendue le 22 Juillet 2013 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE

Copies exécutoires délivrées à :

SELARL HPML

SCP LECANET & LINGLART

Copies certifiées conformes délivrées à :

[I] [H]

SELAS ERNST ET YOUNG

Au Bâtonnier de l'ordre des avocats de NANTERRE

Au Ministère Public

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [H]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Comparant

Assisté de Me Jean-Baptiste VIENNE de la SELARL HPML, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

SELAS ERNST ET YOUNG

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Laurent LECANET de la SCP LECANET & LINGLART, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 02 Septembre 2014 en audience publique, les parties ne s'y étant préalablement pas opposées, devant la cour composée de :

Madame Catherine BÉZIO, président

Madame Mariella LUXARDO, conseiller,

Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [H], avocat au barreau de PARIS depuis le 24 février 1999, spécialiste des contentieux fiscaux internationaux, a rejoint le cabinet ERNST & YOUNG le 29 avril 2010 en qualité de collaborateur libéral afin de développer l'activité du cabinet dans le domaine des prix de transfert des entités juridiques implantées dans différents pays.

Au préalable, il était collaborateur libéral au sein du cabinet BAKER & Mc KENZIE.

Il était informé dès avril 2010 que son intégration en qualité d'associé du cabinet ERNST & YOUNG ne pouvait être envisagée avant juillet 2011 et serait soumise à la réalisation d'un chiffre d'affaires minimum.

Le contrat de collaboration a été signé sur la base d'une rétrocession forfaitaire d'honoraires de 200.000 € par an, augmentée d'une prime de performance annuelle, garantie à 60.000 € pour les 2 premières années d'exercice sous réserve de justifier de la réalisation d'un quota de 1.200 heures facturables, et d'une prime de bienvenue de 45.000 €.

Par message du 18 octobre 2011 puis le 14 février 2012, le cabinet ERNST & YOUNG lui a fait savoir que son chiffre d'affaires était insuffisant pour lui permettre d'être proposé à l'association.

Par message du 13 décembre 2012, Monsieur [H] a mis en cause les conditions d'exercice de son activité et sollicité la requalification de la relation contractuelle en contrat de collaborateur salarié.

Par lettre recommandée du 13 décembre 2012, le cabinet ERNST & YOUNG lui a notifié la rupture de son contrat de collaboration libérale à l'issue d'un délai de 3 mois, avec dispense d'activité.

Monsieur [H] a saisi Monsieur le Bâtonnier de l'ordre des avocats des HAUTS DE SEINE le 22 janvier 2013 aux fins d'obtenir la requalification de son contrat de collaboration libérale en un contrat de collaborateur salarié.

Par décision rendue le 22 juillet 2013, Monsieur le Bâtonnier a :

DÉBOUTÉ Monsieur [H] de sa demande de requalification,

DÉBOUTÉ la société ERNST & YOUNG de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour violation des principes régissant la profession d'avocats,

DÉBOUTÉ chacune des parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [H] a interjeté appel de cette décision le 31 juillet 2013.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, Monsieur [H] demande à la cour de :

INFIRMER la décision entreprise,

REQUALIFIER la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée,

DIRE ET JUGER qu'il a fait l'objet d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

CONDAMNER la société d'avocats ERNST & YOUNG à lui régler les sommes suivantes :

* 286.021 € à titre de dommages et intérêts en réparation des sommes qu'il a payées en lieu et place de son employeur,

* 14.030 € à titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 155.472 € à titre d'indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse de licenciement,

* 25.912 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,

* 155.472 € à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture,

* 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, la société ERNST & YOUNG demande à la cour de :

A titre principal,

CONFIRMER le jugement entrepris,

A titre subsidiaire,

RAMENER les demandes de Monsieur [H] à de plus justes proportions,

En tout état de cause,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté ERNST & YOUNG de sa demande reconventionnelle,

En conséquence,

CONDAMNER Monsieur [H] à lui verser la somme de 56.000 € à titre de dommages et intérêts pour violation des principes essentiels régissant la profession d'avocats et celle de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de requalification

En application de l'article 14 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, la collaboration libérale est un mode d'exercice professionnel exclusif de tout lien de subordination, par lequel un avocat consacre une partie de son activité au cabinet d'un ou plusieurs avocats. La collaboration salariée est un mode d'exercice professionnel dans lequel il n'existe de lien de subordination que pour la détermination des conditions de travail.

Le collaborateur libéral peut constituer et développer une clientèle personnelle ; l'avocat avec lequel il collabore doit mettre à sa disposition, dans des conditions normales d'utilisation, les moyens matériels nécessaires aux besoins de sa collaboration et au développement de sa clientèle personnelle. En revanche, le collaborateur salarié ne peut constituer ni développer de clientèle personnelle ; il doit se consacrer exclusivement au traitement des dossiers qui lui sont confiés pendant l'exécution de son contrat de travail ainsi qu'aux missions d'aide juridictionnelle et de commissions d'office pour lesquelles il a été désigné.

En outre, il sera rappelé que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité ; en application de l'article 9 code de procédure civile, il appartient à chaque partie de prouver conformer à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l'espèce, Monsieur [H] soutient que les conditions d'exercice fixées par le contrat de collaboration libérale, notamment sur la fixation de la rémunération et de la durée du travail, l'empêchaient de développer une clientèle personnelle ; qu'en outre, sa comptabilité et ses facturations personnelles restaient sous le contrôle de la société ERNST & YOUNG qui lui interdisait de conserver certains de ses clients personnels et ne lui ne permettait pas d'avoir recours à tous les moyens matériels et humains du cabinet, de sorte que les conditions de fait de son activité le plaçait dans le cadre d'un lien de subordinnation.

En réplique, la société ERNST & YOUNG fait valoir que Monsieur [H] qui a lui-même opté pour le statut de collaborateur, disposait d'une indépendance totale dans l'exercice de son activité, les limites existant sur ses possibilités d'intervention chez des sociétés clientes étant ponctuelles et résultant de la nécessité de respecter les règles de conflits d'intérêts alors que le cabinet, dont il connaissait le caractère pluridisciplinaire, intervenait déjà au sein de certaines de ces sociétés ; qu'il pouvait disposer de tous les moyens matériels et humains du cabinet et que le nombre de 1.200 heures annuelles facturables n'exclut pas la possibilité de développer une clientèle personnelle et se trouve justifiée par l'octroi d'une rétrocession d'honoraires élevée.

Il convient en effet de relever que le contrat de collaboration signé entre les parties le 29 avril 2010, organise expressément la possibilité pour Monsieur [H] de se constituer une clientèle personnelle au sein du cabinet ERNST & YOUNG qui lui garantit l'accès à l'ensemble des moyens logistiques et techniques (salles d'attente, de réunions, téléphone, télécopie, internet, messagerie électronique).

Les contestations développées sur l'organisation matérielle des locaux et notamment le partage des bureaux et les conditions d'utilisation des salles de réunions, sont indifférentes au statut d'avocat salarié et à l'existence du lien de subordination, s'agissant des conditions générales de travail au sein de la tour Fisrt à La Défense, applicables à l'ensemble des utilisateurs des locaux. Ainsi, il ressort d'un message du 23 décembre 2011 communiqué par Monsieur [H] que les directeurs associés se sont plaints auprès de l'associé responsable de la structure, de ces mauvaises conditions matérielles de travail, ce qui démontre que ces conditions ne sont pas propres aux avocats salariés.

De même, la qualification de directeur figurant sur le contrat n'est pas directement rattachée à l'existence d'une relation salariée, mais s'entend du statut reconnu au sein de la structure pour les associés et collaborateurs disposant d'une fonction d'encadrement, tel que cela ressort des pièces produites.

Par ailleurs, la prise en charge de la comptabilité et de la facturation de la clientèle personnelle par le cabinet ERNST & YOUNG ne constitue pas à elle seule, la preuve d'une atteinte à l'autonomie du collaborateur, Monsieur [H] ne faisant pas état du retrait de l'un de ses clients qui en soit résulté, cette prise en charge constituant au contraire la contrepartie qu'il allait tirer de son intégration au cabinet.

En outre, contrairement à ce qui est soutenu, le contrat de collaboration ne prévoit pas un pourcentage fixe de 40 % des honoraires devant être reversés pour l'indemnisation des coûts de développement de la clientèle personnelle, ce pourcentage constituant un plafond ne pouvant pas être dépassé. Il ressort de l'article 3 du contrat que cette indemnité est calculée sur la base de l'ensemble des coûts indirects encourus globalement par le cabinet au titre de l'exercice précédent. Si les parties n'en précisent pas le montant, ces dispositions font ressortir le caractère général de la base de calcul de cette indemnité, cet élément n'étant donc pas significatif pour caractériser l'existence d'un lien de subordination

Par ailleurs, le cabinet ERNST & YOUNG justifie que ses clients pour lesquels il exerce une activité de commissaire aux comptes, représentent 13% de son chiffre d'affaires, ce qui n'interdisait pas à Monsieur [H] de développer son activité de conseil en respectant les règles relatives aux conflits d'intérêts, sachant que les contraintes découlant de la pluridisciplinarité du cabinet étaient connues par celui-ci avant la conclusion du contrat de collaboration, contraintes qu'il acceptait alors qu'il est précisément spécialiste dans le domaine de la fiscalité internationale, le respect de ces règles ayant été en outre expressément visé par l'article 6 du contrat.

S'agissant des contraintes invoquées au titre de la disponibilité et du montant de la rémunération, il ressort de l'article 7 du contrat de collaboration, que la société s'est engagée à verser à Monsieur [H] une rétrocession d'honoraires forfaitaire de 200.000 € annuelle, à laquelle s'ajoutait le cas échéant une prime de performance, d'un montant de 60.000 € garantis pour les 2 premières années.

Monsieur [H] soutient que l'octroi de cette rétrocession était conditionnée par la réalisation d'un temps minimum de 39 heures de travail hebdomadaires, ce qui le conduisait en réalité à effectuer 52,5 heures de travail compte tenu du ratio prévu entre les heures facturables et les heures disponibles.

Or, il convient d'observer que la rétrocession d'honoraires forfaitaire de 200.000 € annuelle constituait une obligation pour la société ERNST & YOUNG qui a versé cette somme alors même que les pièces produites démontrent que Monsieur [H] n'avait pas atteint le nombre d'heures chargeables prévues au contrat de 1.200 heures pour la première année d'exercice, et que son temps effectif a été légèrement supérieur à ce chiffre pour la deuxième année.

En outre, le contrat prévoit d'octroyer au collaborateur une prime de performance en cas de dépassement du quota de 1.200 heures annuelles, ce qui démontre l'existence d'une compensation financière supplémentaire pour tenir compte des contraintes générées par le temps de travail pouvant être consacré à la clientèle du cabinet.

Il résulte de ces dispositions contractuelles que les conditions de la rétrocession d'honoraires, dont le montant est élevé, sont déterminées par référence à une durée du travail de 39 heures devant être destinée à l'activité du cabinet, mais ne peuvent être considérées comme une impossibilité pour le collaborateur de développer sa clientèle personnelle, au-delà de ce temps de travail.

Les pièces produites par les parties démontrent en tous cas, que Monsieur [H] qui s'est trouvé en sous-activité dans le courant de l'année 2012, n'a pas cherché à développer sa clientèle personnelle, ni été empêché de le faire par le cabinet ERNST & YOUNG.

Enfin, il sera relevé comme l'a justement fait la décision du 22 juillet 2013, que Monsieur [H] ne développe aucune argumentation tendant à soutenir que son indépendance technique avait été remise en cause par des instructions données par le cabinet ERNST & YOUNG dans l'exercice de son activité professionnelle.

En définitive, il convient de constater que les conditions d'exercice d'une activité de collaboration libérale ont été garanties par le contrat du 29 avril 2010, et que la requalification de la relation contractuelle en une collaboration salariée n'est donc pas justifiée.

Les demandes financières se présentent comme des accessoires de la requalification du contrat, et doivent être également rejetées.

Au vu de ces éléments, la décision du 22 juillet 2013 sera confirmée.

Sur la demande reconventionnelle

La société ERNST & YOUNG présente une demande reconventionnelle de dommages-intérêts au titre du manquement de Monsieur [H] à son obligation de loyauté.

Or, comme l'a justement conisdéré la décision du 22 juillet 2013, par des motifs que la cour adopte, il n'est pas fait état de manoeuvres déloyales, de dénigrement, ni de détournement de clientèle, Monsieur [H] ayant normalement organisé son avenir professionnel après avoir fait le constat de l'échec de sa collaboration au sein du cabinet ERNST & YOUNG.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Au vu de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de ce texte, la demande de l'intimée présentée sur ce fondement devant être rejetée.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME la décision du 22 juillet 2013 dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

REJETTE la demande présentée par la société ERNST & YOUNG sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

LAISSE les dépens de cette instance à la charge de Monsieur [H].

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 13/03476
Date de la décision : 21/10/2014

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°13/03476 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-21;13.03476 ?
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