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02/10/2014 | FRANCE | N°12/05331

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 02 octobre 2014, 12/05331


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 39H



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 OCTOBRE 2014



R.G. N° 12/05331







AFFAIRE :







SAS FIELDTURF TARKETT



C/



[P] [M]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Juillet 2012 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 03

N° RG : 10/07012







Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

Me Gilles-Antoine SILLARD de la SCP SILLARD ET ASSOCIES







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE DEUX OCTOBRE DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 OCTOBRE 2014

R.G. N° 12/05331

AFFAIRE :

SAS FIELDTURF TARKETT

C/

[P] [M]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Juillet 2012 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 03

N° RG : 10/07012

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

Me Gilles-Antoine SILLARD de la SCP SILLARD ET ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX OCTOBRE DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS FIELDTURF TARKETT

N° SIRET : 452 835 242

[Adresse 3]

[Localité 4]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20120405

Représentant : Me Claire DE BUSSY de l'AARPI DE BUSSY GIANCARLI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0384

APPELANTE

****************

1/ Monsieur [P] [M], es qualités de représentant permanent de la Société GSI, Président de la Société EUROFIELD SAS et de Président de la Société GSI

[Adresse 2]

[Localité 3]

2/ SAS EUROFIELD

N° SIRET : B 489 725 523

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

3/ SAS GS INVESTISSEMENT

N° SIRET : 488 117 458

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en sa qualité de Président de la société SAS EUROFIELD

4/ SAS COSINVEST

N° SIRET : 347 791 451

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

5/ SAS ART-DAN

N° SIRET : 453 111 387

[Adresse 5]

[Localité 2]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

6/ SAS SLOTAM venant aux droits de la SAS SOLOMAT

N° SIRET : B 303 458 731

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

7/ SAS ART - DAN ILE DE FRANCE (anciennement dénommée 'SOLOMAT ILE DE FRANCE')

N° SIRET : 489 405 076

[Adresse 4]

[Localité 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Gilles-Antoine SILLARD de la SCP SILLARD ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 189 - N° du dossier 0812661

Représentant : Me Alexis LEPAGE de la SCP D. GROGNARD - A.LEPAGE, Plaidant, avocat au barreau de TOURS

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 Juin 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Annick DE MARTEL, Conseiller chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Annick DE MARTEL, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,

------------------

La société FIELDTURF TARKETT est appelante d'un jugement rendu le 5 juillet 2012 par le tribunal de grande instance de Versailles dans un litige l'opposant à M. [P] [M], les sociétés EUROFIELD, GS INVESTISSEMENT (GSI), COSINVEST, SLOTAM et ART-DAN, ART-DAN IDF.

*

La société FIELDTURF TARKETT, spécialisée dans la conception, la fabrication, la commercialisation et la pose de revêtements sportifs, est issue d'un rapprochement réalisé en 2005 entre le groupe canadien FIELDTURF et la société TARKETT SPORTS (anciennement dénommée 'SOMMER LEVASSEUR'), dans laquelle M. [M] exerçait en qualité de distributeur France.

Invoquant un désaccord stratégique de M. [M] avec les options de la direction générale de la société, FIELDTURF TARKETT lui a notifié son licenciement du groupe le 25 octobre 2005 ; son obligation contractuelle de non concurrence a été levée à sa demande.

Quelques semaines après son départ, le 15 décembre 2005, M. [M] et son épouse ont constitué une société dénommée GS INVESTISSEMENT (société GSI), dont l'objet était d'accueillir les participations recueillies dans des sociétés dont M. [M] avait déjà pris le contrôle, à savoir les sociétés SLOTAN (anciennement SOLOMAT), SOLOMAT IDF, ART-DAN, ERECOM au travers de leur maison-mère COSINVEST. Ces sociétés étant spécialisées dans la pose de revêtements de sols sportifs, elles constituaient, selon la société FIELDTURF TARKETT, ses principaux distributeurs.

FIELDTURF TARKETT affirme que M. [M] lui a dissimulé ces acquisitions, évitant ainsi que la situation génère un conflit d'intérêt entre eux. Elle fait valoir que ces sociétés ont effectivement utilisé les informations résultant de leurs relations partenaires-distributeurs de FIELDTURF TARKETT, au détriment de celle-ci et au profit de la société EUROFIELD, créée sous l'impulsion de M. [M] et ayant une activité directement concurrentielle de celle de FIELDTURF TARKETT. Enfin M. [M] aurait procédé à un débauchage ciblé de salariés de l'entreprise appelante.

Parallèlement, une information judiciaire a été ouverte fin 2006 à la demande du parquet de Versailles concernant MM. [M], [O], [N] et la société EUROFIELD, pour des faits constitutifs d'abus de confiance, complicité d'abus de confiance, recel d'abus de confiance, vol en réunion, vols, faux et usage de faux, destruction grave de biens appartenant à autrui, corruption active de préposés, corruption passive de préposés.

Le 21 avril 2011, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le tribunal correctionnel.

Selon un arrêt de la cour de Versailles du 12 septembre 2013, confirmant très partiellement le jugement du tribunal correctionnel rendu le 25 juin 2012 :

- M. [M] a été déclaré coupable des faits de complicité de vol, complicité d'abus de confiance ; il a été condamné à une peine de prison avec sursis et à une peine d'amende ; la cour précisant qu'il était 'le véritable inspirateur des faits', puisque 'en quittant la société TARKETT pour créer sa propre entreprise, il a su attirer plusieurs cadres et employés de cette dernière, dont [P] [O] et [L] [N]'.

- La société EUROFIELD a été déclarée coupable de recel, d'abus de confiance et recel de vol, condamnée à une peine d'amende et à des peines complémentaires.

- La cour, infirmant le jugement sur ce point, a retenu la culpabilité de M. [O] du chef d'abus de confiance, pour avoir détourné une machine à tisser appartenant à son employeur.

*

La société FIELDTURF TARKETT a fait assigner M. [M], les sociétés EUROFIELD, GSI, COSINVEST, ART-DAN, SOLOMAT et SOLOMAT ILE DE FRANCE en réparation des actes de concurrence déloyale dont elle déclare avoir été victime, devant le tribunal de commerce de Versailles.

Les défendeurs ont soulevé trois exceptions de procédure : une exception d'incompétence du tribunal de commerce au profit du conseil de prud'hommes de Nanterre, un sursis à statuer dans l'attente d'une décision prud'homale et une exception d'incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal de grande instance de Versailles pour les faits postérieurs à la rupture du contrat de travail de M. [M] le 25 octobre 2005.

Par jugement du 16 juin 2010, le tribunal de commerce de Versailles a rejeté l'exception d'incompétence soulevée au profit du conseil de prud'hommes de Nanterre et la demande de sursis à statuer. Il a désigné le tribunal de grande instance de Versailles comme étant le tribunal compétent.

S'agissant de l'instance pénale, par jugement du 25 juin 2012, statuant sur les délits de vol, complicité de vol, recel de vol, abus de confiance et complicité d'abus de confiance, le tribunal correctionnel a condamné M. [M] à 15 mois de prison avec sursis simple et 50.000 € d'amende, condamné MM. [N] et [O] à 6 mois de prison avec sursis simple et condamné la société EUROFIELD au paiement d'une amende d'un montant 50.000 €, accompagnée d'une interdiction définitive de soumissioner à des marchés publics. Les prévenus ont également été condamnés au paiement de la somme de 189.000 € de dommages et intérêts au titre des détournements de production effectués ainsi que 25.278 € eu égard à l'état de la machine de production qui avait été dérobée, envers la société FIELDTURF TARKETT. Ils ont également été condamnés au paiement de la somme de 12.000 € au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

S'agissant de l'instance civile, par jugement du 5 juillet 2012, le tribunal a :

- déclaré irrecevable la demande de la société EUROFIELD, de la société GSI, de la société COSINVEST, de M. [M], en qualité de représentant permanent de la société GSI, président de la société EUROFIELD et président de la société GSI, de la société ART-DAN, de la société SLOTAM venant aux droits de la société SOLOMAT et de la société ART-DAN ILE DE FRANCE (anciennement dénommée la société SOLOMAT ILE DE FRANCE) aux fins de renvoyer l'affaire au Conseil des prud'hommes de Nanterre,

- débouté la société FIELDTURF TARKETT de toutes ses demandes à l'encontre de la société EUROFIELD, de la société GSI, de la société COSINVEST, de M. [M], de la société ART-DAN, de la société SLOTAM et la société ART-DAN ILE DE FRANCE,

- rejeté la demande de dommages et intérêts de la société EUROFIELD, de la société GS INVESTISSEMENT, de la société COSINVEST, de M. [M], de la société ART-DAN, de la société SLOTAM et de la société ART-DAN ILE DE FRANCE.

Les premiers juges ont considéré :

- qu'il ressortait de l'examen des implications de certains salariés de la société FIELDTURF TARKETT dans l'actionnariat de la EUROFIELD, que le débauchage au profit de la société EUROFIELD n'est caractérisé que pour deux salariés de la société FIELDTURF TARKETT et qu'il n'était pas démontré, au vu de l'ampleur limitée de ces actes, que cela ait entraîné une désorganisation de l'entreprise.

- que les faits débattus relatifs au détournement d'une partie substantielle de la production de la société EUROFIELD et de certaines machines de production ont fait l'objet d'une instruction pénale et d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.

- que le dénigrement des produits de la société n'est pas davantage établi.

- qu'il ressort de l'ensemble des éléments produits que la société FIELDTURF TARKETT ne caractérise pas des actes de concurrence déloyale de la part des défendeurs.

La société FIELDTURF TARKETT a interjeté appel de la décision.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 mai 2014, la société FIELDTURF TARKETT demande à la Cour d'infirmer l'ensemble du dispositif du jugement sauf en ce qu'il a débouté les intimés de leur exception de litispendance au profit du conseil de prud'hommes de Nanterre et en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages et intérêts fondée sur le caractère abusif de la procédure initiée par elle,

- dire que les sociétés EUROFIELD, GSI, COSINVEST, ART-DAN, SOLOMAT, ART-DAN ILE DE FRANCE et M. [M] ont commis des actes de concurrence déloyale à son encontre ;

- condamner solidairement, ou subsidiairement in solidum, les sociétés EUROFIEL, GSI, COSINVEST, ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN ILE DE FRANCE et M. [M], à titre personnel et es qualité, à réparer l'intégralité de ses préjudices en lui versant à titre de dommages et intérêts :

* la somme de 2.300.000 € en réparation de son préjudice commercial ;

* la somme de 1.463.000 € en réparation des frais supplémentaires de communication qu'elle a été contrainte d'exposer ;

* la somme de 1.000.000 € en réparation de son préjudice moral ;

- prononcer à l'encontre de chacun des intimés une interdiction visant l'embauche sous quelle que forme et quel que contrat que ce soit (salarié, consultant, mandataire social, etc...). De l'un quelconque des salariés ou anciens salariés de FIELDTURF TARKETT ayant plus d'un an d'ancienneté, et ce pendant une durée d'un an à compter de la décision à intervenir, sous astreinte définitive de 25.000 € par jour et par infraction constatée ;

- prononcer à l'encontre de chacun des intimés une interdiction visant l'utilisation comme l'imitation, sous quelle que forme que ce soit, des documents commerciaux, marketing et/ou technique lui appartenant, sous astreinte définitive de 50.000 € par jour et infraction constatée ;

- prononcer à l'encontre de M. [M], tant à titre personnel qu'en qualité de dirigeant de l'une quelconque des sociétés intimées, une interdiction visant toute présentation ou référence à elle, notamment en tant qu'ancien dirigeant de la société FIELDTURF TARKETT pour un montant maximum de 15.000 € TTC par annonce, aux frais des intimés ;

- ordonner la consignation par les intimés de la somme de 45.000 € TTC entre les mains de M. Le Bâtonnier de Versailles, en qualité de séquestre, sous astreinte de 500 € par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt, pour permettre ces publications.

Elle soutient que :

- ses partenaires, avec M. [M] à leur tête, ont manoeuvré de façon déloyale au profit d'EUROFIELD et des autres intimés en portant atteinte à son organisation commerciale.

- la société EUROFIELD et M. [M] sont les auteurs de comportements déloyaux, en ce qu'ils ont détourné sa production, ses outils, son savoir-faire avec en conséquence un détournement particulièrement préjudiciable de ses débouchés commerciaux au profit de la société nouvellement créée de ses nouveaux partenaires.

- M. [M] a procédé à un démarchage déloyal de sa clientèle, divulguant de fausses informations auprès de la clientèle de façon à la détourner et favorisant une confusion dans l'esprit des clients en laissant croire que les sociétés EUROFIELD et FIELDTURF étaient liées.

- les intimés ont usurpé gravement et en toute déloyauté les biens et moyens, tant matériels qu'humains ou intellectuels lui appartenant, ce qui caractérise les actes constitutifs de concurrence déloyale.

- les départs de MM. [N] et [Z] se sont inscrits dans le cadre de la vaste campagne de débauchage déloyale dont elle a été victime.

- ces actes constitutifs de concurrence déloyale l'ont privée d'un partenariat dont elle aurait pu bénéficier et ont eu des retombées commerciales et promotionnelles très importantes en ce qu'elle a perdu une grande partie de ses ressources, ses moyens de production et le fruit de son travail.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 11 décembre 2012, M. [M], les sociétés EUROFIELD, GSI INVESTISSEMENT, SOLOMAT, COSINVEST, SLOTAM IDF et ART-DAN demandent à la Cour de confirmer partiellement le jugement,

- faisant droit à l'exception de litispendance qu'ils ont soulevée, renvoyer la connaissance des faits au conseil de prud'hommes de Nanterre ;

- prononcer, en toute hypothèse, leur mise hors de cause ;

- débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société EUROFIELD et de M. [M] ;

- condamner la société FIELDTURF TARKETT à leur payer à chacun la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Ils soutiennent que :

- le fait que la société EUROFIELD ait été créée en vue d'être une concurrente directe de l'appelante ne suffit pas à caractériser un acte de concurrence déloyale, aucun comportement déloyal en soi, aucune tromperie ne pouvant leur être reproché.

- le départ de salariés pour rejoindre une entreprise concurrente ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale faute de manoeuvres trompeuses et de désorganisation de l'entreprise. En l'espèce, aucun de ces agissements ne sont caractérisés.

- aucun élément versé au débat ne permet de conclure à une atteinte à la réputation de l'appelante dès lors que celle-ci ne se fonde que sur des rumeurs concernant des propos dénigrants tenus à son encontre.

La cour renvoie aux conclusions signifiées par les parties, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur l'exception de litispendance et la recevabilité des demandes

* S'agissant de l'exception de litispendance, les intimés persistent à considérer que la procédure dont a été saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre à l'encontre de M. [M] fait obstacle à la recevabilité des demandes de FIELDTURF TARKETT. Le jugement entrepris a rejeté cette exception de procédure qui n'a pas été soulevée devant le juge de la mise en état. Le tribunal ajoute que les faits de concurrence déloyale débordent très largement la relation de travail existant entre M. [M] et FIELDTURF TARKETT ; qu'ils sont pour l'essentiel, postérieurs à l'extinction du contrat de travail et ne recoupent que partiellement les appelées à la présente procédure. Enfin on rappellera que le tribunal de commerce de Versailles, dans son jugement du 16 juin 2010, avait rejeté l'exception d'incompétence soulevée devant lui au profit du conseil de prud'hommes de Nanterre.

La cour fait siens les arguments opposés à EUROFIELD, GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN, ILE-DE-FRANCE par le tribunal de grande instance de Versailles dont le jugement entrepris sera confirmé sur le rejet de l'exception de litispendance et de toute autre exception.

* Par ailleurs dans ses dernières conclusions, les société intimées invoquent le fait que des sanctions pénales et civiles ont été prises par le tribunal correctionnel puis par la cour d'appel, et que les griefs invoqués dans le cadre de la présente procédure, reviennent à vouloir sanctionner deux fois les mêmes agissements.

S'il est vrai que dans la qualification pénale de vol, ou d'abus de confiance, peuvent être pris en compte des éléments de fait qui entrent dans la qualification civile de concurrence déloyale -précisément sous l'angle de cette déloyauté-, la concurrence déloyale obéit à un régime distinct, concerne dans cette procédure des personnes non visées par la procédure pénale et comporte des sanctions distinctes.

La recevabilité de l'action en concurrence déloyale ne fait donc aucun doute.

- Sur l'action pénale et l'action civile de FIELDTURF TARKETT, formées devant la juridiction pénale

En cause d'appel, FIELDTURF TARKETT fait à juste titre observer que le jugement civil entrepris a été rendu alors que le jugement correctionnel n'avait pas été porté à la connaissance du tribunal avant la clôture des débats et n'était donc pas dans la cause. Le jugement correctionnel a été rendu le 25 juin 2012. Il est entré en voie de condamnation (pénale) à l'égard des différents prévenus. La société FIELDTURF TARKETT, en qualité de partie civile, a obtenu la condamnation des prévenus ([M], EUROFIELD, [O], [N]) au paiement d'une somme de 189.702 € au titre du 'manque à gagner' et 25.278 € au titre du vol de la machine ([M], EUROFIELD, COPPIN).

En effet, si [P] [M] et la société EUROFIELD se sont désistés de leur appel (au pénal) en sorte que les condamnations de complicité de vol et complicité d'abus de confiance (pour le premier), recel de biens obtenus à l'aide d'un abus de confiance et recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans (pour la seconde) ainsi que les peines principales et complémentaires prononcées à leur encontre sont à présent définitives, la condamnation pénale de [P] [O] au titre de l'abus de confiance a été étendue au vol de la machine à tisser.

EUROFIELD, GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN, ILE-DE-FRANCE font cependant observer que ce sont les mêmes éléments qui ont tout à la fois servi à caractériser le vol et l'abus de confiance, et que FIELDTURF TARKETT invoque à l'appui de la concurrence déloyale, sachant que toutes les sociétés intimées n'ont pas fait l'objet d'une condamnation.

Sur le fondement de l'article 1382 du code civil, FIELDTURF TARKETT a demandé à la cour d'infirmer le jugement et de constater que le succès de la société EUROFIELD est le prolongement de ses actes déloyaux de concurrence.

Ces actes déloyaux reposent sur un ensemble de faits, au demeurant organisés les uns par rapport aux autres, aux fins de produire un résultat que les auteurs de cette concurrence n'auraient pu espérer sans ces actions. Or, on ne peut contester que certains de ces actes, qui entrent dans la qualification civile de concurrence déloyale, ont reçu une qualification pénale et ont été sanctionnés à travers l'indemnisation de la partie civile (le vol de matériel, l'abus de confiance ou la complicité dans la commission de ces infractions).

Si on ne peut pour autant écarter ces actes -déjà retenus pas la juridiction pénale pour qualifier une infraction-, dans la mesure où ils seraient constitutifs des manoeuvres orchestrées par M. [M] au titre de la concurrence déloyale, c'est dans l'appréciation du préjudice qu'il en sera tenu compte.

Il convient donc d'examiner les actes de concurrence déloyale invoqués par l'appelante.

- Sur les actes de concurrence déloyale

M. [M], qui occupait le poste de directeur distribution et application France de TARKETT SPORT, avait, à sa demande, été délié de la clause de non concurrence, ayant déclaré son intention de s'orienter vers la 'prestation de service' (pièce 70 de l'appelant), alors que dès avant son départ en novembre 2005, et alors qu'il était mandataire social, il avait progressivement acquis le contrôle des sociétés spécialisées dans la pose des revêtements de sols sportifs, c'est à dire les principaux distributeurs ou sous-traitants de FIELDTURF TARKETT (SOLOMAT, ART-DAN, ERECOM, COSINVEST).

Ces sociétés sont cependant restées jusqu'en septembre 2006 des partenaires de FIELDTURF TARKETT, M. [M] et EUROFIELD bénéficiant ainsi d'informations fort utiles à la réalisation de leur projet d'implantation rapide sur le marché.

Quelques jours après son départ, M. [M] créait en effet la GSI qui recueillait les prises de contrôle déjà réalisées par M. [M], tout en organisant les choses de telle sorte que FIELDTURF TARKETT ne se doute de rien, ce que l'intimé reconnaissait bien volontiers, mais en attribuant une autre interprétation à cette attitude pourtant clairement déloyale. L'apport fait par COSINVEST de ses titres à GSI en 2006, s'est accompagné de précautions particulières, aux fins d'éviter d'éveiller la méfiance de FIELDTURF TARKETT (pièces 64 et 84 de FIELDTURF TARKETT) tout en laissant s'installer la confusion dans l'esprit des clients.

La SAS EUROFIELD, créée en avril 2006 par M. [M], avait pour présidente le GSI représenté par M. [M] ; son activité est directement concurrente de celle de FIELDTURF TARKETT, de l'aveu même de M. [M] dans ses écritures de première instance, ce qui, au demeurant, ne permet pas à soi seul de qualifier le caractère déloyal de cette concurrence.

Cependant, M. [M] et ses sociétés vont pratiquer des actes de débauchage et de détournement d'une partie de la production de FIELDTURF TARKETT.

Ce dernier point n'est pas contesté : détournement de 177 rouleaux de gazon synthétique, vol d'une machine à tisser installée en Espagne (malgré son ampleur et son poids) ; le tout étant destiné à une société concurrente de FIELDTURF TARKETT et fabriqué dans des conditions déloyales, dans l'usine de FIELDTURF TARKETT à [Localité 5] (dirigée par M. [O]) avec de faux numéros de commande (les pièces 71 et 72 de FIELDTURF TARKETT); et ceci dans l'attente de la construction de la propre usine de EUROFIELD, située à 15 km de celle d'[Localité 5] afin d'entretenir la confusion.

Ces actes ont permis à EUROFIELD d'offrir immédiatement à la vente des produits concurrents mais en fait provenant des propres usines de FIELDTURF TARKETT. C'est par ce moyen particulièrement déloyal que EUROFIELD, mais aussi indirectement GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN ILE-DE-FRANCE ont rendu possible le succès de cette entreprise, ont obtenu le partenariat stratégique de la Coupe du Monde, avec la FFR, alors que ce partenariat devait normalement revenir, sans ces manoeuvres, à FIELDTURF TARKETT.

Ces détournements ont donc bien été organisés au détriment de FIELDTURF TARKETT et au profit de EUROFIELD.

Quant au débauchage et tentatives de débauchage des salariés, ils ont été partiellement reconnus et pour le moins établis. Si le débauchage ne peut être qualifié de 'massif', il s'est traduit par des départs de salariés occupant des postes clé, et détenant des connaissances précises sur les modes de fabrication et de distribution des produits FIELDTURF TARKETT.

Les personnels dirigeants de EUROFIELD viennent de chez FIELDTURF TARKETT. Il s'agit de M. [M], licencié il est vrai mais qui, selon FIELDTURF TARKETT a voulu partir (pièces 146/ 147 de FIELDTURF TARKETT) ; de messieurs [N] (août 2006), [Z] (novembre 2006), [O], responsable de la production de l'usine d'[Localité 5] (mai 2006) ; [Q] (fin 2005). EUROFIELD a de plus incité plusieurs salariés au départ (pièces 70 et 73, 40, 39, 42 à 44, 138 de FIELDTURF TARKETT).

Ces débauchages ou tentatives, facilités par la proximité géographique des deux usines (celle de EUROFIELD et celle de FIELDTURF TARKETT), sont graves parce qu'ils vont permettre à EUROFIELD d'utiliser le savoir, l'organisation, les structures et les moyens de FIELDTURF TARKETT pour se créer rapidement une place sur le marché, qu'elle n'aurait pu acquérir en si peu de temps par des moyens licites.

Le débauchage de salariés de FIELDTURF TARKETT s'inscrit ainsi dans une action concertée destinée à détourner et à s'approprier la clientèle de l'appelante en utilisant systématiquement son expérience, en reproduisant ou détournant ses produits. Le défaut de loyauté est donc encore ici caractérisé.

FIELDTURF TARKETT a été ainsi victime d'un détournement partiel de sa production, d'une captation de clientèle se traduisant par des détournements de commande, l'obtention déloyale d'un partenariat avec la FFR pour la Coupe du Monde 2007 de rugby, l'appropriation déloyale d'un savoir faire, qui ont conduit à désorganiser le réseau commercial de FIELDTURF TARKETT en France et qui caractérisent des actes de concurrence déloyale.

Ces actes de parasitisme économique engagent la responsabilité de M. [M] -qui est de manière incontestable le véritable inspirateur des faits- mais aussi des sociétés EUROFIELD et GSI qu'il a créées et qui ont constitué les instruments fidèles de son projet déloyal, tant sur le plan de la production que de la distribution du gazon synthétique. EUROFIELD a en effet bénéficié du détournement de production.

GSI contrôlait notamment EUROFIELD, ayant pour représentant permanent M. [M]. Malgré son activité principale de holding, cette société, qui assurait un contrôle des autres sociétés, a nécessairement participé aux actes de concurrence déloyale dont elle ne pouvait ignorer l'existence et l'objectif. A cet égard, M. [M] ne peut sérieusement prétendre que son action et celle des sociétés intimées ne s'inscrivaient pas dans le temps et concernaient un fait unique, le vol, en sorte qu'elles n'ont pas été préjudiciables à FIELDTURF TARKETT.

Les sociétés ART-DAN, SOLOMAT, ART-DAN IDF et leur société mère, COSINVEST, outre leurs liens capitalistiques sont dirigées par M. [M]. Ces sociétés étaient particulièrement bien placées, compte tenu des liens qu'elles avaient eu avec FIELDTURF TARKETT, pour savoir qu'elles participaient à des actes de concurrence déloyale. Ces sociétés ont une communauté d'intérêt et de projet animée par la même personne ; si bien que contrairement à leurs affirmations contenues dans leurs écritures, elles ont engagé leur responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil en se rendant complice de ces actes de production et de commercialisation illicites.

La responsabilité in solidum de toutes les sociétés intimées est donc engagée, chacune a participé, en fonction de ses activités à la production du dommage.

- Sur le préjudice subi par FIELDTURF TARKETT

EUROFIELD, GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN ILE-DE-FRANCE font valoir que l'activité de la société EUROFIELD n'a pas modifié le chiffre d'affaires de FIELDTURF TARKETT dont la production a augmenté sur le marché mondial, passant de 7 à 10 millions de m² vendus. Cependant, son action s'est concentrée sur la France et les faits de concurrence déloyale ont causé à l'appelante, en France, un préjudice.

FIELDTURF TARKETT considère qu'il y a lieu de faire application de la notion de perte d'une chance pour elle, de voir des contrats se poursuivre ou d'éviter la perte d'une clientèle potentielle. Ce préjudice ne se confond pas avec celui réparé par l'allocation de dommages-intérêts en sa qualité de partie civile.

La consultation non contradictoire réalisée à la demande de FIELDTURF TARKETT repose sur des éléments comptables objectifs énoncés par le rapport (p.3) qui constitue dès lors une information qu'il n'y a pas lieu d'écarter. S'agissant du gain manqué, le rapport considère que la part de marché de EUROFIELD en mai 2006 était de 5 % et que le gain manqué par FIELDTURF TARKETT est de 1.147.512 €.

Cependant, s'agissant de la concurrence déloyale, l'indemnisation de FIELDTURF TARKETT ne peut intervenir que sur le fondement de la perte d'une chance et non d'un préjudice déterminé. FIELDTURF TARKETT a perdu de manière certaine une chance de profiter des retombées du partenariat avec la FFR et de remporter d'autres appels d'offres et marchés.

Eu égard à la taille de l'entreprise FIELDTURF TARKETT et au fait qu'elle a été indemnisée à hauteur de 189.000 € par le juge pénal pour un autre préjudice, il convient d'évaluer à la somme de 250.000 €, s'ajoutant à la condamnation prise par la juridiction pénale, la perte de chance invoquée par FIELDTURF TARKETT et de condamner les intimés in solidum à lui payer cette somme.

FIELDTURF TARKETT sera déboutée de sa demande relative à l'indemnisation de son préjudice moral ayant été peu attentive aux manoeuvres de ses anciens salariés. Elle sera également déboutée de ses demandes concernant les frais supplémentaires (coûts de communication supplémentaires), ceux-ci n'ayant qu'un lien indirect avec les faits.

Quant aux mesures accessoires, des condamnations sont intervenues en première instance, dont FIELDTURF TARKETT demande qu'elles soient complétées.

Il conviendra en effet d'ordonner la publication du dispositif de la présente décision dans trois revues françaises spécialisées autour du sport au choix de l'appelante et aux frais des intimés pour un montant maximum de 15.000 € TTC. L'appelante sera déboutée du surplus de ses demandes de mesures 'accessoires' et de consignation.

Les intimées seront déboutées de leur demande de condamnation de FIELDTURF TARKETT pour procédure abusive.

- Sur les frais irrépétibles

Il est inéquitable de laisser à la charge de FIELDTURF TARKETT les frais non compris dans les dépens de l'instance.

Les intimés seront, in solidum condamnés à lui payer la somme de 20.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR , statuant en audience publique, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement querellé en ce qu'il rejette la demande des intimées aux fins de renvoyer l'affaire devant le conseil de prud'hommes et en ce qu'il rejette les demandes de dommages-intérêts formées par les intimées à l'encontre de FIELDTURF TARKETT,

L'infirme pour le surplus,

Et, statuant à nouveau,

Dit que EUROFIELD, GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN ILE-DE-FRANCE ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de FIELDTURF TARKETT,

Condamne in solidum EUROFIELD, GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN ILE-DE-FRANCE à payer à FIELDTURF TARKETT la somme de 250.000 € en réparation de son préjudice commercial sur le fondement de la perte d'une chance,

Ordonne la publication du dispositif de la présente décision dans trois revues françaises spécialisées autour du sport, au choix de l'appelante et aux frais des intimés pour un montant maximum de 15.000 € TTC,

Déboute FIELDTURF TARKETT du surplus de ses prétentions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum EUROFIELD, GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN ILE-DE-FRANCE à payer à FIELDTURF TARKETT la somme de 20.000 € au titre des frais irrépétibles,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne EUROFIELD, GSI, COSINVEST, M. [M], ART-DAN, SLOTAM, ART-DAN ILE-DE-FRANCE aux dépens de première instance et d'appel et autorise leur recouvrement dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 12/05331
Date de la décision : 02/10/2014

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°12/05331 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-02;12.05331 ?
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