La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/09/2014 | FRANCE | N°14/00220

France | France, Cour d'appel de Versailles, 9ème chambre, 18 septembre 2014, 14/00220


No du 18 SEPTEMBRE 2014

9ème CHAMBRE

RG : 14/ 00220

Société LA POSTE X... Jean-Claude

COUR D'APPEL DE VERSAILLES
OL Arrêt prononcé publiquement le DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATORZE, par Monsieur LARMANJAT, Président de la 9ème chambre des appels correctionnels, en présence du ministère public,
Sur appel d'un jugement du tribunal correctionnel de Nanterre- 17ème chambre, du 18 janvier 2013.

POURVOI :

COMPOSITION DE LA COUR
lors des débats, du délibéré,
Président : Monsieur LARMANJAT Conseillers : Monsieur ARDISS

ON, Monsieur GUITTARD,

et au prononcé de l'arrêt,
Président : Monsieur LARMANJAT Conseillers : Monsieur ARD...

No du 18 SEPTEMBRE 2014

9ème CHAMBRE

RG : 14/ 00220

Société LA POSTE X... Jean-Claude

COUR D'APPEL DE VERSAILLES
OL Arrêt prononcé publiquement le DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATORZE, par Monsieur LARMANJAT, Président de la 9ème chambre des appels correctionnels, en présence du ministère public,
Sur appel d'un jugement du tribunal correctionnel de Nanterre- 17ème chambre, du 18 janvier 2013.

POURVOI :

COMPOSITION DE LA COUR
lors des débats, du délibéré,
Président : Monsieur LARMANJAT Conseillers : Monsieur ARDISSON, Monsieur GUITTARD,

et au prononcé de l'arrêt,
Président : Monsieur LARMANJAT Conseillers : Monsieur ARDISSON, Monsieur AUBAC,

DÉCISION : voir dispositif MINISTÈRE PUBLIC : Monsieur d'HUY, avocat général, lors des débats

GREFFIER : Madame LAMANDIN, greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt

PARTIES EN CAUSE Bordereau No du Société LA POSTE, N de SIREN : 356-000-000

3 Boulevard du Levant-92000 NANTERRE déjà condamné Représentée par Maître ABORDJEL Sylvie, avocat au barreau de PARIS (conclusions) (muni d'un pouvoir)

X... Jean-Claude
Né le 19 août 1954 à NERAC Fils de X... Max et de A... Pierrette De nationalité française, marié, directeur éxécutif Demeurant...-92000 NANTERRE Libre, jamais condamné

Comparant, assisté de Maître ABORDJEL Sylvie, avocat au barreau de PARIS (conclusions)

PARTIE CIVILE

SYNDICAT SUD ACTIVITÉS POSTALES DES HAUTS DE SEINE
Domicile élu au cabinet de Me RODRIGUE Julien-48 rue Vivienne-75002 PARIS Représenté par Maître RODRIGUE Julien, avocat au barreau de PARIS (conclusions)

PARTIE INTERVENANTE
DIRECCTE DES HAUTS DE SEINE-PÔLE TRAVAIL- 14ÈME SECTION 13 rue de Lens-92022 NANTERRE CEDEX Non représentée

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LA PREVENTION :

La Société LA POSTE est prévenue :

- d'avoir, à COLOMBES et RUEIL MALMAISON, entre le 20 novembre 2007 et le 6 décembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, étant employeur, conclu des contrats de travail temporaire afin de remplacer des salariés dont le contrat de travail était suspendu à la suite d'un conflit collectif, en l'espèce en employant 22 intérimaires (conformément à la liste jointe) à des activités de tri et de distribution de courrier destiné à la commune de Rueil-Malmaison, dont le centre de distribution était affecté par une grève de son personnel depuis le 20 novembre 2007,

B... Henrick : depuis le mardi 20 novembre 2007 C... Sean : depuis le mardi 20 novembre 2007 D... Djebril : depuis le mardi 20 novembre 2007 E... Sonia : depuis le mardi 20 novembre 2007 F... Jean-Yves : depuis le jeudi 22 novembre 2007 G... Jean-Gael : depuis le mercredi 28 novembre 2007 H... Florian : depuis le mardi 20 novembre 2007 Y... Wiltor : depuis le mardi 20 novembre 2007 I... Dimitri : depuis le mardi 20 novembre 2007 J... David : depuis le mercredi 27 novembre 2007, employé précédemment sur le centre de tri de RUEIL MALMAISON Z... Cyril : depuis le mardi 20 novembre 2007 K... Andy : depuis le mardi 20 novembre 2007 K... Christopher : depuis le mardi 20 novembre 2007 L... Vincent V... Ahmed O... Tshiala P... Damien Q... Yohan R... Loïc M... Jonathan S... Nicolas T... Eric D... Pedru qui est probablement Monsieur D... Djebril

Définie par art. 1251-10 1o du Code du travail (L124-2-3- 1o ancien) réprimée par art. L. 1254-6 du Code du travail (L152-2 ancien),

faits prévus par art. l. 152-2 al. 2 2o, art. l. 124-2-3, art. l. 124-2-7 c. travail, et réprimés par art. l. 152-2 al. l, art. l. 152-2-1 c. travail.
X... Jean-Claude est prévenu :
- d'avoir, à COLOMBES et RUEIL MALMAISON, entre le 20 novembre 2007 et le 6 décembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, étant directeur de la direction opérationnelle territoriale courrier, conclu des contrats de travail temporaire afin de remplacer des salariés dont le contrat de travail était suspendu à la suite d'un conflit collectif, en l'espèce en employant 22 intérimaires (conformément à la liste jointe) à des activités de tri et de distribution de courrier destiné à la commune de Rueil-Malmaison, dont le centre de distribution était affecté par une grève de son personnel depuis le 20 novembre 2007,
B... Henrick : depuis le mardi 20 novembre 2007, C... Sean : depuis le mardi 20 novembre 2007, D... Djebril : depuis le mardi 20 novembre 2007 E... Sonia : depuis le mardi 20 novembre 2007 F... Jean-Yves : depuis le jeudi 22 novembre 2007 G... Jean-Gael : depuis le mercredi 28 novembre 2007 H... Florian : depuis le mardi 20 novembre 2007 Y... Wiltor : depuis le mardi 20 novembre 2007 I... Dimitri : depuis le mardi 20 novembre 2007 J... David : depuis le mercredi 27 novembre 2007, employé précédemment sur le centre de tri de RUEIL MALMAISON Z... Cyril : depuis le mardi 20 novembre 2007 K... Andy : depuis le mardi 20 novembre 2007 K... Christopher : depuis le mardi 20 novembre 2007 L... Vincent V... Ahmed O... Tshiala P... Damien Q... Yohan R... Loïc M... Jonathan S... Nicolas T... Eric D... Pedru qui est probablement Monsieur D... Djebril

Définie par art. 1251-10 1o du Code du travail (L124-2-3-10 ancien) réprimée par art. L. 1254-6 du Code du travail (L152-2 ancien), 131-37, 131-38 du Code pénal,

faits prévus par art. l. 152-2 al. 2 2o, art. l. 124-2-3, art. l. 124-2-7 c. travail, et réprimés par art. l. 152-2 al. l, art. l. 152-2-1 c. travail.
LE JUGEMENT :
Par jugement contradictoire en date du 18 janvier 2013, le tribunal correctionnel de Nanterre :
Sur l'action publique :
a déclaré X... Jean-Claude non coupable des faits reprochés et l'a relaxé,
a déclaré LA POSTE non coupable des faits reprochés et l'a relaxée,
a déclaré recevable la constitution de partie civile du SYNDICAT SUD ACTIVITES POSTALES des Hauts de Seine.
a débouté la partie civile de ses demandes.
LES APPELS :
Appel a été interjeté par :
SYNDICAT SUD ACTIVITÉS POSTALES DES HAUTS DE SEINE, le 25 janvier 2013 contre Monsieur X... Jean-Claude, son appel portant tant sur les dispositions pénales que civiles
SYNDICAT SUD ACTIVITÉS POSTALES DES HAUTS DE SEINE, le 25 janvier 2013 contre Société LA POSTE, son appel portant tant sur les dispositions pénales que civiles
M. le procureur de la République, le 28 janvier 2013 contre Monsieur X... Jean-Claude
M. le procureur de la République, le 28 janvier 2013 contre Société LA POSTE
DÉROULEMENT DES DÉBATS :
A l'audience publique du 19 juin 2014, Monsieur le Président a constaté l'identité du prévenu ;
Le Président informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire,
Ont été entendus :
Monsieur LARMANJAT, président en son rapport,
Monsieur X..., prévenu, en ses explications,
Maître RODRIGUE, avocat, en sa plaidoirie, pour la partie civile
Monsieur d'HUY, avocat général, en ses réquisitions,
Maître ABORDJEL, avocat, en sa plaidoirie,
Le prévenu a eu la parole en dernier.
Monsieur le président a ensuite averti les parties que l'arrêt serait prononcé à l'audience du 18 SEPTEMBRE 2014 conformément à l'article 462 du code de procédure pénale.
******** DÉCISION

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant :
LE RAPPEL DES FAITS ET LA PROCEDURE
le 20 novembre 2007, un préavis de grève illimité couvrant l'ensemble du personnel du CDIS de Rueil Malmaison (Hauts de Seine) était lancé par les organisations syndicales.
L'ANPE de cette commune diffusait des offres d'emploi pour des postes d'agents de tri et de distribution du courrier à pourvoir à compter du 20 novembre 2007.
Un constat d'huissier du 27 du même mois a permis de faire constater que des salariés intérimaires, recrutés par la société ADIA, effectuaient des tournées de distribution de courrier sur la commune de Rueil-Malmaison et que ces salariés intérimaires, au nombre d'environ quinze, basés au centre de tri postal de Colombes avaient été recrutés le 20 novembre, soit à la date depuis laquelle la grève des facteurs a débuté, de même que neuf autres intérimaires.
Le 28 novembre 2007, le syndicat Sud Activités postales des Hauts de Seine informait l'inspection du travail du recours à des travailleurs intérimaires " afin de remplacer les agents grévistes ".
Dés le lendemain, les fonctionnaires de l'inspection du travail procédaient aux constatations nécessaires au centre de traitement et d'entraide départemental de Colombes. Ils constataient que des travailleurs intérimaires s'y trouvaient, embauchés depuis le 20 novembre, et aidaient à la distribution du courrier sur les quartiers de la ville de Rueil-Malmaison.
Le 7 décembre suivant, deux responsables de la DTOC (direction opérationnelle courrier des Hauts de Seine) remettaient à l'inspection du travail les contrats de mise à disposition de 22 intérimaires. Pour justifier du recours au travail intérim, La Poste invoquait " l'impossibilité de certains agents à se rendre sur place du fait de la grève des transports et mise en place de réorganisation ", ces motifs étant mentionnés sur les contrats, tout en admettant que ces intérimaires " effectuaient la distribution du courrier ".
L'Inspection du Travail considérait que le motif invoqué pour la mise à disposition des salariés intérimaires constitué par la grève des transports et la mise en place de réorganisation ne pouvait être retenu comme le motif réel du recours aux salariés intérimaires puisque la grève des transports avait débuté le 13 novembre et pris fin le 22 novembre 2007
Le 20 février 2008, l'Inspection du travail des Hauts de Seine adressait un procès-verbal de constat d'infraction au procureur de la République de Nanterre.
La Poste, désignait M Jean Claude X..., directeur du DTOC, comme pénalement responsable.
Celui-ci était entendu par les services de police le 3 décembre 2009 et concédait " l'embauche provisoire de personnel en intérim afin d'assurer la continuité du service public " tout en invoquant également " la grève des transports (depuis le 14 novembre 2007) ", entraînant un fort absentéisme du personnel ainsi que le mécontentement des usagers, " et pour pallier la réorganisation du courrier dans certains de nos établissements. ". Il convenait que douze intérimaires avaient été " utilisés pour traiter le courrier à destination de Rueil-Malmaison, ", mais uniquement " pour traiter du courrier retardé... principalement effectué en binôme " tout en soulignant qu'il " ne faisaient pas le même travail que les facteurs titulaires ". Il ajoutait " si on a été contraint d'embaucher du personnel en intérim, c'est parce que, malgré la mobilisation de tous nos effectifs non grévistes disponibles, nous ne pouvions assurer la continuité du service public due aux usager ou clients de La Poste. ".
Le 7 novembre 2010, sur demande d'avis du parquet de Nanterre, l'inspection du travail concluait que le Poste avait eu recours à des salariés intérimaires pour " effectuer, même partiellement, des tâches relevant des fonctions principales des facteurs " et que c'était " dans le but de remplacer, entre autres, des salariés grévistes du site de Rueil-Malmaison CDIS que la Poste a eu recours à des salariés intérimaires. " C'est ainsi que, sur citation directe du parquet, LA POSTE ainsi que M. Jean-Claude X..., directeur de la DOTC (direction opérationnelle territoriale courrier), faisaient l'objet de poursuites pénales pour avoir, à COLOMBES et RUEIL-MALMAISON, entre le 20 novembre 2007 et le 6 décembre 2007 :

- conclu des contrats de travail temporaires afin de remplacer des salariés dont le contrat de travail était suspendu à la suite d'un conflit collectif, en l'espèce en employant 22 intérimaires (conformément à la liste jointe) à des activités de tri et de distribution de courrier destiné à la commune de Rueil-Malmaison, dont le centre de distribution était affecté par une grève de son personnel depuis le 20 novembre 2007 :
B... Henrick : depuis le mardi 20 novembre 2007, C... Sean : depuis le mardi 20 novembre 2007, D... Djebril : depuis le mardi 20 novembre 2007, E... Sonia : depuis le mardi 20 novembre 2007, F... Jean-Yves : depuis le jeudi 22 novembre 2007, G... Jean-Gael : depuis le mercredi 28 novembre 2007, H... Florian : depuis le mardi 20 novembre 2007, Y... Wiltor : depuis le mardi 20 novembre 2007, I... Dimitri : depuis le mardi 20 novembre 2007, J... David : depuis le mercredi 27 novembre 2007, employé précédemment sur le centre de tri de RUEIL-MALMAISON, Z... Cyril : depuis le mardi 20 novembre 2007, K... Andy : depuis le mardi 20 novembre 2007, K... Christopher : depuis le mardi 20 novembre 2007, L... Vincent, V... Ahmed, O... Tshiala, P... Damien, Q... Yohan, R... Loïc, M... Jonathan, S... Nicolas, T... Eric et D... Pedru.

Par jugement, contradictoire, du 18 janvier 2013, le tribunal a :
* sur l'action publique,
- relaxé les prévenus des fins de la poursuite,
* sur l'action civile,
- déclaré recevable la constitution de partie civile du syndicat SUD ACTIVITÉS POSTALES des Hauts de Seine et l'a débouté de ses demandes.
Par actes des 25 et 28 janvier 2013, le syndicat SUD ACTIVITÉS POSTALES DES HAUTS DE SEINE et, à sa suite, le parquet, ont fait appel de ce jugement, l'appel du parquet concernant la relaxe des deux prévenus et l'appel.
Le casier judiciaire de Jean Claude X... porte la mention néant. Celui de La Poste porte mention de deux condamnations :
- le 26 novembre 2010, 9ème chambre de la cour d'appel de Versailles, 15 000 € d'amende du chef de renouvellement par employeur d'un même contrat à durée déterminée plus d'une fois, pour des faits commis de 2000 à 2004,
- le 6 juin 2011, tribunal de police de Dax, blessures involontaires par personne morale suivie d'une incapacité n'excédant pas trois mois, 500 €.
A l'audience de la cour, par conclusions déposées à l'audience, visées par le président et le greffier, le conseil des deux prévenus a sollicité, par des moyens auxquels il sera répondu ci-après, la confirmation des relaxes prononcées en première instance.
S'agissant de l'activité de La Poste dans le département des Hauts de Seine à l'époque des faits et du contexte dans lequel ceux-ci se sont déroulés, la société fait observer que :
- la direction opérationnelle territoriale courrier (DTOC) des Hauts de Seine, dirigée par Jean Claude X..., comprend 33 centres courrier, deux centres de traitement du courrier et une plate-forme de préparation et de distribution du courrier, répartis sur le département,
- le nombre de tournées est de 1506, assurées par 4000 postiers,
- en 2007, le nombre d'objets ou courriers traités était de 3 à 4 millions,
- au moment des faits, soit entre le 20 novembre et le 6 décembre 2007, la DTOC a connu un surcroît d'activités ayant pour cause et origine des événements internes antérieurs :
- l'évacuation du site de Rueil-Malmaison en février 2007 a provoqué la non distribution du courrier du 23 au 28 février 2007, puis la réorganisation du travail au sein d'autres sites, dont le CTED (centre de traitement et d'entraide départemental de Colombes),
- cette nouvelle organisation aurait entraîné la mise en place de mesures d'urgence et un surcroît d'activités ayant perduré durant l'année 2007,
- cette situation aurait suscité le mécontentement des usagers et clients de La Poste et même l'intervention d'élus,
- à cette situation, sur le mot d'ordre de plusieurs organisations syndicales protestant contre la réforme des régimes spéciaux de retraites, s'est ajoutée une grève de transports (SNCF et RATP) à compter du 13 novembre 2007, ayant entraîné un fort absentéisme de personnel,
- si La Poste a été en mesure de traiter les difficultés durant les premiers jours de grève, " à compter du 20 novembre 2007, le nombre de restes déclarés sur le département était presque six fois supérieur à celui des jours précédents ".

- le CTED de Colombes, qui dispose d'une organisation spécifique, a pour fonctions une activité permanente de traitement du courrier et aussi, de renforcer et venir en aide aux établissements en difficulté, à la fois sur le plan du traitement du courrier mais aussi de la distribution.

Dans des écritures déposées à l'audience, visées par le président et le greffier, le syndicat SUD Activités Postales des Hauts de Seine conclut à la culpabilité des deux prévenus et sollicite, à titre de peine complémentaire, la publication du présent arrêt dans plusieurs journaux qu'il désigne. Sur l'action civile, il demande le bénéfice d'une somme de 5 000 ¿ à titre de dommages-intérêts pour le " préjudice porté à l'intérêt de la profession " et une somme au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Le procureur général a requis l'infirmation de la décision des premiers juges et le prononcé d'une peine d'amende de 20 000 € à l'encontre de la personne morale et une autre de 5 000 ¿ avec sursis à l'encontre de Jean Claude X....

Celui-ci, prévenu, a eu la parole en dernier.
MOTIFS
Considérant que, selon l'article L 124-2-3 du code du travail devenu l'article L 1251-10 1o du même code, " en aucun cas, un contrat de travail ne peut être conclu pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu par suite d'un conflit collectif de travail " ; qu'il importe, en l'espèce, de vérifier si le recours au travail intérim a été décidé dans le seul but de remplacer les agents grévistes et ainsi de priver leur action d'efficacité ;
Considérant que, dans leurs écritures, remises à la cour, les prévenus tentent de justifier le recours au travail intérim en invoquant un accroissement temporaire de l'activité dû à l'évacuation du site de Rueil-Malmaison en février 2007, la mise en place des réorganisations qui s'en est suivie durant l'année 2007 et la grève des transports à compter du 13 novembre 2007 ; que, dans ce contexte, le recours à des salariés intérimaires aurait donc eu pour but d'assurer la continuité de la mission de service public de La Poste et de faire face au surcroît d'activité ; que, d'ailleurs, soulignent ils, dans le formulaire de recours à l'intérim, daté du 16 novembre, il est fait état d'un " accroissement temporaire d'activité lié à l'impossibilité de certains agents de se rendre sur place du fait de la grève des transports " ;
Considérant qu'ils admettent toutefois que les constatations des fonctionnaires de l'inspection du travail, le 29 novembre 2007, dans les locaux du CTED de Colombes, ont conclu à la présence de treize intérimaires, sur les vingt deux recrutés, et douze agents titulaires et que Mme YY..., directrice des risques et de la qualité, leur aurait indiqué que les " salariés intérimaires étaient embauchés pour aider " à la distribution du courrier, notamment sur les quartiers Rueil 2000, Lavoisier et Doumer ;
Considérant que, comme l'a relevé le tribunal, les intérimaires ont été embauchés à compter du 20 novembre 2007, date du début de la grève interne à La Poste ; que le tribunal retient également à juste titre que la décision de recourir à des emplois intérimaires avait nécessairement été prise quelques jours avant, soit à réception du préavis de grève ; que la cour ajoute que le nombre d'employés intérimaires correspond exactement au nombre de salariés grévistes ;
Considérant que les pièces produites démontrent que c'est le 16 novembre 2007, soit deux jours après le dépôt de préavis de " grève illimitée " émanant du syndicat SUD Activités Postales 92 et adressé au directeur de la DTOC 92, soit M X..., que la Poste a fait diffuser à l'ANPE des emplois d'agent de tri et de distribution du courrier, pour une durée de 7 jours, à compter du 20, au site de Colombes ; que le profil de poste était formulé ainsi : " vous êtes chargé de distribuer le courrier à pied ou à vélo. Vous êtes de bonne condition physique car port de charge lourde supérieur à 15 kg. Vous êtes vif et rigoureux. Vous travaillez du lundi au samedi matin de 7h à 13 h. Etudiants bienvenus plusieurs postes à pourvoir. " ; que la société de travail intérim ADIA a diffusé, à la même date, une offre de postes, basés à Colombes de " tri et distribution du courrier à pied ou à bicyclette, porte de charges " ;
Considérant que les contrats de mise à disposition des salariés intérimaires stipulent comme motifs du recours à l'intérim " accroissement temporaire d'activité " et plus particulièrement " impossibilité de certains agents à se rendre sur place du fait de la grève des transports et mise en place de réorganisations " ; que l'accroissement temporaire d'activité s'entend comme l'augmentation temporaire de l'activité habituelle de l'entreprise ; qu'au cours de la procédure comme dans ses écritures, la société La Poste n'a pas fourni les informations satisfaisantes s'agissant de la réorganisation mentionnée ;
Considérant que, lors de son transport à Colombes, le fonctionnaire de l'inspection du travail a noté la présence d'une affiche apposée sur mur à la porte des bureaux mentionnant " Distri Rueil 28/ 11/ 2007, tournée (grévistes) Rueil 2000, Lavoisier, Doumer. " ; que cette affiche concorde avec les termes du procès-verbal de constat d'huissier, daté du 27 novembre 2007, attestant que des salariés intérimaires, recrutés par la société ADIA, effectuaient des tournées de distribution du courrier sur Rueil-Malmaison ; que ces employés, au nombre d'une quinzaine, basés au centre de tri de Colombes, avaient été recrutés le 20 novembre 2007, date du début de la grève, ainsi que neuf autres intérimaires ;
Considérant qu'interrogé par les services de police le 3 décembre 2009, M Jean Claude X... est pourtant convenu que " nous n'avons pas le droit d'utiliser un intérimaire sur le poste d'un agent titulaire afin de respecter le droit de grève... le personnel intérimaire n'a pas à faire le même travail que le titulaire gréviste " ; qu'il a ajouté " malgré cela, nous avons décidé de procéder à l'embauche provisoire de personnel en intérim afin d'assurer la continuité du service public. " ; que Mesdames ZZ... et XX..., adjointes de M X..., ont confirmé que les salariés intérimaires ont rempli partiellement les tâches des facteurs, tout au moins l'acheminement du courrier ; que ces déclarations correspondent aux annonces d'offres d'emploi évoquées plus haut ;
Considérant que, pour justifier le recours au travail intérim, M X... ne peut utilement invoquer la réorganisation des services de tri et l'absentéisme du personnel de La Poste du fait des grèves de transport, dés lors que ladite réorganisation alléguée était très antérieure à la période de grève et a constitué justement un des motifs du préavis de grève déposé par le syndicat SUD et que l'absentéisme d'agents pour cause de grève de transports publics ne pouvait être anticipé, cette grève se situant, à quelques jours près, en même temps que la grève interne à La Poste ;
Considérant que, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si les dysfonctionnements dans la distribution du courrier, invoqués par les prévenus, ont perduré malgré le remplacement de grévistes par des salariés temporaires, il ressort bien des déclarations de M X..., des constatations de l'inspection du travail, du contenu des annonces publiées à l'ANPE et à la société ADIA et du constat d'huissier que les tâches confiées à ces employés intérimaires étaient bien, au moins pour partie, les mêmes que celles des agents en grève et plus spécialement celles réservées aux facteurs titulaires, c'est à dire des tâches de tri et de distribution du courrier, ce, d'autant que, selon M X..., ces employés temporaires avaient, pour la plupart, déjà travaillé au CTED de Colombes ou dans d'autres établissements de La Poste des Hauts de Seine ;
Considérant que, comme les prévenus le soulignent dans leurs conclusions, s'il est exact que La Poste, qui était, à l'époque des faits, un établissement public à caractère industriel et commercial, et est devenue, en 2010, une société anonyme à capitaux mixtes, est investie d'une mission de service public, prescrite dans les termes du décret no 90-1214 du 29 décembre 1990, et doit garantir, à ce titre, de manière permanente et continue, « tous les jours ouvrables, sauf circonstances exceptionnelles », ainsi que prévu par l'article L 1 alinéa 3 du code des postes et télécommunications, la distribution des envois postaux pour l'ensemble des usagers, elle était tenue au moment des faits, comme toute autre entreprise, de respecter les dispositions du code du travail vis à vis de ses salariés et ne pouvait donc recourir, durant un conflit collectif du travail interne, à des recrutements temporaires dans le but de remplacer, en un nombre identique, certains de ses salariés, grévistes, et faire effectuer, même partiellement, leurs missions, la grève, précédée, de surcroît, d'un préavis, ne constituant nullement une circonstance exceptionnelle ;
Considérant que, l'élément matériel de l'infraction étant établi, il ressort des déclarations de M X... lui même et de ses adjointes, Mmes YY..., ZZ... et XX..., mais aussi de la concordance entre la date du préavis de grève et celle du recours à l'intérim qu'il s'est agi d'une décision délibérée, ayant pour but " d'assurer la continuité du service public " ; qu'en outre, le nombre d'employés temporaires a correspondu exactement au nombre d'agents grévistes, dont les noms figurent dans l'acte de poursuite ; qu'une telle décision a, à l'évidence, eu pour effet de priver d'efficacité le conflit collectif décidé ;
Considérant que c'est donc à tort que le tribunal a considéré que le délit reproché n'était pas constitué à l'encontre de la personne morale ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce qui la concerne ;
Considérant que, s'agissant de Jean Claude X..., désigné comme pénalement responsable par la personne morale elle même, et poursuivi en sa qualité de directeur de la DTOC des Hauts de Seine, et non en qualité d'employeur comme le soutiennent les prévenus dans leurs écritures, il est apparu comme celui ayant pris la décision du recours à l'intérim ; que, d'ailleurs, il s'en est expliqué lors de son audition en indiquant que : " suite à ces faits (le taux d'absence... les protestations des usagers...) cela m'a contraint de devoir renforcer les effectifs du CTED de Colombes en ayant recours à de la main d'oeuvre intérimaire afin d'assurer la continuité du service public.. " ; qu'il s'est ensuite expliqué avec précision sur les tâches remplies par les intérimaires ; qu'en sa qualité de responsable départemental des centres de tri, c'est Jean Claude X... qui a donc donné à ses collaborateurs, dont M AA..., signataire des contrats, les instructions nécessaires au recours au travail intérim ;
Considérant qu'il découle de ces éléments que, compte tenu de ses fonctions et responsabilités au sein de la société La Poste dans les Hauts de Seine, Jean Claude X... a donc commis l'infraction visée dans la prévention à la fois à titre personnel et pour le compte de son employeur, dont il était alors le représentant ; qu'infirmant le jugement entrepris, il sera déclaré coupable des faits poursuivis à son encontre ;
Considérant que, sur les sanctions, le casier judiciaire de la société La Poste porte mention d'une précédente condamnation prononcée le le 26 novembre 2010 par cette chambre, autrement composée, du chef de renouvellement par employeur d'un même contrat à durée déterminée plus d'une fois, pour des faits commis de 2000 à 2004 ; que, compte tenu de la gravité des faits, l'amende prononcée sera de 18 750 €, soit du montant maximum prévu par la loi ; que Jean Claude X... sera condamné à une amende de 3 000 € entièrement assortie du sursis ; que la demande de publication de la présente décision formulée par la partie civile n'apparaît pas adaptée ;
Considérant, sur l'action civile, que, pour justifier ses demandes de dommages-intérêts, le syndicat partie civile fait état de condamnations récentes prononcées à l'encontre de La Poste pour l'emploi d'intérimaires en remplacement de grévistes ; qu'en réplique, les prévenus soulignent qu'il s'agirait de faits postérieurs aux changement de statut de La Poste ;
Considérant que la cour est en mesure d'estimer le préjudice subi par le syndicat à la somme de 3 000 € et de considérer que, par équité, une somme identique lui sera versée pour les deux instances sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; que La Poste sera condamnée au paiement de ces sommes ;

PAR CES MOTIFS :

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,
- infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile du syndicat Sud Activités Postales des Hauts de Seine,
statuant à nouveau,
--- sur l'action publique,
- déclare la société La Poste et M Jean Claude X... coupables des faits tels que libellés dans l'acte de poursuite,
- condamne La Poste à une amende délictuelle de 18 750 €,
- condamne Jean Claude X... à une amende délictuelle de 3 000 € avec sursis,
--- sur l'action civile,
- condamne la société La Poste à payer au syndicat SUD Activités Postales des Hauts de Seine :
¿ la somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts,
et celle de 3 000 €, pour les deux instances, sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

DIT QUE l'avertissement prévu par l'article 132-29 du code pénal a été donné au condamné ;

Si le condamné s'acquitte du montant des droits fixes de procédure et, s'il y a lieu, de l'amende dans un délai d'un mois à compter de ce jour, ce montant est diminué de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1. 500 €, le paiement de l'amende ne faisant pas obstacle à l'exercice des voies de recours et ce, en application de l'article 707-3 du code de procédure pénale. Dans le cas d'une voie de recours contre les dispositions pénales, il appartient à l'intéressé de demander la restitution des sommes versées.

La partie civile, s'étant vue allouer des dommages-intérêts mis à la charge du condamné, est informée de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, dans le délai d'une année à compter du présent avis, lorsque sont réunies les conditions édictées par les articles 706-3 et 706-14 du nouveau code de procédure pénale.

La personne condamnée est informée de la possibilité pour la partie civile, non éligible à la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, de saisir le service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions si elle ne procède pas au paiement des dommages-intérêts auxquels elle a été condamnée dans le délai de 2 mois courant à compter du jour oü la décision est devenue définitive.
Et ont signé le présent arrêt, Monsieur LARMANJAT président et Madame LAMANDIN greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.

Décision soumise à un droit fixe de procédure (article 1018A du code des impôts) : 120, 00 €


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 14/00220
Date de la décision : 18/09/2014

Analyses

Selon l'article L. 124-2-3 du code du travail devenu l'article L. 1251-10 1º du même code, en aucun cas, un contrat de travail ne peut être conclu pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu par suite d'un conflit collectif de travail. Il ressort des éléments soumis à la Cour que les tâches confiées aux employés intérimaires étaient bien, au moins pour partie, les mêmes que celles des agents en grève et que le recours à l'intérim est une décision délibérée. La Cour, infirmant le jugement entrepris, considère que le délit reproché est constitué tant à l'encontre de la personne morale qu'à l'encontre de son directeur ayant pris la décision du recours à l'intérim à la fois à titre personnel et pour le compte de son employeur, dont il est le représentant.


Références :

Décision attaquée : Tribunal correctionnel de Nanterre, 18 janvier 2013


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2014-09-18;14.00220 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award