COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 61B
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 SEPTEMBRE 2014
R.G. N° 13/03417
AFFAIRE :
SAS LES LABORATOIRES SERVIER
C/
[P] [U]
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance de mise en état rendue le 23 Avril 2013 par le Juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance DE NANTERRE
N° Chambre : 2
N° RG : 12/07723
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Christophe DEBRAY
Me Charles JOSEPH-OUDIN de la SELARL DANTE
Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE ONZE SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS LES LABORATOIRES SERVIER
RCS Nanterre n° 085 480 096
[Adresse 4]
[Localité 4]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 13000241
Représentant : Me Nathalie CARRERE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A193
APPELANTE
****************
1/ Monsieur [P] [U]
né le [Date naissance 2] 1943 au [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 8]
2/ Madame [S] [B] épouse [U]
née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 8] (77)
de nationalité française
[Adresse 6]
[Localité 8]
3/ Monsieur [G] [U]
né le [Date naissance 5] 1970 à [Localité 7] (77)
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 2]
4/ Madame [N] [U] épouse [C]
née le [Date naissance 6] 1973 à [Localité 8] (77)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 8]
5/ Madame [X] [U]
née le [Date naissance 3] 1982 à [Localité 8] (77)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 5]
6/ Monsieur [E] [U]
né le [Date naissance 4] 1986 à [Localité 8] (77)
de nationalité française
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentant : Me Charles JOSEPH-OUDIN de la SELARL DANTE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0115
INTIMES
7/ CPAM DE SEINE ET MARNE
[Adresse 7]
[Localité 3]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20130840
Représentant : Me Maher NEMER de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R295
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Juin 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOISSELET, Président chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Annick DE MARTEL, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,
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A la suite de la suspension en 2009 de l'autorisation de mise sur le marché du Médiator commercialisé par Les laboratoires Servier, [P] [U], estimant présenter une pathologie en lien avec ce médicament, a assigné par acte du 1er février 2011 la société Les laboratoires Servier devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre afin de voir désigner un expert. Par ordonnance du 9 février 2011, trois experts ont été désignés et ont déposé leur rapport le 8 mai 2012.
Par acte du 5 juillet 2012, [P] [U], son épouse [S] [B] et leurs enfants [G], [N], [X] et [E] ont assigné la société Les laboratoires Servier et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Seine et Marne devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d'obtenir réparation de leur préjudice.
Par conclusions d'incident du 18 septembre 2012, les consorts [U] ont demandé au juge de la mise en état une provision pour frais d'expertise et d'avocat. En réponse, la société Les laboratoires Servier a demandé un sursis à statuer, au motif que les faits qui lui étaient imputés faisaient l'objet d'une expertise dans le cadre d'une procédure pénale pendante, et que les conclusions de cette expertise ainsi que la décision pénale à intervenir seraient de nature à influer sur l'appréciation du défaut allégué du produit.
Par ordonnance du 23 avril 2013, le juge de la mise en état a :
- déclaré l'ordonnance commune à la CPAM de Seine et Marne,
- rejeté la demande de sursis à statuer,
- condamné la société Les laboratoires Servier à verser aux consorts [U] une provision pour procès de 27 285 € et la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les consorts [U] du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Les laboratoires Servier aux dépens y compris ceux d'un précédent incident.
Par déclaration du 30 avril 2013, les laboratoires Servier en ont interjeté appel et par conclusions du 3 juin 2014, prient la cour d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance et, statuant à nouveau, de :
- surseoir à statuer, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, sur l'action en indemnisation engagée dans l'attente de l'issue de la procédure pénale actuellement instruite au Pôle Santé de Paris,
- rejeter la demande de provision et condamner les consorts [U] à lui rembourser les sommes perçues en exécution de l'ordonnance,
- à titre subsidiaire, confirmer le montant de la provision ad litem allouée aux consorts [U] mais les débouter de leur demande de provision complémentaire de 30 000 € pour frais d'avocat,
- en tout état de cause, juger irrecevables et mal fondées les demandes des consorts [U] tendant :
- à ce que la cour ordonne la production du rapport d'expertise pénale versé au dossier de l'instruction le 20 décembre 2013,
- à l'octroi d'une provision sur dommage ;
- débouter les consorts [U] et la CPAM de leurs demandes à son encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les intimés en tous les dépens.
Par conclusions du 26 mai 2014, les consorts [U] demandent à la cour :
- de juger irrecevable et mal fondé l'appel de la société Les laboratoires Servier,
- d'ordonner à la CPAM de Seine et Marne de communiquer le rapport d'expertise déposé le 20 décembre 2013 dans le cadre de l'information pénale,
- de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a alloué une provision pour frais d'instance,
- y ajoutant, de condamner Les Laboratoires Servier à leur verser :
- une provision complémentaire pour frais d'avocat de 30 000 €,
- une provision sur dommage de 200 000 €,
- la somme de 4 000 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- de condamner la société Les Laboratoires Servier aux entiers dépens.
Par conclusions du 30 mai 2014, la CPAM de Seine et Marne demande à la cour de :
- lui donner acte qu'elle se rapporte à la justice sur le bien-fondé de l'appel des laboratoires Servier,
- dire irrecevable et à défaut mal fondée la demande de communication du rapport d'expertise pénale des consorts [U] dirigée à son encontre,
- condamner tout succombant à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'appelante ou tout succombant aux dépens.
SUR QUOI LA COUR :
La prétendue irrecevabilité de l'appel n'est pas argumentée, et la cour recevra les Laboratoires Servier en leur appel.
Sur la demande de sursis à statuer:
Les laboratoires Servier reconnaissent avoir été mis en examen par le magistrat instructeur saisi de l'information ouverte notamment du chef de tromperie aggravée par mise en danger de l'homme, soit pour avoir sciemment trompé les patients traités par Médiator sur les risques attachés à sa consommation.
Dans le cadre de la présente instance, fondée sur les articles 1386-1 et suivants du code civil, il incombe aux consorts [U] de rapporter la preuve que le Médiator est un produit défectueux en ce que, notamment, il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Ainsi, alors que l'information a pour objet de rechercher les charges caractérisant les éléments constitutifs du délit de tromperie, et notamment son élément intentionnel, le litige civil a exclusivement pour objet de déterminer la responsabilité objective des Laboratoires Servier, c'est à dire sans recherche d'une éventuelle faute, fondée sur la production et la mise à disposition du public d'un produit défectueux.
Dès lors, même si, sur le plan matériel, le dommage déploré par les consorts [U] est le même dans les deux procédures, son traitement sur le plan juridique est différent, en sorte que le sursis à statuer, qui n'est que facultatif sur le fondement de l'article 4 du code de procédure pénale ou sur celui des articles 377 et 378 du code de procédure civile ne s'impose pas. En outre, le caractère intentionnel ou non de la mise en circulation d'un produit défectueux est sans incidence sur l'appréciation tant du lien de causalité entre l'administration du produit et le dommage corporel causé, que sur l'étendue de ce dommage, qui constitue l'objet du présent litige. Tous au plus pourrait-il être soutenu que la démonstration de la faute intentionnelle des Laboratoires Servier, laquelle résulterait d'une condamnation pénale du chef de tromperie aggravée, serait de nature à constituer un élément majorant les préjudices moraux causés aux victimes. Mais il appartiendra alors à la juridiction statuant au fond d'apprécier, compte tenu de l'état de la procédure pénale, l'opportunité d'un sursis à statuer de ce seul chef. Enfin, la cause d'exonération invoquée par les Laboratoires Servier, sur le fondement de l'article 1386-11 4° du code civil relative à l'état des connaissances scientifiques et techniques lors de la mise en circulation du produit ayant causé le dommage est distincte de celle d'un éventuel élément intentionnel de tromperie. En l'état, l'ordonnance entreprise sera confirmée sur le rejet de la demande de sursis à statuer.
Sur la demande de communication du rapport d'expertise déposé dans le cadre de l'information :
Ce rapport ayant été déposé postérieurement à la date de l'ordonnance dont appel, soit en décembre 2013, la demande ne pouvait en être faite dans le cadre de l'incident devant le juge de la mise en état. Cette circonstance pourrait être considérée comme constituant un élément nouveau survenu en cours de procédure et faisant échec à la prohibition édictée par l'article 564 du code pénal. Néanmoins, outre qu'en principe une pièce couverte par le secret de l'instruction ne peut être divulguée avant l'achèvement de cette dernière, l'information est toujours en cours et les débats sur le contenu de cette expertise sont à l'évidence loin d'être achevés. Enfin les consorts [U], qui sollicitent cette communication de la CPAM du Finistère au seul motif qu'elle aurait produit ce rapport dans le cadre d'une autre procédure, n'explicitent pas en quoi cette pièce serait utile pour établir dans le cadre du présent litige la responsabilité des Laboratoires Servier sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil, alors qu'une expertise parfaitement documentée et précise a déjà été effectuée à leur requête. Il n'y a donc pas lieu d'accueillir cette demande.
Sur les demandes de provision :
L'article 771 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est seul compétent pour allouer une provision pour le procès et accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Ne peut être considérée comme nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure pénale une demande de provision à valoir sur le préjudice subi alors qu'a été formulée en première instance une demande de provision pour frais d'expertise et frais d'avocat, le fondement de toutes les demandes étant identique, et tendant à permettre au créancier de surmonter, au plan pécuniaire, la charge et les délais d'un procès dont l'issue apparaît certaine.
Il est constant que le Médiator (benfluorex) a été commercialisé en France à partir de 1997, ayant pour indication initiale notamment le diabète de type II. Il a fait l'objet d'une décision de suspension d'AMM en novembre 2009, puis de retrait en juin 2010 en raison de sa toxicité cardia-vasculaire, caractérisée par un risque d'hypertension artério-pulmonaire (HTAP) et de valvulopathies. Les éléments produits aux débats permettent donc de considérer le Médiator comme un produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil, en ce qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, en raison du déséquilibre défavorable avantage/risque démontré par les études réalisées et sanctionné par le retrait du marché et aussi de l'absence totale d'information sur la notice accompagnant ce médicament, quant au risque d'apparition d'une HTAP ou d'une valvulopathie. En d'autres termes, et contrairement à ce que soutiennent les Laboratoires Servier, le Médiator n'est pas un produit défectueux en raison du seul fait que son ingestion a provoqué un dommage, ou parce que ce médicament produit des effets secondaires indésirables, mais bien parce qu'il existe une disproportion défavorable entre les effets thérapeutiques attendus et la toxicité de ce produit.
En ce qui concerne [P] [U], il résulte du rapport d'expertise que sa pathologie est constituée par l'apparition d'une insuffisance mitrale avec insuffisance cardiaque ayant nécessité une intervention chirurgicale et qu'il ne présentait pas de pathologie cardiaque connue avant cette pathologie mitrale. La dilatation de l'aorte thoracique ascendante est indépendante et aurait de toutes façons entraîné une intervention.
La pathologie observée est attribuée par les experts, de façon directe et certaine pour la moitié à la prise du Médiator (pendant six ans, entre juin 2003 et novembre 2009, pour un diabète de type II). Ce lien de causalité est à partager, pour 50 %, avec les lésions chroniques valvulaires d'origine rhumatismale observées.
Il sera donc retenu que les consorts [U] établissent l'existence d'une pathologie subie par [P] [U] en lien de causalité avec l'ingestion de Médiator, produit défectueux, dans les termes prévus par l'article 1386-9 du code civil.
En revanche, les Laboratoires Servier, auxquels ce débat incombe en application de l'article 1386-11 du code civil, n'opposent pas d'élément sérieux permettant de considérer qu'en l'état des connaissances scientifiques au moment ou le médicament a été prescrit à [P] [U], ce défaut n'avait pas été décelé. En particulier, la prétendue réserve à laquelle ils se prétendent tenus en vertu du secret de l'instruction ne les empêchait aucunement de formuler, sur le plan purement médical et technique, tout dire utile sur l'imputabilité des lésions traitées par l'intervention de 2009 chez [P] [U] à une exposition prolongée au Médiator, ce qu'il n'ont pas fait, ou d'expliciter leur assertion selon laquelle les risques afférents à l'utilisation de ce médicament n'étaient pas connus à l'époque à laquelle [P] [U] y a été exposé.
L'obligation des Laboratoires Servier à l'égard des consorts [U] n'étant ainsi pas sérieusement contestable, les demandes de provision sont fondées en leur principe.
L'ordonnance sera donc confirmée sur la provision pour procès de 27 285 €, sans que la demande complémentaire présentée devant la cour soit justifiée. La cour y ajoutera une provision à valoir sur la réparation du préjudice corporel de [P] [U] de 50 000 €.
L'équité commande que la somme complémentaire de 2 000 € soit allouée aux consorts [U] unis d'intérêt au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Toutes autres demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel seront rejetées.
Les dispositions de l'ordonnance entreprise relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Reçoit les Laboratoires Servier en leur appel,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à la CPAM de Seine et Marne de produire le rapport d'expertise déposé dans le cadre de l'information pénale,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à [P] [U] une provision de 50 000 € à valoir sur la réparation de son préjudice corporel,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer aux consorts [U] unis d'intérêt la somme complémentaire de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la société Les Laboratoires Servier aux dépens d'appel, avec recouvrement direct.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,