COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6ème chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 MAI 2014
R.G. N° 13/01393
AFFAIRE :
[Z] [Q]
C/
SAS CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Mars 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RAMBOUILLET
Section : Encadrement
N° RG : 12/00030
Copies exécutoires délivrées à :
Me David METIN
SCP REYNAUD & LAFONT-GAUDRIOT
Copies certifiées conformes délivrées à :
[Z] [Q]
SAS CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX MAI DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [Z] [Q]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Comparant
Assisté de Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES
APPELANT
****************
SAS CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Hélène LAFONT-GAUDRIOT de la SCP REYNAUD & LAFONT-GAUDRIOT, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BÉZIO, président, et Madame Mariella LUXARDO, conseiller, chargées d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BÉZIO, président,
Madame Mariella LUXARDO, conseiller,
Madame Pascale LOUÉ WILLIAUME, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,
FAITS ET PROCÉDURE
Statuant sur l'appel formé par M. [Z] [Q] à l'encontre du jugement en date du 18 février 2013 par lequel le conseil de prud'hommes de Rambouillet a débouté M. [Q] de ses demandes dirigées à l'égard de la société CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE , ci-après la société CONTINENTAL, a dit que la prise d'acte de rupture de M. [Q] produisait les effets d'une démission et a condamné M. [Q] à verser à la société CONTINENTAL la somme de 11 797,92 € à titre d'indemnité compensarice de préavis et 1 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
Vu les conclusions remises et soutenues, à l'audience du 4 mars 2014, par M. [Q] qui prie la cour, infirmant la décision déférée, de juger que sa prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement nul et de condamner la société CONTINENTAL au paiement des sommes suivantes :
- 32 354, 40 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 12 733 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1273 € à titre de congés payés afférents,
- 25 000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul,
- 67 904 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,
avec remise, sous astreinte, par la société CONTINENTAL d'une attestation Pôle emploi conforme à l'arrêt à intervenir et paiement par cette société de la somme de 2500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les écritures développées à la barre par la société CONTINENTAL qui sollicite la confirmation du jugement entrepris et, y ajoutant, l'allocation des sommes de 1000 € à titre d'indemnité pour procédure abusive et de 3500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE LA COUR
Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que M. [Q] a été engagé par la société SIEMENS VDO AUTOMOTIVE RUNGIS, le 1er septembre 1994, en qualité d'apprenti; qu'à la faveur d'avenants successifs il est devenu technicien , puis, chef de produit et chef de projet ;
Qu'en 2007, époque à laquelle la société a transféré ses locaux, de [Localité 3] (91) à [Localité 2] (78), il a demandé à bénéficier du plan social, élaboré à cette occasion par l'entreprise, mais est finalement resté salarié de celle-ci après avoir signé un avenant en date du 22 novembre 2007 aux termes duquel il est devenu chargé d'affaires, avec une rémunération de 45 500 euros annuels sur 13 mois; que M. [Q] a également obtenu le bénéfice d'un « véhicule de déplacement » « compte tenu de sa fonction » mais aussi, voire surtout -comme il le conclut sans être contredit par l'intimée- en raison de l'éloignement de son domicile (situé à [Localité 1], 91), du nouveau site de [Localité 2] ;
Qu'alors qu'elle mettait en place un second plan social, la société CONTINENTAL - qui entre temps était venue aux droits de la société SIEMENS précitée- signait, le 18 février 2009, un nouvel avenant avec M. [Q] qui faisait de celui-ci un « Product Lifecycle Manager » -ou chef de ligne de produit- au salaire de 48 243 euros par an ; qu' en ce qui concerne le véhicule de service, l'avenant précisait: « la société maintient au salarié le bénéfice d'un véhicule de déplacement pour l'année 2009 » ;
Que durant l'année 2010 M. [Q] a conservé l'usage du véhicule, son employeur lui indiquant à ce propos, dans un courrier électronique du 4 février 2011 :« vous bénéficiez actuellement d'un véhicule de déplacement(...) considéré par l'URSSAF comme un avantage en nature (...) dont l'assiette des cotisations correspond à 12 % du prix TTC d'achat du véhicule (...) à compter de janvier 2011, le montant brut de l'avantage en nature figurant sur votre bulletin de paie a été calculé conformément à cette règle » ;
Que, néanmoins, par lettre du 20 octobre 2011, la société CONTINENTAL a écrit à M. [Q] « depuis le 1er janvier 2010,vous bénéficiez à tort d'un véhicule de déplacement » ; qu'elle demandait à M. [Q] la restitution du véhicule en lui laissant jusqu'au 31 décembre 2011 « de façon à (lui) permettre de (s') organiser au mieux » ; que la société justifiait sa décision par référence aux termes de l'avenant de 2008 et à la pratique interne suivie en matière d'attribution de véhicule ;
Que parallèlement la société CONTINENTAL a établi un projet d'avenant qui stipulait, d'une part, la suppression de « la dérogation temporaire » accordée à M. [Q] et l'obligation, en conséquence, pour celui-ci de restituer le véhicule et d'autre part, « à titre exceptionnel, (la) compensation de la perte du bénéfice d'un véhicule de déplacement (par l'augmentation) de la rémunération fixe de M.[Z] [Q] (...) de 80 € » ;
Que trouvant insuffisante, la compensation financière qui lui était ainsi offerte, M. [Q] a refusé de signer le nouvel avenant proposé et, dans ces conditions, s'est estimé fondé à prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de l'employeur, par lettre du 25 novembre 2011 où il exposait que l'attribution de ce véhicule constituait un avantage en nature et que le retrait du véhicule emportait modification de son contrat ;
Que la société CONTINENTAL a contesté cette interprétation, faisant valoir que le bénéfice du véhicule n'avait été prévu que pour l'année 2009 et concluant que la prise d'acte du salarié dissimulait, en réalité, la volonté du salarié de « quitter l'entreprise au plus vite » ;
Que M. [Q] a saisi le conseil de prud'hommes le 30 janvier 2012 afin de voir juger que sa prise d'acte devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que, par le jugement entrepris, le conseil a considéré que M. [Q] n'avait plus droit à l'usage d'un véhicule à compter de la fin de l'année 2009 et qu'en lui retirant le bénéfice de cet avantage en 2011 , loin de violer ses obligations, la société CONTINENTAL s'était, au contraire, conformée à celles-ci, de sorte que la prise d'acte de M. [Q] ne pouvait produire que les effets d'une démission ;
*
Considérant que, devant la cour, M. [Q] reprend son argumentation selon laquelle la jouissance du véhicule au delà de 2009 est devenue un avantage en nature contractuel dont la suppression ne pouvait être décidée sans son accord préalable ;
Que la société CONTINENTAL soutient qu'elle n'a commis aucun manquement ; que la mise à disposition d'un véhicule ne se justifiait qu'à l'époque où M. [Q] exerçait les fonctions de chargé d'affaires, objet de l'avenant du 22 novembre 2007 ; que lorsque M. [Q] est devenu chef de ligne de produit, ce maintien ne lui a été contractuellement accordé que pour l'année 2009 ; que l'appelant était informé du caractère provisoire et exceptionnel de ce maintien car ses nouvelles fonctions, sédentaires, n'autorisaient plus cette mise à disposition, prévue, d'après les règles en vigueur dans l'entreprise, seulement en faveur des salariés effectuant au moins 20 000 kilomètres par an à titre professionnel et non, sur un parcours domicile-travail ; qu'elle a donc sollicité à juste titre la restitution du véhicule indument conservé ;
*
Considérant qu'il résulte clairement des dispositions de l'avenant du 18 février 2009 -par lequel M. [Q] a cessé ses fonctions de chargé d'affaires, pour devenir chef de ligne de produit, que les parties n'ont pas entendu supprimer l'avantage du véhicule, accordé à M. [Q] lors de la conclusion de l' avenant précédent en date du 22 novembre 2007 ;
Qu'en effet, si les parties avaient souhaité mettre un terme définitif à cet usage du véhicule elles n'auraient pas manqué de l'exprimer, comme elle l'ont fait par exemple, dans ce même avenant, pour la rémunération variable où elles ont stipulé : « (M. [Q] ) ne bénéficie plus de rémunération variable » ;
Or considérant qu'en premier lieu, ce n'est que dix huit mois après l'expiration de l'année 2009 que la société CONTINENTAL s'est avisée de réclamer à M. [Q] la restitution du véhicule ; que jusqu'alors, la société CONTINENTAL, non seulement, n'avait pas oublié que M. [Q] disposait de l'usage du véhicule -puisqu'elle continuait à le faire figurer sur les bulletins de paye du salarié- mais encore, considérait cette jouissance du véhicule, comme un avantage en nature, ainsi que rappelé dans son courriel précité du 4 février 2011 à M. [Q] ;
Qu'il s'ensuit qu'après 2009, l'avantage consenti à M. [Q] ne pouvait prendre fin de plein droit et que son statut nécessitait d'être revu dans un nouvel avenant après discussion entre les parties ;
Et considérant qu'en second lieu, l'attribution du véhicule litigieux revêtait une importance déterminante pour M. [Q], connue de la société CONTINENTAL ;
Qu'en effet, il ressort sans ambiguité des échanges électroniques entre les parties et de la lettre de la prise d'acte du 25 novembre 2011 que, lors du premier plan social de 2007, M. [Q] avait entendu se porter candidat au départ de l'entreprise, dans le cadre de ce plan, compte tenu du déménagement de la société, de [Localité 3] à [Localité 2], et de l'éloignement en conséquence de son lieu de travail par rapport à son domicile ;
Que le nouveau poste offert à M. [Q] par la société CONTINENTAL, avec attribution d'un véhicule de service, avait convaincu M. [Q] de renoncer à se porter candidat au départ ; qu'en 2009, à l'occasion de la signature du second avenant et du deuxième plan social, un nouveau poste, excluant en principe l'octroi d'un véhicule, a été attribué à M. [Q] pour l'année 2009 ; que la société a néanmoins consenti à maintenir « pour 2009 » l'octroi d'un véhicule ;
Que dans sa lettre de rupture, non contestée sur ce point par l'intimée, M. [Q] explique précisément en ces termes le déroulement des relations contractuelles :
«En août 2007, la société a choisi de déménager et mon lieu de travail a été déplacé de [Localité 3] à [Localité 2]. J'ai donc souhaité bénéficier du plan de sauvegarde de l'emploi compte tenu du trajet domicile/travail. La direction des relations humaines de l'époque m'a alors proposé de m'octroyer un changement de fonction, une augmentation de salaire et un véhicule de fonction, ce que j'ai accepté (...) Vous savez pertinemment que je n'ai pas déménagé et que j'ai souhaité rester au sein de la société CONTINENTAL notamment du fait de l'attribution de ce véhicule »
Considérant que la société CONTINENTAL ne peut ainsi contester le caractère essentiel qu' a revêtu l'octroi pour M. [Q] du véhicule de service, depuis qu'elle a déménagé ses locaux à [Localité 2] en 2007, cette condition s'avérant, en fait, déterminante du maintien de sa relation contractuelle avec la société CONTINENTAL ; que celle-ci est, dès lors, mal fondée à opposer à M. [Q] les règles internes de l'entreprise relatives à l'octroi d'un véhicule de service à un salarié , alors qu'il n'est pas discutable que, dans le cas de l'appelant, l'attribution d'un tel avantage n'était pas lié à la nature des fonctions exercées mais avait pour but de conserver l'intéressé dans l'entreprise ;
Que, d'ailleurs, l'avenant de 2009 dont se prévaut la société CONTINENTAL pour justifier le retrait, en 2011, du véhicule litigieux, ne stipule nullement que cette attribution est temporaire et exceptionnelle, contrairement à ce que conclut la société CONTINENTAL, - étant rappelé, au demeurant, que c'est bien à travers le projet d'un nouvel avenant (daté du 20 juillet 2011) que la société CONTINENTAL, elle-même, entendait « compenser », par la somme mensuelle de 80 €, la « perte du bénéfice du véhicule » ;
Considérant que le maintien de l'usage du véhicule constituait donc, depuis 2007, une condition essentielle du contrat de travail de M.[Q] , acceptée en tant que telle, par la société CONTINENTAL ; que la suppression de cet avantage, constitutive dès lors d'une modification du contrat, ne pouvait intervenir sans l'accord de M. [Q] dont le refus abusif de signer l'avenant proposé par son employeur n'est, par ailleurs, ni établi, ni même allégué ;
Considérant que la restitution du véhicule, exigée par la société CONTINENTAL dans sa lettre du 20 octobre 2011 caractérisait ainsi une violation grave par cette société des dispositions régissant les relations contractuelles des parties ;
Que, face à la détermination de la société à lui reprendre le véhicule, M. [Q] a justement pris acte de la rupture de son contrat par sa lettre du 25 novembre 2011 ;
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Considérant qu'il n'est pas contesté qu'à cette dernière date M. [Q] était délégué du personnel, et ce, depuis le 2 juillet 2008 ; qu'ainsi, la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul ;
Considérant que la société CONTINENTAL versera donc à M. [Q] les sommes réclamées au titre des indemnités de préavis et d'ancienneté dont le montant est justifié par les calculs, non contestés, figurant dans les conclusions de l'appelant ;
Que la société CONTINENTAL devra également payer à M. [Q] l'indemnité pour licenciement nul, d'un montant minimum égal à six mois de salaire ; que l'indemnité de 25 000 €, à peine supérieure à ce montant , apparaît justifiée ;
Qu'enfin, au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur, M. [Q] réclame à bon droit la somme de 67904 €, au titre des salaires dus pendant 16 mois, entre sa prise d'acte et l'expiration de sa période de protection (avril 2013) ;
Considérant que la société CONTINENTAL devra délivrer à M. [Q] les documents sociaux de rupture , comme dit ci-après, sans que l'astreinte requise ne s'avère justifiée ;
Considérant que la société CONTINENTAL, succombant en ses prétentions, supportera les entiers dépens et sera déboutée de sa demande reconventionnelle ;
Qu'en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile elle sera condamnée, enfin, à verser à M. [Q] la somme de 2500 € qu'il requiert ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la société CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE à payer à M. [Q] les sommes suivantes :
- 32 354,40 € (TRENTE DEUX MILLE TROIS CENT CINQUANTE QUATRE EUROS ET QUARANTE CENTIMES) à titre d'indemnité légale de licenciement ;
- 12 733 € (DOUZE MILLE SEPT CENT TRENTE TROIS EUROS) à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 1273 € (MILLE DEUX CENT SOIXANTE TREIZE EUROS) à titre de congés payés afférents ;
- 25 000 € (VINGT CINQ MILLE EUROS) à titre d'indemnité pour licenciement nul ;
- 67 904 € (SOIXANTE SEPT MILLE NEUF CENT QUATRE EUROS) à titre d'indemnité pour licenciement nul ;
ORDONNE à la société CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE de remettre à M. [Q] une attestation Pôle emploi, conforme au présent arrêt, dans les huit jours suivant la notification du présent arrêt ;
DÉBOUTE la société CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE de sa demande de reconventionnelle ;
CONDAMNE la société CONTINENTAL AUTOMOTIVE TRADING FRANCE aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement, au profit de M. [Q], de la somme de 2500 € (DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS) en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,