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15/09/2010 | FRANCE | N°09/03803

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15ème chambre, 15 septembre 2010, 09/03803


COUR D'APPEL DE VERSAILLES

Code nac : 80A 15ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 15 SEPTEMBRE 2010
R. G. No 09/ 03803
AFFAIRE :
Sonia X... C/ Jean-Pierre Y...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu (e) le 11 Septembre 2009 par le Conseil de Prud'hommes de CHATEAUDUN Section : Activités diverses No RG : 08/ 00038

Copies exécutoires délivrées à :
la SCP NOMBLOT LEROY ROMEUF

Copies certifiées conformes délivrées à :
Sonia X...
Jean-Pierre Y...

le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI

S
LE QUINZE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame ...

COUR D'APPEL DE VERSAILLES

Code nac : 80A 15ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 15 SEPTEMBRE 2010
R. G. No 09/ 03803
AFFAIRE :
Sonia X... C/ Jean-Pierre Y...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu (e) le 11 Septembre 2009 par le Conseil de Prud'hommes de CHATEAUDUN Section : Activités diverses No RG : 08/ 00038

Copies exécutoires délivrées à :
la SCP NOMBLOT LEROY ROMEUF

Copies certifiées conformes délivrées à :
Sonia X...
Jean-Pierre Y...

le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame Sonia X... ... 41160 ST JEAN FROIDMENTEL
comparant en personne, assistée de la SCP NOMBLOT LEROY ROMEUF, avocats au barreau de CHARTRES

**************** Monsieur Jean-Pierre Y...... 28220 CLOYES SUR LE LOIR
comparant en personne

****************

Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Juin 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Annick DE MARTEL, Conseiller chargé (e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé (e) de :
Monsieur Jean-Michel LIMOUJOUX, Président, Monsieur Hubert LIFFRAN, conseiller, Madame Annick DE MARTEL, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Pierre-Louis LANE,

Mme X... est appelante d'un jugement du conseil de prud'hommes de Châteaudun, section industrie, rendu le 11 septembre 2009 dans une affaire l'opposant à M. Y....
Mme X... a été engagée par M. Y... exploitant un fonds de boulangerie pâtisserie, à compter du 10 mars 1997 en qualité de vendeuse, selon contrat de travail à durée indéterminée soumis à la convention collective de la boulangerie.
Selon Mme X..., en raison du harcèlement dont elle faisait l'objet de la part de M. Y..., elle a dû prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, par courrier du 16 mai 2008.
Elle a saisi le conseil de prud'hommes de diverses demandes auxquelles M. Y... s'est opposé. Celui-ci a formé reconventionnellement une demande de dommages intérêts au titre de son préjudice moral et une demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 11 septembre 2009, le conseil de prud'hommes a débouté Mme X... de l'ensemble de ses demandes et M. Y... de ses demandes reconventionnelles. Le conseil a considéré que Mme X... " n'est pas revenue à son travail de son propre chef. En conséquence... la rupture du contrat de travail est imputable à Mme Sonia X... ".
Mme X... a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions écrites visées par le greffier à l'audience et soutenues oralement, Mme X... demande à la cour :
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes-de dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse-de condamner M. Y... à lui payer : •- indemnité pour non respect de la procédure de licenciement 2. 314, 90 € •- indemnité compensatrice de préavis : 4. 629, 80 € •- congés payés sur préavis 462, 98 € •- indemnité de licenciement 5. 092, 78 € •- dommages intérêts pour rupture abusive 10. 000 € •- dommages intérêts pour préjudice moral 5000 € •- indemnité article 700 du Code de procédure civile : 2500 € •- les intérêts au taux légal-d'ordonner la remise du certificat de travail et de l'attestation ASSEDIC rectifiée, sous astreinte
-de débouter M. Y... de ses demandes.

Par conclusions écrites visées par le greffier à l'audience et soutenues oralement, M. Y... demande à la cour de :- infirmer la décision en ce qu'elle a rejeté sa demande de dommages intérêts formée au titre de son préjudice moral-confirmer le jugement entrepris pour le surplus-condamner Mme X... à lui payer la somme de 30. 000 € à titre de dommages intérêts et 2500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie à ces conclusions déposées et soutenues à l'audience, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION
-sur les motifs de la prise d'acte
Par lettre du 16 mai 2008, Mme X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur. Ce courrier a mis fin de manière certaine au contrat de travail.
Cependant la prise d'acte, par la salariée, de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque les manquements de l'employeur sont suffisamment graves pour la justifier. Si ces manquements ne sont pas établis par la salariée, la prise d'acte s'analyse en une démission. Mme X... est salariée de M. Y... depuis plus de 10 ans au moment des faits reprochés à l'employeur. Il n'a existé semble-t-il aucun incident entre eux pendant plusieurs années. Mme X... est partie en congé maternité et parental du 27 décembre 2001 au 31 mars 2005. Elle ne prétend pas avoir été importunée par le comportement de M. Y... jusqu'à 2007. Mais à partir de 2007, il lui aurait adressé des plaisanteries " douteuses et blessantes à connotation sexuelle ".
Mme X... dit avoir été déstabilisée par cette attitude ce qui aurait provoqué son arrêt de travail du 7 mars au 29 avril 2008.
Le docteur Z... avait établi le 31 mars 2008 un certificat médical constatant des douleurs abdominales et vomissements, troubles du sommeil justifiant... la prescription d'anxiolytiques et d'antidépresseurs ; " ces troubles sont en rapport, d'après la patiente, avec le comportement de son employeur ".
Le 12 avril 2008 Mme X... adressait à son employeur la lettre suivante : " je vous informe que je reprends le travail le 21/ 04/ 08. Qu'en raison de problèmes de santé persistants liés à vos comportements inacceptables avec moi depuis plusieurs mois de mon employeur. J'ai demandé moi même une visite de reprise avec le médecin du travail le 21 avril 2008 (...) ".
Lors de la visite de reprise du 21 avril 2008, le médecin du travail a rendu un certificat médical d'inaptitude temporaire au poste de vendeuse et à tout autre poste dans l'entreprise en attendant l'étude du poste de travail. La seconde visite était prévue pour le 6 mai 2008.
Le 25 avril 2008, M. Y... répondait à la lettre de Mme X... ; il reconnaissait " ses plaisanteries douteuses je vous le concède mais qui ne duraient rarement plus de une à 2 minutes ". Il ajoutait " si je vous ai blessé j'ensuis profondément navré. Il aurait sans aucun doute fallu me le dire entre quatre yeux, les coups de gueule ça sert à ça. J'espère que vous allez mieux et qu'on vous reverra bientôt... ".
Le 6 mai 2008, lors de la seconde visite de reprise, le médecin du travail a rendu l'avis suivant " accord pour un essai de reprise au poste de vendeuse, avec nécessité impérative d'aménager le poste de travail afin de résoudre les difficultés mentionnées par Mme X... dans son courrier du 12 avril 2008 à son employeur. Les aménagements demandés consistent en une modification de certains comportements de l'employeur vis à vis de la salarié ainsi qu'il s'y est engagé lors de nos différents entretiens. Cette décision est prise à titre temporaire... je reverrai... Mme X... le 23 mai 2008 afin de statuer sur l'aptitude sur le poste aménagé ".
Mme X... n'a jamais repris son travail et a envoyé le 16 mai 2008 à son employeur une lettre du rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs. Elle considère dans ses écritures qu'elle " n'a pu reprendre son poste dans la mesure où l'employeur n'a fait auprès d'elle aucune démarche s'engageant à améliorer son comportement à son encontre ".
Il convient tout d'abord de constater que le harcèlement sexuel invoqué par Mme X... dans son courrier de rupture ne peut être retenu dès lors que Mme X... n'a jamais offert d'établir des faits laissant présumer que M. Y... cherchait à obtenir d'elle des faveurs de nature sexuelle.
S'agissant du harcèlement moral, M. Y... (pièce 26 de Mme X...), a reconnu dans le rapport effectué par le médecin du travail le 24 avril 2008, soit avant la prise d'acte, qu'il faisait " de temps en temps " des réflexions sur le ton de la plaisanterie sur un épi de cheveux rebelle de Mme X... ; ou encore qu'il lui disait sur le ton de la plaisanterie : " tu es fatiguée qu'est ce que tu as fait ? ". M. Y... indique lui même que Mme X... n'appréciait pas particulièrement ce genre de plaisanteries et qu'elle lui en avait fait plusieurs fois la remarque.
Il indiquait encore que ses plaisanteries pouvaient parfois avoir un thème franchement plus sexuel par exemple " tu devrais mettre une minijupe pour laver la vitre du magasin " mais que ce genre de plaisanteries, bien que répétées à plusieurs reprises étaient plutôt rares ; il précisait que certaines plaisanteries étaient effectivement assez douteuses mais qu'il ne pensait pas que c'était grave ou blessant. Il disait encore qu'il lui arrivait de " remonter les bretelles " à ses salariés ou à sa femme.
Ces faits sont donc reconnus par M. Y.... Les rapports médicaux sont très éloquents sur leur retentissement sur Mme X... qui pleurait dès que le médecin évoquait le comportement de son employeur.
Par ailleurs Mme X... verse aux débats des attestations qui confirment les faits invoqués par elle : l'attestation de M. A..., celle de Mlle B..., celle de Mme C.... M. Y... fait observer que M. A... est un ami proche de Mme X... ce qui ne permet pas d'écarter son attestation. Mme D... raconte la manière dont M. Y... " criait sur Mme X... parce qu'elle avait oublié la pâte à roussettes, il a dit qu'il la dresserait comme il l'a fait pour sa femme ".

Tous ces faits par leur caractère répété permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Or M. Y... n'apporte pour sa part aucun élément de nature à prouver que ses comportements sont objectivement étrangers à tout harcèlement moral. Il veut absolument dresser Mme X... comme il a dressé sa femme. Et alors même que le contrat est rompu depuis le 16 mai 2008 par la prise d'acte de Mme X..., il ne peut s'empêcher de poursuivre son discours harcelant et de lui dire :
" vous avez un très gros défaut à mes yeux pour que je puisse vous faire la cour. Vous êtes trop grande et trop forte. J'ai toujours eu un faible pour les femmes de petite taille 1. 50m et 42 kg comme mon épouse le jour de mes 20 ans. J'ai eu à votre encontre des paroles (vos petits yeux et vos lèvres gonflées) Mais rien sur le sexe de manière harcelante ". M. Y... ne modifie pas son comportement, même par courrier.
Le fait qu'il n'ait pas eu l'intention de nuire à Mme X... pour laquelle il semble avoir un réel attachement, ne modifie en rien l'existence du harcèlement moral subi par la salariée et dont il est résulté un arrêt de travail, une dépression, et une incapacité pour elle, à se retrouver face à son employeur.
Ainsi, ces faits sont bien constitutifs d'un harcèlement moral qui justifie que la prise d'acte par Mme X... de la rupture de son contrat de travail, produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. De ce fait il ne peut lui être reproché de ne pas avoir repris son travail à l'issue de la seconde visite de reprise.
- sur les demandes financières de Mme X...
- Mme X... sollicite le paiement d'une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement.
Cependant si la prise d'acte peut produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, cela ne permet pas d'en déduire qu'elle produise les effets d'un licenciement formellement irrégulier. Mme X... sera donc débouté de sa demande.
- Mme X... sollicite ensuite le paiement d'une indemnité de préavis outre les congés payés afférents : 4. 629, 80 € et 462, 98 €.
Dès lors que le harcèlement moral est établi, Mme X... n'avait pas l'obligation de reprendre le travail aux conditions qui lui étaient offertes par M. Y....
Il convient donc de faire droit à sa demande mais de se référer aux trois derniers mois de travail effectif de la salariée et d'apprécier l'indemnité qui lui est due au titre de son préavis sur la base d'un salaire de 1869, 27 €, soit la somme de 3738, 54 € outre les congés payés afférents 373, 85 €.
- la salariée sollicite le paiement d'une indemnité de licenciement de 5. 092, 78 €.
Cette indemnité égale à 1/ 5 de mois pendant 11 ans doit être évaluée à la somme de 4. 112, 39 €.
- sur les dommages intérêts pour licenciement abusif, la demande est formée par Mme X... à hauteur de 10. 000 €. Elle justifie d'une prise en charge par Pôle emploi, entre mai et février 2010. Il convient de faire droit à la demande de Mme X... pour la somme demandée de 10. 000 €.
- Mme X... sollicite des dommages intérêts au titre du préjudice moral qu'elle a subi. Elle évoque les " circonstances particulière de la rupture ". Cependant, outre le fait que le comportement de M. Y... ne peut en aucun cas être assimilé à un harcèlement sexuel, M. Y... n'avait à l'évidence pas l'intention de porter préjudice à Mme X... et ne voulait probablement pas comprendre que ses plaisanteries ou ses remontrances pouvaient déstabiliser cette jeune femme de manière profonde.
Mme X... ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral distinct de celui réparé par l'indemnisation du licenciement abusif, et lié aux circonstances de la rupture. En faisant produire à la prise d'acte par Mme X... de la rupture de son contrat de travail, les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour sanctionne le comportement fautif de l'employeur. Mme X... sera déboutée de sa demande.

- sur les frais irrépétibles. L'équité commande d'accorder à Mme X... la somme de 2. 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

- sur les demandes de M. Y...
M. Y... sera débouté de ses demandes reconventionnelles, eu égard à l'analyse des conséquences de la prise d'acte.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort

-infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Châteaudun en date du 11 septembre 2009 ;

Et, statuant à nouveau,

- dit que la prise d'acte par Mme X... de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;- condamne M. Y... à payer à Mme X... : • 3738, 54 € outre les congés payés afférents 373, 85 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis • 4. 112, 39 €. à titre d'indemnité de licenciement • les intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation à l'audience de conciliation ; • 10. 000 € au titre du licenciement abusif • 2500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;- déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;- dit que M. Y... devra remettre à Mme X..., une attestation ASSEDIC et un certificat de travail conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu à astreinte ;- condamne M. Y... aux dépens.
Arrêt prononcé par Monsieur Jean-Michel LIMOUJOUX, Président, et signé par Monsieur Jean-Michel LIMOUJOUX, Président et par Monsieur Pierre-Louis LANE, greffier présent lors du prononcé.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15ème chambre
Numéro d'arrêt : 09/03803
Date de la décision : 15/09/2010
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2010-09-15;09.03803 ?
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