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29/11/2007 | FRANCE | N°571

France | France, Cour d'appel de Versailles, Ct0087, 29 novembre 2007, 571


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 61B

3ème chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 29 NOVEMBRE 2007

R.G. No 06/07676

AFFAIRE :

Pascaline Georgina Andrée X...

C/

CPAM D'INDRE ET LOIRE

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2006 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

No Chambre : 2

No RG : 04/15399

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-SCP TUSET CHOUTEAU

-SCP LEFEVRE

TARDY et HONGRE BOYELDIEU

-SCP KEIME GUTTIN JARRYREPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE VINGT NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE SEPT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dan...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 61B

3ème chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 29 NOVEMBRE 2007

R.G. No 06/07676

AFFAIRE :

Pascaline Georgina Andrée X...

C/

CPAM D'INDRE ET LOIRE

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2006 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

No Chambre : 2

No RG : 04/15399

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-SCP TUSET CHOUTEAU

-SCP LEFEVRE TARDY et HONGRE BOYELDIEU

-SCP KEIME GUTTIN JARRYREPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE VINGT NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE SEPT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Mademoiselle Pascaline Georgina Andrée X...

...

37420 BEAUMONT EN VERON

représentée par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués - No du dossier 20060512

plaidant par Me Y..., avocat au barreau d'ORLEANS

APPELANTE

****************

1/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'INDRE ET LOIRE

...

37035 TOURS CEDEX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

représentée par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués - No du dossier 20070333

INTIMEE

2/ S.A. NOVARTIS SANTE FAMILIALE

...

92500 RUEIL MALMAISON

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

représentée par la SCP LEFEVRE TARDY et HONGRE BOYELDIEU, avoués - No du dossier 260964

plaidant par Me Z..., avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

3/ SA UCB PHARMA

...

92000 NANTERRE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués - No du dossier 07000017

plaidant par Me A..., avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Octobre 2007 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme BOURQUARD, Président, et Mme CALOT, Conseiller, en bi-rapporteurs.

Mme CALOT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Joëlle BOURQUARD, Président,

Madame Marie-Claude CALOT, Conseiller,

Madame Dominique LONNE, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Claire THEODOSE,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Mlle Pascaline X..., née le 21 mai 1965 à Chinon, a fait l'objet en juin 1988 d'un diagnostic d'adénocarcinome à cellules claires du col utérin, forme de cancer des voies génitales féminines, qui a été traité chirurgicalement (transposition ovarienne, radiothérapie externe, curiethérapie, colpohystérectomie), qu'elle impute à la prise par sa propre mère, durant sa grossesse, de l'hormone de synthèse dénommée "diéthylstilboestrol" ou D.E.S., destinée à la prévention des fausses couches et des accouchements prématurés.

Le D.E.S., terme générique de cet oestrogène de synthèse, fut commercialisé en France sous la marque Distilbène par le laboratoire S.A. UCB PHARMA et sous la marque Stilboestrol Borne, par les Laboratoires BORNE, devenus S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE.

L'indication "avortements spontanés à répétition" a été supprimée en 1976 et la contre-indication d'utilisation du D.E.S. chez la femme enceinte a été ajoutée par une mention au Vidal à partir de 1977.

Par la suite, les études menées au cours de la décennie 1980, ont confirmé les effets nocifs de ce produit pendant la grossesse et le risque carcinogène transplacentaire à effet différé.

Mlle Pascaline X... a fait assigner par acte du 1er décembre 2004, la S.A. UCB PHARMA au visa de l'article L 221-1 du code de la consommation, subsidiairement, au visa des articles 1165, 1353 et 1382, 16-1 du code civil en déclaration de responsabilité et indemnisation de son préjudice, outre expertise médicale et provision.

Le 12 décembre 2005, Mlle Pascaline X... a fait assigner la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE aux fins de la voir déclarer à titre subsidiaire, responsable in solidum avec la S.A. UCB PHARMA des dommages subis par elle.

Le 30 octobre 2006, Mlle Pascaline X... a interjeté appel du jugement rendu le 13 octobre 2006, par le tribunal de grande instance de Nanterre, qui a :

- déclaré Mlle Pascaline X... recevable mais mal-fondée en son action et l'en a déboutée

- débouté la S.A. UCB PHARMA et la CPAM d'Indre-et-Loire de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile

- condamné Mlle Pascaline X... aux dépens.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions de Mlle Pascaline X... déposées le 21 septembre 2007, appelante, par lesquelles elle demande à la cour, par infirmation du jugement, de :

- débouter les laboratoires S.A. UCB PHARMA et S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE de toutes leurs demandes

- dire que l'adénocarcinome à cellules claires (ACC) est consécutif à la prise du Distilbène DES pendant la grossesse de sa mère, Mme Mauricette X..., et à l'exposition in utero de l'enfant

- déclarer le laboratoire S.A. UCB PHARMA responsable du dommage subi par elle et tenu de le réparer

- à titre subsidiaire,

- déclarer les laboratoires S.A. UCB PHARMA et S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE solidairement responsables du dommage subi par elle et tenus de le réparer

- condamner le laboratoire S.A. UCB PHARMA ou les laboratoires S.A. UCB PHARMA et S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE solidairement au paiement de la somme provisionnelle de 150.000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel et moral,

- avant-dire droit sur son préjudice, ordonner une expertise confiée à un collège d'experts aux frais avancés par les laboratoires

- condamner le laboratoire S.A. UCB PHARMA ou les laboratoire S.A. UCB PHARMA et S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE solidairement au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

aux motifs que :

- sa mère s'est vue prescrire du distilbène aux mois de janvier et février 1965 aux fins de prévention de fausse couche par le Docteur B...

- sa mère a sollicité en vain auprès du pharmacien qui lui délivré le distilbène à cette époque, une copie de l'ordonnancier

- sa tumeur a été révélée en juillet 1988 alors qu'elle avait 23 ans

- sa dernière intervention chirurgicale date de septembre 1994

- la communauté médicale a mis en évidence l'existence d'un lien entre le D.E.S. et des cas de cancers du vagin chez des jeunes filles en 1971 et ce médicament fut interdit en France en 1977

- le lien de causalité est reconnu dans le Vidal, édition de 1978

- la preuve de son exposition au D.E.S. résulte de l'attestation sur l'honneur établie par sa mère

- elle n'a pu obtenir copies de certificat médical ou d'ordonnancier en dépit de ses démarches

- il ne peut lui être sérieusement reproché de ne pas produire de documents source près de 30 ans plus tard alors qu'elle justifie des difficultés qui furent opposées à ses demandes de communication de dossiers concernant sa mère

- sa mère ne peut avoir confondu un produit commercialisé sous deux noms radicalement différents, d'autant que le D.E.S. a été très peu commercialisé par le Laboratoire BORNE

- les attestations concordantes produites sont parfaitement probantes (certificat du médecin traitant de la requérante, le Docteur C..., en 1988)

- l'exposition au D.E.S. est connue pour déclencher l'affection spécifique de l'A.C.C. chez une jeune fille

- le lien de causalité entre l'A.C.C. et le D.E.S. fait aujourd'hui l'objet d'un consensus médical et scientifique international

- elle est recevable, en qualité de tiers victime, à invoquer le manquement contractuel des laboratoires à l'obligation de sécurité contractée à l'égard de sa mère, consistant en la fourniture d'un produit de santé défectueux

- la faute du laboratoire consiste à avoir continué de commercialiser un produit alors que certains travaux avaient dès 1953 révélé des dangers associés à ce produit, que ce produit a cessé d'être commercialisé aux Etats-Unis en 1971 et à avoir manqué à son devoir d'information

- le laboratoire S.A. UCB PHARMA disposait d'informations au moins suffisantes pour émettre des doutes sur l'efficacité du produit et des réserves sur son innocuité au moment de la commercialisation du distilbène

- la Cour de cassation a retenu le manque de vigilance de ce laboratoire alors que le risque cancérigène était connu compte tenu d'expérimentations animales (arrêts du 7 mars 2006)

- le rôle causal du D.E.S. dans la genèse des A.C.C. chez la jeune fille fait l'objet d'un exceptionnel degré de consensus pour l'ensemble de la communauté scientifique, médicale et réglementaire depuis 1971

- le laboratoire S.A. UCB PHARMA entretient de parfaite mauvaise foi le doute d'un lien causal entre l'exposition au D.E.S. et la survenance de son dommage

- seule l'exposition au D.E.S. est connue pour déclencher l'affection spécifique qu'est l'A.C.C. chez une jeune fille de 23 ans

- il doit être fait application des règles de la responsabilité solidaire faute de pouvoir déterminer l'identité du produit auquel elle a été exposée en l'absence de documents source

- en commercialisant ensemble et dans le même temps l'hormone de synthèse D.E.S. sous deux noms différents, les laboratoires ont chacun concouru à son dommage

- la participation au dommage des deux laboratoires par analogie avec la jurisprudence établie en cas d'action collective, apparaît bien certaine, s'agissant d'une hormone de synthèse identique commercialisée sous deux noms différents par deux laboratoires

- il a été établi que ce médicament dangereux est à l'origine de dommages gravissimes dont les effets à retardement se produisent entre 10 et 40 ans plus tard sur les personnes des enfants exposés in utero pendant la grossesse de leur mère à ce produit

- c'est l'action commune des deux laboratoires de mise sur le marché d'une hormone de synthèse défectueuse qui a contribué à son dommage

- rien n'empêche que soit reconnue une présomption de responsabilité.

Vu les dernières conclusions de la S.A. UCB PHARMA, intimée, déposées le 26 septembre 2007, par lesquelles elle conclut à :

- la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions

- débouter Mlle Pascaline X... de toutes ses demandes à son encontre, y compris la demande de provision

- condamner Mlle Pascaline SUARDà lui payer 1.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

aux motifs que :

- Mlle Pascaline X... ne rapporte pas la preuve de son exposition in utero au Distilbène et ne produit pas le moindre élément source datant de la grossesse de sa mère

- elle n'établit pas la preuve de la prescription et de la délivrance du distilbène à sa mère lors de sa grossesse en 1965, à l'exclusion de tout autre produit

- l'appelante doit produire des documents de l'époque de la grossesse en cause permettant d'identifier le ou les produits qui auraient été prescrits

- les attestations produites ne peuvent être admises comme preuve de l'exposition au Distilbène (attestations de mémoire de sa mère non confortées par des documents source)

- l'A.C.C. du col diagnostiqué en 1988 ne permet pas d'induire la preuve de l'exposition in utero du D.E.S. et encore moins au distilbène de Mlle Pascaline X...

- la marque Distilbène, par sa notoriété, est souvent assimilée au terme générique du produit, le diéthylstilboestrol ou D.E.S., alors que le produit concurrent était aussi commercialisé par les laboratoires BORNE

- aucune des pièces médicales ni antérieures ni contemporaines du diagnostic de l'A.C.C. du col en 1988 ne mentionne une exposition de l'appelante au D.E.S. et encore moins au distilbène

- l'A.C.C. du col peut survenir en dehors de toute exposition au diéthylstilboestrol

- l'hypothèse d'un risque carcinogène transplacentaire à effet différé n'a été posée qu'à partir de l'étude Herbst paru en avril 1971, soit après la prescription du Distilbène à la mère de Mlle Pascaline X...

- les conditions de l'application du régime de l'obligation in solidum ne sont pas remplies, faute de rapporter la preuve de la participation de chacun des laboratoires au dommage,

laquelle ne peut résulter de la commercialisation concomitante et en l'absence d'une action commune.

Vu les dernières conclusions de la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, intimée, déposées le 10 octobre 2007, par lesquelles elle demande à la cour de :

- vu les articles 1382 et 2270-1 du code civil,

• A titre principal,

- réformer le jugement, dire et juger que l'action de Mlle Pascaline X... à son encontre est prescrite comme ayant été engagée plus de dix ans après la consolidation du dommage allégué

- débouter Mlle Pascaline X... de ses demandes

• A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mlle Pascaline X... de ses demandes

• A titre infiniment subsidiaire,

- ordonner une expertise médicale selon les termes de la mission proposée

aux motifs que :

- l'action initiée 17 ans après la manifestation et la consolidation du dommage apparaît prescrite et donc irrecevable

- l'état de Mlle Pascaline X... n'a pas évolué depuis 1988 et doit être considéré comme consolidé à cette date

- la preuve d'une exposition au Stilboestrol Borne n'est pas démontrée et ne peut s'induire du dommage subi par Mlle Pascaline X...

- celle-ci ne verse aucun document médical source et se limite à produire des attestations établies par sa mère qui ne mettent en cause que le seul Distilbène

- les médecins ayant suivi Mme Pascaline X... n'ont pas mis la survenance de son A.C.C. en relation avec du D.E.S.

- la responsabilité solidaire des laboratoires ne saurait être accueillie en l'absence de preuve d'une exposition aux deux produits et de la faute qui aurait contribué à la réalisation du dommage

- Mlle Pascaline X... invite la cour à passer d'un système de responsabilité individuel à un système de responsabilité collective étranger au droit français fondée sur une action commune.

Vu les dernières conclusions de la CPAM d'Indre-et-Loir, intimée, déposées le 1er octobre 2007, par lesquelles elle demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le mérite de l'action en responsabilité de Mlle Pascaline X...

- pour le cas où la cour dirait les laboratoires responsables à l'égard de l'appelante, les dire tenues solidairement sur le fondement des dispositions de l'article 376-1 du code de la sécurité sociale, à lui rembourser le montant des prestations versées à Mlle Pascaline X...

- lui donner acte de ce qu'elle se trouve actuellement dans l'impossibilité de chiffrer le montant de sa créance et surseoir à statuer son recours

- condamner in solidum la S.A. UCB PHARMA et la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE au paiement de la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 11 octobre 2007

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande soulevée par la S.AS. NOVARTIS SANTE FAMILIALE

Considérant que la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE soutient que l'action initiée 17 ans après la manifestation et la consolidation du dommage apparaît prescrite et donc irrecevable, que l'état de Mlle Pascaline X... n'a pas évolué depuis 1988 et doit être considéré comme consolidé à cette date ;

Considérant que le fait dommageable invoqué par Mlle Pascaline X..., l'exposition in utero au distilbène, ne s'est manifesté pour elle qu'en juin 1988, lors du diagnostic d'adénocarcinome à cellules claires du col utérin, qui marque sa connaissance du dommage, qui encore que déjà né, lui demeurait caché, compte tenu du délai de latence ;

Que l'on ne saurait reprocher à Mlle Pascaline X... de ne pas avoir agi alors qu'elle-même ignorait son dommage ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2270-1 du code civil (article 38 de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985) les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ;

Que Mlle Pascaline X... produit un courrier du Professeur E..., chef de service de la Clinique d'Oncologie et radiothérapie du CHRU de Tours en date du 17 décembre 2002, adressé au Docteur POL F..., indiquant avoir vu l'appelante en consultation le 16 décembre 2002, "Son état général est bon, elle ne se plaint d'aucun trouble. Elle continue de voir le Docteur C... ( gynécologue) régulièrement. Pour ma part, je la reverrai dans 2 ans" ;

Que Mlle Pascaline X... ne produisant aucun document médical postérieur à la date du 17 décembre 2002, cette date peut être retenue comme date de consolidation de son état, c'est-à-dire de stabilisation de ses lésions séquellaires ;

Considérant que la prescription à la date de l'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 1985 n'était donc pas en cours, à la date de la manifestation du dommage pour Mlle Pascaline X..., tiers lésé au contrat, en juin 1988 ;

Considérant qu'en cas de préjudice corporel, c'est la date de consolidation qui fait courir le délai de prescription de l'article 2270-1 du code civil ;

Que la demande formée à l'encontre de la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, selon assignation du 12 décembre 2005, n'est donc pas couverte par la prescription ;

Que c'est donc à juste titre que le premier juge a écarté le moyen d'irrecevabilité tiré de la prescription de la demande ;

- Sur l'exposition au D.E.S.

Considérant qu'un tiers au contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, par dérogation à l'effet relatif des conventions ;

Considérant en l'espèce, qu'il incombe à Mlle Pascaline X..., conformément aux articles 9 du nouveau code de procédure civile et 1315 du code civil, de rapporter la preuve des faits qu'elle allègue à l'appui de sa demande, tendant à dire que l'adénocarcinome à cellules claires du col utérin qu'elle a présenté en 1988, est consécutif à la prise du Distilbène ou du Stilboestrol Borne pendant la grossesse de sa mère, Mme Mauricette X... en 1965 et à l'exposition in utero de l'enfant et à déclarer le ou les laboratoires en cause responsable du dommage subi par elle et tenus de le réparer ;

Que pour que l'action en responsabilité intentée par Mlle Pascaline X... puisse prospérer, il faut donc qu'elle établisse, cumulativement, qu'elle a été exposée à l'oestrogène de synthèse dénommée diéthylstilbestrol ou D.E.S., sous la spécialité pharmaceutique fabriquée par l'un au moins des laboratoires en la cause, et que cette hormone de synthèse est à l'origine de son dommage, à savoir sa pathologie, à l'origine d'une stérilité définitive (hystérectomie pratiquée en octobre 1988) ;

Que la preuve du rôle causal de l'hormone de synthèse D.E.S. dans la pathologie de Mlle Pascaline X..., peut valablement résulter des analyses et avis des experts, au cours de l'expertise qui est demandée ;

Que seule reste donc à rapporter la preuve que Mlle Pascaline X... a été exposée soit à l'un des deux produits fabriqués par les sociétés reprises par la S.A. UCB PHARMA et la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, le distilbène pour la S.A. UCB PHARMA et le stilboestrol Borne pour la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, soit à ces deux produits concomitamment ou successivement ;

Que la S.A. UCB PHARMA et la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE contestent que cette preuve soit rapportée en l'occurrence ;

Que s'agissant d'un fait juridique, la preuve en est libre, et peut donc se faire par écrit, par témoignages, dont la force probante et la pertinence sont laissées par la loi à l'appréciation souveraine des juges, ou par présomptions, lesquelles ne peuvent être retenues, suivant l'article 1353 du code civil, qu'à condition d'être graves, précises et concordantes ;

Considérant que le dossier médical de Mme Mauricette X... n'ayant pas été retrouvé près de 40 ans après les faits, aucun certificat médical de prescription n'est produit ;

Qu'en effet, Mlle Pascaline X... produit des pièces établissant que sa mère, en dépit de ses demandes, n'a pu obtenir copie de l'ordonnance du Docteur B..., médecin prescripteur du distilbène auprès de la pharmacie à Chinon, que le cabinet médical du médecin prescripteur a fermé en 1982 sans successeur, que le praticien est décédé en 1993, que le dossier médical conservé au sein de la maternité à Chinon a été détruit en avril 1980 dans un incendie et que le délai d'archivage de l'organisme social de sa mère est limité à 30 ans ;

Que Mlle Pascaline X... entend néanmoins, et en premier lieu, rapporter la preuve de son exposition au seul produit de la S.A. UCB PHARMA, le distilbène, et pour ce faire, invoque diverses attestations et pièces, qu'il convient d'examiner ;

Que Mlle Pascaline X... propose d'abord l'attestation de sa mère datée du 21 novembre 2006 complétée par une attestation sur l'honneur du 26 février 2007, laquelle atteste avoir pris du distilbène au cours de sa grossesse pour éviter une fausse couche en précisant ensuite qu'il "s'agissait bien du distilbène et en aucun cas de stilboestrol", attestations d'une faible force probante à elles seules, en raison du lien de filiation avec la demanderesse, la seconde étant peu crédible et dépourvue de spontanéité, alors que les faits remontant à plus de 40 ans, sont soumis au phénomène de démémorisation ;

Que ses propres assertions ne sauraient davantage faire preuve, nul en droit français, ne pouvant se délivrer une preuve à soi-même ;

Qu'elle verse ensuite une attestation du Docteur POL F..., médecin à Huismes (37) datée du 22 février 2007, médecin traitant de sa mère en 1988, dans laquelle il écrit que : "Je soussigné certifie avoir donné des soins à Mme X... Pascaline en octobre 1988, date à laquelle elle a subi une colpohystérectomie pour adénocarcinome du col classé T2 NO MO. Mme Mauricette X... m'avait alors dit avoir été traitée par Distilbène au cours de la grossesse de Pascaline" ;

Que l'attestation du Docteur POL F... se limite à reproduire les dires de la mère de la requérante et est donc dépourvue de toute force probante quant à la prescription et à la délivrance de distilbène à Mme Mauricette X... lors de sa grossesse en 1965 et à l'exposition in utero de l'enfant ;

Que l'attestation du 21 février 2007 de sa soeur Virginie, née en 1967, rapportant qu'"en 1988, à la suite de la maladie de Mlle Pascaline X..., ma soeur et de la prise de distilbène de ma mère, alors que j'étais étudiante en langues étrangères à Angers, des amies américaines m'ont affirmé qu'aux Etats-Unis, on ne prenait plus de distilbène depuis 1971" est inopérante ;

Que les pièces médicales produites par Mlle Pascaline X..., établies lors du traitement de sa tumeur en 1988, notamment par le Docteur C..., sont des examens anatomo-pathologiques ou des compte-rendus opératoires, lesquels ne mettent pas en relation la survenue de son adénocarcinome à cellules claires du col utérin avec une éventuelle exposition au D.E.S. ;

Qu'il n'est relevé aucune anomalie évocatrice d'une exposition au D.E.S. ;

Qu'au surplus, la S.A. UCB PHARMA produit des éléments de preuve de ce que la marque "distilbène", par sa notoriété, était souvent assimilée au terme générique du produit, le diéthylstilboestrol ou D.E.S., même par le Ministère de la Santé ( modification de l'arrêté du 19 juillet 2005 portant création et composition d'un groupe de travail sur le distilbène, remplacé par les mots "diéthylstilboestrol DES", par l'arrêté du 19 décembre 2005,) alors que le produit concurrent était aussi commercialisé par les laboratoires BORNE, notamment en raison de la part prépondérante sur le marché de la spécialité pharmaceutique distilbène de sorte que cette mention sur les attestations de Mme Mauricette X... n'est pas significative de la marque administrée ;

Que les attestations de mémoire de Mme Mauricette X... non confortées par des documents médicaux source contemporains de sa grossesse, ne peuvent donc être admises comme preuve de l' exposition de Mlle Pascaline X... au distilbène durant la grossesse de sa mère, ni au titre des présomptions graves, précises et concordantes, exigées par l'article 1353 du code civil ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que Mlle Pascaline X... ne rapporte pas la preuve de son exposition in utero au D.E.S. ;

Considérant que Mlle Pascaline X... soutient en second lieu, que, étant admis qu'elle a bien été exposée à l'oestrogène de synthèse litigieuse, mais étant supposé que l'identité exacte de ce produit, distilbène de la S.A. UCB PHARMA, ou stilbestrol Borne de la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, soit restée ignorée la preuve en étant impossible, il resterait que ces deux laboratoires auraient chacun concouru au dommage subi par elle, engageant ainsi leur responsabilité in solidum, en commercialisant ensemble et au même moment, l'hormone de synthèse D.E.S., sous ces deux noms différents, de sorte que ce serait nécessairement un produit fabriqué par l'une des marques, ou même les deux ensemble, qui serait en cause ;

Que Mlle Pascaline X... soulève ainsi le moyen tiré de la responsabilité solidaire des participants à une action collective ou commune ;

Que la S.A. UCB PHARMA réplique que les conditions d'une responsabilité collective ne sont pas remplies dans le cas de Mlle Pascaline X... ;

Que la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE reprend ce moyen de défense, faisant valoir que la preuve de l'exposition de Mlle Pascaline X... à son produit, condition de l'engagement de sa responsabilité même solidaire, n'est pas rapportée ;

Mais considérant, en droit, que la notion d'action collective ou commune, ne peut trouver à s'appliquer, que dans les cas où tous les participants ont commis des fautes indissociables, ou des fautes connexes, ou une action concertée, chacun ayant contribué à la réalisation du dommage, ou, en d'autres termes, en relation avec le dommage ;

Qu'il n'existe aucune présomption de lien de causalité en cette matière ;

Qu'ainsi, si plusieurs chasseurs ont pu être reconnus solidairement responsables pour avoir causé un dommage unique dans leur action commune de tir, c'était en raison de l'existence d'une gerbe unique de plombs ayant causé le dommage ou de la constitution concertée d'une ligne de tir par un groupe de chasseurs ;

Qu'il incombe en conséquence à la cour, de rechercher les éléments de preuve certaine d'une action collective ou d'une participation de chacun des laboratoires au dommage allégué ;

Qu'il n'est pas fait état par Mlle Pascaline X... de fautes connexes ou indissociables, ni d'une concertation des laboratoires en relation avec le dommage ;

Que le fait qu'ils aient tous deux mis sur le marché l'hormone de synthèse à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut pas en tenir lieu, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mlle Pascaline X... ;

Qu' il faudrait qu'il soit établi en outre, que l' l'hormone de synthèse D.E.S. qu'ils commercialisent, ont toutes deux concouru au dommage particulier subi par Mlle Pascaline X..., c'est-à-dire qu'elles lui ont toutes deux été prescrites et délivrées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, aucun élément de preuve d'une administration du produit de la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE n'étant versé aux débats, et la cour ayant jugé, ci-avant, que les éléments de preuve de l'administration du distilbène de la S.A. UCB PHARMA produits aux débats, étaient insuffisants ;

Que la preuve d'une action collective ou concertée n'étant pas rapportée, ce second moyen soulevé par Mlle Pascaline X..., doit donc être jugé mal fondé ;

Que Mlle Pascaline X... ne rapportant donc nullement la preuve de la prescription et de la délivrance de distilbène à Mme Mauricette X... lors de sa grossesse en 1965 et corrélativement la preuve de son exposition in utero au D.E.S., condition préalable de l'engagement de la responsabilité des laboratoires, elle ne peut qu'être déboutée de ses demandes aux fins de déclaration de responsabilité, d'allocation d'une provision et d'expertise ;

Que le jugement sera donc confirmé en l'ensemble de ses dispositions ;

- Sur la demande au titre des frais irrépétibles

Considérant qu'il n'y a pas lieu en équité d'allouer une quelconque somme au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- Sur les dépens

Considérant que Mlle Pascaline X... qui succombe, doit supporter les dépens ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions

Rejette toute autre demande

Condamne Mlle Pascaline X... aux dépens de première instance et d'appel,

Dit que ces dépens pourront être recouvrés par les SCP KEIME GUTTIN JARRY, et LEFEVRE TARDY HONGRE BOYELDIEU, avoués de la S.A. UCB PHARMA et de la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, pour la part les concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

- signé par Madame Joëlle BOURQUARD, Président et par Madame Marie-Claire THEODOSE, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 571
Date de la décision : 29/11/2007

Références :

ARRET du 24 septembre 2009, Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 24 septembre 2009, 08-10.081, Publié au bulletin

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Nanterre, 13 octobre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2007-11-29;571 ?
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