COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
12ème chambre section 2
F.D./P.G.
ARRET No Code nac : 39H
contradictoire
DU 04 OCTOBRE 2007
R.G. No 05/06502
AFFAIRE :
S.A. HESCHUNG
C/
SOCIETE D'IMPORTATION LECLERC
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Mai 2005 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No Chambre : 7
No Section :
No RG : 2003F3733
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
SCP TUSET-CHOUTEAU
SCP BOMMART MINAULT (2)
SCP DEBRAY-CHEMIN
Me Jean-Michel TREYNET
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE QUATRE OCTOBRE DEUX MILLE SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. HESCHUNG ayant son siège ZI 2, 67490 DETTWILLER, prise en la personne du Président de son Directoire domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués - No du dossier 20050379
Rep/assistant : Me Geneviève AUGENDRE, avocat au barreau de PARIS (P.0060).
APPELANTE
****************
SOCIETE D'IMPORTATION LECLERC -SIPLEC- ayant son siège 26 quai Marcel Boyer 94200 IVRY SUR SEINE (kbis) et 52 rue Camille Desmoulins 92130 ISSY LES MOULINEAUX (conclusions), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. Appelante incidemment
représentée par la SCP BOMMART MINAULT, avoués - No du dossier 00032209
Rep/assistant : Me Antoine GILLOT, avocat au barreau de PARIS.
S.A. SONODINA (SOCIETE NOUVELLE DE DISTRIBUTION NANTERRIENNE) ayant son siège 99, rue Paul Vaillant Couturier 92000 NANTERRE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP BOMMART MINAULT, avoués - No du dossier 00032209
INTIMEES
S.A.R.L. KERAC ayant son siège 13 avenue Daniel Perdrige 93360 NEUILLY PLAISANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
Intervenante sur appel provoqué
représentée par la SCP DEBRAY-CHEMIN, avoués - No du dossier 06000335
Rep/assistant : Me LE GALL, avocat au barreau de PARIS (B.754).
Société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES et CA LDA, société de droit étranger, ayant son siège Lugar do Paco, Torrados 4610 FELGUEIRAS (PORTUGAL), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
appelé en appel incident provoqué
représentée par Me Jean-Michel TREYNET, avoué - No du dossier 17864
Rep/assistant : Me CADICHE, avocat au barreau du PORTUGAL.
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Juin 2007 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François DUCLAUD, conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise LAPORTE, président,
Monsieur Denis COUPIN, conseiller,
Monsieur François DUCLAUD, Conseiller, (rédacteur)
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Thérèse GENISSEL,
FAITS ET PROCEDURE :
La société HESCHUNG SA, fabricante de chaussures, ayant son siège social à DETTWILLER (BAS-RHIN), a commercialisé dès le début de l'année 2000 un modèle de chaussures pour hommes, dénommé IF, puis ensuite TECOMA, qu'elle a déposé à l'INPI le 14 octobre 1999 sous le numéro 996364 avec ajournement de la publicité.
Ledit modèle a fait l'objet d'une publication au bulletin officiel de la propriété intellectuelle du 26 avril 2002.
Apprenant que des chaussures reproduisant toutes les caractéristiques essentielles du modèle TECOMA étaient vendues dans le magasin E. LECLERC sis ... (HAUTS DE SEINE), la société HESCHUNG SA a sollicité l'autorisation du président du tribunal de grande instance de NANTERRE de faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans ce magasin ainsi que dans tous les locaux sis dans le ressort de la même juridiction et dépendant de la société exploitant ledit magasin E. LECLERC.
Par ordonnance du 26 novembre 2002, ce magistrat a fait droit à cette requête.
Maître B..., huissier de justice à NEUILLY SUR SEINE, a procédé aux opérations de saisies-contrefaçon, le 28 novembre 2002, dans le magasin LECLERC du ... et le 11 décembre 2002 dans les locaux de la SIPLEC, centrale d'achat des magasins Leclerc à ISSY LES MOULINEAUX.
Il est résulté de ces opérations, le constat que les chaussures du modèle litigieux dénommé "DERBY détente" étaient en vente dans le magasin E. LECLERC de NANTERRE depuis le mois d'août 2002 et qu'elles avaient été achetées à la société SIPLEC et livrées par celle-ci le 08 août 2002. Il ne restait en stock dans ce magasin que six paires. Le prix d'achat HT à SIPLEC était de 20,14 euros et le prix de vente TTC était de 31,90 euros la paire, l'huissier de justice LAVAL-LIAUD s'est transporté ensuite au siège de SIPLEC et y a appris que 8.364 paires du modèle "DERBY détente" ont été achetées par ladite société SIPLEC à la société BENJAMIN FERNANDES de droit portugais au prix de 17,60 euros et qu'elles étaient revendues au prix de 20,14 euros la paire aux magasins LECLERC.
Etabli en exécution d'une seconde ordonnance sur requête du 10 décembre 2002, un procès-verbal de contrefaçon, du lendemain, fait apparaître que le modèle dont le nom complet est "DERBY détente" a été vendu par la société SIPLEC à quinze magasins situés dans diverses régions.
Estimant que ces similitudes constituent la contrefaçon du modèle TECOMA, la société HESCHUNG a, par acte du 12 décembre 2002, assigné la société d'importation LECLERC-SIPLEC et la société Nouvelle de Distribution Nanterrienne SONODINA, qui est propriétaire du fonds exploité sous l'enseigne Leclerc à NANTERRE, devant le tribunal de commerce de NANTERRE aux fins de la voir reconnaitre, sur le fondement des dispositions des livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle, en arguant aussi à leur encontre des actes de concurrence déloyale et des actes parasitaires en commercialisant à vil prix les chaussures contrefaisantes.
Elle sollicitait la condamnation in solidum des sociétés SONODINA et SIPLEC au paiement de la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts à raison des actes de contrefaçon et de la somme de 155.000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaires. Elle demandait qu'interdiction leur soit faite de commercialiser les modèles contrefaisant du modèle TECOMA et ce, sous astreinte de 150 euros par jour par infraction constatée. Enfin, elle sollicitait la publication du jugement ou d'extraits du jugement dans trois journaux de son choix à elle, société HESCHUNG, dans la limite d'un montant global de 15.000 euros HT.
La société SIPLEC a, par acte du 18 juin 2003, assigné en garantie la société KERAC, agent commercial ayant reçu mandat de commercialiser des chaussures fabriquées par la société de droit portugais MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES, ainsi que cette dernière.
La société KERAC a conclu au mal fondé de l'appel en garantie formé par la société SIPLEC. Elle a fait valoir que la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES s'était engagée à garantir l'originalité des produits qu'elle a conçus, fabriqués et vendus à la société SIPLEC.
Quant à la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES, elle a sollicité le débouté de l'appel en garantie de la société SIPLEC dirigée contre elle.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement déféré prononcé par le tribunal de commerce de NANTERRE, le 17 mai 2005, lequel a débouté la société HESCHUNG SA de ses demandes fondées sur la contrefaçon, aux motifs que la société SIPLEC, avant la publication du dépôt du modèle TECOMA, le 26 avril 2002, était fondée à invoquer l'absence de "physionomie" propre et nouvelle à ce modèle, et que s'agissant des faits postérieurs à cette publication, la société SIPLEC avait, dans les huit jours de son assignation, obtenu l'arrêt des ventes du modèle dans tous les magasins LECLERC.
Quant au grief de concurrence déloyale et parasitaire, le tribunal a estimé qu'il était non fondé car la société HESCHUNG bénéficiait seulement d'une petite notoriété régionale (en Alsace) de sorte que la société SIPLEC, qui n'est pas une spécialiste de la chaussure, a pu légitimement ignorer les droits de ladite société HESCHUNG sur le modèle "TECOMA".
La société HESCHUNG, qui est appelante de ce jugement, agit en contrefaçon tant au regard des articles L 513-4 et L 513-5 du code de la propriété intellectuelle, qu'au vu des dispositions de l'article L 111-1 du même code à l'encontre de la société SIPLEC et de la société Nouvelle de Distribution Nanterrienne (SONODINA) aux motifs qu'elles ont fabriqué, importé, vendu ou détenu le modèle "Derby détente". Elle soutient que les ressemblances existant entre les modèles considérés ne sont pas contestées et que la bonne foi de la société SIPLEC doit s'apprécier au moment des faits reprochés.
Elle considère que pour ceux antérieurs à la publication du modèle dénommée IF, puis TECOMA, il est avéré que ce modèle a fait l'objet de nombreuses publicités dans des publications de l'année 2000 et qu'en sa qualité de professionnelle, notamment dans le secteur de la chaussure, la société SIPLEC ne pouvait donc ignorer l'existence du modèle commercialisé par elle société HESCHUNG, quant à la période postérieure à la publication du modèle, elle prétend que si la société SIPLEC a passé commande des chaussures le 21 janvier 2002, celle-ci les a mis en vente en août 2002, donc postérieurement au 26 avril 2002, date de la publication du modèle au bulletin officiel de la propriété intellectuelle. Elle estime que la société SIPLEC ne peut apporter la preuve de sa bonne foi par la production d'une attestation délivrée, le 15 janvier 2002, par le fabricant, la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES, certifiant notamment l'originalité des produits mentionnés dans la commande SIPLEC no 14369 alors que ce document est contesté et qu'il démontre le contraire.
Par ailleurs, la société HESCHUNG dit être fondée à invoquer également la protection de son modèle par le droit d'auteur. Elle affirme s'être fait connaître auprès du public comme un fabricant de produits caractérisés par des formes à la fois souples et modernes, des mariages de matières, et des couleurs discrètes sans être ternes. Elle fait état de ses efforts publicitaires pour ce modèle TECOMA en 1999 et 2000.
Elle fait valoir que la société HESCHUNG, les conditions de commercialisation du modèle contrefaisant s'analysent aussi bien en concurrence déloyale, la mise en vente des modèles imitants à un prix de 31,90 euros soit sept fois moins cher que le modèle imité étant constitutive de la pratique de vil prix.
Enfin, selon la société HESCHUNG, les sociétés SIPLEC et SONODINA cherchant à tirer profit du succès du modèle HESCHUNG sans le moindre risque commercial, ont eu un comportement parasitaire.
La société HESCHUNG demande à la cour de les condamner in solidum à lui payer les sommes de 300.000 euros et de 155.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices résultant respectivement des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire.
La société HESCHUNG sollicite aussi le prononcé de l'interdiction de commercialiser les articles contrefaisants, sous astreinte de 180 euros par infraction constatée, la publication de l'arrêt à intervenir ou d'extraits de celui-ci dans trois journaux de son choix dans la limite d'un montant global de 15.000 euros HT, ainsi que la condamnation in solidum des intimées à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et à payer les dépens de première instance, comprenant les frais de la saisie contrefaçon et ceux d'appel.
La société d'importation LECLERC SIPLEC qui ne conteste pas la ressemblance entre le modèle de chaussures "DERBY détente" et le modèle TECOMA, fait valoit qu'il y a cependant absence de contrefaçon tant au regard des livres I et III, que du livre V du code de la propriété intellectuelle, notamment en ses articles L 513-4 et L 513-5 ; elle observe que c'est également à tort que la société HESCHUNG se prévaut de l'article L 521-2 alinéa 4 du code de la propriété intellectuelle au terme duquel lorsque les faits rapportés sont postérieurs à la publication du dépôt, les personnes recherchées pour contrefaçon peuvent exciper de leur bonne foi mais à condition d'en rapporter la preuve.
Elle soutient que n'a pas vocation à s'appliquer car la vente est devenue parfaite dès l'envoi de son bon de commande, lequel emporte accord sur la chose et sur le prix en date du 21 janvier 2002, donc avant la publication du dépôt du modèle TECOMA le 26 avril 2002.
En toute hypothèse, s'agissant de la notoriété du modèle TECOMA, la société SIPLEC objecte que la totalité des articles de presse produits concernent les années 1999 et 2000 et que sa mauvaise foi ne saurait se déduire de quelques parutions antérieures, d'autant plus que le modèle TECOMA est dépourvu de toute originalité.
Selon la société SIPLEC, la société HESCHUNG ne peut pas davantage se prévaloir des dispositions du livre I du code de la propriété intellectuelle protégeant le droit d'auteur, car la preuve de l'originalité dans la forme, qui peut se définir comme l'empreinte ou l'expression de la personnalité de l'auteur, est non rapportée en l'espèce.
La société SIPLEC conclut à la confirmation du jugement déféré. A titre subsidiaire, elle sollicite le débouté des demandes de réparation à quelque titre que ce soit formées à son encontre.
Enfin, elle demande acte de ce qu'elle s'engage à garantir la société SONODINA de toutes condamnations qui pourraient éventuellement être prononcées à l'encontre de cette dernière. Elle réclame la condamnation in solidum des sociétés MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES et KERAC à lui verser 8.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'à payer les dépens.
La société Nouvelle de Distribution Nanterrienne SONODINA, intimée, qui a le même avoué que la société SIPLEC et qui a été présentée à tort dans les écritures de cette dernière sur la position de "en présence de" qui ne constitue pas une qualité juridique, n'a pas conclu.
La société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES et C.A., intimée sur appel provoqué, reprend une argumentation semblable à celle de SIPLEC pour demander d'écarter la contrefaçon.
Plus précisément sur l'appel provoqué en garantie formé par la société SIPLEC, la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES fait valoir qu'elle n'a pris aucune part dans la conception du modèle litigieux et qu'elle s'est bornée à exécuter la commande de la société SIPLEC, en estimant que son attestation qui certifierait l'originalité des chaussures Derby détente est suspecte ;
la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES conclut en définitive à la confirmation et subsidiairement au débouté de la société SIPLEC de son appel en garantie. Enfin, elle sollicite la condamnation de la société SIPLEC à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'à payer les dépens.
La société KERAC, intimée, dit n'être intervenue qu'en qualité d'agent commercial de la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES en présentant à la société SIPLEC le catalogue des chaussures conçues et fabriquées par la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES dont celles "DERBY détente". Elle conclut à la confirmation du jugement déféré et au débouté de la société SIPLEC de toutes ses demandes dirigées contre elle. Elle sollicite la condamnation de la société HESCHUNG à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens.
MOTIFS DE LA DECISION :
Considérant que la société SIPLEC, dans ses écritures du 14 septembre 2006, reconnaît qu'il serait inutile et vain de nier l'existence de la ressemblance entre le modèle de chaussure "DERBY détente" fabriqué par la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES et importé par ses soins et le modèle TECOMA fabriqué par la société HESCHUNG ;
considérant qu'il est constant que la société HESCHUNG a procédé au dépôt du modèle TECOMA à l'INPI le 14 octobre 1999, sous forme d'une enveloppe contenant la photographie dudit modèle TECOMA, déposé "au secret" avec ajournement de la publicité ; que celle-ci n'interviendra que par son insertion dans le bulletin officiel de la propriété intellectuelle du 26 avril 2002 ;
I - Sur la contrefaçon au regard du livre I du Code de la Propriété Intellectuelle protégeant le droit d'auteur
Considérant que la société SIPLEC conteste l'originalité du modèle TECOMA en précisant que ce modèle ne présente aucune caractéristique de l'empreinte de son auteur qui permette sa reconnaissance immédiate ; que l'absence d'antériorité ne suffit pas à caractériser l'oeuvre comme une création personnelle de celui qui fabrique le modèle TECOMA et à la faire protéger par le droit d'auteur ; que, d'ailleurs, l'auteur de ce modèle qui ne peut être la société HESCHUNG, personne morale, n'est pas identifié et n'est donc pas partie à la procédure ; que le travail de création n'est nullement décrit et ne saurait être démontré par les croquis non datés et non signés versés aux débats ;
mais considérant que la société SIPLEC doit apporter la preuve de l'antériorité des chaussures similaires au modèle TECOMA, créé le 14 octobre 1999, date à laquelle il a été déposé à l'INPI, étant observé que ledit modèle TECOMA a une esthétique le destinant à être une chaussure de ville en cuir, tout en ayant un "look" sport de type basket ;
que la cour constate que la société SIPLEC n'apporte pas cette preuve ;
que la circonstance que la société SIPLEC observe que la semelle du modèle TECOMA s'inspire "à l'évidence" de modèles de semelles antérieurs et très courants ne saurait être probant, s'agissant d'un élément à peine visible et qui n'est nullement une caractéristique du modèle TECOMA ;
considérant qu'en l'absence d'une antériorité démontrée, le caractère original du modèle, dont la date de création est réputée être celle de son dépôt à l'INPI le 14 octobre 1999, est établi ;
que la société HESCHUNG a fait de la publicité pour le modèle TECOMA dans plusieurs revues spécialisées en 2000 et 2001 ;
Que son modèle se vendait dans les magasins Manfield et dans ses cinq magasins ouverts à son nom à Paris et à Lyon ; que le modèle est donc connu ;
considérant qu'il s'ensuit que la société HESCHUNG est fondée à prétendre à la protection de son modèle TECOMA au titre des droits d'auteur ;
que dès lors la société SIPLEC, à partir du moment où elle a commandé les chaussures "DERBY détente" à la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES, le 21 janvier 2002, a commis des actes de contrefaçon.
II - Sur la contrefaçon au regard du livre V du Code de la Propriété Intellectuelle
considérant que la société SIPLEC, soutenant que les faits de contrefaçon qui lui sont reprochés étant postérieurs au dépôt du modèle le 14 octobre 1999, mais antérieurs à sa publicité le 26 avril 2002, invoque l'application des dispositions de l'article L 521-2 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle. ; que ce texte met à la charge de la partie lésée, HESCHUNG en l'occurrence, d'établir la mauvaise foi de l'inculpée ;
qu'à titre subsidiaire, la société SIPLEC dit rapporter la preuve de sa bonne foi, laquelle lui incombe en application de l'article L 521-2 alinéa 4 du Code de la Propriété Intellectuelle qui dispose :
"lorsque les faits sont postérieurs à la publicité du dépôt, leurs auteurs peuvent exciper de leur bonne foi mais à la condition d'en rapporter la preuve" ;
considérant que la cour observe que la société HESCHUNG ne poursuit sur le fondement du livre V du Code de la Propriété Intellectuelle que les contrefaçons postérieures à la date de publication du dépôt du modèle TECOMA, le 26 avril 2002 ; que cela vise notamment les ventes du modèle "DERBY détente" entre août 2002 et la mi-décembre 2002 ; que la société SIPLEC doit donc apporter la preuve de sa bonne foi puisqu'elle ne peut revendiquer l'absence d'action en contrefaçon à son encontre dérivant du livre V du Code de la Propriété Intellectuelle que sur le fondement de l'article L 521-2 alinéa 4 de ce code ;
Qu'au surplus, l'article L 521-2 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle, texte qui renvoie à un texte répressif, vise un cas étranger au présent litige ;
considérant l'application de l'article L 521-2 étant donc retenue, qu'il appartient à la société SIPLEC d'apporter la preuve de sa bonne foi ;
considérant que celle-ci prétend exciper de plusieurs arguments pour justifier de sa bonne foi ; qu'elle soutient que n'étant pas un professionnel de la chaussure, elle ne pouvait connaître l'existence du modèle TECOMA en raison de son absence de notoriété et du caractère confidentiel des ventes de ce modèle ; qu'elle conteste le chiffre de 40.000 paires de chaussures TECOMA vendues par an qui serait trop élevé par rapport à une production totale annuelle des chaussures HESCHUNG de 140.000 paires ;
que, quant au manque de notoriété, la société SIPLEC remarque qu'il n'est produit aucun article ou publi-reportage concernant TECOMA qui serait paru au cours des années 2001 et 2002 ; qu'enfin, elle dit verser une attestation de la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES certifiant l'originalité du modèle "DERBY détente" ; que par ailleurs, la société SIPLEC invoque le retrait de la vente les modèles "DERBY détente" dans les huit jours qui ont suivi la date de son assignation, le 12 décembre 2002 ;
mais considérant que sur ce dernier point, la cour ne peut que déclarer non probante cette pièce, comme le soutiennent la société HESCHUNG ainsi que la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES, elle-même ; qu'au vu de ce document du 15 juillet 2002, la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES garantit "l'originalité des produits mentionnés sur la commande, SIPLEC no 14369" ; que ce numéro est afférent à la commande du 15 février 2002 qui porte sur des chaussures SALON 403 ; que cette pièce est étrangère à la commande no 2023 de SIPLEC du 21 janvier 2002 qui porte sur les 8.364 paires de "DERBY détente" hommes, objet du litige ;
que la production de cette pièce inopérante montre que même si SIPLEC est une société qui achète sans doute, comme elle le soutient, des centaines d'articles autres que la chaussure, elle a une structure spécialisée dans l'achat des chaussures, qui peut maîtriser les problèmes de contrefaçon des modèles à la mode qu'elle recherche ; que celle-là, pour s'informer des tendances du monde de la chaussure, répertorie les modèles de luxe publiés dans les revues spécialisées, peu important les chiffres de vente de ceux-ci ;
qu'enfin, le retrait rapide des chaussures "DERBY détente" de la vente a eu pour objectif de limiter l'indemnisation que la société SIPLEC pourrait avoir à supporter ; que c'est une mesure de gestion, mais non de bonne foi ;
considérant que la société SIPLEC, ne rapportant pas la preuve de sa bonne foi, a donc commis les actes de contrefaçon au regard du livre V du Code de la Propriété Intellectuelle, étant déjà établi qu'elle a commis des contrefaçons au regard du livre I du Code de la Propriété Intellectuelle.
III - Sur la concurrence déloyale et parasitaire de la société SIPLEC
Considérant que, selon la société HESCHUNG, l'offre à la vente du modèle contrefaisant par les magasins LECLERC à un prix de 31,90 euros soit sept fois moins cher que le prix du modèle imité est un acte de concurrence déloyale, de même que l'est aussi la publicité pour le modèle "DERBY détente" dans un catalogue Leclerc distribué au public ; que la société HESCHUNG affirme que cette concurrence n'affecte pas seulement ses ventes en Alsace, mais aussi celles effectuées dans les magasins Manfield qui diffusent le modèle TECOMA ;
mais considérant que la vente qualifiée à vil prix des chaussures "DERBY détente" ne repose pas sur des éléments de fait qui soient distincts de ceux qui caractérisent la contrefaçon ; que, par ailleurs, la distribution d'un seul catalogue des produits Leclerc n'a pas particulièrement mis le modèle "Derby détente" en évidence ; qu'il n'y a donc pas preuve d'actes de concurrence déloyale ;
considérant que, par ailleurs, il n'est pas démontré par la société HESCHUNG que la société SIPLEC ait tiré profit de ce que le modèle "Derby détente" a été commercialisé dans le sillage du succès du modèle TECOMA ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence parasitaire.
IV - sur les appels en garantie formés à l'encontre des sociétés MANUEL BENJAMIN et KERAC
A) concernant la société MANUEL BENJAMIN
Considérant que la société SIPLEC affirme que la société KERAC, qui est l'agent en France du fabricant, la société MANUEL BENJAMIN, lui a présenté le modèle "Derby détente" au vu duquel elle en a commandé les chaussures et qui avait conçu le modèle à son intention et se prévaut de l'attestation précitée que lui a adressé, le 15 juillet 2002, la société MANUEL BENJAMIN pour rechercher sa garantie ;
mais considérant ainsi qu'il déjà a été relevé que cette attestation vise une commande no 14369 qui est étrangère à la commande no 2023 du 21 janvier 2002 seule en cause ; qu'elle est donc non pertinente ; que par ailleurs, la société KERAC prétend qu'elle aurait présenté à la société SIPLEC le catalogue de la société MANUEL BENJAMIN dans lequel figurait le modèle "Derby détente" ; mais que cette dernière, qui constate qu'un tel document n'est pas versé aux débats, explique qu'elle n'a pas de catalogue et qu'elle travaille comme façonnière à partir des modèles définis par ses agents en collaboration avec les clients ; que la circonstance que la société MANUEL BENJAMIN n'ait manifestement pas délivré d'attestation d'originalité du modèle "Derby détente", démontre que dans le cas précis de ce modèle, elle a agi en qualité de façonnière du modèle, n'apportant à sa fabrication que sa compétence technique ; que dès lors, la société MANUEL BENJAMIN étant étrangère à la contrefaçon, l'appel en garantie dirigé contre elle ne peut prospérer.
B) concernant la société KERAC
Considérant que la société SIPLEC, pour justifier son appel en garantie formé à l'encontre de la société KERAC, prétend que celle-ci a participé à la "tromperie" dont elle aurait été victime ; qu'à tout le moins, elle n'a pas fait preuve de prudence en ne s'assurant pas de l'originalité du modèle de la chaussure "Derby détente" ;
mais considérant que la société KERAC a reçu mission de la société MANUEL BENJAMIN de prendre contact avec des clients comme SIPLEC afin que ceux-ci définissent les modèles qu'ils souhaitent voir fabriquer ; que le rôle de la société KERAC n'implique pas qu'elle ait à rechercher l'éventuel caractère contrefaisant du modèle demandé ; que la société SIPLEC sera donc déboutée de son appel en garantie dirigée contre la société KERAC.
V - Sur le préjudice D'HESCHUNG
Considérant que la société SIPLEC conteste que la société HESCHUNG apporte la preuve du préjudice qui résulterait des contrefaçons, au motif qu'elle ne verse aux débats nul document comptable de nature à démontrer que la commercialisation du modèle contrefaisant ait engendré une perte de résultat pour elle ; que la société SIPLEC fait encore observer que la vente des chaussures "Derby détente" a été une opération ponctuelle qui n'a duré que d'août à décembre 2002 ;
mais considérant que la société HESCHUNG a subi nécessairement une perte de marge à raison de la vente des modèles contrefaisants, la masse contrefaisante étant constituée des 4.989 paires de "Derby détente" qui ont été vendues de manière illicite entre août et décembre 2002 ; qu'à cela s'ajoute un incontestable avilissement causé à la marque HESCHUNG et à l'action commerciale de la société par la vente de chaussures constituant des copies de moindre qualité que ceux de la société HESCHUNG, laquelle a donc subi un préjudice indéniable ;
Q'au vu de l'ensemble des éléments suffisants d'appréciation dont la cour dispose, ce préjudice commercial sera fixé à la somme de 120.000 euros ;
que la société SONODINA qui a elle-même vendu des chaussures contrefaisantes sera condamnée in solidum avec la société SIPLEC au paiement de cette somme ;
que la cour donnera acte à la société SIPLEC de ce qu'elle s'engage à garantir la société SONODINA de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.
VI sur la demande de publication du présent arrêt ou d'extraits de celui-ci dans trois journaux dans la limite d'un montant de 15.000 euros HT
Considérant que la société HESCHUNG, à laquelle la cour vient d'accorder des dommages et intérêts en réparation de son préjudice, ne justifie pas de la nécessité d'ordonner à titre de dommages et intérêts complémentaires la publication du présent arrêt ; que cette décision sera donc rejetée.
VII Sur l'interdiction pour les sociétés SIPLEC et SONODINA de commercialiser les chaussures contrefaisantes sous astreinte de 150 euros par infraction constatée
Considérant que la cour accueillera cette demande de la société HESCHUNG, qui ne fait que tirer les conséquences de la contrefaçon retenue.
VIII - Sur les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Considérant que l'équité commande de condamner les sociétés SIPLEC et SONODINA in solidum à verser à la société HESCHUNG la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
considérant que la société SIPLEC sera condamnée à verser à la société MANUEL BENJAMIN la somme de 2.000 euros en paiement de ses frais irrépétibles de procédure ; que les conclusions de la société KERAC ne permettant pas de savoir à qui elle réclame une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
considérant que la société SIPLEC qui succombe en ses prétentions, sera déboutée de sa demande fondée sur ce texte ;
considérant que la société SIPLEC et la société SONODINA, qui succombent en leurs prétentions, seront condamnées in solidum au paiement des dépens de première instance, comprenant les frais de la saisie-contrefaçon et d'appel exposés par la société HESCHUNG SA, hormis ceux concernant la société MANUEL BENJAMIN qui seront supportés par la seule société SIPLEC ;
que la société KERAC, intimée sur appel provoqué par la société SIPLEC, supportera la charge de ses propres dépens, car elle n'a pas été attraite dans la procédure par la société HESCHUNG, à laquelle elle réclame le paiement de ses dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que les sociétés SIPLEC et SONODINA se sont livrées à des actes de contrefaçon du modèle TECOMA, déposé par la société HESCHUNG SA, au préjudice de celle-ci, en infraction aux dispositions des livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle,
Dit que les sociétés SIPLEC et SONODINA ne rapportent pas la preuve de leur bonne foi pour les faits commis postérieurement à la publication du modèle,
Condamne in solidum la société SIPLEC et la société SONODINA à verser à la société HESCHUNG SA la somme de 120.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par elle résultant des actes de contrefaçon,
Déboute la société HESCHUNG SA de sa demande de condamnation in solidum des sociétés SIPLEC et SONODINA au paiement de dommages et intérêts au titre d'actes de concurrence déloyale et parasitaires,
Fait interdiction aux sociétés SIPLEC et SONODINA de commercialiser les chaussures contrefaisantes, et ce, sous astreinte de 150 euros par infraction constatée,
Déboute la société SIPLEC de ses appels en garantie dirigées à l'encontre des sociétés MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES et KERAC,
Déboute la société HESCHUNG de sa demande de publication du présent arrêt ou d'extraits de celui-ci,
Condamne la société d'Importation LECLERC - SIPLEC- et la société Nouvelle de Distribution Nanterrienne SONODINA à verser à la société HESCHUNG SA la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne la société d'Importation LECLERC - SIPLEC - à verser à la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES et CA la somme de 2.000 euros en paiement de ses frais irrépétibles de procédure,
Dit inopérante la demande de la société KERAC quant à l'allocation d'une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Déboute la société SIPLEC de sa demande fondée sur l'application de ce texte,
Donne acte à la société SIPLEC de ce qu'elle s'engage à garantir la société SONODINA de toute condamnation éventuellement prononcée à l'encontre de cette dernière,
Condamne in solidum la société d'Importation LECLERC -SIPLEC et la société Nouvelle de Distribution Nanterrienne SONODINA aux dépens de première instance, comprenant les frais de la saisie-contrefaçon et d'appel exposés par la société HESCHUNG SA,
Condamne la société d'Importation LECLERC -SIPLEC- aux dépens de première instance et d'appel exposés par la société MANUEL BENJAMIN FERNANDES RODRIGUES et CA,
Dit que la société KERAC supportera la charge de ses propres dépens et autorise la SCP TUSET-CHOUTEAU et Maître TREYNET, avoués, à recouvrer les dépens d'appel conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,