COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 29 JUIN 2007
R.G. No 06/00922
AFFAIRE :
S.A. BRULE VILLE ASSOCIES
C/
Valérie
X...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Février 2006 par le Conseil de Prud'hommes de VERSAILLES
Section : Encadrement
No RG : 04/00070
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. BRULE VILLE ASSOCIES
52, avenue Marcel Dassault
92100 BOULOGNE BILLANCOURT
représentée par Me Catherine LEGER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L.38
APPELANTE
****************
Madame Valérie X...
...
75007 PARIS
comparant en personne, assistée de Me Christophe ARCAUTE, avocat au barreau de PAU
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mai 2007, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Noëlle ROBERT, conseiller faisant fonction de président chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :
Madame Marie-Noëlle ROBERT, conseiller faisant fonction de président,
Madame Patricia DEROUBAIX, conseiller,
Madame Sylvie BOURGOGNE, conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Catherine SPECHT,
EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat à durée indéterminée du 11 janvier 2001, prenant effet au 2 avril 2001, Mme X... a été engagée par la société Brule Ville Associés, dite BVA, en qualité de directrice adjointe du département Média, statut cadre, coefficient 270 de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseil dite SYNTEC.
A compter du 1er janvier 2003, Mme X... a occupé les fonctions de directrice du département Média. Elle percevait en dernier lieu un salaire brut mensuel de 4 900 €.
Par lettre remise en main propre le 16 octobre 2003, Mme X... a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 21 octobre suivant, et par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 octobre 2003, elle a été licenciée pour insuffisance de résultats et insuffisance professionnelle.
Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, Mme X... a saisi le 20 janvier 2004 le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins d'obtenir la condamnation de la société BVA à lui payer les sommes suivantes :
* 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive
* 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité de lever les "stocks-options",
* 1 500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par jugement du 13 février 2006, le conseil :
- a condamné la société BVA à payer à Mme X... les sommes suivantes :
* 30 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 700 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- a débouté Mme X... du surplus de ses demandes,
- a débouté la société BVA de sa demande d'indemnité de procédure.
L'employeur a régulièrement interjeté appel de cette décision.
La société BVA demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris,
-de dire que le licenciement pour insuffisance de résultats de Mme X... repose sur une cause réelle et sérieuse,
- de débouter Mme X... de l'ensemble de ses demandes,
- de la condamner à lui verser la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société BVA fait valoir essentiellement :
- que l'insuffisance de résultats imputable à Mme X... est établie; que l'obligation d'atteindre des objectifs commerciaux était inhérente aux fonctions de cette dernière et qu'elle avait elle-même fixé les objectifs de son département dans le cadre du plan d'actions commerciales pour l'exercice 2003 qu'elle avait arrêté,
- que les résultats du département Média se sont révélés largement insuffisants sur l'exercice 2003 et que les objectifs fixés par Mme X... et ceux déterminées par la direction de la société n'ont pas été atteints;
- que cette insuffisance de résultats procède d'une insuffisance professionnelle, laquelle s'est traduite par une absence de suivi et de sécurisation de la clientèle et par une absence de démarches nécessaires en termes de prospection commerciale,
- qu'il résulte du plan d'options d'achat et de souscriptions d'actions de la société BVA que Mme X... a perdu, du fait de son licenciement, le droit d'exercer les options qui lui avaient été consenties.
Mme X... demande à la cour :
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il dit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- de l'infirmer pour le surplus et de condamner la société BVA à lui payer les sommes suivantes:
* 50 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice correspondant au manque à gagner sur les options d'action consenties
* 5 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Mme X... soutient essentiellement :
- que son contrat de travail ne lui imposait aucun objectif à atteindre,
- que l'insuffisance de résultats qui lui est reprochée ne lui est pas imputable; que les résultats obtenus doivent être restitués dans le contexte d'une conjoncture économique difficile et d'une mauvaise politique commerciale de la société; que son employeur ne lui a pas fourni les moyens en ressources humaines pour atteindre les objectifs unilatéralement fixés,
- que l'insuffisance professionnelle qui lui est reprochée ne résulte d'aucun élément,
- que son licenciement étant abusif, elle peut prétendre obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de réaliser une plus-value entre la valeur préférentielle d'achat et le prix éventuel de vente de ses actions.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
Considérant que la lettre de licenciement notifiée à Mme X... est rédigée en ces termes:
" Nous faisons suite à l'entretien préalable que nous avons eu le 21 octobre 2003 et vous confirmons les motifs pour lesquels nous vous notifions, par la présente, une mesure de licenciement.
Vous exercez les fonctions de Directrice Adjointe du Département Média, depuis le 2 avril 2001 et aviez, à ce titre pour mission de :
- développer le chiffre d'affaires de l'activité Média,
- diriger l'équipe de collaborateurs du Département Média (Directeur d'étude et chargés d'étude),
- superviser l'activité et la réalisation des budgets obtenus.
Constatant, dès l'année 2002, le caractère insuffisant des résultats du département Média, vous sembliez en avoir pris la mesure et indiquiez ainsi dans votre document d'analyse du mois de janvier 2003 :
- que les clients fidèles étaient de plus en plus restreints et fragiles,
- que la politique de prospection de nouveaux clients avait été insuffisamment développée en 2002.
Dans ce contexte, la détermination des objectifs 2003 avait tenu compte de la conjoncture économique difficile, de la réduction également des effectifs au sein de l'équipe et avait ainsi abouti à la fixation d'un chiffre d'affaires correspondant au niveau d'activité pour 2002.
C'est ainsi que vous nous avez vous même indiqué que vous fixiez l'objectif de chiffre d'affaires du Département Média pour l'année 2003 à 909500 €, soit à un montant identique à l'objectif fixé par la Direction du pôle Marketing pour cet exercice, à hauteur de 950 000 €.
Or, nous constatons qu'à la date du 15 octobre 2003, le chiffre d'affaires du Département Média n'a atteint que 506 000 € de telle sorte que nous pouvons aujourd'hui affirmer que le chiffre d'affaires du Département Média pour l'année 2003, chiffre correspondant aux contrats dont l'exécution doit être réalisée avant la fin de l'année, correspondra à ce montant. Ceci est également confirmé par le faible montant des projets en attente de réponse soit 63.100 €.
En outre, alors qu'au 30 avril 2002, le niveau de facturation (depuis le 1er janvier 2002) était égal à 546.000 €, le niveau de facturation au 5 septembre 2003 (depuis le 1er janvier 2003) ne s'élève qu'à 368.242 € HT.
Les résultats du Département Média pour l'année 2003 sont donc notoirement insuffisants puisqu'ils correspondent à 53% seulement des objectifs de la société et à 56% des objectifs que vous aviez vous-même fixés comme étant parfaitement réalisables.
De plus, ces résultats sont à eux seuls totalement insuffisants puisqu'ils correspondent à 51% seulement des résultats de l'année précédente.
En second lieu, il apparaît que ces mauvais résultats s'expliquent par une insuffisance professionnelle manifeste de votre part, insuffisance qui s'est traduite par une absence de suivi et de sécurisation de la clientèle existante, l'analyse que vous aviez effectuée à partir des résultats de l'année 2002 n'ayant été suivie d'aucun effet.
De même, alors que vous aviez annoncé la mise en oeuvre d'actions de prospection plus ambitieuses en début d'année 2003, vous n'avez pas effectué l'ensemble des démarches nécessaires en termes de prospection commerciale.
Il s'avère ainsi que les contrats conclus en 2003 par le Département Média avec de nouveaux clients sont totalement insuffisants et ne sont pas de surcroît, pour la quasi-totalité d'entre eux, le résultat de votre action propre.
L'ensemble de ces résultats nous amène à constater que vous n'avez pas su vous conformer aux exigences de votre poste, alors que les autres départements de la société B.V.A. ont obtenu, tant en quantum qu'en pourcentage d'atteinte des objectifs, des résultats en chiffre d'affaires supérieurs à ceux du département Média.
L'entretien que nous avons eu le 21 octobre dernier ne nous a pas permis de modifier notre appréciation à votre égard.
En conséquence, compte tenu de l'insuffisance manifeste de résultats, insuffisance liée à vos manquements professionnels, nous nous voyons dans l'obligation de vous notifier, par la présente, votre licenciement." ;
Considérant qu'il est reproché à Mme X... une insuffisance de résultats ayant pour cause une insuffisance professionnelle, caractérisée par une absence de suivi et de sécurisation de la clientèle existante et une absence de prospection commerciale de nouveaux clients;
Considérant qu'il n'est pas contesté que, malgré la mention erronée contenue dans la lettre de licenciement ainsi que dans les bulletins de salaire, Mme X... occupait, depuis le 1er janvier 2003, les fonctions de directeur du département Média et non plus celles de directeur adjoint;
Considérant que même si aucun objectif n'est mentionné dans le contrat de travail de la salariée, la réalisation d'objectifs est inhérente aux fonctions qu'elle exerçait, consistant notamment en la mise en oeuvre d'un plan annuel d'actions commerciales définies avec le directeur de pôle, ce plan contenant des objectifs de développement commercial, de chiffre d'affaires et de marge dégagée;
Considérant qu'en outre, Mme X... a établi, au mois de janvier 2003, un plan d'actions commerciales avec un objectif de chiffre d'affaires de 909 500 €, la société BVA définissant en ce qui la concerne un objectif de 950 000 €;
Considérant qu' il est constant que même les objectifs définis par la salariée n'ont pas été atteints puisqu'au 15 octobre 2003, le chiffre d'affaires du département Média n'atteignait que 560 000 €;
Mais considérant qu'il convient de relever :
- que le plan d'actions commerciales de Mme X... a été établi sur la base d'une équipe de 4,25 personnes, soit un directeur d'activité (elle-même), un directeur d'études, 1,75 chargé d'études et 0,5 stagiaire, alors qu'il résulte d'un document fourni par l'employeur que l'effectif a été en réalité de 3,22 personnes de janvier à septembre 2003 inclus et que ce n'est qu'en octobre 2003, soit au moment du licenciement de Mme X..., que l'équipe Media a té renforcée, comprenant 5 personnes,
- que l'insuffisance des effectifs avait d'ailleurs été constatée lors de la réunion du pôle marketing du 24 juin 2003, le compte rendu de cette réunion mentionnant, concernant l'activité Média : "Des ressources humaines toujours insuffisantes, des solutions urgentes sont à envisager",
- que l'employeur ne justifie pas que la salariée pouvait avoir recours, en cas de besoin et sans restriction, à des chargés d'études d'autres départements, comme il l'affirme dans ses écritures,
- que la salariée a été en arrêt de travail pour maladie, en relation avec un état de grossesse, laquelle a été interrompue en juin 3003, du 25 mars au 24 avril 2003 et du 25 juin au 11 juillet 2003, ce qui a réduit d'autant plus les effectifs du département Média,
- que la société BVA devait faire face à l'époque à des difficultés économiques importantes ayant entraîné en 2003 une restructuration de l'entreprise et la suppression de 26 postes, que lors de la réunion du comité d'entreprise du 31 octobre 2002, la direction a indiqué que "les résultats pour 2002 (...) seraient pires que ceux annoncés lors de la première réunion" et que "ce recul de l'activité est dû notamment à un marché difficile pour la profession" et que lors de la réunion de ce même comité du 10 janvier 2003, le nouveau dirigeant de la société a déclaré que "le marché global des études est en faible croissance et (que) les perspectives ne sont pas excellentes pour 2003",
- qu'en 2004, le chiffre d'affaires réalisé par le département Média n'a été que 704 000 € au 31 décembre 2004, ce qui ne représente pas une différence sensible avec les résultats obtenus par Mme X... au 15 octobre 2003;
Considérant par ailleurs que les prétendues carences de Mme X... en matière de sécurisation de la clientèle existante et de prospection d'une nouvelle clientèle ne sont établis par aucun élément;
Considérant qu'il s'ensuit qu'il n'est pas établi que l'insuffisance de résultats du département Média ait eu pour cause l'insuffisance professionnelle de Mme X... et que c'est à juste titre que le conseil a estimé que le licenciement de cette dernière est dépourvue de cause réelle et sérieuse;
Sur les conséquences du licenciement
* sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Considérant qu'au moment de son licenciement, Mme X... avait au moins deux années d'ancienneté et que la société BVA employait habituellement au moins onze salariés;
Considérant qu'en application de l'article L 122-14-4 du Code du travail, Mme X... peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu'elle a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement, soit en l'espèce 27 788,29 €;
Considérant qu'en raison de l'âge de la salariée au moment de son licenciement (32 ans), de son ancienneté et du préjudice matériel et moral qu'elle a nécessairement subi, les premiers juges ont fait une exacte appréciation de ce dernier en lui allouant la somme de 30 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
* sur les dommages et intérêts pour manque à gagner sur les "stock-options"
Considérant qu'il résulte des éléments du dossier que suivant une lettre d'offres du 30 janvier 2002, Mme X... s'est vue attribuer 600 options pouvant être levées dans les conditions suivantes:
* 200 du 30 janvier 2007 au 30 janvier 2009
* 200 du 30 janvier 2008 au 30 janvier 2009
* 200 le 30 janvier 2009;
que le prix de la souscription était fixé à 76,22 €;
Considérant que l'article 6.1 du règlement du plan d'options d'achat ou de souscription d'actions de la société BVA, adopté par le conseil d'administration de la société le 30 janvier 2002, prévoyait les conditions particulières suivantes à l'exercice des options:
"Chaque bénéficiaire ne peut lever les options, dans les conditions prévues à l'article 5.1 que si le contrat de travail dont il est titulaire avec BVA ou une société du groupe BVA au moment de l'attribution est toujours en vigueur (...) et s'il n'est à cette date ni démissionnaire ni en instance de licenciement (quand bien même le motif du licenciement serait contesté ou réputé ultérieurement sans cause réelle et sérieuse" ;
Considérant que Mme X... ayant été privée, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, du droit de lever les options qui lui avaient été attribuée à l'échéance prévue au plan d'options, a subi nécessairement un préjudice qui sera réparé, au vu des éléments du dossier, par l'allocation de dommages et intérêts d'un montant de 10 000 €;
* sur le remboursement des indemnités de chômage aux organismes concernés
Considérant qu'en application de l'article L 122-14-4 du Code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société BVA aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage qu'ils ont éventuellement versées à Mme X... à concurrence de six mois;
Sur les dépens et sur l'indemnité de procédure
Considérant que la société BVA, qui succombe pour l'essentiel dans la présente instance, doit supporter les dépens et qu'il y a donc lieu de la condamner à payer à Mme X... une indemnité de procédure qu'il est équitable de fixer à la somme de 2 000 €, en sus de celle qui lui a été allouée en première instance;
que la société BVA doit être déboutée de cette même demande;
PAR CES MOTIFS,
La COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles en date du 13 février 2006 et statuant à nouveau,
Condamne la société Brule Ville Associés (BVA) à payer à Mme X... la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner sur les "stock-options" qui lui ont été attribuées,
Ordonne le remboursement par la société BVA aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont éventuellement versées à Mme X... à concurrence de six mois,
Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne la société BVA à payer à Mme X... la somme de 2 000 € au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne la société BVA aux dépens.
Arrêt prononcé et signé par Mme Marie-Noëlle ROBERT, Conseiller faisant fonction de président, et signé par Mme Catherine SPECHT, Greffier présent lors du prononcé.
Le GREFFIER Le PRESIDENT