COUR D'APPEL DE VERSAILLES Code nac : 64B 14ème chambre ARRET No contradictoire DU 22 NOVEMBRE 2006 R.G. No 06/05658 No 06/06841 AFFAIRE :S.A. TELEVISION FRANCAISE 1 "TF1" ...C/La REPUBLIQU DE BELARUS Représentée par son ambassadeur plénipotentiaire en France Mr Viktar X... Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 05 Juillet 2006 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE No chambre : No Section : No RG :
06/1618 Expéditions exécutoires Expéditions Copies délivrées le : à :SCLISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD, SCP GAS REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAI SLE VINGT DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE SIX, La cour d'appe de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : S.A. TELEVISION FRANCAISE 1 "TF1"1 Quai du Point du Jour 92656 BOULOGNE BILLANCOURT CEDEX représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD - N du dossier 0642983 assistée de Me Louis BOUSQUET (avocat au barreau de PARIS) Monsieur Patrick LE Y... ... représenté par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD - N du dossier 0642983 assisté de Me Louis BOUSQUET (avocat au barreau de PARIS)APPELANTS****************La REPUBLIQUE DE BELARUS Représentée par son ambassadeur plénipotentiaire en France Mr Viktar X... ... représentée par la SCP GAS - N du dossier 20060705 assist de Me Antoine BIDET (avocat au barreau de PARIS)INTIME****************Composition de la cour :L'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Octobre 2006 devant la cour composée de :
Monsieur Thierry FRANK, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Mme Ingrid ANDRICH, Conseiller,qui en ont délibéré, Greffier, lors de
débats : Madame Marie-Pierre LOMELLINI FAITS ET PROCEDURE,
La société TELEVISION FRANCAISE TF1 a diffusé le 18 mai 2006 au cours du journal télévisé de 20 heures, présenté par Monsieur Patrick Z... A... un reportage qui a duré une minute 30 secondes.
Au vu du script rédigé en gros caractères et qui tient sur une page A4, le témoignage est annoncé par le présentateur du journal télévisé en ces termes : la Biélorussie, touchée par une crise économique sans précédent à tel point que dans certaines campagnes, les commerçants acceptent désormais d'être payés en papier usé ou en ferraille . Le commentaire du reportage réalisé dans la campagne biélorusse affirme que les habitants manquent tellement d'argent liquide que les commerçants ont trouvé la parade, le troc. Ils acceptent d'être payés en papiers usés, en torchons, ou en métaux rouillés. ; une voix off intervenant après une interview d'une personne ayant payé sa coupe de cheveux au moyen de 20 kilos de papier, précise cette nouvelle monnaie a donné un nouveau souffle à la région et beaucoup de magasins emboîtent le pas ; suit une interview d'un biélorusse qui précise qu'il a des économies, de gros sacs de torchons et au moins 1000 kilos de ferraille, qu'il revend ces matériaux à bon prix ajoutant tout le monde y gagne .
Une voix off indique enfin : en Biélorussie où le salaire moyen est proche de 200 ç, le pays ne vit que grâce au pétrole que les russes livrent à bas prix et que le gouvernement revend trois fois plus cher. Mais dans ces campagnes, les pétroroubles sont un mirage, on a donc appris à développer une économie parallèle .
Estimant ce reportage diffamatoire, la REPUBLIQUE DE BELARUS après divers courriers a demandé le 27 juin 2006 au directeur de la publication de la chaîne à exercer son droit de réponse, auquel il n'a été donné aucune suite favorable.
Il l'a, dès lors, fait assigner aux côtés de TF1 au visa des articles
6 de la loi du 29 juillet 1982 et 809 du Nouveau Code de Procédure Civile et du décret du 6 avril1987.
Par ordonnance rendue en la forme des référés le 5 juillet 2006, le président du tribunal de grande instance de NANTERRE, le directeur de la publication de TF1 et TF1 ont été condamnés sous astreinte journalière de 1000 ç à diffuser dans le respect des conditions et des délais prévus par la loi du 29 juillet 1982, sous la forme d'un déroulant accompagné d'une lecture anonyme, la réponse adressée le 27 juin 2006 au directeur de la publication de TF1 et ce, passé un délai de 24 heures suivant la signification de l'ordonnance. Le président a également ordonné l'exécution provisoire de la décision et s'est réservé la liquidation éventuelle de l'astreinte. Il était encore accordé au demandeur une somme de 1000 ç en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Le premier juge a énoncé que dans une société démocratique, le droit de critique doit être préservé, mais qu'il n'affranchit pas celui qui en use de présenter loyalement l'information sans énoncer de propos susceptible d'attenter à la réputation ou à l'honneur d'autrui.
Il a estimé que la présentation d'un pays abandonnant les campagnes les plus démunies à un système d'échange par troc, alors qu'il vit par ailleurs du pétrole, est susceptible de porter atteinte à la réputation de L'ETAT BIELORUSSE. Il a ajouté qu'il est démontré que le système économique décrit ne correspond pas à celui régnant dans le pays, en ne faisant pas état d'un processus ancien et officiel mis en place par les entreprises coopératives de recyclage de matières secondaires.
Il a considéré que ce reportage présenté comme un sujet d'information traité en une minute et trente secondes, sans débat, ne pouvait relever du libre droit de critique, et qu'il contenait des imputations susceptibles de porter atteinte à la réputation du pays
rendant légitime l'exercice du droit de réponse.
Il a, dès lors, recherché des conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles avait été diffusé le reportage litigieux et de manière à ce que soit assurée une audience équivalente à celle du message précité.
La société TELEVISION FRANCAISE TF1 et Monsieur LE Y..., directeur de la publication, ont relevé appel de cette décision, et sollicité son infirmation. Dans le dernier état de leurs écritures les appelants ont renoncé à réclamer une somme en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ils estiment que ce qui a été dit à l'antenne ne constitue pas une imputation susceptible de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de l'Etat de BELARUS.
Ils indiquent que l'information donnée par TF1 avait la référence de la presse internationale sur le système du troc, sur les rapports privilégiés de L'ETAT BIELORUSSE avec la RUSSIE.
Ils soutiennent qu'il y a simple libre exercice du droit d'informer.
Ils ajoutent que l'ordonnance entreprise a voulu, non une réponse suite à une imputation portant atteinte à l'honneur ou à la réputation de la BIELORUSSIE, mais l'expression de l'opinion personnelle de la BIELORUSSIE sur sa situation interne.
Ils précisent qu'il n'est pas possible de permettre à un Etat par le biais d'un droit de réponse de défendre sa politique, ce qui explique l'application très rare des dispositions de l'article 6-1 de la loi du 29 juillet 1982.
La REPUBLIQUE DE BELARUS a conclu à la confirmation de l'ordonnance et réclamé une somme de 5000 ç en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle insiste sur le fait que TF1 a donné une présentation tronquée et
erronée de la situation économique en BELARUS. Elle expose que le système d'échange fonctionne aussi en Russie, n'est pas lié à une crise économique ou à une pénurie d'argent liquide et ne constitue pas une forme d'économie parallèle. Elle ajoute que les affirmations contenues dans le reportage sont fausses
Elle estime essentiel que la vérité soit rétablie et reprend à son compte les motifs sus exposés de l'ordonnance entreprise.
Le reportage litigieux sur DVD a été contradictoirement visionné à l'audience.MOTIFS DE L'ARRÊT,
Considérant qu'il convient préalablement de joindre les instances enrôlées sous les numéros 06/5658 et 06/6841 afin de les juger ensemble pour une bonne administration de la justice ;
Considérant que l'article 6-1 de la loi du 29 juillet 1982 précise que toute personne physique ou morale dispose d'un droit de réponse dans le cas où des imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d'une activité de communication audiovisuelle ;
Que l'imputation s'entend du fait de mettre sur le compte de quelqu'un une action blâmable ou une faute ;
Considérant que la seule question qui se pose est celle de savoir si ce qui a été dit à l'antenne constitue une imputation susceptible de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de l'Etat de BELARUS ;
Que la critique du reportage par l'intimée porte sur les points suivants, le troc, le prix du pétrole livré par la RUSSIE et, plus généralement, l'appréciation portée sur l'économie de la République de BELARUS ;
Considérant en ce qui concerne le troc, que force est de constater que le premier juge a, dans les motifs de sa décision, transformé les termes du script dans la mesure où il n'a pas été dit dans le script
que la BIELORUSSIE abandonnait les campagnes les plus démunies à un système d'échange par troc ;
Qu'au contraire, la communication faite à l'antenne - dans des conditions certes contestables puisque les images présentées n'ont pas été tournées par le reporter français, qui n'avait pu se rendre dans le pays, mais par la télévision russe dans un reportage dont il a repris les images - exprime la satisfaction des personnes concernées puisqu'il est précisé que tout le monde y gagne ;
Que la réalité du troc n'est pas contestée et même revendiquée par l'intimée qui reproche au reportage de n'avoir pas insisté sur l'existence ancienne de coopératives chargées de la récupération et sur la généralisation du troc notamment en RUSSIE ;
Que dans ces conditions, il n'existe sur ce point aucune imputation susceptible de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de la BIELORUSSIE ;
Considérant en ce qui concerne la situation économique du pays, que notamment, l'assertion relative à la revente du pétrole acquis à bas prix se retrouve dans divers articles émanant de la presse française et internationale, alors encore qu'il est évident et connu, que tous les états producteurs, revendeurs ou simplement taxateur des produits énergétiques tirent une partie de leur recettes de la commercialisation de ceux ci ;
Que la formulation du commentaire est certes critiquable par l'ambigu'té des termes utilisés - le mirage des pétroroubles ,- et le caractère péremptoire des assertions qu'il contient sur la crise économique sans précédent , - peu important en l'espèce qu'elles soient justes ou fausses, l'exception de vérité n'existant pas en la matière - et sans qu'il y ait lieu de qualifier la gageure que constitue le fait de tenter de rendre compte de l'économie d'un pays tel que la République de BELARUS en une brève d'information
de 1 minute 30 secondes- en ce qu'elle est susceptible de favoriser certaines déductions qui, si elles avaient été formulées, auraient constitué des imputations susceptible de porter atteinte à l'honneur et à la réputation de la république intimée ;
Que néanmoins la réflexion du téléspectateur à partir d'un reportage reste une démarche individuelle libre alors que la simple lecture du script, associé à des images émanant d'une chaîne de télévision russe, montre que la brève d'information ne comporte pas d'imputation précise portant atteinte à l'honneur et à la réputation de la République de BELARUS ;
Qu'il convient de rappeler que le droit de critique et de polémique à l'égard d'un gouvernement est plus large qu'à l'égard d'un simple particulier, et doit être préservé, sauf à faire dégénérer le droit de réponse audiovisuel en une tribune libre et ouverte à tous ;
Considérant qu'il convient en infirmant la décision entreprise de débouter l'intimée de toutes ses prétentions ;PAR CES MOTIFS,
Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, joint les instances enrôlées sous les numéros 06/5658 et 06/6841,
Infirme la décision entreprise,
Statuant à nouveau,
Déboute la république de BELARUS de toutes ses demandes,
Lui laisse la charge des dépens, autorisation étant accordée à la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD , avoués, de les recouvrer en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Arrêt prononcé et signé par Monsieur Thierry FRANK, président et par Madame Marie-Pierre LOMELLINI, greffier, présent lors du prononcé.
Le GREFFIER,
Le PRESIDENT,