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28/09/2006 | FRANCE | N°323

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12ème chambre section 2, 28 septembre 2006, 323


COUR D'APPEL DE VERSAILLES
12ème chambre section 2
ARRET No Code nac : 39D
contradictoire
DU 28 SEPTEMBRE 2006
R.G. No 05/09663
AFFAIRE :
SA CHRISTIAN DIOR COUTURE

C/ SA LA REDOUTE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Novembre 2005 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE No Chambre : 07 No Section : No RG : 04/F00884

LE VINGT HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA CHRISTIAN DIOR COUTURE immatriculée au registre du commerce et des sociétés 612 03

5 832 RCS Paris ayant son siège 30 Avenue Montaigne 75008 PARIS, agissant poursuites et diligences ...

COUR D'APPEL DE VERSAILLES
12ème chambre section 2
ARRET No Code nac : 39D
contradictoire
DU 28 SEPTEMBRE 2006
R.G. No 05/09663
AFFAIRE :
SA CHRISTIAN DIOR COUTURE

C/ SA LA REDOUTE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Novembre 2005 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE No Chambre : 07 No Section : No RG : 04/F00884

LE VINGT HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA CHRISTIAN DIOR COUTURE immatriculée au registre du commerce et des sociétés 612 035 832 RCS Paris ayant son siège 30 Avenue Montaigne 75008 PARIS, agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués - N du dossier 05001177 Rep/assistant : Me Alexis GUILLEMIN, avocat au barreau de PARIS.
APPELANTE ****************
SA LA REDOUTE immatriculée au registre du commerce et des sociétés 477 180 186 RCS Roubaix-Tourcoing ayant son siège 57 rue de Blanchemaille 59100 ROUBAIX, prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER, avoués - N du dossier 20060077 Rep/assistant : Me Jean-François POLENNE du cabinet de Me André BERTRAND, avocat au barreau de PARIS (L.0207).
Société SELECT INTERNATIONAL SRL ayant son siège Via Formacelle 7 51031 MONTEMURLO - ITALIE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP FIEVET-LAFON, avoués - N du dossier 260106 Rep/assistant : Me Christian LEBLAN, avocat au barreau de LILLE.
INTIMES ****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Juin 2006 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise LAPORTE, président, Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller, Monsieur Denis COUPIN, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Bernadette RUIZ DE CONEJO,

FAITS ET PROCEDURE :
La Société CHRISTIAN DIOR COUTURE indique être investie de droits d'auteur résultant de la création d'un sac à main dénommé "LOGO SADDLE"ou "SAC SELLE", faisant partie de sa collection Automne-Hiver 2000/2001.
Elle a par ailleurs déposé le sac "SELLE" à titre de modèle international auprès de l'OMPI le 06 avril 2000 sous le no DM/050.599.

Ayant constaté que la Société LA REDOUTE offrait à la vente dans son catalogue Automne-Hiver 2003/2004, ainsi que sur son site Internet, un sac référencé C 920 9190 et commercialisé au prix public de 39,90 €, lequel reproduirait les caractéristiques originales et nouvelles de son sac "LOGO SADDLE" ou "SAC SELLE", la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE a, dûment autorisée par ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de LILLE en date du 10 novembre 2003, fait procéder le 15 décembre 2003 à une saisie-contrefaçon au siège social de la Société LA REDOUTE, 57 rue de Blanchemaille (59100) ROUBAIX. Les bons de commande et factures d'achat remis à l'huissier instrumentaire ont révélé que le sac litigieux avait été acquis auprès de la société italienne SELECT INTERNATIONAL SRL, ce sac ayant été vendu en 1.832 exemplaires, générant un chiffre d'affaires de 73.096,80 €.

C'est dans ces circonstances que la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE a, par actes des 26 décembre 2003 et 06 janvier 2004, assigné les Sociétés LA REDOUTE et SELECT INTERNATIONAL SRL en contrefaçon de son sac "LOGO SADDLE" sur le fondement des droits d'auteur et de modèle, en interdiction sous astreinte de la fabrication et de la mise en vente de tout sac comportant les caractéristiques nouvelles et originales de son sac, ainsi qu'en dommages-intérêts.
Par jugement du 29 novembre 2005, le Tribunal de Commerce de NANTERRE, tout en énonçant que le modèle de sac "LOGO SADDLE" de la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE est original et nouveau, donc protégeable au titre tant du droit d'auteur que du droit des dessins et modèles, a : - débouté la demanderesse de son action en contrefaçon ; - condamné la Société LA REDOUTE à payer à la Société SELECT INTERNATIONAL SRL la somme de 6.150 € avec intérêts au taux légal à compter de la décision de première instance ; - condamné la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE à payer, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les sommes de 1.500 €, respectivement à la Société LA REDOUTE et à la Société SELECT INTERNATIONAL SRL.
La Société CHRISTIAN DIOR COUTURE a interjeté appel de cette décision.
Elle expose que, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, le sac "SELLE" présente indiscutablement une configuration propre et reconnaissable qui témoigne d'un effort de création, lui conférant un caractère d'originalité et de nouveauté justifiant sa protection au titre des dispositions tant des Livres I et III que du Livre V du Code de la Propriété Intellectuelle.
Elle fait valoir qu'elle revendique un droit privatif, non sur l'idée d'un sac en forme de selle de cheval, mais sur un modèle précis dont les contours qui sont parfaitement délimités révèlent un effort créatif certain.
Elle souligne que le choix et l'association des éléments qui composent le sac SELLE témoignent d'une démarche personnelle et créative de la part de l'auteur de ce sac, et ne constituent pas la simple reprise d'un genre.
Elle précise qu'à défaut de verser aux débats une antériorité de toutes pièces présentant toutes les caractéristiques du modèle "SELLE", combinées de la même façon, les sociétés intimées ne sauraient en contester la nouveauté.
Elle estime que c'est à tort que le Tribunal a écarté le grief de contrefaçon, alors que celle-ci s'apprécie en fonction des ressemblances, et non des différences.
Elle constate que le modèle de sac commercialisé par la Société LA REDOUTE reproduit les caractéristiques essentielles du sac SELLE en les combinant de la même manière, et qu'il se dégage une impression d'ensemble de similarité.
Elle soutient que la reproduction de ces caractéristiques n'est en aucun cas imposée par des nécessités fonctionnelles, de telle sorte qu'en reproduisant une telle combinaison qui manifeste la particulière originalité et nouveauté du sac SELLE, la Société LA REDOUTE et son fournisseur, la Société SELECT INTERNATIONAL, se sont rendus coupables de contrefaçon.
Elle ajoute que son préjudice est constitué, d'une part par l'atteinte portée à ses droits d'auteur et de modèle compte tenu de la diminution de la valeur patrimoniale de ce sac consécutive à son avilissement, d'autre part par un préjudice commercial caractérisé par une perte partielle de marché, résultant de la fabrication de sacs contrefaisants en matériaux de qualité ordinaire, et de leur commercialisation à moindre prix.
Par voie de conséquence, elle demande à la Cour, tout en confirmant le jugement déféré en ce qu'il a reconnu la validité de ses droits d'auteur et de modèle sur son sac "SELLE"" ou "LOGO SADDLE", de l'infirmer pour le surplus, de dire que les faits incriminés constituent la contrefaçon de ce sac au sens des articles L 122-4, L 335-2, L 335-3, L 513-4, L 521-4 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, et de : - interdire à la Société LA REDOUTE et son fournisseur, la société de droit italien SELECT INTERNATIONAL SRL, de fabriquer, d'importer, d'exposer et/ou de vendre, et ce, sous astreinte définitive de 1.500 € par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, tout sac comportant les caractéristiques nouvelles et originales du sac "SELLE" de la société appelante et constituant la contrefaçon de celui-ci ; - ordonner, sous le contrôle d'un huissier de justice désigné à cet effet, aux frais des intimées et sous astreinte définitive de 1.500 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la destruction de la totalité du stock de sacs jugés contrefaisants, encore en leur possession ; - dire qu'en application de l'article 35 de la loi du 09 juillet 1991, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la Cour ayant statué sur la présente demande ; - condamner in solidum la Société LA REDOUTE et son fournisseur, la société de droit italien SELECT INTERNATIONAL SRL, à payer à la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE les sommes de 50.000 € en réparation de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de ses droits d'auteur et de modèle sur son sac "LOGO SADDLE", et de 150.000 € en réparation du préjudice commercial découlant de ces faits de contrefaçon.
Elle sollicite également la publication de l'arrêt à intervenir sur le site Internet de la Société LA REDOUTE et dans cinq journaux ou revues, au choix de la société appelante et aux frais in solidum des intimées, à raison de 5.000 € par insertion, ce au besoin à titre de dommages-intérêts complémentaires, ainsi que l'inscription par extraits de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du site Internet www.laredoute.fr, et ce pendant une durée de six mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.
Elle réclame en outre la condamnation in solidum des intimées au paiement de 6.000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Société LA REDOUTE conclut à la confirmation du jugement entrepris.
Elle fait valoir que la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE a entendu donner à un sac la forme d'une selle, ce qui relève de l'idée, et elle précise qu'elle revendique en réalité, non pas la protection d'un modèle, mais celle d'une gamme de dix-huit modèles déclinés dans des matériaux et des coloris différents, c'est-à-dire la protection d'un genre de sac. Elle considère que la partie adverse ne peut lui opposer que des droits sur un modèle précisément défini, à savoir en l'espèce son modèle de sac "selle" déposé à l'OMPI le 31 janvier 2000 sous le no DM/050 599. Elle constate que la société appelante, qui a la charge de la preuve, est incapable de définir en quoi le modèle de sac litigieux commercialisé par la Société LA REDOUTE serait la copie servile de son modèle déposé de sac "selle".
Elle observe que son propre modèle comporte des caractéristiques qui lui donnent une apparence de sac d'indien, laquelle ne se dégage nullement de celui de la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE, de telle sorte que les deux sacs objet du présent litige dégagent une impression d'ensemble différente, excluant le grief de contrefaçon émis à son encontre.
Elle conteste la réalité du préjudice invoqué par la partie adverse, et, à cet égard, elle explique que les Sociétés LA REDOUTE et CHRISTIAN DIOR COUTURE ne sont pas concurrentes, qu'elles n'ont pas la même clientèle, que leurs sacs sont fabriqués en matériaux différents, et qu'il n'est pas établi que la vente du sac "SADDLE" de la société appelante se soit trouvée affectée par la commercialisation de son propre sac.
A titre subsidiaire, elle considère qu'en vertu du principe de proportionnalité, l'indemnisation à laquelle peut prétendre la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE ne saurait excéder 20.000 € à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues, et elle précise que ce même principe commande de ne pas ordonner la publication judiciaire de la décision à intervenir.
A titre encore plus subsidiaire, se prévalant des dispositions de l'article 42 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, elle s'estime bien fondée à solliciter sur le plan contractuel la condamnation de son fournisseur, la Société SELECT INTERNATIONAL, à la garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.
Infiniment subsidiairement, elle conclut à la condamnation sur le plan délictuel de ladite société, laquelle lui a proposé, puis a expédié et livré sur le territoire français les sacs prétendument contrefaisants.
Elle réclame en outre à la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE la somme complémentaire de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La Société SELECT INTERNATIONAL SRL sollicite, à titre principal, également la confirmation du jugement entrepris.
Elle invoque, tout comme la Société LA REDOUTE, l'absence de caractère protégeable du sac en forme de selle de la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE, en tant qu'il constitue une idée ou un genre non susceptibles d'appropriation. Elle soutient que les formes et caractéristiques générales des deux articles sont totalement différentes, et qu'en particulier, le modèle fabriqué par elle ne comporte pas le logo "D" majuscule, symbole de la marque Christian Dior, l'identifiant aux yeux du grand public comme émanant d'une marque renommée.
Elle en déduit qu'en l'absence de confusion possible entre les deux modèles en cause de la part des acheteurs, le grief de contrefaçon a été à bon droit écarté par les premiers juges.
Elle conteste que la société appelante ait subi un quelconque préjudice résultant de la commercialisation du sac prétendument contrefaisant, alors que les ventes de son modèle étaient en régression régulière dès l'année 2001, tandis que la commercialisation du sac litigieux par la Société LA REDOUTE date de 2003/2004.
A titre subsidiaire, elle conclut au débouté de la Société LA REDOUTE de son appel en garantie à son encontre.
Elle se prévaut de l'article 42 2 a) de la Convention de Vienne, lequel interdit à la Société LA REDOUTE d'invoquer cette convention dans la mesure où, au moment de sa commande (en février 2003), elle ne pouvait ignorer l'existence du modèle Dior, lequel était, au surplus, un modèle prestigieux de marque française.

Elle ajoute que l'action de nature délictuelle ne peut davantage prospérer, en vertu du principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, et en l'absence de faute de sa part, dès lors qu'elle s'est contentée de proposer à la vente un produit ayant fait l'objet d'une double validation par des sociétés professionnelles mieux à même de reconnaître l'existence éventuelle d'articles contrefaisants.
Elle réclame à chacune des Sociétés CHRISTIAN DIOR et LA REDOUTE la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 mai 2006.

MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la validité du modèle de la société christian dior couture :
Considérant qu'un dessin ou modèle ne peut accéder à la protection au titre du Livre V du Code de la propriété intellectuelle qu'à la condition d'être nouveau et de présenter un caractère propre ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 511-4 du même code : "un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée" ;
Considérant qu'en l'occurrence, l'originalité du sac "LOGO SADDLE" dont se prévaut la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE repose sur la combinaison des éléments suivants : - un sac dont la forme générale évoque une selle de cheval légèrement incurvée en sa partie supérieure ; - le sac comporte un rabat qui évoque la partie haute d'une selle de cheval d'où partent deux lanières en cuir dont une comporte à l'extrémité la lettre "D" ; - la partie basse du sac est arrondie dans sa partie inférieure gauche qui comporte une surpiqûre dont la courbe est en sens inverse de l'arrondi du sac ; - une deuxième piqûre de forme arrondie située dans la partie droite du sac relie sa partie basse à sa partie haute ; - une anse unique de forme plate est reliée aux deux extrémités du sac par deux anneaux représentant les lettres "C" et "D" ; - le pourtour du sac ainsi que les surpiqûres sont garnis d'un passepoil ;
Considérant que, l'originalité d'un objet s'appréciant dans son ensemble, le sac "SELLE" litigieux est constitué de divers éléments connus, dont la combinaison lui confère une configuration distincte et reconnaissable et traduit un effort personnel de création ;
Considérant qu'au demeurant, les caractéristiques de ce sac, telles qu'elles viennent d'être décrites, sont également visibles sur le modèle international DM/050.599 ;
Considérant qu'au surplus, contrairement à ce que soutiennent les intimées, la forme de la selle revendiquée par la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE ne relève pas d'une idée ou d'un genre qui serait représenté dans une gamme de dix-huit modèles déclinés dans des matériaux et coloris différents ;
Considérant qu'en effet, ces diverses versions ont toutes en commun d'avoir une structure identique, constituée de la combinaison des éléments ci-dessus définis, et justifiant la protection revendiquée par la société appelante, indépendamment des différentes déclinaisons de tailles et de coloris, lesquelles n'ont pas à être prises en compte dans l'appréciation de l'originalité de ce modèle;
Considérant qu'il s'ensuit que le modèle précis de sac dont les contours sont parfaitement déterminés par la description qui en est effectuée, loin de correspondre à l'appropriation d'une idée ou d'un genre, résulte d'un processus créatif qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Considérant que, de surcroît, il est constant que l'originalité et la nouveauté d'un modèle s'apprécient en comparaison des oeuvres antérieures; Or considérant que le sac portant la référence 3355/54, représenté dans un catalogue "Hong Kong Leathers Goods et Bags" de l'année 2003, ne peut constituer une antériorité de toutes pièces du sac "LOGO SADDLE", lequel a été créé et commercialisé à partir de l'année 2000 par la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE ;
Considérant que, dès lors, en l'absence d'antériorité pertinente susceptible de lui être opposée, le sac "SELLE" produit à un observateur averti une impression visuelle d'ensemble qui permet de le distinguer d'autres sacs proposés à la vente par des sociétés concurrentes de la société appelante ;
Considérant qu'au regard de ce qui précède, il est amplement démontré que la combinaison des éléments constitutifs de ce sac était tout à la fois originale et nouvelle en 2000, et lui a conféré un caractère propre dès la date de la création;
Considérant qu'il y a donc lieu, en confirmant le jugement entrepris, de déclarer valables les droits d'auteur et de modèle revendiqués par la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE sur son sac "LOGO SADDLE", et de dire que celui-ci justifie la protection légale au titre tant du Livre Ier que du Livre V du Code de la propriété intellectuelle.

Sur la contrefaçon du modèle de sac "LOGO SADDLE" :
Considérant qu'il est admis que la contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances, et non d'après les différences; que les différences de détail ne sauraient être prises en compte, dès lors qu'elles ne parviennent pas à effacer l'aspect général similaire qui se dégage de la comparaison entre les deux modèles en cause ;
Considérant qu'en l'occurrence, ainsi que le fait justement observer la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE, le sac référencé 032.2075 commercialisé par la Société LA REDOUTE reproduit la même combinaison des éléments suivants : - la forme générale d'une selle de cheval ; - un rabat évoquant la partie haute d'une selle, d'où partent deux lanières en cuir; - une partie basse arrondie dans sa partie inférieure gauche ; - une anse unique de forme plate ; - un pourtour garni d'un passepoil ;
Considérant que les différences entre les deux sacs, caractérisées notamment par l'absence de surpiqûre sur la partie basse du sac de LA REDOUTE, la présence sur ce sac de plumes évoquant prétendument la culture indienne, la différence de matière et de couleur et l'absence de logo ou des lettres "C" et "D" sur l'anse et le rabat du sac litigieux, ne constituent que des différences de détail ne suffisant pas à altérer l'impression générale de similarité qui résulte de l'examen des deux produits en cause, pris dans leur ensemble ;
Considérant que cette impression d'ensemble se trouve confortée par la reproduction sur le sac des sociétés intimées, à l'extrémité de la lanière partant du rabat, d'un anneau métallique qui rappelle la lettre "D" représentée au bout de la lanière du sac de la société appelante ;
Considérant qu'à cet égard, la forme générale (quasi-triangulaire de selle de cheval) très ressemblante des deux sacs s'avère d'autant plus prépondérante que ce sont précisément les contours du sac "SELLE" créé et commercialisé par la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE qui lui confèrent une physionomie nouvelle et originale justifiant sa protection légale ;

Considérant que, de surcroît, les différences tenant à la matière (PVC ou cuir) et à la couleur des sacs litigieux sont inopérantes, dès lors qu'il est constant que les droits d'auteur et de modèle reconnus valables sur le sac "SELLE" portent sur la forme de celui-ci, et non sur sa matière ou sa couleur ;
Considérant que, par ailleurs, dans la mesure où le risque de confusion ne constitue pas une condition nécessaire à la contrefaçon du droit d'auteur et de modèle, l'absence d'un tel risque dans l'esprit du public ou de l'observateur averti, à la supposer établie, est sans incidence sur l'appréciation du caractère contrefaisant du sac litigieux fabriqué et commercialisé par les sociétés intimées;
Considérant que, dès lors, la circonstance que les initiales "C" et "D" de la marque Christian Dior ne soient pas reproduites sur le sac de la Société LA REDOUTE ne suffit pas à écarter la contrefaçon, laquelle est constituée par la reprise de la combinaison d'éléments conférant au sac de la société appelante sa nouveauté et son caractère propre ;
Considérant qu'enfin, il n'est ni démontré ni même allégué que la reproduction de la forme spécifique du sac "LOGO SADDLE" de la société appelante serait imposée par des nécessités fonctionnelles ;
Considérant qu'il y a donc lieu, en infirmant le jugement déféré, de dire que la reproduction par les Sociétés LA REDOUTE et SELECT INTERNATIONAL SRL de la combinaison des caractéristiques essentielles du sac "SELLE" de la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE, sur lequel cette dernière est titulaire de droits d'auteur et de modèle, caractérise la contrefaçon de ce modèle de sac, au sens des articles L 122-4 et L 513-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que, par voie de conséquence, il doit être fait interdiction aux sociétés intimées de fabriquer, d'importer, d'exposer et/ou de vendre, sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, tout sac comportant les caractéristiques nouvelles et originales du sac "SELLE" de la société appelante ;
Considérant qu'il convient en outre d'ordonner, sous le contrôle de la SCP CHARLOT-CHARLOT-GRAVELINE, Huissiers de Justice, 1 rue Bayard (59000) LILLE, aux frais des sociétés intimées, et sous astreinte de 500 € par jour de retard commençant à courir un mois à compter de la signification du présent arrêt, la destruction de la totalité du stock de sacs jugés contrefaisants, encore en leur possession ;
Considérant que, conformément à l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991, les astreintes éventuelles seront liquidées par le juge de l'exécution, sans que la Cour s'en réserve expressément le pouvoir.
Sur l'indemnisation du préjudice résultant de la contrefaçon :
Considérant que la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE justifie avoir engagé d'importantes dépenses en vue de la diffusion dans la presse de publicités assurant la promotion de son sac "LOGO SADDLE", dont la vente a rencontré un succès commercial indiscutable, puisqu'elle a généré en France un chiffre d'affaires de 9.217.447 € pour la seule année 2002 ; Considérant que la commercialisation du sac contrefaisant a contribué à banaliser le modèle revendiqué par la société appelante, et à diminuer sa valeur patrimoniale en raison de l'avilissement qui en a résulté, ruinant les efforts créatifs et les investissements substantiels réalisés par elle pour la promotion de son produit-phare ;
Considérant qu'il y a donc d'accueillir partiellement la réclamation présentée par la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE au titre de l'atteinte portée à ses droits privatifs sur le sac "SELLE", et de fixer à 20.000 € l'indemnité à laquelle celle-ci prétendre en réparation du préjudice subi par elle de ce chef;
Considérant que, par ailleurs, il s'infère du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 15 décembre 2003, ainsi que des factures émises par la Société SELECT INTERNATIONAL, que la Société LA REDOUTE a acquis auprès de cette dernière 1900 exemplaires du sac litigieux pour la somme de 7,80 € HT, et en a revendu 1832 exemplaires au prix public TTC de 39,90 €, alors même que le sac "LOGO SADDLE" est vendu entre 600 et 1000 € selon la matière utilisée;
Considérant que, dès lors, outre l'atteinte portée à l'image de marque du titulaire du modèle protégé, la fabrication du sac contrefaisant en matériau de qualité ordinaire, et sa commercialisation à moindre prix, ont nécessairement contribué à entraîner une désaffection de la clientèle de la société appelante, peu encline à fournir un effort financier conséquent pour faire l'acquisition du produit authentique ;
Considérant que, de surcroît, la circonstance que le sac "SELLE" ait connu une diminution sensible de ses ventes à partir de l'année 2003 est sans incidence sur la réalité du manque à gagner consécutif à la commercialisation par la Société LA REDOUTE du sac proposé dans son catalogue de vente par correspondance collection Automne/Hiver 2003/2004, ainsi que sur son site Internet à l'adresse www.laredoute.fr;
Considérant qu'à titre surabondant, il importe peu que la Société LA REDOUTE ne soit pas le fabricant du sac litigieux commandé par elle à son fournisseur italien, dans la mesure où sa responsabilité se trouve engagée en sa qualité d'importateur et de revendeur du produit argué de contrefaçon ;
Considérant qu'au regard des documents produits aux débats, il y a lieu de dire que la perte partielle de marché ayant fait suite à la vente de ce sac contrefaisant a généré pour la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE un préjudice commercial qui sera suffisamment réparé par l'allocation à cette dernière d'une indemnité égale à 50.000 €.
Sur la demande de garantie de la Société SELECT INTERNATIONAL SRL : Considérant que la Société LA REDOUTE sollicite, à titre principal, la garantie de son fournisseur, la société de droit italien SELECT INTERNATIONAL SRL, en se prévalant de l'article 42 de la Convention de Vienne, dont le premier paragraphe dispose que : "Le vendeur doit livrer les marchandises libres de tout droit ou prétention d'un tiers fondé sur la propriété industrielle ou autre propriété intellectuelle, qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer au moment de la conclusion du contrat" ;
Mais considérant que sa prétention se heurte au second paragraphe de cet article 42, en vertu duquel :
"le vendeur n'est pas tenu de l'obligation prévue au paragraphe précédent dans le cas où : a) au moment de la conclusion du contrat, l'acheteur connaissait ou ne pouvait ignorer l'existence du droit ou de la prétention" ;

Considérant qu'à cet égard, l'existence du modèle CHRISTIAN DIOR ne pouvait être ignorée de la Société LA REDOUTE, vendeur professionnel établi sur le territoire français, compte tenu de la renommée et du prestige de ce modèle de sac, lequel avait fait l'objet d'importants investissements publicitaires depuis sa commercialisation en France à partir du début de l'année 2000 ;
Considérant que, dès lors, la Société LA REDOUTE n'est pas fondée à reprocher à son fournisseur italien de lui avoir délivré une marchandise qui n'était pas libre de tout droit de propriété intellectuelle ;
Considérant que la demande de garantie, présentée à titre subsidiaire sur le terrain délictuel, ne saurait davantage prospérer ;
Considérant qu'en effet, outre qu'elle est contraire au principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, cette prétention repose essentiellement sur un manquement identique à celui prévu par la disposition susvisée de la Convention de Vienne, et au demeurant non retenu à l'encontre du vendeur ;
Considérant qu'en toute hypothèse, ce dernier explique, sans être sérieusement contredit sur ce point, que le sac litigieux a été sélectionné par la Société LA REDOUTE parmi une cinquantaine de modèles de sacs différents qui lui avaient été présentés par son fournisseur ;
Considérant qu'en l'absence d'un comportement fautif de nature à engager la responsabilité de ce dernier envers son importateur, il convient de débouter la Société LA REDOUTE de son appel en garantie à l'encontre de la Société SELECT INTERNATIONAL.

Sur les demandes complémentaires et annexes :
Considérant que le jugement déféré, qui a condamné la Société LA REDOUTE à régler à la Société SELECT INTERNATIONAL SRL, en règlement de factures impayées, la somme de 6.150 € majorée des intérêts au taux légal à compter de la décision de première instance, n'est pas remise en cause en appel et doit donc être confirmée ;
Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la publication du dispositif du présent arrêt sur le site Internet de la Société LA REDOUTE, ainsi que dans cinq journaux ou revues, au choix de la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE et aux frais in solidum des sociétés intimées, dans la limite d'un montant maximum de 3.500 € par insertion ;
Considérant que les circonstances de l'espèce ne justifient cependant pas que soit ordonnée également l'inscription par extraits de cette décision sur la page d'accueil du site Internet www.laredoute.fr;
Considérant que l'équité commande de mettre in solidum à la charge des sociétés intimées une indemnité égale à 3.000 €, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE ;
Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que les Sociétés LA REDOUTE et SELECT INTERNATIONAL SRL conservent la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont respectivement engagés dans le cadre de la présente instance ;
Considérant que ces dernières, dont les prétentions sont pour l'essentiel écartées, doivent être condamnées aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de saisie-contrefaçon.

PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a reconnu valables les droits d'auteur et de modèle revendiqués par la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE, et en ce qu'il a condamné la Société LA REDOUTE à payer à la Société SELECT INTERNATIONAL SRL la somme de 6.150 €, majorée des intérêts au taux légal à compter de la décision de première instance ;
L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau en ses autres dispositions :
Dit que l'importation en France, l'exposition et/ou l'offre à la vente sur le territoire français de sacs reproduisant les caractéristiques nouvelles et originales du sac "SELLE" sur lequel la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE détient des droits d'auteur et de modèle, constituent la contrefaçon de ce sac, au sens des articles L 122-4 et L 513-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
Fait interdiction à la Société LA REDOUTE et à la société de droit italien SELECT INTERNATIONAL SRL de fabriquer, d'importer, d'exposer et/ou de vendre, sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, tout sac comportant les caractéristiques nouvelles et originales du sac "SELLE" de la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE, et constituant la contrefaçon de celui-ci ;
Ordonne, sous le contrôle de la SCP CHARLOT-CHARLOT-GRAVELINE, Huissiers de Justice 1 rue Bayard (59000) LILLE, aux frais des sociétés intimées, et sous astreinte de 500 € par jour de retard commençant à courir un mois après la signification du présent arrêt, la destruction de la totalité du stock de sacs jugés contrefaisants, encore en leur possession ;
Dit n'y avoir lieu de se réserver la liquidation des astreintes prononcées;
Condamne in solidum la Société LA REDOUTE et la société de droit italien SELECT INTERNATIONAL SRL à payer à la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE les sommes de : - 20.000 €, en réparation de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de ses droits d'auteur et de modèle sur son sac "LOGO SADDLE" ; - 50.000 €, en réparation du préjudice commercial généré par les actes de contrefaçon ;
Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt sur le site Internet de la Société LA REDOUTE, ainsi que dans cinq journaux ou revues, au choix de la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE et aux frais in solidum des sociétés intimées, dans la limite de 3.500 € par insertion ;
Condamne in solidum les Sociétés LA REDOUTE et SELECT INTERNATIONAL SRL à payer à la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Déboute la Société CHRISTIAN DIOR COUTURE de ses autres et plus amples demandes ;
Rejette les demandes d'indemnité de procédure présentées par les sociétés intimées ;
Condamne les Sociétés LA REDOUTE et SELECT INTERNATIONAL SRL solidairement aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de saisie-contrefaçon, et autorise la SCP KEIME GUTTIN JARRY, Société d'Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12ème chambre section 2
Numéro d'arrêt : 323
Date de la décision : 28/09/2006

Analyses

DESSINS ET MODELES - Contrefaçon - / JDF

Aux termes de l'article L.513-4 du code de la propriété intellectuelle, sont interdites, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, l'utilisation ou la détention à ces fins d'un produit incorporant ce modèle. Dès lors que le sac commercialisé par les sociétés intimées reproduit la forme générale et la combinaison des caractéristiques nouvelles et originales du modèle de sac créé et déposé par la société appelante, les différences de détails constatées ne parvenant pas à effacer l'impression de similarité, le délit de contrefaçon est caractérisé


Références :

Code de la propriété intellectuelle, articles L. 511 4 et L. 513-4

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Nanterre, 29 novembre 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2006-09-28;323 ?
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