COUR D'APPEL DE VERSAILLES Code nac : 36E 3ème chambre ARRET No CONTRADICTOIRE DU 15 SEPTEMBRE 2006R.G. No 05/03743AFFAIRE :Jacque X... C/SA SAINT-GOBAIN DESJONQUERES Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Mars 2005 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE No chambre : 06No RG : 04/2205Expéditions exécutoires Expéditions Copiesdélivrées le :
: SCP KEIME GUTTIN JARRY SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE QUINZE SEPTEMBRE DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : Monsieur Jacques X... ... représenté par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués - N du dossier 05000427 plaidant par Me DEHORS, avocat au barreau de PARIS APPELANT****************SA SAINT-GOBAIN DESJONQUERES 18 rue d'Alsace 92400 COURBEVOIE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siègereprésentée par la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER, avoués N du dossier 20050599plaidant par Me CHAROT, avocat au barreau de PARISINTIMEE****************Composition de la cour :L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Juin 2006 devant la cour composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Monsieur Marc REGIMBEAU, conseiller,
Madame Marie-Claude CALOT, conseiller,qui en ont délibéré,Greffier, lors des débats : Madame Marie-Claire THEODOSE
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
M. X... est le fondateur, et actionnaire à 83 % de la société SERVERRE 76, devenue en 1997, par fusions, la société ANTIGONE, dont
l'objet était le tri de flacons à usage de parfumerie ou de pharmacie.
La société SAINT GOBAIN DESJONQUERES a confié à cette société, en sous-traitance, le contrôle de lots de flacons dès 1987, devenant son unique, ou quasi-unique, client, et les relations commerciales entre les deux sociétés se sont poursuivies dans le cadre d'un contrat conclu le 31 mars 1989, dont l'article 5 stipulait une durée de 5 années, renouvelable par périodes annuelles.
A compter du mois d'octobre 1996, le chiffre d'affaires réalisé par la société ANTIGONE avec la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES, est tombé d'environ 12 MF à 3 MF. Leurs relations ont cessé au mois de septembre 1997.
Estimant que la cessation des relations commerciales décidée par la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES était fautive, la société ANTIGONE s'est adressée à justice par acte d'huissier du 27 octobre 1997.
Par jugement du 20 janvier 1998 le tribunal de commerce du TREPORT a débouté la société ANTIGONE de sa demande d'indemnisation, faute de preuve d'un abus de position dominante, ou d'une rupture brutale de relations commerciales.
Par arrêt du 3 novembre 1998, la cour d'appel de ROUEN statuant sur l'appel de la société ANTIGONE, a infirmé ce jugement, décidant que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES avait commis une faute envers la société SERVERRE 76, en rompant de façon brutale leurs relations commerciales, en vertu de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et l'a condamnée à payer à la société ANTIGONE, venue à ses droits, la somme de 3 millions de francs de dommages-intérêts. Face aux mesures d'exécution forcée diligentées à la demande de la société ANTIGONE, la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES s'est pourvue devant le juge de l'exécution de NANTERRE qui l'a déboutée de ses
demandes par jugement du 2 mars 1999. La société SAINT GOBAIN DESJONQUERES s'est ensuite acquittée de cette condamnation le 8 mars 1999.
Sur pourvoi formé par la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES, la société ANTIGONE a formé un pourvoi incident au motif que l'arrêt n'aurait pas indemnisé la totalité du préjudice, ayant négligé la perte de chiffre d'affaires. La société SAINT GOBAIN DESJONQUERES s'est désistée de son pourvoi, et la cour suprême a rejeté le pourvoi incident ;
Pendant la période débutant avec le jugement du tribunal de commerce du TREPORT du 20 janvier 1998 ayant débouté la société ANTIGONE de sa demande d'indemnisation, la société ANTIGONE a bénéficié d'une procédure collective :- 5 février 1998, jugement du tribunal de commerce de DIEPPE prononçant l'ouverture du redressement judiciaire,- 20 août 1998 renouvellement de la période d'observation pour une durée de 6 mois,- 26 octobre 1998 requête aux fins de liquidation judiciaire de maître Y... administrateur judiciaire,- 3 décembre 1998, jugement de liquidation judiciaire.
Par acte d'huissier du 11 février 2004, M. X... s'est pourvu en justice afin de voir condamner la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES à l'indemniser de son préjudice personnel, au titre de ses pertes de revenus et de patrimoine, résultant des fautes commises par la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES.
M. X... a interjeté appel du jugement rendu, sur cette assignation, le 3 mars 2005, par le tribunal de grande instance de NANTERRE, qui a :
- débouté M. X... de sa demande,- débouté la société SAINT GOBAIN
DESJONQUERES de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,- condamné M. X... aux dépens.
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M. X..., qui conclut à la réformation du jugement notamment en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au seul motif d'un lien de causalité insuffisamment établi entre la faute et le préjudice, prie la cour de :- vu l'article 1382 du code civil,- rejeter l'exception d'irrecevabilité, constatant l'absence d'autorité de la chose jugée,- débouter la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES de ses demandes,
- dire que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES a commis des fautes en lien de causalité avec le préjudice personnel qu'il a subi à la suite de la liquidation judiciaire de la société ANIGONE, dont il était actionnaire et Président directeur-général salarié,- condamner la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES à lui payer en réparation du préjudice subi :
. 294.863,84 euros pour la perte de son patrimoine capitalistique,
. 438.568,66 euros pour le manque à gagner au titre des revenus du mois d'octobre 1998 au jour de l'audience,
. 383.099,18 euros pour le préjudice résultant du manque à gagner au titre de la perte des points de retraite,
. 100.000 euros pour le préjudice moral et familial, en raison de l'atteinte à ses biens.- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 11 février 2004,- condamner
la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES à lui payer 7.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et les dépens. La société SAINT GOBAIN DESJONQUERES qui conclut à la réformation du jugement déféré, demande à la cour de : - dire l'action de M. X... irrecevable en vertu de l'autorité de chose jugée, et en tout cas non fondée,- infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle avait commis une faute en ne payant pas immédiatement à la société ANTIGONE les chefs de condamnation par la cour d'appel de ROUEN, le confirmer en ce qu'il a dit que la preuve d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice n'était pas démontré,- débouter M. X... de ses demandes, fins et conclusions, et le condamner à lui payer 4.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et les dépens.
DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION- Sur la recevabilité
Considérant que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES soutient que la demande de M. X... serait irrecevable, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le juge de l'exécution dans son jugement du 2 mars 1999 ;
Que selon elle la société ANTIGONE et son représentant légal avaient, devant le juge de l'exécution, sollicité la condamnation de la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES pour résistance abusive à une voie d'exécution, lui reprochant d'avoir cherché par tout moyen à retarder le payement de 3 millions de francs, voire à provoquer sa liquidation ;
Qu'elle ajoute que la loi confère au seul juge de l'exécution le pouvoir de connaître des difficultés ou contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, et qu'en l'espèce il a justement décidé, par une décision définitive, que la procédure diligentée par elle n'avait pas un caractère manifestement abusif ou vexatoire ;
Qu'enfin elle déclare que les parties sont les mêmes, M. X... étant partie devant le juge de l'exécution en tant que représentant légal de sa société, que la cause est la même, sa résistance soi-disant abusive, et l'objet, l'indemnisation du préjudice ;
Considérant cependant, que M. X... réplique d'abord à bon droit qu'il n'y a pas identité des parties en l'espèce, M. X... ayant figuré devant le juge de l'exécution en qualité de représentant légal de la société ANTIGONE, et non comme dans la présente instance, à titre personnel ;
Qu'au surplus, comme le relève M. X..., la demande de dommages-intérêts de la société ANTIGONE devant le juge de l'exécution était fondée sur la prétention d'une saisine abusive de ce juge, et non sur les conséquences dommageables du défaut de payement de la somme de 3 millions de francs ;
Que faute d'identité des parties et des demandes, l'action de M. X... sera jugée recevable ;
- Sur le fond
Considérant que conformément à la loi, il échet de vérifier que les conditions d'une indemnisation de M. X... sont remplies en l'espèce, soit l'existence de fautes de la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES, d'un préjudice de M. X..., et le lien entre ces fautes et ce préjudice ;
. sur les fautes de la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES
Considérant que M. X... impute à faute à la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES le fait d'avoir rompu ses relations commerciales anciennes avec la société ANTIGONE, et omis de lui payer immédiatement la somme de 3 millions de francs, que la cour d'appel de ROUEN lui avait alloué à titre de dommages-intérêts dans son arrêt du 3 novembre 1998 ;
Que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES expose que la faute consistant dans la rupture des relations commerciales a déjà été indemnisée, et qu'elle ne s'est pas opposée à l'exécution de l'arrêt de la cour de ROUEN, mais a seulement tenté de préserver ses droits au cas où cet arrêt serait infirmé sur son pourvoi, eu égard à l'absence de solvabilité de la société ANTIGONE, en redressement judiciaire, pour la restitution éventuelle des 3 millions de francs ;
Considérant que la faute consistant dans la rupture brutale des relations commerciales anciennes avec la société ANTIGONE, constatée dans le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN susmentionné, passé en force irrévocable de chose jugée, ne peut plus être contestée, et n'est pas contestée ;
Considérant en second lieu, qu'il est constant que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES n'a pas accepté d'exécuter immédiatement ce même arrêt, en ce qu'il l'avait condamnée à payer 3 millions de francs à la société ANTIGONE, par payement de cette somme, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges par des motifs que la cour adopte, saisissant même le juge de l'exécution, mais s'est au contraire obstinée à vouloir imposer une consignation des fonds, attitude incontestablement fautive, ainsi qu'il sera démontré ci-après ;
Qu'en effet la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES, société importante dotée d'un personnel compétent et spécialisé, assistée de conseils, ne pouvait pas ignorer que le pourvoi en cassation n'était pas suspensif, et qu'elle était donc tenue d'exécuter, d'autant plus qu'elle n'ignorait pas les difficultés de la société ANTIGONE, en redressement judiciaire, puisque c'était la raison même de sa résistance, et donc son besoin urgent de fonds, ni que l'arrêt de la cour de ROUEN avait fait l'objet d'une signification et d'un
commandement à fin de saisie dès le 4 novembre 1998, puisque son conseil est immédiatement entré en contact avec celui de la société ANTIGONE pour tenter de trouver un terrain d'entente ;
- Sur le préjudice
Considérant que M. X... soutient que le dépôt de bilan de la société ANTIGONE lui a fait perdre son salaire de président directeur-général, avec incidence sur la retraite, son patrimoine pour la part en actions de la société ANTIGONE, et causé un préjudice moral ;
Que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES ne conteste pas le principe de l'existence du préjudice économique, mais estime qu'il se réduit à une perte de chance de redresser la société ; qu'elle conteste en revanche la réalité du préjudice moral, dès l'instant où une somme étant allouée au titre du préjudice économique, M. X... se retrouvera dans la situation où il aurait été si la faute n'avait pas été commise ;
Que le principe de la réalité du préjudice économique, non contesté, sera donc retenu ;
Que le préjudice moral de M. X..., du fait de la disparition de l'entreprise qu'il avait fondée, et des répercussions de ce drame sur sa vie de famille, est incontestable et doit être retenu ;
- Sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice
Considérant que M. X... affirme que son préjudice, trouve sa cause dans la rupture des relations commerciales par la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES, et dans le payement tardif par la même société, de la condamnation prononcée par la cour de ROUEN ;
Qu'il ajoute que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES aurait même souhaité sa liquidation, qu'elle qualifie de volonté de nuire ou "votum mortis", voyant d'un mauvais oeil un concurrent dynamique croître dans son secteur, depuis la fusion entre les sociétés SURFACE
76 et SERVERRE 76 intervenue en 1997 ;
Que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES réplique que pour la rupture des relations commerciales, la société ANTIGONE a déjà été indemnisée ;
Considérant toutefois, que dès lors qu'il n'est pas contestable, en droit, que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES pouvait sans faute rompre le contrat qui la liait à la société ANTIGONE, et que la société ANTIGONE n'a elle-même jamais tenu une position contraire dans l'instance l'opposant à cette société, M. X... est mal fondé à soutenir que la décision de rupture est la cause de son infortune ; qu'en revanche il est en droit de prétendre l'imputer au défaut fautif de préavis retenu par l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN ;
Considérant que pour y parvenir, il incombe à M. X... de rapporter la preuve que c'est du fait qu'il n'a pas disposé du délai de préavis d'un an, retenu par la cour de ROUEN, ni par la suite de la somme de 3 millions de francs immédiatement après l'arrêt, qu'il n'a pas pu redresser sa société ;
- la brusque rupture par la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES
Considérant que M. X... déclare que :- la rupture brutale et fautive des relations commerciales par la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES, a été la première cause de l'ouverture de la procédure collective, puis de la liquidation judiciaire, en l'empêchant de préparer et organiser sa reconversion dans les meilleures conditions et délais,- le préjudice personnel qu'il a subi par ricochet n'a pas été indemnisé,- lorsque la cour de ROUEN a rendu son arrêt, la société ANTIGONE n'avait pas encore été placée en liquidation judiciaire, de sorte que le préjudice n'était qu'une perte de chance,- depuis que le jugement de liquidation est intervenu, le préjudice est devenu certain, et lui-même est devenu la victime directe qu'il n'était pas auparavant, d'où il suivrait que la cour de
ROUEN n'aurait pas été en mesure de l'indemniser.
Considérant cependant que ce préjudice a déjà été indemnisé par la cour de ROUEN ;
Qu'en effet si M. X... n'était certes pas partie à l'instance, il n'en demeure pas moins qu'il a été indemnisé à travers la somme de 3 millions de francs perçue par sa société, qui est entrée dans les recettes, et a pu servir à faire face à toutes les dépenses sociales, salaires dont le sien en sa qualité de président directeur-général, ou autres ;
Qu'il doit donc être débouté de sa demande de ce chef ;
- le refus d'exécuter l'arrêt de la cour de ROUEN
Considérant que M. X... expose à ce sujet que :- malgré la rupture, son entreprise pouvait être remise à flot, ainsi qu'en témoigne le choix de la procédure de redressement judiciaire par le tribunal, et le fait qu'il avait conçu une nouvelle activité de conditionnement de flacons, à laquelle ses partenaires s'étaient montrés intéressés, et notamment la société VIA PARIS, selon son attestation,- les organes de la procédure collective avaient aussi une vision positive de l'avenir, puisque l'administrateur judiciaire, Maître Y..., avait sollicité le renouvellement de la période d'observation le 14 août 1998, sur la base du rapport du cabinet d'expertise FIDUCIAIRE DE FRANCE, qu'il avait missionné,- le juge commissaire avait autorisé l'acquisition et la location du matériel nécessaire,- le tribunal de commerce avait lui-même décidé ce renouvellement par jugement du 20 août 1998 jusqu'au 5 février 1999,- c'est dans ce contexte, à ce moment crucial, que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES a refusé de payer la somme de 3 millions de francs, paralysant l'entreprise, bloquant ses projets industriels, et précipitant la liquidation qui interviendra le 3 décembre 1998, jour où elle assignait au contraire devant le juge de l'exécution,- les
motifs du jugement de liquidation du 3 décembre 1998, caractérisent le lien entre la faute et le préjudice ;- les premiers juges ont, à tort, limité l'incidence du défaut de payement des 3 millions de francs à l'état de la trésorerie, expliquant la déconfiture de la société ANTIGONE par des données structurelles et chroniques, qui ne seraient selon lui nullement évoquées dans le jugement de liquidation judiciaire.
Que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES conteste ces analyses, et nie l'existence d'un lien de causalité entre ses fautes et le préjudice ;
Mais considérant qu'il résulte des motifs du jugement de liquidation que si la trésorerie est positive au jour du jugement, avec un passif de 2.087.376 francs (incluant article 40 et passif à court terme), et un actif de 2.118.984 francs, elle est néanmoins en situation de blocage, l'actif n'étant pas immédiatement réalisable, et, littéralement "ne permet pas la continuation, seul le versement rapide de l'indemnité de 3 millions de francs par la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES permettant la poursuite d'activité sur le plan trésorerie" ;
Que par suite, si le versement de la somme de 3 millions de francs ne garantissait pas le redressement de l'entreprise, il en était une condition nécessaire par la remise à niveau de la trésorerie, aucun redressement n'étant envisageable sans une trésorerie suffisante pour poursuivre l'activité ;
Que néanmoins il résulte encore des termes de ce jugement que, la disposition d'une trésorerie suffisante étant admise, les chances de redressement étaient très faibles ;
Que le jugement de liquidation retient ainsi que la société ANTIGONE ne "dégageait pas actuellement de résultats positifs.......que la simulation prévisionnelle établie par le cabinet d'experts comptables
de la société ne paraît pas devoir être suivie, car il faudrait dans les conditions d'exploitation actuelle, une augmentation du chiffre d'affaires de 23 % et l'embauche de 4,5 salariés......que l'état provisoire (des créances s'élève à) ...13.777.720 francs..... que dans ces conditions l'exploitation ne peut se poursuivre puisqu'elle génère un nouveau passif...que.....la société ne peut faire face au paiement des salaires le 12 décembre 1998 ....", termes qui dénotent sans conteste des difficultés structurelles tenant à un déficit chronique, et à l'impossibilité de générer sa propre trésorerie ;
Que face à cette situation, les projets de M. X... portant sur la création d'une chaîne de conditionnement, restaient insuffisamment étoffés, le cabinet FIDUCIAIRE de FRANCE ayant relevé dans sa note du 7 juillet 1998, qu'ils restaient "tributaires de la réalisation d'hypothèses importantes difficiles à valider" et que cette validation ne pouvait résulter que "d'une étude de marché et une enquête commerciale ce qui ne peut être fait compte tenu de l'urgence" ;
Que la faible crédibilité du projet industriel de M. X..., se déduit aussi de ce que, bien que les difficultés aient commencé au mois d'octobre 1996, soit près de deux ans auparavant, et qu'il était conscient de l'urgence d'une réaction, il n'en était encore qu'à des hypothèses de travail, et à des contacts imprécis ;
Que les chances de redressement n'étaient cependant pas inexistantes, ainsi que le montrent l'avis du cabinet La FIDUCIAIRE de FRANCE qui juge le projet de M. X... "très intéressant", compte tenu des résultats prévisionnels, sans nécessité de personnel supplémentaire en période faible et moyennant des coûts à engager faibles, et les attestations délivrées par des membres du service "Achats" des sociétés VIA PARIS et CEP, qui déclarent qu'ils étaient prêts à passer des commandes importantes à la société ANTIGONE pour le
conditionnement de produits ;
Que le développement de cette nouvelle activité était donc susceptible à modifier les données structurelles négatives de l'entreprise constatées par les experts, si seulement la société ANTIGONE avait pu bénéficier d'une trésorerie qui lui aurait permis de tenir le temps nécessaire ;
Que la décision de liquidation prise par le tribunal de commerce de DIEPPE, a été prise en prenant en compte l'arrêt de la cour de ROUEN, puisqu'il énonce que "le seul espoir réside dans l'arrêt que doit rendre la cour d'appel", puis, ayant appris l'allocation de 3 millions de francs, que "Sur la condamnation de SAINT GOBAIN qui a déposé un recours en cour de cassation, dont nous ne connaissons pas la date de règlement ni les modalités" ;
Qu'enfin le fait que l'administrateur judiciaire ait déposé une requête en liquidation judiciaire dès le 26 octobre 1998, soit avant le prononcé de l'arrêt, n'a pas de signification précise, pouvant s'agir tout aussi bien, de prendre date pour une liquidation rapide, pour le cas où aucune somme ne serait allouée par la cour d'appel ;
Qu'il convient d'en conclure que si l'apport de 3 millions de francs aurait certainement rétabli la trésorerie, et permis la poursuite d'activité, l'issue favorable de cette poursuite, l'adoption d'un plan de continuation, restait très incertaine, de sorte que le préjudice subi par M. X... du fait du refus de la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES de payer la somme de 3 millions de francs, se résout en une perte de chance de rétablir l'entreprise, chance qui, compte tenu des données économiques et comptables énumérées ci-avant, était minime, et doit être évaluées à la somme de 23.000 euros ;
Qu'en réparation du trouble moral subi par M. X... du fait de la perte de son entreprise, et des répercussions de cette perte sur sa vie familiale, il y a lieu de lui accorder, toujours sur le fondement
de la perte de chance, la somme de 7.000 euros ;- Sur la demande au titre des frais irrépétibles
Considérant l'équité commande d'allouer à M. X... 400 euros l'indemnité indiquée au dispositif au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
- Sur les dépens
Considérant que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES qui succombe doit supporter les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare l'action de M. X... recevable,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
Dit que la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES a commis des fautes en lien direct de causalité avec le préjudice personnel que M. X... a subi à la suite de la liquidation judiciaire de la société ANTIGONE, dont il était actionnaire et Président directeur-général salarié,
Dit que ce préjudice n'est que celui d'une perte de chance,
Condamne la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES à payer à M. X... les sommes de :
- 23.000 euros au titre de son préjudice économique,
- 7.000 euros au titre de son préjudice moral,
- 4.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la société SAINT GOBAIN DESJONQUERES aux dépens de première instance et d'appel,
Dit que ces dépens pourront être recouvrés par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoué de M. X..., pour la part la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile. - signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame THEODOSE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,
Le PRESIDENT,