COUR D'APPEL DE VERSAILLES Code nac : 80BH.L./E.W. 5ème chambre B ARRET No CONTRADICTOIRE DU 08 JUIN 2006 R.G. No 05/01944 AFFAIRE :
Jocelyne X... C/ S.A.S. KELLY SERVICES INTERIM en la personne de son représentant légal Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Février 2005 par le Conseil de Prud'hommes de NANTERRE Section : Encadrement No RG : 03/03205 Expéditions exécutoires Expéditions Copies délivrées le : à :
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LE HUIT JUIN DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : Madame Jocelyne X... 154 rue de la République 92800 PUTEAUX comparante en personne, assistée de Me Isabelle JAQUANIELLO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A 84 APPELANTE S.A.S. KELLY SERVICES INTERIM agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés de droit au siège social sis : 6 rue des Bateliers 92110 CLICHY représentée par Me Muriel PARIENTE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P21 substitué par Me Lorelei GANNAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 0498 INTIMÉE Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Avril 2006, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Emmanuelle Y..., vice-président placé chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé de :
S.A.S. KELLY SERVICES INTERIM
Monsieur Jacques CHAUVELOT, conseiller,
Madame Emmanuelle Y..., vice-président placé, Greffier, lors des
débats : Mme Christiane PINOT, FAITS ET PROCÉDURE,
Mme Catherine X... a été engagée à compter du 13 février 1984 en qualité d'attachée commerciale, par la société KELLY qui exerce une activité d'entreprise de travail temporaire.
Le 5 décembre 1988, elle a été nommée chef d'agence Senior puis a occupé successivement les fonctions suivantes : directeur des ventes, directeur des opérations, directeur des opérations et des ventes, directeur des ventes et marketing.
Au dernier état des relations contractuelles, Mme X... était directeur marketing France et Europe de l'Ouest et était membre du comité de direction de la société. Elle percevait un salaire moyen de 5709,78 euros bruts.
Le 5 juin 2003, Mme X... a été convoquée à un entretien préalable à une mesure de licenciement qui lui a été notifiée le 9 juillet 2003 pour motif économique.
Contestant la validité de la rupture, Mme X... a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de se voir allouer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts pour préjudice moral et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par jugement en date du 16 février 2005, le conseil de prud'hommes l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Mme X... a régulièrement interjeté appel de la décision.
Par conclusions déposées et soutenues à l'audience du 7 avril 2006, elle demande à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la société KELLY SERVICES de sa demande reconventionnelle,
- constater que son licenciement ne repose sur aucun motif économique et que la société KELLY n'a respecté aucune de ses obligations en
matière d'ordre des licenciements et de reclassement,
- dire que le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner la société KELLY SERVICES à lui payer la somme de 144 864,92 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- ordonner que les intérêts soient fixés depuis la date de citation prud'homale et emportent capitalisation conformément aux dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil,
- condamner la société KELLY SERVICES au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Mme X... expose que la rupture de son contrat de travail n'est pas consécutive aux difficultés économiques non avérées de son employeur ; que son poste n'a pas été supprimé et que son licenciement est lié à un motif inhérent à sa personne ; qu'en effet, la société KELLY SERVICES ne justifie nullement par des éléments chiffrés et des documents comptables de difficultés économiques au sein du groupe mondial KELLY, dans son secteur d'activité ; que la société déclare avoir des difficultés financières depuis les 9 premiers mois de l'année 2003, alors que la salariée s'est vue proposer un changement d'affectation en novembre 2002 ; que des contradictions ressortent des pièces communiquées ; qu'ainsi la masse salariale a été augmentée et des augmentations de salaires ont été accordées en 2003 ; que seuls deux licenciements pour motif économique ont été décidés, sans proportion avec les propos alarmistes contenus dans la lettre de rupture sur la situation de la société.
Mme X... fait valoir ensuite qu'aucune information n'a été fournie sur les critères d'ordre des licenciements ; que cette
imprécision devra être sanctionnée en tenant compte du fait qu'elle était employée depuis 1984 et qu'elle vivait seule avec un enfant à charge.
Elle précise également que contrairement à ce qui est allégué, son poste n'a nullement été supprimé ; que l'organigramme de la société ne laisse en effet apparaître aucune attribution de son poste, ni au directeur général, ni au responsable marketing international ; qu'il a en fait été confié à Melle Pat Z..., comme elle le prouve par les attestations versées aux débats.
S'agissant du reclassement, elle indique qu'aucune offre sérieuse de reclassement ne lui a été formulée, ni en France ni ailleurs dans le groupe ; qu'en effet, les deux premières propositions étaient inacceptables comme constituant une rétrogradation dans la mesure où il s'agissait de postes sans envergure internationale et contenant des comptes clients perdus par la société ; que les autres propositions n'étaient pas davantage acceptables comme concernant des régions touchées par la crise ou un poste non vacant.
Elle argue enfin que la société KELLY SERVICES a souhaité précipiter la fin des relations contractuelles pour d'autres motifs que ceux figurant sur la lettre de licenciement ; que ses conditions de travail sont devenues de plus en plus difficiles, avec des rapports tendus avec son supérieur hiérarchique, des épisodes discriminants et des attaques incessantes qui ont généré des arrêts de travail et un traitement médical avec anti - dépresseurs ; qu'elle a donc subi un préjudice moral et matériel considérable ; qu'elle est encore à ce jour au chômage.
Par conclusions déposées et soutenues à l'audience du 7 avril 2006, la société KELLY SERVICES demande à la cour de :
- dire et juger que le licenciement de Mme X... repose sur un motif économique réel et sérieux,
- constater qu'elle a pleinement satisfait à son obligation de reclassement,
- débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner au paiement de la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'afin de faire face à ses difficultés financières et sauvegarder sa compétitivité sur le marché du travail temporaire en France, elle a été contrainte de réorganiser ses fonctions "supports"comprenant le service marketing ; qu'ayant pour activité la mise à disposition de personnel temporaire à des entreprises en France, le périmètre d'appréciation des difficultés économiques s'apprécie en France uniquement ; que la conjoncture économique difficile qui a frappé le marché du travail temporaire au cours des années 2002 et 2003 est attestée par les dépêches du syndicat des entreprises de travail temporaire ; qu'ainsi, son chiffre d'affaire et son résultat d'exploitation ont été en baisse constante, comme démontré par les éléments comptables versés aux débats ; que le déficit 2003 a atteint 900 000 euros et d'importants clients ont été perdus ; que contrairement à ce que prétend Mme X..., le nombre de salariés en contrat à durée indéterminée n'a cessé de décroître entre 2001 et 2003 et le programme de bonus a été considérablement réduit ainsi que les rémunérations les plus importantes au sein de la société.
S'agissant des critères d'ordre des licenciements, la société KELLY SERVICES expose que Mme X... étant la seule titulaire de l'unique poste dans cette catégorie, aucun critère n'a été mis en oeuvre ; que Mme Z... n'a nullement repris le poste en cause mais est restée employée de la société KELLY SERVICES INTERNATIONAL pour l'Asie Pacifique.
La société précise en outre qu'elle a tenté de préserver l'emploi de
Mme X... en lui proposant quatre postes de reclassement, équivalents en termes de responsabilités et de conditions d'emploi que celui qu'elle occupait précédemment; que contrairement à ce que soutient la salariée, le poste de directeur grands comptes a une dimension internationale ; de même, le poste de directeur régional Nord et Est et directeur régional Ile de France était vacant compte tenu du départ de son titulaire ; que Mme X... a refusé toutes les propositions de reclassement internes alors qu'elles avaient le mérite de lui maintenir, outre son salaire, son coefficient et sa position ; qu'elle ne saurait donc lui reprocher un manquement à son obligation de ce chef.
La société KELLY SERVICES conclut enfin que la demande d'indemnisation de Mme X... et ses affirmations tirées du caractère personnel de son licenciement sont totalement infondées et fantaisistes.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la cour, conformément aux dispositions de l'article 455 du nouveau code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ainsi qu'aux prétentions orales telles qu'elles sont rappelées ci dessus.
MOTIFS, Sur le licenciement de Mme X... :
Considérant qu'en vertu de l'article L 321-1 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué pour des motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ;
Considérant que l'énumération des motifs économiques de licenciement par l'article L 321-1 du Code du travail n'est pas limitative ;
Considérant que la réorganisation de l'entreprise constitue un motif
économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient ;
Considérant que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est libellée comme suit : "Depuis 9 mois, la société KELLY SERVICES rencontre des difficultés économiques importantes, son résultat d'exploitation positif dans les cinq premiers mois de l'année 2002 est passé en perte au cours de la même période de l'année 2003, (moins 156%). Parallèlement, les résultats financiers de la région KELLY Europe de l'Ouest sont également en perte à hauteur de 1,493 KE. Ces difficultés, ainsi que la poursuite prévisible du ralentissement du chiffre d'affaires de l'entreprise, rendent inéluctable une réorganisation des fonctions supports, dont, entre autres, le service marketing en France et en Europe de l'Ouest, sous peine de mettre en péril, à court et moyen terme la survie de notre activité " ;
Considérant que pour justifier de la réalité de ses difficultés économiques, la société KELLY SERVICES verse aux débats les comptes annuels de KELLY SERVICES INTERIM SA des exercices 2001/2002 et 2002/2003 ;
Mais considérant qu'il n'est pas contesté que la société KELLY SERVICES appartient à un groupe mondial ;
Considérant que nulle information comptable n'est produite sur les résultats au niveau du groupe ; que si la société KELLY SERVICES oppose en effet avoir son propre périmètre d'activité, faisant valoir que les autres sociétés du groupe n'exercent pas dans le même secteur, elle ne le justifie nullement par aucun document de nature à le démontrer ; que ce faisant, la cour est dans l'impossibilité de le vérifier et de constater que les difficultés économiques, lesquelles doivent s'apprécier au niveau du groupe et dans le secteur d'activité
en cause, sont avérées ; que dans ces conditions, le motif économique du licenciement n'est pas établi ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement de ce chef ; Sur l'indemnisation de Mme X... :
Considérant que Mme X... qui avait presque vingt ans d'ancienneté dans une société comportant plus de onze salariés, doit être indemnisée dans les conditions définies à l'article L 122-14-4 du code du travail ;
Considérant que Mme X... justifie être à ce jour encore au chômage ; qu'elle verse en outre des attestations, un certificat médical et des arrêts de travail démontrant les troubles psychologiques qu'elle a subis, liés à la rupture ; que la cour a donc les éléments suffisants pour fixer à la somme de 120 000 euros, l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à lui allouer, somme à augmenter des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en application de l'article 1153 -1 du code civil ;
Considérant qu'en vertu de l'article 1154 du code civil, les intérêts de l'indemnité sus allouée, échus depuis plus d'un an, emporteront eux mêmes intérêts au taux légal ; Sur les demandes annexes :
Considérant que l'équité commande en outre qu'en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, une somme de 2000 ç soit allouée à Mme X... pour les frais exposés à l'occasion de la présente instance et non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS,
La COUR,
Statuant publiquement et CONTRADICTOIREMENT,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 16 février 2005 en ce qu'il a débouté Mme X... de l'ensemble de ses demandes,e de ses demandes,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de Mme Jocelyne X... est dépourvu de
cause réelle et sérieuse,
Condamne la société KELLY SERVICES INTERIM à lui régler les sommes suivantes :
- 120 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
- 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Dit que les intérêts échus depuis plus d'un an emporteront intérêts au taux légal,
Laisse les dépens à la charge de la société KELLY SERVICES.
Arrêt prononcé par Mme Jeanne MININI, président, et signé par Mme Jeanne MININI, président et par Mme Christiane PINOT, greffier présent lors du prononcé
Le GREFFIER,
Le PRÉSIDENT,