COUR D'APPEL DE VERSAILLES Code nac : 54 B 4ème chambre ARRET No CONTRADICTOIRE DU 16 JANVIER 2006 R.G. No 04/03296 AFFAIRE : S.A. AGINTIS ... C/ S.A. BASELL PRODUCTION FRANCE Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Mars 2004 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE No chambre : 6 ème No RG : 2003f03242 et RG 2003f03355 Expéditions exécutoires Expéditions Copies délivrées le : à : SCP FIEVET-LAFON, SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LE SEIZE JANVIER DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : Société AGINTIS Ayant son siège 211 avenue Francis de Pressensé 69200 VENISSIEUX prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège Maître Eric X... ès qualités d'administrateur judiciaire de la Société AGINTIS 40 rue de Bonnel 69484 LYON CEDEX 03 représentés par la SCP FIEVET-LAFON, avoués - N du dossier 240494 ayant pour avocat Maître BIZOLLON du barreau de PARIS APPELANTS Société BASELL PRODUCTION FRANCE Ayant son siège 49 avenue Georges Pompidou 92300 LEVALLOIS PERRET prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège représentée par la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER, avoués - N du dossier 20040699 ayant pour avocat Maître Stéphane PERRIN du barreau de PARIS - R 013 - INTIMEE Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Novembre 2005 devant la cour composée de :
Madame Geneviève BREGEON, Président,
Madame Catherine MASSON-DAUM, Conseiller,
Madame Dominique LONNE, Conseiller, qui en ont délibéré, Greffier, lors des débats : Madame Marie-Christine COLLET
FAITS ET PROCEDURE,
Agissant en qualité de maître de l'ouvrage, la société ELENAC, devenue depuis BASELL PRODUCTION FRANCE (ci-après désignée BASELL), a confié à la société de droit allemand SALZGITTER ANLAGENBAU GMBH (ci-après désignée SAB) la réalisation d'un immeuble à usage industriel à Berre l'Etang (13). Cette dernière a sous-traité le lot "tuyauterie" à la société GROUPE SNIG (ci-après désignée SNIG) aux droits de laquelle se présente la société AGINTIS.
Après achèvement du chantier en septembre 2000, la société SAB a refusé de régler à la société AGINTIS le solde du prix de ses travaux et, le 3 mai 2001, celle-ci en a réclamé le paiement au maître de l'ouvrage qui s'est notamment prévalu du désaccord opposant les deux entreprises sur le montant restant dû par la société SAB à la sous-traitante.
Faisant valoir que, par sentence arbitrale du 23 mars 2003, la société SAB a été condamnée à lui verser la somme de 1.629.905,41 ç
avec intérêts au taux légal allemand outre celle de 27.221 ç au titre de ses coûts et frais et celle de 32.400 $ au titre des honoraires d'arbitrage, mais que celle-ci a fait l'objet d'une procédure collective régie par le droit allemand la privant de toute possibilité de règlement, la société AGINTIS a, le 27 mai 2003, réclamé paiement de la somme de 1.904.977,35 ç à la société maître d'ouvrage. Par lettre du 18 juin 2003, la société BASELL a refusé tout paiement aux motifs que le contrat de sous-traitance était régi par le droit allemand et qu'elle ne l'avait pas acceptée en qualité de sous-traitante.
Sur assignation du 16 juillet 2003 en paiement de la somme de 1.904.977,35 ç, le tribunal de commerce de Nanterre a, par jugement en date du 5 mars 2004 : rejeté celles-ci, rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.
LA COUR
Vu l'appel formé par la société AGINTIS et l'administrateur judiciaire à son redressement judiciaire, M. Eric X..., à l'encontre de cette décision,
Vu le jugement du 11 mars 2004 par lequel le tribunal de commerce de Lyon a ouvert le redressement judiciaire de la société AGINTIS en désignant M. X... comme administrateur ainsi que celui du 27 mai 2004 par lequel le même tribunal a arrêté un plan de cession de la société AGINTIS, a maintenu M. X... en qualité d'administrateur et l'a nommé commissaire à l'exécution de ce plan,
Vu les conclusions en date du 27 août 2005, par lesquelles la société AGINTIS représentée par M. X... ès qualités d'administrateur et de commissaire à l'exécution du plan, poursuivant la réformation du
jugement déféré, demande à la cour, au visa de la loi du 31 décembre 1975 et de l'article 1382 du Code civil, de : constater que la société BASELL a manqué aux obligations imposées par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 7 octobre 2003, date de ses conclusions de première instance sollicitant cette capitalisation, [* condamner la société BASELL à lui payer une indemnité de 30.000 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Vu les conclusions en date du 27 juin 2005, par lesquelles la société BASELL, intimée, demande à la cour de : *] confirmer le jugement entrepris et débouter l'appelante de toutes ses demandes, en tout état de cause, condamner la société AGINTIS à lui payer la somme de 50.000 ç en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
SUR CE,
Considérant que la société AGINTIS fait valoir que, par lettres des 27 mars et 3 mai 2001, elle a exercé auprès de la société BASELL l'action directe prévue par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 mais que, postérieurement, ce maître d'ouvrage a réglé la société SAB au lieu de bloquer les fonds ; qu'elle ajoute que la
société BASELL a manqué aux obligations que lui imposait l'article 14-1 de la même loi ; qu'elle en déduit que celle-ci a engagé sa responsabilité à son égard sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Que la société BASELL soutient, à titre principal, que la loi du 31 décembre 1975 n'est pas applicable, le contrat principal et le contrat de sous-traitance relevant du droit allemand, et, à titre subsidiaire, que la société AGINTIS ne justifie pas de son agrément ainsi que de l'acceptation de ses conditions de paiement et ne peut en conséquence bénéficier de l'action directe instituée par ladite loi du 31 décembre 1975 ou des dispositions de son article 14-1 alinéa 2 relatives à la fourniture d'une caution garantissant son paiement ; qu'elle considère n'avoir commis aucune faute et estime aussi que les sommes réclamées correspondent à des travaux supplémentaires exclus du champ d'application des articles 12, 13, 14 et 14-1 de cette loi ;
Considérant que la société AGINTIS ne discute pas le fait que le contrat de sous-traitance se trouve régi par le droit allemand lequel ne prévoit aucune disposition conférant au sous-traitant une action directe contre le maître d'ouvrage ou mettant certaines obligations à la charge de ce dernier en faveur du sous-traitant ;
Qu'elle se prévaut, cependant, à bon droit des articles 3 et 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et du mécanisme prévu par l'alinéa 1er de ce dernier texte permettant de "donne(r) effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit" en relevant que la situation présente un lien étroit avec la France et en observant que selon l'alinéa 2 de ce même article 7, le choix par les parties de la loi régissant le contrat ne peut "porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la
situation" ;
Qu'il n'est en effet pas contestable que l'essentiel des éléments de l'espèce ayant donné lieu au contrat de sous-traitance sont localisés en France, notamment son lieu d'exécution et l'entreprise sous-traitante ;
Qu'en outre, la loi française du 31 décembre 1975 est une loi d'ordre public prévoyant en ses articles 7 et 12 qu'est réputée non écrite toute renonciation du sous-traitant au bénéfice du paiement direct ou de l'action directe et, en son article 15, que sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de cette loi ; qu'il s'agit d'une loi de protection du sous-traitant ainsi que d'une loi de police économique réglementant de façon générale la pratique de la sous-traitance en France et instaurant un statut du sous-traitant en sorte qu'elle contient des dispositions impératives, au sens des articles 3 et 7 de la Convention de Rome, qui doivent recevoir application en l'espèce, quelle que soit la loi du contrat ;
Considérant que la société AGINTIS souligne que le contrat attribuant le marché à la société SAB énonce que "l'ensemble des sous-contractants impliqués dans le montage doivent faire l'objet de l'approbation préalable" du maître de l'ouvrage ;
Que la société BASELL ne peut déduire la preuve de ce qu'elle n'a jamais acceptée cette sous-traitante, avant l'achèvement de l'ouvrage, du fait que la société AGINTIS aurait, par fax des 21 et 27 novembre 2000, réclamé la justification de son acceptation dans la mesure où celle-ci a alors, en réalité, demandé à la société SAB de lui faire parvenir les certificats de réception mécanique constatant la bonne réalisation de ses travaux commandés les 22 mars 1999 et 14 mars 2000 ;
Que la société SNIG aux droits de laquelle se présente la société AGINTIS est mentionnée sur la liste, annexée au marché conclu par la société SAB et la société BASELL, des sous-contractants auxquels cette entreprise principale se proposait de recourir ; que sa participation effective à la construction de l'ouvrage à compter du 1er septembre 1999 était connue de la société BASELL puisqu'à la suite de la réunion du 15 avril 1999, antérieure au commencement de ses travaux et à laquelle toutes deux ont participé avec l'entreprise principale, la société maître de l'ouvrage a attribué cinq lignes téléphoniques à cette sous-traitante, l'a faite figurer dans les comptes-rendus de réunions hebdomadaires de chantier et l'a autorisée à participer avec d'autres entreprises à la rédaction de son journal de chantier intitulé "La revue du projet PE AUBETTE" ;
Que ces actes accomplis par la société BASELL établissent sans équivoque sa connaissance de la présence de la sous-traitante en cause sur le chantier et son acceptation préalable ainsi que le soutient la société AGINTIS ; que l'agrément de ses conditions de paiement résulte de l'absence de toute opposition de la part de la société BASELL à la suite de la transmission à cinq de ses représentants, le 3 juin 1999, d'une copie de la commande passée le 22 mars précédent par la société SAB à sa sous-traitante ;
Considérant que la société AGINTIS justifie avoir, conformément aux dispositions de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, notifié au maître de l'ouvrage, par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 mars 2001, sa mise en demeure adressée le même jour à l'entreprise principale de lui payer la somme de 2.366.977,70 ç restant due après exécution de ses travaux, puis par nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception du 3 mai 2001, sa mise en demeure adressée le même jour à l'entreprise principale de lui régler la somme de 1.684.101,30 ç (11.046.981,60 FF) restant due après
paiement partiel du solde précédent en lui demandant de lui payer directement cette dernière somme ;
Qu'en réponse, la société BASELL a indiqué, par correspondance du 7 mai 2001, ne pas pouvoir procéder à ce paiement en raison du différent opposant la société AGINTIS à la société SAB sur le montant du solde dû par cette dernière et "au demeurant" en raison du fait que les sommes qu'elle restait devoir à ladite société SAB étaient "insuffisantes pour satisfaire l'ensemble des actions directes qui (lui) ont été adressées" ;
Que, par nouveau courrier recommandé avec accusé de réception du 10 mai 2001 s'étonnant de l'absence de réponse à celui du 3 mai et ne contenant aucune référence au refus de paiement opposé le 7 mai précédent par le maître de l'ouvrage, la société AGINTIS a réitéré sa demande de paiement direct en rappelant à la société BASELL qu'en sa qualité de maître de l'ouvrage, elle devait, aux termes de la loi du 31 décembre 1975, exiger de l'entreprise principale la fourniture d'une caution de paiement à son profit et qu'à défaut d'une telle vérification ou d'une délégation de paiement, elle était tenue de la totalité des sommes lui restant dues ;
Que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juin 2003, la société AGINTIS a mis en demeure la société BASELL de lui verser la somme de 1.904.977,35 ç, montant de la condamnation, en principal et intérêts, mise à la charge de la société SAB par sentence arbitrale du 25 mars précédent en faisant valoir que, du fait de son redressement judiciaire, celle-ci n'était plus à même de s'exécuter ; Que la société BASELL a opposé le règlement, en mai 2002, de la somme de 12.000.000 ç qu'elle restait devoir à la société SAB ;
Qu'en cet état, en l'absence d'engagement de toute procédure à l'encontre de la société BASELL avant l'assignation introductive de
la présente instance, le 16 juillet 2003, la société AGINTIS ne peut sérieusement prétendre avoir antérieurement exercé l'action directe prévue par la loi du 31 décembre 1975 ; qu'elle a seulement tenté, les 3 et 10 mai 2001, d'obtenir le paiement direct par le maître de l'ouvrage du solde restant dû sur les travaux sous-traités alors que celui-ci détenait encore des fonds dus à l'entreprise principale et n'a,e de l'ouvrage du solde restant dû sur les travaux sous-traités alors que celui-ci détenait encore des fonds dus à l'entreprise principale et n'a, ainsi qu'elle le reconnaît, procédé à aucune saisie conservatoire bien qu'il l'ait avisée de l'insuffisance de ces fonds pour régler l'intégralité des sous-traitants exerçant des actions directes ; qu'elle ne peut, dès lors, lui imputer à faute le règlement intervenu en mai 2002 ;
Considérant qu'il est constant que la société AGINTIS n'a bénéficié d'aucune caution garantissant le règlement de ses travaux à la suite de la défaillance de l'entreprise principale ; qu'en l'absence de délégation de paiement, elle est fondée à se prévaloir d'une faute de la société BASELL dans la mesure où celle-ci a négligé de satisfaire à l'obligation que lui imposait l'alinéa 2 de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et n'a pas exigé de la société SAB qu'elle justifie de la fourniture d'une telle caution ;
Que le non respect de cette obligation, qui tend à assurer au sous-traitant le paiement de sa créance, est en effet de nature à engager la responsabilité du maître d'ouvrage sur le fondement de l'article 1382 du Code civil sans qu'il soit besoin de rechercher si, ainsi que le demande la société BASELL, une mise en demeure du maître de l'ouvrage à l'entreprise principale avait une chance d'être suivie d'effet ; que le préjudice subi par le sous-traitant est en principe constitué par les sommes dont il n'a pu obtenir le paiement ;
Qu'en l'espèce, il résulte de la sentence arbitrale prononcée à son
profit le 25 mars 2003, que la société AGINTIS reste créancière de la somme de 1.629.905,41 ç représentant le solde dû par la société SAB au titre des travaux sous-traités après compensation avec sa propre dette envers celle-ci ;
Que, toutefois, la société BASELL relève que des commandes de travaux supplémentaires no 6.300.700.17 et no 6.301.706.00, d'un montant respectif de 3.013.917 ç (19.770.000 FF) et 1.411.009,40 ç (9.255.615 FF), sont intervenues en cours d'exécution du contrat de sous-traitance, les 1er et 14 mars 2000, et que, faute pour la société AGINTIS de justifier d'une acceptation de sa part à leur sujet, les dispositions de l'article 13 alinéa 1er de la loi du 31 décembre 1975 ne lui auraient pas permis d'exercer d'action directe de leur chef ; qu'elle estime avec raison que les paiements partiels auxquels a procédé la société SAB doivent s'imputer sur les travaux objet du contrat de sous-traitance, donc de la commande no 6.300.700.00 du 22 mars 1999 d'un montant de 5.785.440,20 ç (37.950.000 FF), et que le solde réclamé a exclusivement trait aux commandes de mars 2000 ;
Que, dès lors, la société BASELL est fondée à soutenir que la société AGINTIS ne peut se prévaloir que d'une perte de chance, celle d'obtenir le bénéfice d'une caution garantissant des travaux non encore commandés ; que l'intéressée ne démontre pas la possibilité d'obtenir un tel acte et doit donc être déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
Considérant que l'équité commande de ne pas attribuer de somme au titre des frais non compris dans les dépens, le jugement étant réformé de ce seul chef ; que la société AGINTIS, partie perdante, doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a statué sur les frais hors dépens,
Le réformant de ce seul chef et y ajoutant,
Rejette toutes demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne Maître Eric X... ès qualités d'administrateur et de commissaire à l'exécution du plan de la société AGINTIS aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Arrêt prononcé par Madame Geneviève BREGEON, Président, et signé par Madame Geneviève BREGEON, Président et par Madame Marie-Christine COLLET, Greffier, présent lors du prononcé.
Le GREFFIER,
Le PRESIDENT,